Je ne sais pas vous, mais j'ai un penchant très marqué pour le son des cloches. Un certain nombre d'entre elles sont associées à des moments de ma vie, des évènements, des personnes. La première fois que j'ai mentionné une cloche dans mon journal, je devais avoir douze ans. Je réalisais soudain combien ce son avait quelque chose de profond, de chaleureux. J'allais faire des courses pour une vieille dame impotente dont je m'occupais. Madame Bizot habitait derrière chez nous. Mon père était son médecin.
Je passais beaucoup de temps chez elle. Il y avait dans son salon, figé à l'époque où son mari vivait encore (il avait quitté cette terre en 1939 !) un carillon qui reproduisait toutes les trente minutes le son de BigBen, kitsch mais qui me fascinait. J'aimais cette vieille dame, sa maison qui débordait. On avait l'impression d'y vivre dans une autre époque. elle me racontait des tas d'anecdotes sur les trente premières années du siècle. Née en 1886, elle était veuve de guerre et de cheminot. Elle recevait des bons alimentaires - cela se passe dans les années 70 - que j'allais échanger contre des victuailles à l'économat de la SNCF non loin de là. Démoli aujourd'hui, le bâtiment était tout près d'une église. Un jeudi, jour béni car sans école, je longeais les grilles de l'église en rêvassant, mon filet de provisions d'une main et un bâton de l'autre que je frottais en marchant sur les grilles. Soudain les cloches se mirent à chanter à toute volée. L'air était rempli de bonnes odeurs printanières. Ce fut un tel enchantement que je l'ai aussitôt décrit (maladroitement) dans le cahier où je notais davantage ma vie d'enfant, surtout les menus qu'on servait à table et des idées de jeux pour quand mes cousins viendraient.
Puis quelques années plus tard, ce furent les cloches de Westminster Abbey et celles, plus modestes mais très distinguées de Saint John's wood à Londres. Lors d'un voyage à travers l'Europe centrale qui nous mena avec mes parents jusqu'à Istanbul en voiture, j'ai retrouvé aussi dans un autre de mes cahiers, une réflexion de l'adolescent ombrageux que j'étais devenu. Je passais mes journées au bord de la piscine de l'Hilton ou dans la chambre. Room 101 ai-je noté. Il y a avait de la musique, de l'eau glacée dans la salle de bains et un room service que j'appelais souvent, me régalant lorsque deux serveurs vêtus de blanc à peine plus âgés que moi m'amenaient le petit-déjeuner sur une table ronde à roulette couverte d'une nappe blanche. Le porridge était presque aussi bon que celui de mon collège à Watford (où la cloche qui sonnait l'appel aux repas m'a marqué aussi).
Je ne me plaisais pas dans cet Orient que j'ai appris à connaître et donc à aimer bien plus tard, quand je voyageais avec InterRail et des amis, le sac au dos et des désirs plein la tête. Le chant du muezzin m'horripilait et j'étais incapable de ressentir le moindre attrait pour Constantinople. Peut-être parce qu'avant même Venise, c'était là le centre de vie de la famille. Galata, Péra, Makrekoy, Dolmabaçe, Eyüp... Il me manquait quelque chose. Quand nous reprîmes la route, mon père décida de passer par Thessalonique. Nous sommes arrivés dans cette ville en fin de matinée. C'était un dimanche et de partout tintaient des cloches. ce fut comme une épiphanie. Je compris enfin ce qui m'avait manqué pendant un mois loin de l'occident chrétien : les cloches !
Je passais beaucoup de temps chez elle. Il y avait dans son salon, figé à l'époque où son mari vivait encore (il avait quitté cette terre en 1939 !) un carillon qui reproduisait toutes les trente minutes le son de BigBen, kitsch mais qui me fascinait. J'aimais cette vieille dame, sa maison qui débordait. On avait l'impression d'y vivre dans une autre époque. elle me racontait des tas d'anecdotes sur les trente premières années du siècle. Née en 1886, elle était veuve de guerre et de cheminot. Elle recevait des bons alimentaires - cela se passe dans les années 70 - que j'allais échanger contre des victuailles à l'économat de la SNCF non loin de là. Démoli aujourd'hui, le bâtiment était tout près d'une église. Un jeudi, jour béni car sans école, je longeais les grilles de l'église en rêvassant, mon filet de provisions d'une main et un bâton de l'autre que je frottais en marchant sur les grilles. Soudain les cloches se mirent à chanter à toute volée. L'air était rempli de bonnes odeurs printanières. Ce fut un tel enchantement que je l'ai aussitôt décrit (maladroitement) dans le cahier où je notais davantage ma vie d'enfant, surtout les menus qu'on servait à table et des idées de jeux pour quand mes cousins viendraient.
Puis quelques années plus tard, ce furent les cloches de Westminster Abbey et celles, plus modestes mais très distinguées de Saint John's wood à Londres. Lors d'un voyage à travers l'Europe centrale qui nous mena avec mes parents jusqu'à Istanbul en voiture, j'ai retrouvé aussi dans un autre de mes cahiers, une réflexion de l'adolescent ombrageux que j'étais devenu. Je passais mes journées au bord de la piscine de l'Hilton ou dans la chambre. Room 101 ai-je noté. Il y a avait de la musique, de l'eau glacée dans la salle de bains et un room service que j'appelais souvent, me régalant lorsque deux serveurs vêtus de blanc à peine plus âgés que moi m'amenaient le petit-déjeuner sur une table ronde à roulette couverte d'une nappe blanche. Le porridge était presque aussi bon que celui de mon collège à Watford (où la cloche qui sonnait l'appel aux repas m'a marqué aussi).
Je ne me plaisais pas dans cet Orient que j'ai appris à connaître et donc à aimer bien plus tard, quand je voyageais avec InterRail et des amis, le sac au dos et des désirs plein la tête. Le chant du muezzin m'horripilait et j'étais incapable de ressentir le moindre attrait pour Constantinople. Peut-être parce qu'avant même Venise, c'était là le centre de vie de la famille. Galata, Péra, Makrekoy, Dolmabaçe, Eyüp... Il me manquait quelque chose. Quand nous reprîmes la route, mon père décida de passer par Thessalonique. Nous sommes arrivés dans cette ville en fin de matinée. C'était un dimanche et de partout tintaient des cloches. ce fut comme une épiphanie. Je compris enfin ce qui m'avait manqué pendant un mois loin de l'occident chrétien : les cloches !
Istanbul... Venise, le lien se fait de lui-même. Les cloches de Venise que d'iconoclastes élus, comme partout dans notre monde déspiritualisé, considèrent aujourd'hui comme bien trop bruyantes au point de les interdire la nuit.
Heureusement, le maire n'a pas osé faire taire la Marangona qui sonne chaque jour à minuit et qu'on entend de partout. en 2015, il y eut même un pauvre imbécile qui porta plainte et obligea les autorités à se manifester, les décibels étaient trop élevés et cela posait problème. le pauvre type devait préférer le bruit des automobiles et des avions à réaction, des mobylettes et de la télévision. Cela déclencha dans toute la région et à Venise une polémique qui se termina par l'interdiction de sonner les cloches à toute volée à chaque heure de la journée sauf exceptions.
Voilà où nous en sommes, dans cette civilisation déboussolée, individualiste et inculte. Mais rien ne sert de s'énerver, les faits sont là : l'homme moderne ne supporte plus le son des cloches. Il ne supporte pas non plus le chant du coq à l'aube dans les campagnes, se plaint de l'odeur du purin et des feuilles qui tombent des arbres et envahissent les rues, il n'aime pas non plus les arbres qui lui font trop d'ombre... Triste époque vous ne trouvez pas ? Triste aussi le fait que les dirigeants de tout poil, le regard fixé sur le baromètre de leur popularité, embrassent ce genre de causes et fasse corps avec les plaignants en distribuant amendes et arrêtés municipaux scélérats !
Mais ne soyons pas cloches, restons tolérants et parlons plutôt de l'histoire de ces magnifiques dames de bronze dans le prochain billet.
Heureusement, le maire n'a pas osé faire taire la Marangona qui sonne chaque jour à minuit et qu'on entend de partout. en 2015, il y eut même un pauvre imbécile qui porta plainte et obligea les autorités à se manifester, les décibels étaient trop élevés et cela posait problème. le pauvre type devait préférer le bruit des automobiles et des avions à réaction, des mobylettes et de la télévision. Cela déclencha dans toute la région et à Venise une polémique qui se termina par l'interdiction de sonner les cloches à toute volée à chaque heure de la journée sauf exceptions.
Voilà où nous en sommes, dans cette civilisation déboussolée, individualiste et inculte. Mais rien ne sert de s'énerver, les faits sont là : l'homme moderne ne supporte plus le son des cloches. Il ne supporte pas non plus le chant du coq à l'aube dans les campagnes, se plaint de l'odeur du purin et des feuilles qui tombent des arbres et envahissent les rues, il n'aime pas non plus les arbres qui lui font trop d'ombre... Triste époque vous ne trouvez pas ? Triste aussi le fait que les dirigeants de tout poil, le regard fixé sur le baromètre de leur popularité, embrassent ce genre de causes et fasse corps avec les plaignants en distribuant amendes et arrêtés municipaux scélérats !
Mais ne soyons pas cloches, restons tolérants et parlons plutôt de l'histoire de ces magnifiques dames de bronze dans le prochain billet.
à suivre
Je ne déteste pas le son des cloches mais j'ai un souvenir particulier à Venise. Nous étions attablés sur une terrasse sur une des places de Venise lorsque vers 22 h 30 environ toutes les cloches de la ville se sont mises a sonner le bourdon. C'était impressionnant et elles annonçaient le décès de Jean Paul II
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