24 septembre 2010

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 10) : Pelin Esmer

10 to 11
Film
de Pelin Esmer
Turquie (2009).

Je ne regarde pas souvent la télévision. Mais j'étais la nuit dernière en panne d'inspiration et mon fournisseur d'accès internet offre plusieurs dizaines de chaînes. Mon écran étant doté d'un tuner, j'ai tenté ma chance. Sur une chaîne dont je n'avais jamais entendu parler, j'ai découvert un film turc réalisé par une jeune femme, Pelin Esmer, qui m'a bouleversé, au point de me laisser éveillé jusqu'au générique de fin, vers 2 heures du matin... Un film d'auteur tout en finesse, intelligent, émouvant et d'où se dégage une impression de sérénité et de paix qui finalement devraient toujours aider l'homme à surmonter ses déboires et ses deuils. Mithat Bey est un vieux monsieur de 83 ans, retraité de la police, qui vit seul dans un appartement situé au 4e étage d'un immeuble des années 50 qui a tellement souffert des secousses sismiques qui s'emparent régulièrement d'Istanbul, que l'ensemble des copropriétaires s'est mis d'accord pour le démolir et reconstruire à la place un bâtiment moderne. Le vieux monsieur ne l'entend pas de cette oreille. C'est qu'il a élaboré tout au long de sa vie une "collection". Vieux journaux (depuis 1950, toujours achetés en double exemplaire), jouets d'enfants, bouteilles jamais ouvertes, montres, pendules et réveils, et mille autres objets s'entassent donc chez lui, qui constituent une sorte de musée hétéroclite. A la suite d'un dégât des eaux, le vieil homme est obligé de faire rentrer chez lui son voisin du dessus, instigateur du projet de démolition.
En pénétrant dans l'appartement, le voisin est abasourdi par ce qu'il ne considère que comme du fouillis. Pour aller jusqu'à la fuite, il faut se frayer un chemin entre des piles de livres et de journaux, des cartons remplis d'affaires. Comme le voisin, le spectateur se demande un instant si le très attachant Mithat Bey n'est pas une sorte de maniaque un peu obsessionnel. On le voit par exemple noter le nombre de jours qu'a mis un de ses nombreux réveils pour avancer de quelques minutes, ou bien on assiste au soin très précis qu'il met à découper et coller une étiquette sur un carton protégé par un plastique où sont déjà posés de nombreuses autres étiquettes... Mais non, Mithat Bey est seulement un passionné, amoureux des choses et très "réglo" avec elles. C'est un gardien. Il les maintient en vie et le portent hors du temps. Le personnage est émouvant, attendrissant mais jamais ridicule. Il va son chemin et s'achemine vers sa fin. Mais le sujet n'est pas là. Le concierge de l'immeuble, un jeune père de famille venu de la campagne, va aider le vieux monsieur à alléger son appartement, suite à la visite des services de l'hygiène qui prétendent que tout ce fatras pourrait faire s'écrouler les planchers. D'abord réticent, je jeune homme va faire pour le vieux monsieur, les courses que celui-ci ne peut plus faire, puisqu'il attend le retour de ces messieurs de l'hygiène. Peu à peu le concierge va découvrir avec ses traversées d'Istanbul, une indépendance nouvelle pour lui. Il va faire ce qu'on lui demande, mais s'achemine aussi vers une vie nouvelle. Il veut faire revenir sa femme et sa fille, parties parce que la loge était trop humide pour l'enfant... La question qui se pose tout au long du film, n'est pas la fuite du temps. C'est plutôt l'envie de sauvegarder "hier, aujourd'hui et demain", comme l'explique la réalisatrice. C'est une question de sauvegarde qui s'exprime aussi par l'excellent second rôle, Ali interprété par Nejat Esmer, le concierge, quand le neveu du vieillard pense plutôt au profit que tous pourraient retirer de la vente de la collection... Ali sera celui qui perpétuera "l'art" du collectionneur, même au prix de quelques forfanteries plutôt liées aux nécessités de la vie qu'à un désir de nuire, selon la réalisatrice. Mais ne racontons pas tout le film. 
Sachez juste qu'il a connu un joli succès en Turquie. Je ne sais pas s'il a été distribué en France, mais il le mériterait. Il a déjà été primé dans de nombreux pays, la réalisatrice commençant doucement mais sûrement à se faire un nom (Oyun un de ses précédents longs-métrages avait été très bien accueilli à Venise en 2008). Elle a récemment reçu le prix spécial du jury au Festival d'Istanbul. Elle a également été primée à San Sebastián, à Tromso (Norvège) et à Toronto, ou encore à Abou Dhabioù elle a reçu le prix du meilleur film du Moyen-Orient.
Quand je compare ce petit bijou, sans aucun effet de manche, sans parti pris d'esthétique, humble, efficace comme un documentaire, mais bourré de poésie et d'amour, à l'inutile Palme d'Or 2010, je me pose des questions sur l'état mental de Tim Burton et de son jury... Non, je rectifie, je n'ai jamais cru que Monsieur Burton était tout à fait normal dans sa tête, au vu de ses films que j'abhorre. Mais, chers lecteurs, une fois encore, il ne s'agit que d'une opinion personnelle. Que ceux qui auront pu voir 10 to 11 me fassent part de leurs impressions. Moi en tout cas, je vais suivre de très près le travail de la jeune et jolie Pelin Esmer.

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3 commentaires:

micha venaille a dit…

Et en plus de tous vos autres dons, vous parlez turc?

Micha Venaille a dit…

PS C'est moi qui vous ai dit le bien que je pensais de Oncle Bonmee l'autre jour, je ne voulais pas signer "anonyme". Mais je partage votre aversion pour Tim Burton - dont je me refuse à voir les films.Nous serons à Venise du 3 au 9 octobre, si nous vous croisons ( à la librairie française?) nous vous reconnaîtrons peut-être? Nous logeons sur la place de l'Arsenale au dessus du petit café et allons inaugurer la maison qu'une amie a restaurée, à Burano, Terranova, face à la lagune (bien qu'il y ait le chantier pour le tout- à- l'égoût juste sous ses fenêtres!). Si vous passez par là le 8 au soir...C'est aussi une vos " lectrices" Et à quand votre livre?

Lorenzo a dit…

Non du turc, je ne connais que quelques mots hélas. le film sur If Télévision était sous-titré en français. Cela étant, c'est vrai que cette langue est belle, moins gutturale que l'arabe. Mais c'était la langue des envahisseurs de Byzance, les ennemis de Venise. Ce fut la langue de l'administration où mon grand-père travaillait pour le compte de l'Italie jusqu'à l'arrivée d'Atta Türk qui bouta tous les européens de l'administration. Une histoire de famille donc...