Billet publié initialement le 23/10/2007 sur TraMeZziniMag I
Avant que l'inanité des décisions bureaucratiques de Bruxelles ne nous pousse à la suppression de nos nombreux consulats et autres légations diplomatiques implantées depuis toujours dans les villes d'Europe, la République française occupait pour son administration le magnifique et imposant palais Clary sur les Zattere.
Appelé aussi palais Priuli-Bon ou Michiel, cette vaste demeure est depuis longtemps la propriété des qui du temps du Consulat s'étaient réservés le dernier étage de l'immeuble. La Princesse Clary fut dit-on la maîtresse de Mussolini Le palais date vraisemblablement des premières années du XVIIe siècle. Récemment restauré, il retrouve peu à peu sa splendeur passée. Inutile de préciser que du temps de la France, il n'y avait pas de budget pour opérer une restauration de l'ampleur de celle qui vient d'être réalisée. Mais il était plein de charme et j'y ai bon nombre de très heureux souvenirs.
Le consul de mes années vénitiennes s'appelait Christian Calvy. Il vivait là avec sa femme Nicole et leur fille Agnès. Ancien consul de France à Chicago, ancien Premier Secrétaire à Ankara, des ennuis de santé et la chasse aux sorcières de l'administration Mauroy après 1981 l'avaient amené à ce poste. C'était avant la chute du mur de Berlin et ce consulat gardait encore une certain importance stratégique. Sa circonscription consulaire comprenait Trieste, Vérone et Padoue. Parfois les dépêches continuaient de rejoindre Paris en code, informant le monde libre des mouvements suspects des supposées puissantes forces soviétiques.
Le consul de mes années vénitiennes s'appelait Christian Calvy. Il vivait là avec sa femme Nicole et leur fille Agnès. Ancien consul de France à Chicago, ancien Premier Secrétaire à Ankara, des ennuis de santé et la chasse aux sorcières de l'administration Mauroy après 1981 l'avaient amené à ce poste. C'était avant la chute du mur de Berlin et ce consulat gardait encore une certain importance stratégique. Sa circonscription consulaire comprenait Trieste, Vérone et Padoue. Parfois les dépêches continuaient de rejoindre Paris en code, informant le monde libre des mouvements suspects des supposées puissantes forces soviétiques.
Son adjoint, le Vice-consul, Dillemann était un diplomate dans toutes la tradition du Quai d'Orsay, célibataire, mondain, raffiné et cultivé. Il habitait un magnifique appartement en haut du Palais Sagredo, sur le Grand Canal. Au-dessus du Consulat ou était-ce à côté, l'Alliance Française avait ses locaux. Elle était tenue avec une poigne de fer par Lucienne Couvreux-Rouché, qui laissa à sa mort une énorme bibliothèque remplie notamment d'éditions originales de la plupart des romans à succès des cinquante dernières années le plus souvent dédicacés.
C'est le hasard qui me permit de rentre au Palais Clary et d'en devenir un habitué. Mais peut-être l'ai-je déjà raconté. J'étais jeune, étudiant, désargenté et seul. L'hiver est terrible à Venise quand on est mal logé. Je passais des heures le soir au bar Do Draghi, dit aussi le baretto, juste en face du campanile de Santa Margherita. A l'époque c'était le seul bar moderne. Tous les étudiants du quartier le fréquentaient. Les propriétaires étaient sympathiques. il y faisait chaud et j'y avais un crédit. Un soir dans la petite salle du fond nous étions cinq ou six. J'étais assis sur la banquette, dévorant le magnifique texte "L'erreur de Narcisse" de Louis Lavelle que j'avais déniché à la Querini Stampalia. A côté de moi, un petit groupe de poivrots sympathiques faisaient des paris idiots. A l'autre bout de la banquette, il y avait une jeune fille, brune, pas très grande, assez jolie qui lisait Françoise Sagan. En français. Elle venait elle aussi assez souvent dans ce bar. Nous ne nous étions jamais adressé la parole. Le pari des poivrots tomba sur nous : "une coupe de champagne si je parviens à les faire se rencontrer ce soir" clama l'un des buveurs. Il réussit. Nous avons fait connaissance et partagé le champagne.
Quand vint l'heure de rentrer, je lui proposais de la raccompagner. Elle m'avait dit ne pas habiter très loin. Nous avons bavardé de choses et d'autres. Puis, arrivés devant l'énorme porte du Palais Clary avec son marteau géant, elle m'a dit embarrassée "je suis arrivée". Elle a ouvert la porte (je crois qu'il y avait un portier à l'époque qu'il suffisait de sonner). Devant la beauté du cortile mon envie d'en voir plus était grande. La jeune fille me fit rentrer. Nous nous sommes promenés dans le petit jardin au bord du canal, puis nous sommes montés sur l'une des terrasses qui surplombent l'entrée d'eau. C'est là que le hasard a encore jailli dans ma vie. Elle m'avoua être la fille du consul. Nous avons parlé des pays qu'elle avait habité depuis son enfance. Elle venait de Chicago mais avant elle avait séjourné à Ankara. Je lui parlais de mon oncle diplomate qui y occupa un poste pour une organisation internationale. Il est italien, sa femme danoise et a deux filles. "Tiens" me dit-elle, "maman jouait au bridge avec une danoise dont le mari était représentant de l'ONU et sa fille aînée sortait avec mon frère. Elle faisait du baby-sitting"...Nous parlions des mêmes. Cette coïncidence m'ouvrit à deux battants les portes du consulat. J'allais devenir le sigisbée de la fille du consul, son grand frère, son protecteur, son surveillant. Elle fut ma petite sœur, la compagne de mes peines et de mes doutes et l'instigatrice de mon introduction dans la société vénitienne. Dîners, soirées, réceptions, je connus dès lors une vie bien douce au Palais Clary où j'étais souvent convié en dépit de ma misérable garde-robe et de mes poches souvent bien vides.
C'est le hasard qui me permit de rentre au Palais Clary et d'en devenir un habitué. Mais peut-être l'ai-je déjà raconté. J'étais jeune, étudiant, désargenté et seul. L'hiver est terrible à Venise quand on est mal logé. Je passais des heures le soir au bar Do Draghi, dit aussi le baretto, juste en face du campanile de Santa Margherita. A l'époque c'était le seul bar moderne. Tous les étudiants du quartier le fréquentaient. Les propriétaires étaient sympathiques. il y faisait chaud et j'y avais un crédit. Un soir dans la petite salle du fond nous étions cinq ou six. J'étais assis sur la banquette, dévorant le magnifique texte "L'erreur de Narcisse" de Louis Lavelle que j'avais déniché à la Querini Stampalia. A côté de moi, un petit groupe de poivrots sympathiques faisaient des paris idiots. A l'autre bout de la banquette, il y avait une jeune fille, brune, pas très grande, assez jolie qui lisait Françoise Sagan. En français. Elle venait elle aussi assez souvent dans ce bar. Nous ne nous étions jamais adressé la parole. Le pari des poivrots tomba sur nous : "une coupe de champagne si je parviens à les faire se rencontrer ce soir" clama l'un des buveurs. Il réussit. Nous avons fait connaissance et partagé le champagne.
Quand vint l'heure de rentrer, je lui proposais de la raccompagner. Elle m'avait dit ne pas habiter très loin. Nous avons bavardé de choses et d'autres. Puis, arrivés devant l'énorme porte du Palais Clary avec son marteau géant, elle m'a dit embarrassée "je suis arrivée". Elle a ouvert la porte (je crois qu'il y avait un portier à l'époque qu'il suffisait de sonner). Devant la beauté du cortile mon envie d'en voir plus était grande. La jeune fille me fit rentrer. Nous nous sommes promenés dans le petit jardin au bord du canal, puis nous sommes montés sur l'une des terrasses qui surplombent l'entrée d'eau. C'est là que le hasard a encore jailli dans ma vie. Elle m'avoua être la fille du consul. Nous avons parlé des pays qu'elle avait habité depuis son enfance. Elle venait de Chicago mais avant elle avait séjourné à Ankara. Je lui parlais de mon oncle diplomate qui y occupa un poste pour une organisation internationale. Il est italien, sa femme danoise et a deux filles. "Tiens" me dit-elle, "maman jouait au bridge avec une danoise dont le mari était représentant de l'ONU et sa fille aînée sortait avec mon frère. Elle faisait du baby-sitting"...Nous parlions des mêmes. Cette coïncidence m'ouvrit à deux battants les portes du consulat. J'allais devenir le sigisbée de la fille du consul, son grand frère, son protecteur, son surveillant. Elle fut ma petite sœur, la compagne de mes peines et de mes doutes et l'instigatrice de mon introduction dans la société vénitienne. Dîners, soirées, réceptions, je connus dès lors une vie bien douce au Palais Clary où j'étais souvent convié en dépit de ma misérable garde-robe et de mes poches souvent bien vides.
5 commentaires :
- Danielle (Campiello) a dit…
- Quelle belle histoire et si joliment racontée. J'y sens comme une note de nostalgie ...c'est vrai qu'être amené à fréquenter les aîtres de ce palazzo a dû vous laisser d'impérissables souvenirs.
Puis-je vous poser une question? Il y a dans l'église de San Trovaso une chapelle qui est d'ailleurs la pièce maîtresse de l'église : la chapelle Clary , dédiée à **** Elisabetta Alessandrina Clary et un bel autel avec un bas-relief en marbre blanc(1470) représentant des anges est attribué à l'école de DONATELLO ( j'en ai parlé sur les pages que j'ai consacrées à San Trovaso ) Je ne suis pas parvenue à situer cette Elisabeth Clary....
Je serais bien heureuse si vous pouviez me donner des renseignements sur elle. Dès maintenant,un tout grand MERCI - 25 octobre, 2007
- Lorenzo a dit…
- La princesse Elisabeth Alexandra était la fille du comte de Ficquelmont, diplomate autrichien ami de Metternich qui fut en poste à Naples et joua aussi un rôle important auprès du vice-roi face à Daniele Manin. C'est à Naples qu'elle naquit le 10 novembre 1825. Elle épousa SAS le prince Edmund von Clary und Aldringen, conseiller de l'Empereur dont elle eut quatre enfants. Son unique fille, Edmée se maria à Venise avec un diplomate italien, Charles Felix Nicolis de Robilant. Elisabeth mourut de Phtisie le 14 février 1878. Elle est enterrée au cimetière des étrangers à San Michele.
- 28 octobre, 2007
- Danielle ( Campiello) a dit…
- Merci à vous Lorenzo.d'avoir pris le temps de me répondre et sans doute aussi d'avoir fait quelques recherches.. je tiens bonne note de votre réponse...:-)
- 28 octobre, 2007
- anita a dit…
- Vous racontez si élégamment qu'il est aisé de se faire son cinéma ...juste en fermant les yeux après lecture .
( en confidence : dès que mes activités me laissent un moment , je clique ici et là ...et à chaque fois je m'évade avec bonheur ! ) - 24 janvier, 2008
- géraud a dit…
- Le consulat d'aujourd'hui n'est certes pas aussi beau. Et la place de la république française pas bien grande à Venise.
- 23 mars, 2008