Vous connaissez certainement Summertime - Summer Madness en Grande-Bretagne, ce film célèbre (sorti en France sous le titre "Vacances à Venise"), tourné en 1955 par David Lean, avec la fabuleuse Katharine Hepburn. J'ai connu par une vieille dame qui habitait derrière San Rocco, bien des secrets du tournage, ou plutôt des tas d'anecdotes. Elle avait été engagée comme figurante avec beaucoup d'autres vénitiens familiers, depuis longtemps habitués à la venue d'équipes de cinéastes. Un passionnant catalogue de tout ce qui a été tourné à Venise depuis les débuts du cinéma jusqu'à sa publication, dans les années 80, rédigé sous la direction du sympathique Roberto Ellero, avait d'ailleurs pris comme illustration pour la jaquette de sa couverture, une photo du cinéaste en plein tournage au-dessus de la Piazza. Ce fut aussi l'affiche de l'exposition Venezia, Città del Cinema que nous avions présenté en 1986 aux bordelais qui fit l'évènement avec un vernissage façon Hollywood (TraMeZziniMag reviendra sur cette manifestation qui avait affolé toute la ville et perturbé la circulation pendant plusieurs heures).
Pour ceux qui ne connaitraient pas le film : l'héroïne, Jane Hudson est une femme entre deux âges, célibataire, elle est secrétaire dans une école primaire, à Akron, dans l'Ohio, quelque part dans un coin des États-Unis. elle profite des vacances scolaires pour découvrir Venise dont elle rêvait depuis toujours. C'est particulièrement excitée par ce qu'elle va découvrir qu'elle débarque à Santa Lucia. Comme toujours l'actrice déborde de vivacité et dès les premières images, elle donne le ton du film, exposant son enthousiasme presque puéril, son appétit et sa curiosité, mais aussi ses frustrations de (presque) vieille fille. Venise, c'est l'Italie et l'Italie pour une américaine célibataire, c'est le pays de l'amour.
Logée à la Pensione Fiorini, une maison patricienne transformée par sa propriétaire (jouée par la grande actrice italienne Isa Miranda qui eut une brillante carrière, jouant avec Max Ophüls et René Clément entre autres) en auberge, qui ressemble beaucoup à la Pensione Accademia, elle y fait la connaissance d'américains de tous types : artistes bohèmes, couple de gros bourgeois venant de la même région qu'elle avant de croiser le chemin d'un jeune garçon qui va lui servir de cicerone, puis d'un bel italien séducteur, joué par Rossano Brazzi, marchand d'art de son état du côté de San Barnaba, dans la petite boutique qui existe toujours contre le pont à gauche de l'église, quand on vient du ponte dei Pugni (c'est en fait l'échoppe d'un doreur-brocanteur où on trouve encore parfois de vrais trésors). Le coup de foudre va être instantané. Le film aurait pu sombrer dans la mièvrerie sirupeuse de certaines comédies romantiques américaines, mais le génie de David Lean, la fusion qui s'est opérée peu à peu entre le cinéaste et la ville de Venise qui l'a tellement fasciné qu'il partagea sa vie par la suite entre les rives de la lagune et l'Angleterre.
L'histoire n'est pas si simple. Jane est amoureuse et conquise. Dîner aux chandelles, promenades, fleurs et le baiser enfin... Hélas, le bel antiquaire est marié et un quiproquo au sujet d'une coupe en verre de Murano ancienne vue en plusieurs copies par notre américaine, font éclater le rêve. Le cœur brisé, déçue, anéantie, elle décide de repartir. Mais la réconciliation n'est pas loin. Il y a une explication : oui l'homme est toujours marié - et père de famille - mais il vit séparé depuis des années et il est libre. L’Italie très catholique de ces années-là ne vivait pas le divorce comme une simple formalité. Il la presse de rester, elle préfère rentrer avec ses beaux souvenirs. L'ultime scène suggère un retour possible, un jour et les retrouvailles des deux amants.
Le tournage ne se fit pas sans problèmes. Du côté vénitien tout d'abord. Si des équipes débarquaient déjà souvent à cette époque, elles évitaient l'été, pleine saison touristique. La municipalité cria haut et fort, suivie par les gondoliers qui craignaient de ne pas pouvoir travailler à leur aise. Les producteurs réglèrent le problème en faisant un don assez conséquent pour la restauration de la basilique. Tous les obstacles administratifs se levèrent en un clin d’œil... Ce fut ensuite avec la vedette que le cinéaste eut des problèmes. Grande star, son contrat prévoyait des doublures pour toutes les scènes particulières et Katharine Hepburn refusait de tomber elle-même dans l'eau du canal de San Barnaba, qu'elle trouvait à juste titre vraiment ragoûtante. David Lean y fit verser des litres de désinfectant. Cela décida l'actrice. Il y eut plusieurs reprises de la scène. A chaque fois, la vedette devait tomber dans l'eau, se sécher, se changer et recommencer... La dernière prise fut la bonne. Tout le monde était très satisfait. Hélas, il fallu quelques jours plus tard l'intervention d'un médecin... Katharine Hepburn avait une très rare variété de conjonctivite qu'elle ne put jamais soigner et qui la pénalisa jusqu'à la fin de sa vie, (sale) souvenir de Venise...
Venise, une fois encore, joue un vrai rôle dans le film. Ses ruelles et ses campi, mais aussi sa vie quotidienne, les marchés, les terrasses de café (on y voit longuement le Café Chioggia, et le Florian, tel qu'ils étaient du temps où Hemingway croisait Jean-Paul Sartre, Visconti ou Vittorio de Sica), mais plus encore sa lumière, les jeux de reflets et de nuances qui sont une bénédiction pour les (bons) cinéastes. Après tout, ce n'est pas pour rien que Venise est à l'origine du plus ancien festival du cinéma du monde !
Ci-dessous, la Bande-Annonce originale du film :