15 Décembre 1982
[...] Je n’ai pas encore assez d’argent pour rentre en France. Il fait très froid. Venise semble vide. Les facs ont fermé hier. Déjà pleins d’étudiants sont repartis dans leurs familles. Il fait nuit tôt. Des vapeurs de brume s’élèvent des canaux. A la lumière des réverbères, cela donne l’impression d’être dans les limbes. Et ce silence… Je marche dans les rues sans but précis. Il est presque minuit. Lou Reed chante dans mon walkman "Take a walk on the wild side". Le saxophone résonne dans ma tête. J’ai l’impression que le musicien est là au coin de la rue, près du kiosque. Tout brille, le sol, les parois des vieux palais délabrés. "Take a walk on the wild side"...
[...] Je n’ai pas encore assez d’argent pour rentre en France. Il fait très froid. Venise semble vide. Les facs ont fermé hier. Déjà pleins d’étudiants sont repartis dans leurs familles. Il fait nuit tôt. Des vapeurs de brume s’élèvent des canaux. A la lumière des réverbères, cela donne l’impression d’être dans les limbes. Et ce silence… Je marche dans les rues sans but précis. Il est presque minuit. Lou Reed chante dans mon walkman "Take a walk on the wild side". Le saxophone résonne dans ma tête. J’ai l’impression que le musicien est là au coin de la rue, près du kiosque. Tout brille, le sol, les parois des vieux palais délabrés. "Take a walk on the wild side"...
[...] Mes pas seuls dans la ville endormie. Tout à l’heure, au Do Draghi, vin chaud et crostini, la chaleur enfumée n’avait pas la même consistance. Stefano est rentré chez ses parents à Ancône, Betti est à Castelfranco… Ils me manquent. "Perfect day"
maintenant dans mes oreilles. La pointe de la douane est un endroit
magique à cette heure de la nuit. Un bateau parfois, la ville éclairée
comme un décor de tragédie. San Giorgio, tout blanc, et au loin le Lido.
En été, on croise des amoureux, des fumeurs solitaires, des groupes qui
bavardent et rient.
[...] Ce soir il n’y a
personne. Même pas un de ces chats faméliques qui vivent dans les
entrepôts abandonnés de la Punta della dogana. Un
vaporetto qui accoste à la Salute rappelle que la vie existe toujours
ici. Venise bouge encore. A peine. Les cheminées recrachent partout de
la fumée. Il fait vraiment froid. Humide. Une heure sonne au campanile
de San Zaccaria. D'autres cloches lui répondent. Je suis tout au bout de
Venise, loin de tout. Ici le silence se fait encore plus lourd. Plus
grave. Les maisons sont basses. La nuit plus noire encore. Je viens de
croiser un chien étonné de rencontrer un humain. Il a hésité un instant
puis a repris son chemin, se retournant une ou deux fois. Je vais
bientôt rentre. Il fait froid. "Take a walk on the wild side".
Dans une semaine c’est noël, je serai en France, en famille. Le sapin,
le vieux chat endormi près du feu, notre mère, les enfants, la famille.
[...]Et
puis je reprendrai le train, Bordeaux-Vintimille, la nuit, puis la
journée seul dans un compartiment. Il y a si peu de monde après la
frontière sur cette ligne en hiver. Et la magie de nouveau : en
pénétrant sur la lagune, le train sifflera. La fenêtre grande ouverte,
j’humerai à pleins poumons cet air unique qu’on respire ici. Je marche
dans la nuit. Mes pas me ramènent vers la fondamenta delle Capucine ou
j’ai élu domicile. Rosa, ma petite chatte grise doit m’attendre derrière la porte.[...]