4 février.
Qui s'en souvient ? Il y a un an encore, avant que tout ne se précipite et nous bouscule dans notre routine, il semblait possible de pouvoir affirmer que nous avions beaucoup de chance, sans qu'une masse se dresse contre nos propos. On pouvait être comme on est sans s'attirer les foudres de ceux qui ne pensaient pas comme nous. Notre vocabulaire était plus pauvre et notre esprit plus riche. La joie était facile, notre monde s'acheminait vers davantage de justice, de culture, de découvertes heureuses. Il y avait toujours quelque part autour de nous de quoi satisfaire les plus exigeants question qualité de vie, sérénité ou résilience. La nouvelle chasse aux sorcières n'empoisonnait pas encore la communication entre les hommes. Tout n'était pas parfait, il y avait encore beaucoup à faire. Mais les imperfections étaient supportables, parce qu'on les savait corrigeables. Le "bien commun" était la préoccupation majeure de nos gouvernants.
Mais c'était avant. Avant cette "pandémie" qui nous harcèle et occupe tous les esprits. Soudain, le monde s'est réveillé dans un autre monde. Comme s'il se voyait dans un miroir déformant. Ce qui n'était que mauvaise fiction devenait réalité. Triste réalité que d'entendre les chefs d’État et leurs ministres dirent tout et son contraire dans la même journée, des principes et des lois bafoués, le mensonge et le parjure devenus outils de communication et peu à peu le silence de tous, l'effarement, la sidération. L'impression que, sans envisager que tout cela fut pensé et orchestré en amont par des fous furieux multimilliardaires méprisants le commun des mortels comme dans les pire romans d'anticipation ou certaines bandes dessinées. C'est c'est de la vie soudain dont il s'agit et laisser entendre qu'un danger sournois et invisible nous menace tous, faire entendre que notre santé est menacée et pour les plus fragiles d'entre nous, la vie même. L'information soudain n'a plus porté que sur le sujet. Et nous avons tous pris peur.
5 février.
Depuis près d'un an, nous vivons masqués, à bonne distance de l'autre, méfiants. Porter un bout de tissu sur le visage est devenu une habitude, tant est si bien qu'il nous arrive d'oublier que nous sommes masqués et le rester même seuls chez nous... Curieux, n'est-ce pas comme l'homme s'habitue à tout... Pourtant, notre nature ne peut être longtemps et impunément contrainte. Tous nous ressentons les mêmes besoins. La peur et le doute instrumentalisés ou pas ne peuvent éteindre en nous cette flamme qui nait avec la vie, ce besoin d'aimer et d'être aimé, d'aller vers les autres et de les savoir semblables, avec les mêmes doutes et parfois des peurs semblables. Le diable a tellement de tours dans son sac. Bien qu'il ne gagne jamais, que les ténèbres ne l'emportant jamais sur la lumière, il semble plus que jamais à l’œuvre, croyant à chaque fois son triomphe imminent. Il faut dire que nous l'y aidons avec nos prétentions, notre bêtise, notre propension à l'égoïsme et à la jalousie. Le plus souvent, ce manque d'amour n'es rien d'autre qu'un réflexe de défiance envers l'autre, l'étranger, l'inconnu, surtout quand il frappe à nos portes sans arme et sans ornements, nu, fatigué, blessé. Là où l'enfant, l'innocent, le ravi tendent leur main, spontanément, sans crainte ni mépris, trop souvent nous fermons notre cœur. S'ils arrivaient, ces étrangers mal mis, couverts d'oripeaux somptueux, déclamant de beaux discours et les bras chargés d'offrandes, ce ne serait pas pareil. A deux battants, nous ouvririons les portes de nos cœurs et de nos maisons et l'étranger serait présenté à nos enfants et à nos voisins, accueilli, choyé.
Drôle d'époque donc où l'individu ne finit par ne plus vraiment retrouver ses marques, où les images, les paroles sont dures et parfois violentes, où nos routines volent en éclat, laissant les plus fragiles encore plus démunis. J'avoue être de ceux qui sont naturellement portés vers l'idée que ce qu'on ne voit ni n'entend n'existe pas vraiment. Mon métier, mes goûts, ma nature me portent naturellement vers la solitude et l'isolement organisé. Non que je sois un misanthrope, j'aime les gens, j'aime la vie autour de moi mais celle qu'on nous impose depuis un an ne me convient en rien - à qui peut-elle convenir finalement ? - Cette crise inattendue, jamais vécue en temps de paix, nous rapprochent tous de l'essentiel dans nos vies : notre famille et nos amis véritables, ces "Huckleberry friends"(*) qui accompagnent nos rires et nos joies depuis toujours nous sont plus que jamais nécessaires et les savoir au même diapason n'est que joie et félicité. même l'exil forcé loin de Venise semble moins douloureux.
J'ai toujours été ébahi par la manière dont ces jeunes africains débarqués par miracle de ces bateaux devenus trop de fois des tombeaux quand ils auraient dû être berceaux. combien d'anonymes leur ont ouverts leurs bras, les ont pris chez eux et les ont installés dans leur vie et dans le paysage.
L'italien sait bien ce qu'est l'exil, l'émigration contrainte, ce qu'abandonner sa terre, ses frères, ses usages pour l'inconnu, la douleur de l'errance et l'angoisse du vide qui se déploie davantage à chaque pas. Cet accueil spontané, joyeux ou silencieux selon les caractères des lieux de débarquement de ces réfugiés en loque, affamés, fatigués et terrorisés, souvent presqu'encore des enfants, des jeunes gens partis avec l'espoir de revenir un jour, enrichis des savoirs et des rencontres dont ils se seront nourris tout au long de leur chemin. A Venise, sinon quelques esprits chagrins, rances et aigris, adeptes d'un nationalisme si peu italien, ces migrants n'ont jamais été mal traités. La toponymie de la cité des doges a certainement quelque chose à y voir. Les "Vu cumpra" des années 2000, alignés le long des rues passantes et présentant la même camelote Made in China, moqués par les berlusconiens et les néo-fascistes, regardaient la vie se dérouler autour d'eux avec un incroyable sourire et quand ils le pouvaient, ils s'affairaient avec une extrême gentillesse, aidant de vieilles dames à tirer leu caddie ou ramassant le journal qu'un vieillard presque impotent laissait tomber. Ceux qui sont restés, s'expriment en dialecte désormais et beaucoup ont trouvé des petits boulots. Rien de mirifique, trop souvent à la limite de l'acceptable certes. Mais ce qui rend leur quotidien vivable, empêche l'enfer, ce sont les mains tendus des vénitiens, individuellement ou par le biais des associations qui se sont créées ces dernières années. Le discours officiel et l'immobilisme de l'administration contraste avec la réalité du terrain. Je ne sais pas ce qu'il en est à Rome, à Turin ou à Milan. L'italien n'est pas naturellement raciste. Souhaitons qu'il ne le devienne pas.
10 février
Le temps du carnaval est arrivé. Après le brouillard, la froidure, les précipitations et les grandes marées de ces dernières semaines, la neige viendra-t-elle comme elle nous y avait habitué longtemps ? Que de souvenirs, la neve di febbraio... Une année, j'avais invité ma mère à passer quelques jours avec moi à Venise. Je n'y vivais pas encore mais ma décision était prise de quitter Bordeaux et de m'y installer à l'année. L'inviter à voir Venise en hiver, faire avec elle mes promenades préférées m'aiderait à la convaincre de me laisser partir. De la laisser. Lui parler ainsi librement de mon amour pour la cité des doges, sur les lieux mêmes de ma passion me permettrait sûrement de la convaincre plus facilement.
Le touriste se faisait rare l'hiver à cette époque. L'assessorat au tourisme et le syndicat hôtelier venait de lancer une opération Venezia d'Inverno. J'ai retrouvé récemment la brochure de l'Office du Tourisme. L'offre était intéressante. Des palaces de la CIGA, la compagnie qui appartenait à l'Aga Khan qui possédait entre autres le Danieli et le Gritti) aux auberges plus modestes, les hôtels ouverts en hiver proposaient leurs chambres et les services attenants entre 30 et 50% moins chers que pendant la haute-saison. Venezia d'Inverno prévoyait un thé-concert au Palazzo Mocenigo, des entrées dans les principaux musées, et plein de réductions dans les restaurants et les magasins de luxe. Bref, l'idéal pour permettre à un étudiant peu fortuné d'inviter sa mère dans des conditions décentes.
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Venise, Lista di Spagna, années 80 |
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Quelques années auparavant, nous avions logé au Londra, sur les Schiavoni. Mais les chambres situées face à San Giorgio étaient en rénovation. J'avais choisi le Concordia, des chambres avec balcon donnant directement sur la Piazza. L'hôtel était lui aussi en travaux mais on m'avait garanti que tout serait terminé pour son arrivée. Il n'en fut rien et je l'appris en arrivant... L'hôtel était encore fermé et le directeur qui nous attendait, se confondit en excuses et nous expliqua qu'une suite nous était réservée à l'Antica Panada. J'ai retrouvé mes notes dans mon journal de l'époque :
Coup de théâtre comme accueil. A peine descendus du taxi, la surprise : l'hôtel est fermé pour travaux. Un employé empressé nous présente ses excuses dans un français de comédie. très goldonien. Deux complices, un type à la peau grise avec une moustache et un garçon de mon âge ou un peu plus jeune s'emparent de nos valises. Nous sommes relogés à deux pas nous dit-il. « Aussi confortable et tranquille, mais sans la vue ». Nous sommes partagés entre l'envie de rire et la la colère. j'avais pensé sauf à tout sauf à ça. L'aléa qui fera l'anecdote. Maman cache sa lassitude par un sourire poli.
Il s'agit en fait du directeur de l'établissement, très obséquieux, comme dans un film de Visconti. Il aurait ajouté « pour vos excellences » et nous étions dans Mort à Venise. Ce qui à l'époque n'était pas pour me déplaire en fait...
« Les petits-déjeuners vous seront offerts en compensation... et puis il y a Prosecco, panier de fruits et fleurs qui attendent tout pareil à l'Antica Panada »...« Venezia d'inverno, tout pareil, tout pareil !»
Les deux garçons portent la livrée de l'hôtel nous ont accompagnés jusqu'à la « solution de remplacement qui s'est imposée et qui vous donnera la meilleure satisfaction pour votre séjour ! ». L'Antica Panada est situé une centaine de mètres plus loin sur la Calle dei specchieri. En face du do Forni. Chambres confortables, décoration un peu toc de luxe. Nous passons une agréable nuit. Venise de nouveau et maman contente.
Je me souviendrai de cette arrivée. Froid intense le matin en ouvrant ma fenêtre, mais froid vénitien.
Petite mésaventure somme toute bien sympathique, Je n'ai jamais pu faire de comparaison entre le Concordia et l'Antica Panada, mais ce fut confortable et les chambres formaient un petit appartement au deuxième étage du palazzo. Les notes de mon journal précisent qu'une fois changés, nos affaires installées, nous sommes allés déjeuner en face, au Do Forni. Une promenade autour de la Piazza, visite de San Marco puis un chocolat chaud au Florian où travaillait certainement mon cousin Sandro dont je ferai quelques mois plus tard la connaissance par le plus grand des hasards, mais y en a-t-il vraiment à Venise ou du moins dans ma vie à Venise ? Mon journal indique que nous sommes ensuite rentrés à l'hôtel pour nous préparer à la passeggiata et nous changer pour dîner. C'était la veille du carnaval balbutiant. Dîner dans une trattoria derrière l'église San Fantin, un restaurant où, quelques années plus tard, je me rendrais souvent, avec le galeriste Giuliano Graziussi, Arbit Blatas, Ludovico de Luigi et d'autres. En sortant, un brouillard très dense avait recouvert la ville. C'était magique. Tout semblait s'atténuer et se fondre dans l'air. Il faisait froid mais nous ne pouvions pas rentrer sans faire une promenade. Je voulais aller jusqu'à la Pointe de la Douane et voir ce que nous pouvions voir malgré cette nebbia intense. La Piazza semblait flotter sur des nuages bas. Le vent était tombé quand nous arrivions au môle, devant les colonnes de la Piazzetta. Il y avait dans l'air des senteurs étrangement envoûtantes. Magiques. La promenade qui longe les jardins royaux était presque vide, quelques couples qui se rendaient au Harry's Bar ou en venaient. Les vitrines donnaient à la rue une éclairage de fête. on aurait dirt qu'entre la lumière et le brouillard, une sorte de lutte était en train de se dérouler. Bien couverts, nous avions les mêmes impressions qui nous gagnent en montagne quand la lumière semble rendre le froid plus intense et que le confort des vêtements chauds et ouatés nous permet de garder à distance. nous avons ainsi marché jusque sur les Zattere.
On marche beaucoup à Venise. J'en avais l'habitude. Pas ma pauvre mère. Après cette longue promenade, elle souffrait terriblement. Son amour pour les élégants escarpins de chez Fendi l'avait empêchée de chausser ses souliers de marche, légers et souples. J'avais insisté pour qu'elle se change après le dîner. « Non non, une autre fois. Nous sommes à Venise tout de même pas dans le Kent. Ces chaussures me rappellent trop ma mère. J'aurai l'air d'une vieille méthodiste anglaise » avait-elle répliqué. Le brouillard était tellement dense que plus un seul vaporetto ne circulait, plus un taxi, encore moins une gondole. Il allait falloir refaire tout le chemin à pied. Nous voilà repartis, après une pause en haut du pont de l'Accademia. Le brouillard était parfois moins dense mais une brise survenait soudain qui le rendait de nouveau très dense. Quand il se dégageait le ciel apparaissait couvert d'étoiles. Le grand canal était silencieux. Partout autour de nous des lumières et leurs reflets. Se promener ainsi dans Venise sous le brouillard et dans la nuit est une expérience unique. J'étais content de la faire partager à ma mère. Une cloche sonna, puis une autre.
Soudain, l'incroyable. En un instant, ce fut le noir complet tout autour de nous. Plus une seule lumière dans la ville...Une gigantesque panne d'électricité priva Venise de lumière au moment où nous arrivions devant le kiosque du fleuriste, devant le Palazzo Franchetti. Quelqu'un venait d'éteindre sans prévenir. Pour un peu on aurait même cru entendre le déclic de l'interrupteur. Rapidement, nos yeux s'habituèrent à l'obscurité et les dalles de pierre d'Istrie guidèrent nos pas. Comme une ligne de veilleuses ou de fanaux indiquant la piste aux avions. Les passants s'interpelaient les uns aux autres, parfois un homme allumait un briquet, on croisait des lampes de poche. Je retrouvais l'atmosphère vécue un soir d'hiver à Londres, quand la ville était encore sujette au Smog, mélange graisseux de brume et de pollution, avec cette odeur inoubliable, mélange de grésil et de tourbe qu'on sent encore dans le métro. Peu à peu, au fur et à mesure que nous avancions vers San Marco, la lueur de bougies apparaissait aux fenêtres ou aux vitrines des restaurants et des bars encore ouverts. Quand nous avons finalement regagné l'hôtel dont le hall était éclairé par des candélabres, la lumière revint et on entendit partout dans la ville presque endormie comme un soupir de soulagement.
Pour la petite histoire, une seconde panne eut lieu quelques heures plus tard et le lendemain encore. Les journaux parlèrent du froid qui avait amené les gens à forcer les chaudières mais Venise à l'époque était encore en grande partie chauffée au charbon ou au fuel... Une expérience unique qui nous fit regretter que les codegon n'existent plus, ces guides nocturnes qui louaient leurs services et ceux de leur lanterne - appelée codega - pour accompagner les passants. Jusqu'à la chute de la république, il n'y avait d'éclairage public qu'autour de la Piazza et du palais des doges. Les porteurs de lumière étaient donc très utiles la nuit. Même pour les personnes mal intentionnées. Combien d'histoires sont rapportées de malheureux qu'on attira avec une de ces lanternes dans un guet-apens, surtout par les nuits sans lune quand la nebbia comme celle que nous avions traversée ma mère et moi se répandait partout dans la ville. Combien se sont noyés après qu'ils aient voulu se rapprocher d'une lanterne qu'ils imaginaient devant eux mais qu'on agitait en fait depuis une barque ou de l'autre côté d'un rio. On allait le lendemain reconnaître le cadavre des infortunés sur la piazzetta des Leoncini où ils étaient exposés. Accident ou meurtre, les enquêteurs de la Magistrature n'aboutissaient quasiment jamais à conclure...
12 février.
L'an dernier à cette date j'avais quitté Venise depuis une semaine. L'étudiant écossais que j'hébergeais dans le cadre de son Erasmus était parti retrouver sa petite amie à Hong Kong où il cherchait un stage. J'avais retrouvé Bordeaux pour quelques semaines avant de retourner sur la lagune lancer la maison d'édition. le nom avait été présenté, l'équipe formée. Je tenais à lancer l'opération de financement participatif pour les premiers titres, depuis la France. Même bilingues, les livres que nous nous apprêtions à publier le seraient toujours en français. Le projet devait être remisé puisque un mois plus tard l'Italie se confinait. Et les semaines puis les mois passèrent. Je suis toujours exilé, passant mes jours entre Bordeaux et la campagne, me rendant parfois auprès de mes enfants.
Nantes, Lyon, Paris. Dans la joie de les voir et de passer du temps avec eux. Mais sans le plaisir ressenti avant à l'idée de voyager, de croiser d'autres voyageurs, d'imaginer leur vie, de partager le temps du trajet quelques réflexions. Le silence et la solitude des voyages en train - mais aussi en bus, délice vécu lors de mes voyages d'étudiant, en Turquie notamment, et depuis l'invention des bus Macron - pendant ces heures tranquilles sur les routes de France. La crise sanitaire aura insufflé dans nos esprits la méfiance voire même de la peur. Les messages répétés dans les trains, sur les affichettes au sujet de la distanciation sociale, de l'hygiène des mains, des masques, ce n'est pas anodin. Les esprits les plus positifs, les plus sereins ne peuvent pas rester étanches à force d'entendre la même propagande. réaction irrationnelle certes mais qui encombre et modifie nos comportements, nous fait hésiter et nous fait craindre quand il y a si peu de risque finalement... Mais à quoi bon lutter contre la peur du plus grand nombre, à quoi bon. Se battre contre des moulins n'a jamais rien amené. Ni pour soi ni pour les autres.
La réflexion remonte à loin déjà. En mai dernier, je notais :
D'aucuns dans les milieux de la pensée parlent d'une ère nouvelle. un nouvel âge en train de naître... Nous assistons apparemment au commencement d'un autre monde, « une sorte de siècle épidémiologique », disait sur France Culture il y a quelques mois un historien. Désormais, nous sommes régulièrement confrontés à l'irruption de virus qui assaillent le monde. N'est-ce pas la démonstration que nous sommes entrés dans d'une ère nouvelle, celle de l’anthropocène. Car, c'est directement l’intervention humaine qui ruine la nature, flore et faune sauvage et qui favorise ainsi, la propagation des virus. Qui oserait désormais le nier ? Cette crise inédite, de sanitaire risque de se transformer en crise financière, et cela très rapidement,que les adeptes du jargon post-moderne traduisent par le terme présentiste.
Il y eut les grandes épidémies de peste, mais peut-on réellement puiser dans le passé des éléments de comparaison et trouver dans le passé de quoi ajuster les réponses à apporter pour conduire les projets collectifs d’avenir. Au début de la crise, au printemps dernier, on m'a plusieurs fois demander d'écrire sur l'exemple des pandémies qui touchèrent Venise et amenèrent à l'invention de la quarantaine, l'édification des lazarets, etc. L'historien a toujours le réflexe - souvent salutaire - de regarder dans le passé des sociétés des idées pour nos temps. Mais en 2021, beaucoup de questions se posent,
mais peu de réponses sont évidentes. Bien qu'utile, la comparaison avec les crises précédentes n'apporte aucune véritable solution, si ce la terrible grippe espagnole au début du XXe siècle.
La nature exceptionnelle de cette pandémie, son universalité(puisque là non plus le virus ne respecta aucune frontière, aucun peuple, aucun régime, aucune organisation sociale) fait qu’elle fut le révélateur de dysfonctionnements, d’interrogations et en même temps d’espoirs. Comme la grippe espagnole, le covid ne peut pas être qu’un moment. On voit collectivement une aspiration à quelque chose d’autre pour l’avenir. L'Histoire est là pour nous l'enseigner : Le monde d’après 1918 n’était soudain plus le même, des empires se sont écroulés, des peuples se sont réveillés, les mentalités changèrent, les aspirations aussi, y compris sur le plan psychologique, . La grippe espagnole vint achever l'ancien monde à cause des traumatismes de la guerre. De même, « au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la conception collective que l’on se faisait de la démocratie n’a plus été la même. On avait besoin de beaucoup plus d’intervention, de protection, d’égalité ». Étant donné l'importance et l’universalité de la crise que nous vivons aujourd’hui, il est évident qu'elle ne peut pas être qu’une transition, encore moins une parenthèse. Cet électrochoc sera peut-être salutaire. Ou pas...
Je lis déjà les commentaires de certains lecteurs : mais et Venise sans tout cela ? Pourquoi nous rappeler ce que nous vivons tous les jours depuis près d'un an ? Ce blog est-il un forum complotiste ou sanitarien (encore le jargon actuel !). C'est que tout ce qu'il nous est donné de vivre avec la crise sanitaire procède d'une mise en question de notre modèle social, politique et économique. Les gouvernants tâtonnent mais ils cherchent, les peuples murmurent mais ils se soumettent, certains se servent des évènements pour faire avancer leurs idées voire leurs ambitions, rien que de très humain là-dedans. Et bien, en partant du principe défendu dans ces colonnes depuis toujours, que Venise est, a été et peut redevenir un modèle pour la société contemporaine, tout ce qui se passe dans cette petite lagune avec ses minuscules îlots n'abritant plus qu'un dixième de sa population d'autrefois (aux alentours de 56.000 aujourd'hui, près de 500.000 dès le XVIe siècle pour la même superficie), la gestion des évènements naturels provoqués par l'ineptie des appétits humains, celle du tourisme, la résilience si particulière aux vénitiens, l'omniprésence de l'histoire et de ses trésors se mêlant à une énergie créatrice qui n'a pas son pareil dans les mégalopoles, font bien que le sujet est en adéquation avec Venise.
14/02/2021
Je découvre dans ma boîte mail le message d'un ami avec. qui je corresponds depuis mon retour de Venise. Vénitien, il vient enfin de rentrer chez lui après un séjour forcé en Australie. Bloqué comme tant d'autres par la pandémie, il effectuait un stage de bénévolat pour une ONG australienne dans je ne sais plus quel territoire voisin de la grande île. Si le surf et la nature avaient surtout motivé son choix il y a deux ans, ce qu'il a vécu là-bas a transformé son regard d'européen. Par ses commentaires passionnants, il m'a éclairé dans bien des domaines où mon point de vue demeurait somme toute assez figé. Lorsque mon fils séjourna à Vancouver après une année passée à Montréal, il en fut de même. Mon ami vénitien a seulement deux ans de plus que mon fils. Est-ce alors une question de génération ?
Il sait que je finirai par évoquer nos échanges et le mentionner dans ces colonnes. Aussi lui ai-je promis de ne pas citer son véritable nom. Considérons qu'il s'appelle Carlo.
Carlo m'a envoyé le lien vers un article paru dans Linkiesta, ce (multi)média italien publié en ligne depuis sa création en 2011. Outre le contenu éditorial de belle tenue, de couleur gauche progressiste - si je puis m'exprimer ainsi pour traduire l'orientation générale de la rédaction dans un pays où on ne sait plus très bien qui est où et défend quoi...-, c'est sur son design qu'il voulait attirer mon attention. Car Linkiesta et ses suppléments est un beau journal. Format, typo, couleurs, mise en page. Tout est splendide, efficace mais joli, fonctionnel mais esthétique. Couleurs et formes rafraîchissent après l'inondation des motifs et modèles Canva ! On est loin de la ringardise des studios de publicité de l'hexagone où les questions qu'on se pose encore concernant les préférences présumées du public entre le jaune et l'orangé, l'horreur absolue du violet et la puissance indétrônable du rouge royal... Chez Linkiesta, on vole plus haut. Et c'est beau. Carlo a raison. Comme toujours, je suis aller farfouiller dans leurs archives pour vérifier que le contenu était aussi beau que le contenant, en cherchant tout ce qui a pu paraître ces derniers mois sur Venise. J'en ai trouvé plusieurs, liés à la politique nationale italienne, à la gastronomie ou au tourisme. Le plus récent en date susceptible d'intéresser les lecteurs de Tramezzinimag concerne la décision inique de Luigi Brugnaro, le maire réelu de ne pas rouvrir les musées de la ville (voir l'article du Figaro qui relate parfaitement la situation cité par le magazine italien : ICI). Le maire resté enfermé dans un modèle dépassé qui favorise la terre ferme et ses électeurs de Mestre et de Marghera au détriment des résidents du site historique - la seule et vraie Venise - et montre combien dans ses choix il considère le centro storico comme une sorte de parc d'attraction faisant rentrer les devises qui permettront de financer des projets à Marghera. L'électoralisme de la giunta au pouvoir n'échappe à personne. Seulement, il ne s'agit pas de n'importe quelle bourgade mais d'un des hauts-lieux culturels du monde qui n'est pas un Disneyland. Les vénitiens ont aussi soif de culture et les musées sont aussi - je dirai même avant tout - pour eux. Sans oublier les milliers d'étudiants qui ont besoin de nourrir leur culture avec ces biens culturels appartenant à tous et gratuits. Un sondage avait réuni plus de 6000 signatures. Pour ceux qui lisent l'italien : le lien vers l'article cité ICI).
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(*) : in-
Breakfast at Tiffany's avec la merveilleuse Audrey Hepburn. Expression difficile à traduire provenant de la chanson
Moon River de Henri Mancini, mais qui sert à désigner, selon le
Urban Dictionary de la langue anglaise, « au singulier, un très bon ami qui fait partie de notre vie depuis des années, généralement depuis notre jeunesse», quelqu'un de très spécial donc. Mes lecteurs savent combien l'amitié est un sentiment important pour l'auteur de ce blog depuis sa plus tendre enfance.