Tramezzinimag
est un lieu virtuel consacré corps et âme à Venise. Mais ce qui
concerne la Sérénissime bien souvent implique le reste du monde : la
multiplication du nombre de ressortissants africains en situation
irrégulière qui proposent à la sauvette de faux sacs de marque, jeunes
SDF à l'air égaré par l'abus de drogue accompagnés de nombreux chiens
faméliques vautrés sur les ponts, tags et graffitis qui enlaidissent les
murs, disparition des petits commerces de proximité et standardisation
des produits manufacturés, mais aussi inondations de plus en plus
nombreuses, disparition de la faune et de la flore, phénomènes
climatiques inquiétants, pollution... Le tableau pourrait paraître
terriblement sombre. Il en est de Venise comme du reste du monde,
l'homme qui a reçu en naissant une incroyable et merveilleuse richesse
s'emploie depuis 500.000 ans à la détruire. Venise a longtemps été un
laboratoire d'idées et de pratiques qui ont permis d'élaborer un mode de
vie respectueux de la nature. Installés dans un environnement peu
propice, les premiers vénitiens ont su faire avec les infrastructures
naturelles et ils ont eu le génie d'établir sur cet écosystème une
civilisation. Hélas, les hommes sont oublieux et le poids des
traditions, les usages, les antiques savoirs ont été dès la fin du
XVIIIe siècle malmenés au nom des idées nouvelles. A Venise aussi, il
fallait être "moderne"
si on ne voulait pas faire ringard. C'est ainsi que la cité des doges,
bien davantage que les autres métropoles d'aujourd'hui, en abandonnant
les anciens usages, a mis en péril sa vie même. Partout dans le monde,
comme à Venise, d'impérieuses nécessités voient le jour qui nous
obligent à appréhender d'une manière globale l'état de la planète. Parce
que nous sommes enfin conscients que l'avenir de l'humanité est en jeu
et que cet avenir nous concernant tous, nous oblige tous à réfléchir et à
agir.
On en parle peu, car cela n'est pas médiatique, mais il existe à Venise,
et dans différents points de la lagune, des organisations qui
travaillent à sauver ce qui peut encore l'être, des associations qui
militent pour que revivent les fonds lagunaires, que les espèces de
poissons et de mollusques empoisonnées par les phosphates et les
nitrates de l'industrie lourde de Marghera, recolonisent l'eau. Ils
reconstituent les rizières et les marais salant, replantent et
ré-alimentent les terres empoisonnées par 50 ans de fertilisants
chimiques, soignent les oiseaux migrateurs décimés par la pollution. Aux
projets pharaoniques qui ne font qu'enrichir les gigantesques groupes
industriels mondiaux et dont on ne sait toujours pas s'ils apporteront
les solutions promises, se créent un peu partout, sans moyen, sans
publicité, des mouvements actifs et solidaires, véritables alternatives
aux politiques officielles. Depuis trente ans, la lagune est un
laboratoire expérimental de sauvegarde de l'environnement. Sans battage,
sans militantisme. Pêcheurs et paysans se battent pour sauver ce qui
peut l'être. Et il y a danger, nous le savons tous.
Quand
je vivais à Venise, il y avait au bas de chez moi - je l'ai raconté
maintes fois - une petite échoppe. Elle était tenue par un fermier ou
son fils, je ne sais plus exactement. Chaque matin, il débarquait ses
légumes et ses fruits, il amenait parfois aussi des oeufs, des
volailles. On ne trouvait chez lui que des tomates ou des aubergines
fraîchement récoltés. Ses salades, ses épinards, pêches comme ses poires
étaient vraiment toujours délicieux. Quand la récolte n'était pas
bonne, il n'y avait sur ses étals que des pommes de terre, des noix, des
amandes des coings et des pommes. Ceux qui ont la chance de fréquenter
un AMAP (*) sauront
de quoi je parle. Ses terres se trouvaient sur une île du fond de la
lagune. Ses bêtes procuraient le fumier qui nourrissait la terre, ses
arbres donnaient de magnifiques fruits sans l'aide de Monsanto.
Puis les règles ont changé. L'Europe a imposé un cahier des charges
insensé. De plusieurs centaines de maraîchers sur la lagune, il n'en
reste qu'une petite dizaine. La disparition de la culture vivrière, à
Venise comme ailleurs en Occident, est quelque chose de préoccupant
quand on sait que l'autonomie alimentaire en Europe est de seulement 20
jours... Quand on se rend compte que partout, l'industrie tue
l'agriculture mais tue aussi les usages et les savoir-faires ancestraux.
Il y a en ce moment dans les bonnes salles de cinéma un documentaire extrêmement bien fait qui exprime bien que moi toutes ces vérités. Hasard heureux, l'auteur de ce film, Coline Serreau, un lien très fort avec Venise et Tramezzinimag en parlera un jour si j'obtiens son accord. Si vous n'avez pas encore vu ce film, précipitez-vous, c'est revigorant ! En voici la bande-annonce:
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(*) : AMAP : Associations pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne
(*) : AMAP : Associations pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne
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