Quand nous étions enfants, ma grand-mère, vénitienne, nous racontait une histoire que nous adorions et qui, avec les détails ajoutés par la narratrice, nous faisait longuement rêver. Tout un monde disparu depuis mille ans réapparaissait devant nos yeux. Venise aimait aussi beaucoup cette histoire puisqu'elle resta pendant près de quatre cents ans très populaire. Fête joyeuse qui occupait toute la population, de l'ouvrier de l'Arsenal au Doge lui-même. On la commémorait le 2 février, le jour de la chandeleur pour nous. Depuis deux ans, Bruno Tosi, historien, grand ordonnateur de fêtes et de manifestations à Venise, a remis au goût du jour cette antique procession, pendant le Carnaval. Mais de quoi s'agissait-il ?
Une légende dit que, en 943, sous le règne du doge Pietro Candiano, l'antique usage vénitien de célébrer tous les mariages à la fois le même jour de l'année était encore en vigueur. Les futures épouses défilaient en un somptueux cortège naval depuis l'Arsenal, le long du canal "des vierges" pour rejoindre leurs maris qui les attendaient, avec tous les invités, à l'église San Nicolo du Lido.
Un jour, des pirates venant des ports de Dalmatie, repérèrent que ces belles glissaient sur la lagune ce jour là vêtues de somptueuses robes de brocart et de soie, portant sur elle des bijoux de grande valeur et amenant à la noce des coffres peints et sculptés dans lesquels étaient rangés les dots et les trousseaux. Bref un véritable trésor flottant qui appâtait ces demi-sauvages avides d'or et de d'argent, mais aussi de chair fraiche... Un jour donc, ils passèrent à l'action et s'emparèrent des vierges et de leurs bagages. Ils s'enfuirent le plus rapidement possible craignant tout de même les représailles de la marine vénitienne pourtant accaparée par la cérémonie au Lido. Quand les jeunes hommes apprirent le rapt de leurs belles, une foule enragée prit la mer et poursuivit les dalmates dans les chenaux de la lagune. Les pirates, chargés de tout cet or et du troupeau des belles promises, avançaient lentement. Ils furent bientôt rattrapés et massacrés jusqu'au dernier. Les jeunes filles évanouies pour la plupart furent réveillées, rafraîchies, rassurées, consolées et les noces purent avoir lieu, triomphalement.
Depuis cet évènement terrible à la fin très heureuse, Venise prit l'habitude d'organiser un défilé des plus jolies jeunes filles de la ville en souvenir. L'histoire des vierges servit à justifier aussi la grande cérémonie des noces de Venise avec la Mer, puisque Venise avait vaincu tous les autres peuples sur la mer grâce à la mer elle-même...
Ce défilé dura des années puis peu à peu la signification en fut oubliée. Les jeunes filles ne voulurent plus défiler car les jeunes gens prirent l'habitude de leur jeter à la place des pétales de roses et des sucreries des origines, des pierres et des détritus, par dérision. La manifestation devint une mascarade. Un doge décida de les remplacer par des marionnettes géantes, vêtues de superbes robes et au visage gracile semblable à celui des jolies vénitiennes d'alors. Cette procession continua encore quelques années puis tomba totalement en désuétude. Sans savoir pourquoi, la mascarade avait encore davantage dégénéré puisque le cortège était accueilli par des jets de pierre et de détritus comme une nouvelle tradition dont personne ne savait plus l'explication.
C'est cette manifestation que Bruno Tosi a remis au goût du jour depuis quelques années. C'est peut-être pour cela que Miss Univers (à moins que ce ne soit Miss Italie ou Miss Europe, je ne sais plus très bien...) viendra présider certaines des manifestations de ce carnaval 2006.
posted by lorenzo at 09:28