26 juillet 2024

Coups de Cœur N°62

Miracles happen,
Marie Malherbe
Œuvres récentes
jusqu'au 31 août
Galleria Ferruzzi
DD368
sur rendez-vous
Après d'autres expositions à Venise, c'est la deuxième fois que Marie expose chez Ferruzzi, juste en face de l'ancienne galerie où j'ai eu le bonheur de travailler apprenant de Bobo mille choses à commencer par l'amour de la lumière, de la couleur et des vins rares du Veneto. Mais là n'est pas le sujet. Le travail de Marie Malherbe mérite d'être vu, il est rempli de poésie, de spiritualité et de force. Chagall est souvent évoqué quand on évoque ses travaux, mais c'est du Malherbe. Quelque soit le support, l'artiste née à Nice mais vivant en autriche, qui a étudié à Ca'Foscari en même temps qu'elle fut élève à la Scuola di Grafica de la ville, montre son talent dans un kaléidoscope de couleurs et de formes où la spiritualité se mêle à la sensualité, la lumière au silence. Avis aux personnes sensibles à l'âme de poète, ses travaux peuvent émouvoir et atteindre au plus profond de l'âme. On y perçoit autre chose qu'une émotion ou une foi. Il y a de la profondeur, de l'amour et du sens, du sol au plafond. C'est jusqu'au 31 août, et sur RDV (en appelant au +43 650 630 04 08). Allez-y vite, pour ceux qui ne connaissent pas le lieu, c'est juste en face de la boutique de la Guggenheim, entre San Vio et les Zattere. Sur le chemin vers le gianduioto de la Gelateria Nico. Nous reviendront bientôt dans Tramezzinimag sur cette exposition et sur l'artiste, son originalité et son parcours.

The Russian Saxophone
Edison Denisov,
Sonate for Alto Saxophone and Cello
Claude Delangle, Verene Westpahl.
Label Bis-765 CD
1996 
La musique d'aujourd'hui est parfois difficile pour les oreilles habituées au baroque pourtant des compositeurs contemporains nous offrent parfois de bien belles choses. C'est le cas de ces compositeurs russes qui ont écrit pour le saxophone des pièces de grande qualité. Par le biais de Juliette Fabre dont nos lecteurs se souviennent de la chronique publiée dans nos colonnes à l'époque où cette jeune architecte étudiait à Venise. Je l'avais connue alors que je présidais l'association Tempo di Cello fondée avec Laurence Lacombe, qui réunissait de nombreux violoncellistes professionnels et amateurs. Violoncelliste au conservatoire, elle vint étudier l'architecture à Venise. Une jolie plume et une interprète passionnée. D'abord réticent, elle cita ce disque il y a quelques années en le recommandant. A mon tour de le proposer aux oreilles des lecteurs de Tramezzinimag. Le CD réunit outre deux oeuvres de Denisov, des pièces de Sofia Gubaidulina,Vadim Karasikov, Alexander Raskatov, Alexander Vustin. Cette musique mériterait d'être mieux connue. En ces temps où on nous dresse contre la Sainte Russie et les russes, alors qu'il ne s'agit que d'une sordide histoire de suprématie financière et d'ego. France et Russie, hormis la détestable parenthèse de Buonaparte, sont deux pays frères qui ont su apprécier au cours des siècles la culture de chacun des deux nations. Ci-après le lien pour se faire une idée de cette sonate où le saxophone et le violoncelle marient leurs sonorités dans une belle harmonie et du caractère : ICI
 

Galuppi, Goldoni
Il mondo alla roversa
Coro della Radio Svizzera, Lugano and Coro calicantus
Label Chandos, 2001
CD  
Un disque tout à fait adapté à l'été dont on aura beaucoup douté ces dernières semaines mais qui semble bien vouloir remplir ses obligations. Une musique pleine de vie, de joie et de légèreté sans pour cela tomber dans le mièvre ou le convenu. Rien de révolutionnaire, de surprenant non plus. Comme l'a écrit un critique britannique «Rien qui change la vie», mais un bon exemple de la musique lyrique à Venise du milieu du XVIIIe siècle.  
Créé en 1750 au Teatro San Cassiano de Venise, Il Mondo alla roversa, musique de Baldassare Galuppi et livret de Carlo Goldoni, est une vraie rareté. Réalisé à Lugano, il y a un peu plus de vingt ans, avait permis de faire redécouvrir cet opera seria pour le moins original avec l'Ensemble I Barocchisti dirigé par Diego Fasolis avec le ténor Davide Livermore, qui a fait depuis une belle carrière de metteur en scène.
L’intrigue est pour le moins originale (on est en 1750 !) : dans ce monde à l’envers, les femmes dirigent le pays. Parmi elles, trois fortes personnalités sont animées par la jalousie, l’ambition et les luttes de pouvoir... des comportements finalement très masculins ! Une histoire somme toute très moderne où les femmes font la loi jusqu'à ce que les chamailleries forcent les hommes à imposer leur pouvoir. C'est enlevé et spirituel, bien élevé et on ne s'ennuie pas à l'écoute de ce disque. 
Le premier acte présente les protagonistes et les airs se succèdent, on s'ennuie donc un peu mais l'intérêt décolle avec un trio – le premier morceau qui n’est pas un numéro pour soliste seul – lorsque le séducteur Giacinto qui courtise en même temps Aurora et Cintia, propose de se couper en deux pour satisfaire chacune : « Mie belle, se volete, io mi dividero ». 
Puis la force de la pièce se maintient jusqu’à la fin, comme dans la scène qui suit immédiatement, à l’occasion d’un vote pour déterminer qui, de Tulia, Aurora ou Cintia, dirigera le monde, après que l’une émit l’idée d’une monarchie. Aucune ne recueillant le moindre suffrage, le chœur chante à nouveau « Libertà, libertà, cara libertà ». 
Au dernier acte, les situations deviennent cocasses quand Cintia demande à Giacinto, comme condition de leur union, de tuer cent femmes. Celui-ci accepte mais craque à la première rencontrée, Aurora… « Qui peut résister à la beauté des femmes » ! Cela se termine par un quatuor accompagné d’une gestique saccadée, comme des mouvements de marionnettes.
L'écriture de Galuppi est étonnamment moderne par rapport à tout ce qu'on trouve à cette époque dans le reste de l'Europe, Italie comprise. On sent des vibrations nouvelle annonciatrices de l'opéra moderne, comme bien des années plus tard avec les  Giacomo Rossini. Le final de l'Acte II en est la preuve sonore). Un agréable moment musical donc bien dirigé et interprété. Chez les bons disquaires lisaient-on dans ma jeunesse dans les publicités.


21 juillet 2024

Redentore 2024 : un joyeux millésime

Pour Anne L. dont c'est le premier Redentore

Pour les médias internationaux et les touristes, la Fête du Redentore, c'est avant tout un gigantesque feu d'artifice. Quelques uns évoquent le pont votif qui enjambe traditionnellement le canal de la Giudecca. Mais rares sont les journalistes qui soulignent l'importance de cette fête pour les vénitiens.


D'autres pays aussi, ont leur tradition de feux d'artifice, d'illuminations et de parades nautiques. Je me souviens de la première fois qu'il m'a été donné d'assister à Oxford au  May Day appelé aussi May Morning, quand juste avant l'aube le premier jour de mai, tout le monde se presse au pied du campanile de Magdalen College, pour écouter le chœur d'enfants du collège chanter en latin des madrigaux et recevoir la bénédiction solennelle. Même rituel depuis 1695... Étudiants, professeurs, visiteurs, familles, il y a foule sur le pont et sur les rives de la rivière Cherwell. Il y a plein de barques, remplies d'étudiants joyeux, et les abords du collége sont noirs de monde. Parfois certains plongent ensuite du pont, puis on assiste aux danses folkloriques avant d'aller boire et se restaurer. Les pubs et les cafés ouvrent très tôt ce jour-là. Certains existaient déjà du temps du roi Henri VIII !  Réminiscence de la Floralia, cette belle fête romaine pour célébrer le printemps revenu. Souvent à Oxford il pleut ce jour-là mais lorsque j'y assistais, le beau temps était de la partie !

A Venise, il y a lurette qu'on ne saute plus des ponts pour plonger dans les eaux de la Lagune. Quelques enfants, des adolescents provocateurs parfois, s'y baignent encore bien que cela soit interdit parce que dangereux à cause de toute la pollution invisible des eaux. Comme eux, je l'ai fait dans les années 80, depuis certains ponts de Cannaregio, du côté nord de la Giudecca, à Sacca Fisola aussi du temps où il y avait encore des semblants de plage.

Mais mon meilleur souvenir est du côté des Fondamente Nuove, au bout de la passerelle. Là on y allait la nuit, en barque le plus souvent et souvent une vedette de la police éclairait soudain nos ébats dans l'eau, nous nous faisions sermonner. C'était bon enfant, les policiers tous vénitiens, eux aussi avaient été jeunes...

Mais revenons à notre fête du Redentore. Tout commence par un pont, le pont votif,, une longue passerelle montée sur des barges, le chemin qu'emprunteront le jour J les pèlerins, avec en tête le patriarche et les autorités civiles et militaires bientôt suivis par la foule des vénitiens, tous redevenus très pieux pour ce jour-là. Les rives des deux côtés sont décorées de lampions. 


Un peu partout les riverains installent des tables, des chaises et des bancs. depuis quelques années, les emplacements sont marqués au sol et attribués en priorité aux habitants devant chez eux.

Les bateaux aussi sont décorés, fleuris, aménagés. Il y en aura sur tout le bassin de San Marco et à l'entrée du canal de la Giudecca. Le soir de la fête, on y fait ripaille entre amis, en famille. L'ambiance est joyeuse en attendant le feu d'artifice, l'un des plus beaux d'Europe dit-on ici. 

 

C'est vrai qu'il est toujours impressionnant, avec les mille reflets qui font pousser des cris d'admirations au public. Quand vient le bouquet final, tous les bateaux ou presque se précipitent vers le Lido où il est d'usage de se rendre pour continuer la fête sur les plages du Lido en attendant le lever du soleil. 

 

Une bien belle fête qui, une fois encore, montre combien les vénitiens sont attachés à leurs traditions lorsqu'elles ne sont pas dénaturées par les marchands du temple ou grossièrement déformées comme le carnaval tellement éloigné de ce qu'il fut lors de sa renaissance dans les années 78/80, une série de fêtes et d'évènements spontanés où l'esprit de la Sérénissime n'était pas encore souillé par la « disneylandisation » de la ville lagunaire... et la pollution permanente du tourisme Unesco.