La
pluie et le ciel bas ce matin illustrent ce jour terrible où les
chrétiens pleurent la mort du Christ sur la croix. Dans les rues
désertes, les pavés luisent et quelques oiseaux s'essayent transperçant
par la joie de leur chant la pesanteur du jour. Temps orageux. Lumière
violente.
Le double chœur qui débute la Passion selon Saint Matthieu de Johann Sebastian Bach
adoucit ces moments que nul croyant ne peut affronter sans ce mélange
de terreur, de chagrin et d'espoir. Office des Ténèbres à l'aube chez
les dominicains. Beauté des psaumes et du rite millénaire. Les quinze
cierges qui brillent dans l'église sombre, l'église vidée de la présence
de Celui qu'elle vénère. Gravité des voix qui montent et se répandent.
Elles sont au-delà de la plainte ou de la louange. Le visage caché par
leurs capuchons noirs, les moines sembleraient de pierre s'ils ne
relevaient parfois la tête pour faire éclater leurs voix. Harmonie
parfaite. Une expérience esthétique et mystique incomparable.
La certitude qu'avec l'assistance les anges et l'âme des morts sont présents et chantent aussi. Il faut avoir assisté à ce rite très ancien pour comprendre combien les esprits les plus rétifs sont saisis, combien on est très vite placé face à une inextinguible vérité qui nous dépasse et, loin de nous écraser, nous soulève et nous grandit. En découle une envie de louange et une grande joie. Une grande paix aussi. Que ce soit à San Giovanni e Paolo, chez les bénédictins de San Giorgio où sur l'île de Saint François, au couvent des Arméniens ou bien chez les jésuites, le Triduum pascal est un temps très fort, immuable et profond, passerelle entre notre monde imparfait et la perfection de l'amour divin. La plus importante fête de la liturgie chrétienne est commencée. Elle débute par l'horreur d'un abandon, la douleur d'une mort pour s'enflammer dans l'incroyable joie de la Résurrection. Combien de peintres, de sculpteurs, de musiciens et de poètes ont fait de chefs-d’œuvres sur la Pâque chrétienne !
Et
pourtant, à Venise comme ailleurs, le temps de Pâques qui succède au
temps du Carême, le temps le plus important du calendrier liturgique
chrétien, comme Pessa'h l'est
pour les juifs, passe inaperçu désormais dans notre monde
déspiritualisé. Et cela n'a rien à voir avec la laïcité, principe
fondamental de liberté et de droit. La vie continue, les touristes
arpentent avec autant d'avidité les parcours balisés par les guides au
pas de course, les gens vont et viennent dans les magasins, vaquent à
leurs occupations. beaucoup se rendront exceptionnellement à la messe du
jour de Pâques voire même à la veillée pascale.
La
plupart savent qu'il s'agit de commémorer la mort et la résurrection du
Christ. On mange de l'agneau et on cache des poules en chocolat dans le
jardin pour les enfants... Mais combien sauront se recueillir un moment
en famille et penseront à cet évènement extraordinaire constitutif de
ce que nous sommes, de notre civilisation, de notre lien à l'autre, de
nos engagements, de notre relation à l'autre ?
"Il était déjà environ la sixième heure, et il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu'à la neuvième heure. Le soleil s'obscurcit, et le voile du temple se déchira par le milieu."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos commentaires :