Quand j'étais étudiant, il y avait près de chez moi un vieil érudit passionnant qui était né dans le ghetto et avait connu les terribles années de plomb qui couvrirent l'humanité d'opprobre et marquèrent du sceau de l'infamie ceux qui au nom d'un concept erroné massacrèrent des millions d'innocents. Il se disait descendant de Miguel Abraham Cardoso, célèbre médecin juif cabaliste qui répandit avec son frère la pensée messianique auprès des communautés juives tout autour de la Méditerranée au début du XVIIe siècle. J'ignorais son âge. Une vieille femme un jour me certifia qu'il avait plus de 150 ans et que par la force de sa foi il était intouchable et quasiment sur de l'immortalité... Il mourra en 1986.
On apprit alors qu'il avait plus de 90 ans. Il m'accompagnait souvent dans le ghetto et me montrait des tas de choses comme il l'avait fait avec Hugo Pratt qui s'était inspiré de ses récits - et de ses affabulations - dans plusieurs de ses histoires : Je découvris dans la bibliothèque de sa communauté des documents extrêmement rares et magnifiquement ornés et illustrés (je me souviens d'avoir eu entre les mains le premier Talmud imprimé à Venise - en 1519 - par Daniel Bomberg, typographe venu d'Anvers)... Avec lui j'ai gravi les étages de presque tous ces vieux immeubles tellement hauts qu'on peut les considérer comme les gratte-ciels du Moyen-Âge - et le quartier du ghetto comme le Manhattan de l'époque ! - Toutes les banques étaient là (on peut encore voir l'entrée du Banco Rosso, célèbre maison de prêt sur gages) et elles étaient célèbres dans tout le monde civilisé. Lorsqu'au début de son règne, le roi Louis XVI (dont l'histoire omet trop souvent de souligner l'extraordinaire travail de fond qu'il entreprit pour modifier la société française au profit des plus petits) mit en place le premier mont-de-piété organisé à l'intention des plus démunis pour éviter que soient aggravées leurs difficultés, il se renseigna sur le fonctionnement des banques du Ghetto et chargea son ambassadeur à Venise de prendre des informations.
Le vieux sage me montrait des maisons et des palais ruinés et m'expliquait qui avait habité là et ce qui s'y était passé avant 1798. J'avais ainsi l'impression de vivre en direct ces anecdotes vieilles de plusieurs siècles. Il m'amena un jour dans le vieux cimetière juif du Lido, si pittoresque et émouvant avec ses tombes des XVIe et XVIIe siècles au milieu d'une végétation sauvage et d'arbres pluri-centenaires. Il était alors fermé au public. Il fallait sonner chez le gardien du cimetière moderne pour obtenir la clé de la grille. Là, nous nous asseyions sur l'herbe et il me racontait la vie des personnages qui reposaient sous ces pierres richement sculptées. C'était là-encore, à chaque fois, un voyage hors du temps. J'ai envie de dire hors du monde. Il y avait aussi le vieux sacristain des Mendicoli, un moine dominicain de San Giorgio et un père lazariste arménien pour peupler mon univers spirituel... Je n'étais pas particulièrement - en suis-je vraiment sûr aujourd'hui ? - en recherche ni demandeur pour les choses de la foi ; j'aimais cependant beaucoup les écouter tous évoquer à leur manière le passé de Venise et celui de leur communauté et me donner à voir ses couleurs à l'aune de leur foi._______
3 commentaires:
- Merci merci quel bonheur de vous lire ! Surtout n'arrêtez pas, je voyage avec vous, je lis vos archives, je ne connais pas encore .... Venise. Grâce à vous je vais le découvrir autrement.
Sunny - C'est une grande chance que d'avoir pu toucher ce Livre . Précieux . Le toucher est un sens , c'est vrai . L'esprit , un autre . Aussi précieux . Une furtive et imperceptible émission d'Arte , sauf pour les joyeux gantés de l'esprit judéo-vagabond qui en tournent les pages , nous en avait joyeusement parlé . Comme eux donc , je ne suis fais interrogatif . Et si la faucheuse passe bien avant que j'en puisse espérer la trouvaille , je ne lui en voudrai pas ? Et pourquoi donc ? Très simple . J'aurai rêvé !
- Bonjour Lorenzo, Nous avons constaté que de nouveau vous avez utilisé une photo de notre site sans nous en avertir et sans même citer au moins notre site. C'est un peu triste... nous avions une autre image de vous. Luc et Danielle
Luc et Danielle, une fois encore désolé pour cet emprunt sans mention de copyright.
j'avoue ne pas être très organisé dans mes banques de données.
Parfois j'enregistre des photos trouvées sur le net avec en titre le nom de leur auteur.
Le plus souvent j'oublie et enregistre ces clichés sans conserver leur provenance.
Car j'avoue aussi ne pas avoir ce sens commercial de la propriété qui fait beaucoup
travailler les gens de nos jours.
Mes emprunts sont gratuits, leur diffusion aussi qui donne à voir des clichés qui
parfois ne seraient pas vus autant qu'ils le méritent. J'ai du mal à concevoir que dans
ce monde de l'internet que je ne conçois que gratuit et au service de tous, diffusé
universellement pour tous, certains ne voient que la possibilité de faire de l'argent
facile.
Personnellement, je ne sais pas faire et cela ne m'intéresse pas. Je défendrai toujours la
gratuité dans l'art, la culture, l'éducation comme j'en défends l'idée pour les transports,
la santé.
Je ne dis pas que votre souci est lié à un quelconque vision commerciale et je connais, à
vous lire, votre dévouement pour promouvoir une certaine idée de Venise éloignée de
ce tourisme de masse que nous n'aimons pas et qui dénature chaque jour davantage la
sérénissime. Cependant, je ne vois pas en quoi mettre en avant une photographie d'un
lieu en omettant son auteur pose un problème.
Je ne fais jamais de photos moi-même en dehors de portraits de mes enfants et de mes
amis et peu m'importe que des gens s'en emparent si elles sont belles.
Je le vois comme un hommage.
Je vais donc inscrire en tête de ce blog que je remercie les auteurs des clichés utilisés
pour illustrer mes articles, que le copyright leur appartient et qu'ils se manifestent
pour que je rajoute en légende leur nom et toutes les mentions qu'ils jugent bon d'y
faire apparaître. Cela vous satisferait-il ?
Bien amicalement.
Lorenzo
24 novembre 2007

J'aimais
aussi -lorsque j'allais seul vers la Sérénissime - m'attarder à la
terrasse du même établissement, regardant les voyageurs et cherchant à
deviner qui seraient mes compagnons de route. J'y ai croisé des
écrivains, des acteurs, des hommes politiques, des artistes de tous poils, tous plus ou moins célèbres. Tous aussi avec la même magie dans le regard...
Mais
passé ce triste moment, le départ fait tout oublier. Les stewards sont
affables et souriants. Si vous n'êtes pas trop chargés (je me demande
toujours comment on peut voyager chargé moi qui pourtant transporte
toujours disques et livres, des provisions de thé, ma vieille théière
anglaise en étain et mes indispensables biscuits - anglais
C'est
que j'aime acheter mon dentifrice et ma mousse à raser sur place, faire
nettoyer mon linge - ah le parfum qu'il a lorsqu'il revient de ma
petite teinturerie de
Mais
revenons à notre voyage. Les bagages installés dans le compartiment,
billets et passeports entre les mains de l'homme souriant en uniforme
qui va se charger de tout, nous voilà confortablement installés. Les
portes des compartiments tardent à se fermer. Tout le monde cherche plus
ou moins consciemment à s'approprier cet espace magique dans lequel
nous allons passer les douze
Très
vite l'effervescence se délite et tout redevient paisible. Les portes
se ferment. L'atmosphère se fait plus feutrée. Nous déballons livres et
revues. Pour ma part, surtout quand je suis tout seul, je branche mon
petit lecteur portable. Le programme est souvent le même : Gloria et Magnificat de
Puis
vient le temps d'aller dîner. Là c'est un plaisir qu'il faut savourer
car il se fait de plus en plus rare. On parle aussi de le supprimer. Pas
assez rentable je suppose ou trop raffiné pour notre monde de barbares.
Imaginez un peu : un véritable wagon-restaurant, moderne et fonctionnel
certes. Rien à voir avec les voitures du
On est loin de la carte proposée dans le moindre wagon-restaurant des lignes intérieures de ma jeunesse (j'aimais beaucoup la purée de pommes de terre du
Souvent des groupes restent longtemps après que le dernier repas eut
été servi. Les serveuses bavardent avec les convives, tout en préparant
les tables du petit-déjeuner. Les enfants sont partis se coucher et il
règne dans cette voiture une ambiance bon enfant. Comme une invitation à
la joie. Un petit moment de bonheur. Le repas achevé, quand les
passagers, la plupart du temps détendus et un peu bruyants, reviennent
vers leurs cabines, les lits sont faits. Les lumières tamisées.
Le balancement rythmé des voitures donne de douces idées aux jeunes couples tandis que les autres sont déjà bercés par le
Généralement
à l'entrée du pont de la Liberté, la locomotive siffle avec énergie.
Enfant, je croyais que c'était un salut, comme la corne de brume des
navires qui approchent d'un port. Tous les passagers sont à leur
fenêtre. La grande étendue d'eau tour à tour grise ou verte semble comme
un océan tranquille. A droite, les usines de
La
plupart, très excités par l'arrivée très proche, piétinent dans les
couloirs et se haussent sur la pointe des pieds pour mieux voir. Ce que
j'aime le plus alors, c'est - surtout à la bonne saison - ouvrir la
fenêtre de ma cabine en grand et tout en feuilletant un magazine et, en
sirotant ma tasse de thé brûlant, attendre que le train s'immobilise.
Tout le monde se précipite pour descendre. Le steward frappe à la porte,
nous rend billets et papiers en saluant. Nous attendrons que tout le
monde soit sorti et, tranquillement, très lentement, après avoir rangé
toutes nos affaires, nous sortirons. Le temps de s'habiller le coeur en
l'honneur du spectacle toujours renouvelé que la ville va nous offrir
quelques instants plus tard. C'est un des privilèges de ces trains de
nuit : on vous laissera achever votre collation ou votre toilette et il
est bien doux de rester encore un peu dans cette cabine, surtout quand
tout le monde est parti.













