Enzo Pedrocco avec cette photo lance une polémique : pour lui les touristes en s'appropriant Venise, la dénature. Sartory répond que les touristes venant des villes envahies et polluées par les voitures sont ravis de se vautrer à même le sol comme d'autres s'assoient dans l'herbe des prés quand ils arrivent à la campagne. Voici une adaptation du texte de Pedrocco. Quel est votre avis, amis lecteurs ?
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La mentalité hédoniste du vacancier de base sous-entend, presque toujours comme un automatisme, qu'après de longs mois de travail, de soucis et de stress, le repos bien mérité doit forcément s'accompagner d'un laisser-aller total et par conséquent d'un abandon instantané de tout civisme et de toute éducation. Pour dire les choses autrement, ce comportement dénie soudain tout respect de soi-même, d'autrui et de l'endroit où on se trouve. Peu à peu, on voit ainsi l'individu le plus policé, le plus respectueux, le plus citoyen, se relâcher (ne dit-on pas dans le langage courant "il se lâche, je me lâche, lâchez-vous" ?). Et, l'air de rien, cette attitude comportementale a des conséquences énormes sur l'humanité toute entière. (Vous savez, le battement d'aile d'un papillon à l'autre bout du monde qui serait à l'origine d'un ouragan ic i!). Bref, l'ivresse du vacancier se transforme rapidement en un appétit de bien-être qui pourrait avoir notre sympathie si seulement il ne s'accompagnait pas d'exactions et de destructions...
Prenons l'exemple de la très sympathique petite famille de la photo. Je suis convaincu qu'elle serait la première à s'étonner et regretter un comportement aussi désinvolte, inopportun et absolument déplacé si elle n'était pas atteinte par la griserie de l'ivresse du vacancier : se vautrer ainsi au beau milieu d'un lieu de passage très fréquenté, qui ne ressemble en rien à une pelouse de parc anglais ni à une plage de bord de mer, puisqu'il s'agit de la place située devant la gare Santa Lucia. Mais pour se rendre compte de l'inanité d'un tel comportement, il faudrait ne pas être déjà atteint par l'ivresse du vacancier...
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Sur le même sujet, l'image suivante. Sans commentaire. (photo du même) L'assesseur, Augusto salvadori, a pris des mesures anti-bivouac pour éviter ce genre de spectacle sur la piazza ou sur les Esclavons mais les touristes ne comprennent pas et se plaignent. Je suis presque certain que le même lieu pris en photo une heure après, montrerait les leoncini (la petite place surélevée qui est devant le palais patriarcal, où on déposait autrefois les noyés pour qu'on vienne les reconnaitre) garnis de papiers gras et de bouteilles vides, comme souvent dès que la bonne saison revient... Bien entendu, s'il y avait davantage de lieux adaptés aux touristes peu argentés, des espaces verts avec des bancs et des tables, des toilettes publiques, des corbeilles plus nombreuses et des "stewards" ou des "hôtesses" pour rappeler les usages à tout ce monde, les choses seraient différentes. mais Venise n'est pas Disneyland, ce n'est pas un parc d'attraction, ni un parc tout court, encore moins une réserve. C'est une ville, certes unique et dont la beauté appartient à tous, où des gens vivent, travaillent et doivent se déplacer. Je vous assure qu'on a vite l'impression, quand on vit à Venise, et que le beau temps amène des hordes de visiteurs, que nos rues, nos campi, nos intérieurs aussi, sont autant de cages qui attirent les visiteurs et que d'humains, nous passons à l'état de singes qu'on observe, qu'on photographie... A quand les cacahuètes ?
On parle d'une charte du visiteur à Venise : comment appréhender la ville, comment se comporter, comment la comprendre et surtout comment ne pas la polluer et mal consommer ce qu'elle a à vous offrir. Les parapluies par exemple. Dans les ruelels étroites, quand un vénitien pressé d’attraper le vaporetto croise un autre vénitien, il n'y a jamais d'accrochages, de baleine dans l’œil. L'homme, ou le plus jeune des passants, lève automatiquement son parapluie, tandis que l'autre le penche sur le côté en le baissant. Ils se croisent ainsi sans ralentir, sans se bousculer. Sans se gêner. Souvent en échangeant un sourire. Prenez au même endroit quelques touristes déguisés dans leur imper sac-plastique-poubelle aux couleurs criardes, vous êtes quasiment certain de vous prendre leur parapluie dans la figure. Le pauvre va hésiter, faire un pas en arrière, un pas en avant. Vous aussi. Et l'embouteillage se profile... Il suffit d'un livreur poussant un chariot et les poils du vénitien se hérisse : "Brutta gente" entend-on souvent murmurer quand ce n'est pas une injure en dialecte. Marcher dans les rues de Venise, cela s'apprend. On peut y flâner sans encombrer l'espace. On peut prendre des photos sans empêcher les livreurs de livrer leur marchandise, les balayeurs de balayer et les passants de passer.
Heureusement, tous les vénitiens connaissent des raccourcis et des itinéraires-bis. Ceux-là, je ne vous les donnerai pas ! Il y a quelques années, un assesseur très généreux voulait organiser une meilleure répartition du touriste dans la ville... Il était question de mieux répartir les hordes. Comme vous le savez, 98% des visiteurs occupent l'espace, masse par masse, de l'esplanade de la gare avec le pont des Scalzi et la Lista di Spagna, puis on retrouve les agglomérats humains au Rialto, à Saint Marc devant la basilique, la tour de l'horloge et le campanile, la piazzetta, le pont des pailles (celui qui permet de voir le pont de soupirs). Un second agglomérat, moins dense et plus culturel, se retrouve sur le pont de l'Accademia et s'aventure jusqu'à la Salute. quelques autres vont vers les Zattere, mais comme la pointe de la douane est en travaux, ils ne peuvent plus faire le tour mais cela reviendra. Cet assesseur bien intentionné voulait donc créer des terminaux vers l'Arsenal, sur les Zattere, pour mieux répandre la foule. Ce fut un tollé absolu. Car, même en plein été, aux alentours du 15 août, quand 200.000 personnes débarquent chaque jour dans Venise, il y a des dizaines d'endroits paisibles, vides de touristes ( sauf quelques égarés la plupart du temps complétement effarés de se retrouver là). Ces campi tranquilles, ces cortile ensoleillés où dorment des chats bien gras et où jouent les enfants, ces parvis d'églises vides comme dans un village de campagne, ces jardins publics absents des guides sont des lieux merveilleux. Des oasis dans le désert. Je vous en montrerai quelques uns.
A une condition. Ne mangez pas de mauvais sandwiches sur la place Saint Marc ou sur les marches de la Salute, ne rentrez pas dans la basilique San Marco en mâchouillant du chewing-gum, votre canette à la main et le torse nu, ne bousculez pas les vénitiens sur les vaporetti pour mieux voir les palais du grand canal. Achetez vos tramezzini accompagnés d'un verre de vin blanc au bar du coin, prenez votre café debout comme les vénitiens, dehors si vous le souhaitez, pour le pipi, prenez vos précautions à l’hôtel avant de sortir et si vous êtes - comme moi - des grignoteurs, alors regardez sur votre passage, il ya des bars et des pâtisseries partout. Alors, si vous savez vous adapter ainsi, Venise est à vous !
posted by lorenzo at 22:28