16 juillet 2006

Venise inédite

En écoutant Ligabue, Simply Red ou Rod Steward, sur Radio Conegliano. Le temps pour le pompiste de faire le plein, et en route pour la plage...
 © Photographie de Magali Gourret
Tous droits réservés
posted by lorenzo at 23:17

D'une lagune à l'autre...

Je reviens du Bassin d'Arcachon - retour toujours difficile vers la ville étouffante de moiteur, polluée et sale - après deux semaines de farniente, baignades, sorties en bateau et longues siestes à l'ombre du grand pin rescapé de la tempête de 1999. Le retour dans un Bordeaux caniculaire infesté de touristes rendus hagards par la chaleur, est toujours pénible.
 
A température égale, je suis toujours impressionné par la différence entre l'air pur et roboratif du Moulleau et des Abatilles (la ville d'été d'Arcachon) et l'atmosphère pesante et puante de Bordeaux. Dans la grande ville, pas un souffle d'air, même à l'ombre des grands arbres du Jardin Public. Heureusement, la maison est fraîche mais nous nous traînons depuis hier et la joie n'est plus la même. Tout mouvement devient difficile et on dort mal. Bordeaux atteint en ces jours un seuil de pollution difficilement supportable. Comme parfois  à Venise en Août, lorsque l'Ostro ou le Garbin, variantes locales du scirocco, amènent un air brûlant et que l'air devient étouffant. On prend alors le bateau pour les plages du Lido. Le calvaire se poursuit le long de la grande avenue qui mène aux plages. Mais, lorsque, débarrassés de nos vêtements, nous plongeons dans la mer, quel bonheur... 
Mais tout ce verbiage pour souligner des ressemblances entre la Lagune vénitienne et le Bassin d'Arcachon. En me promenant l'autre soir près de l'Ile aux oiseaux, la lumière qui semblait jaillir de l'eau éclairait les cabanes tchanquées et leur ressemblance avec les constructions lacustres de la lagune de Grado ou de Torcello me parut évidente. Le parfum du soir sur la plage est le même que celui qui embaume la promenade des murazzi et, dernier élément de comparaison, les étals des poissonniers sont aussi riches - les espadons en moins - que nos étals de la pescheria du Rialto... Les arcachonnais ont la pinasse qui joue le même rôle que les péottes de l'Adriatique... 
Des amis vénitiens qui ont séjourné quelques jours au Cap-Ferret l'an dernier, s'ils ont été affolés par la prétention et la vanité des petits bourgeois qui s'entassent sur les 44 hectares, avec leurs codes vestimentaires, leurs habitudes et leurs poses de nouveaux-riches, ont ressenti cette proximité. Cela m'a fait très plaisir. Finalement, à défaut de pouvoir chaque fin de semaine m'envoler vers la Sérénissime, les joies simples de notre vieille villa au bord de la plage, le bruit des vagues, les poissons du marché qu'on fait griller avec de la polenta, les promenades en barque quand la nuit tombe - il fallait voir le soir du 14 juillet ces dizaines d'embarcations qui voguaient toutes éclairées vers le port pour le feu d'artifice comme à Venise pour la nuit du Redentore - tout cela nous aide à patienter jusqu'au retour d'exil ! Et puis cette sérénité des gens là-bas, avec la même chose dans le regard qu'à Burano ou à Chioggia... Mais ce "paragone" mériterait une approche beaucoup plus scientifique. 
Tenez, laissez-moi vous donner un autre exemple : il y a une rue de la ville d'Automne que nous prenons pour aller vers le centre d'Arcachon (que des générations de promoteurs avides et sans aucun goût défigurent depuis cinquante ans) : la rue Thomas Illyricus. C'est le nom d'un moine qui aurait échoué il y a bien longtemps sur une plage entre le Moulleau et Arcachon, après une tempête. Seul survivant, on raconte qu'il fut sauvé du naufrage par une statue de la vierge amenée dans ses bagages... La sculpture passe depuis pour miraculeuse. On peut toujours la voir dans une très ancienne chapelle décorée de fresques et dorée à souhait. Plusieurs fois détruite par le feu, l'oratoire a toujours été reconstruit et la statue jamais détruite. Dde nombreux ex-votos manifestent la dévotion des marins d'ici et de leurs familles, comme dans les iles de Venise. 

Tous les dimanches après la messe, la tradition veut qu'on se recueille un instant - le temps d'un Ave Maria - devant l'autel de la vierge miraculeuse. Un lieu de paix à deux pas de la mer. Même l'odeur qu'on y respire, (ce mélange d'huile de lin, de cire et d'encens, d'air marin et de vieux bois) rappelle l'odeur qui embaume les église de Venise... 

Ce moine Thomas n'était-il pas parti de l'Adriatique ? On sait que de nombreux navires vénitiens s'aventurèrent sur la côte atlantique et les registres des Archives de l’État, près des Frari, renferment des listes de bateaux perdus corps et biens au large du golfe de Gascogne, quelques liaisons épisodiques avec Bordeaux, Bayonne ou La Rochelle... De quoi laisser s'envoler l'imagination...
posted by lorenzo at 19:30

15 juillet 2006

Casanova en France le 26 juillet

"Méfiez-vous des apparences... Mise en garde délivrée aux jeunes filles des couvents quand passe dans les parages le débauché Casanova, mais que l'on pourrait appliquer au public s'attendant à une nouvelle chronique des exploits du plus célèbre tombeur de ces dames - a fortiori avec Heath Ledger, tout juste magnifié par Brokeback Moutain, dans le rôle titre", c’est ainsi que la Libre Belgique présentait au printemps ce film encore inédit en France (il sort le 26 juillet sur nos écrans ! du moins c'est ce qui est annoncé).
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Mais surprise, bien que pur produit hollywoodien, ce film a été abordé par le cinéaste suédois Lasse Hallström et son scénariste Jeff Hatcher, d’une manière originale et assez décalée... Oui, Casanova a séduit toutes les femmes de Venise, oui il passe pour revenu de tout , incapable de tomber amoureux. Son cynisme fait de lui, en apparence, un vainqueur perpétuel. Pas un jupon ne lui résiste ? Mais voilà qu'il va tomber sur un os : la pétillante Francesca (Sienna Miller en blonde... vénitienne), féministe avant l'heure, va repousser ses avances. Ce qui à l'heur de plaire à sa mère (Lena Olin), qui veut la marier au plantureux et riche marchand Paprizzio (Oliver Platt), seul moyen de sauver la famille de la ruine imminente... Classique, classique.


Casanova quant à lui, poursuivi par le Grand Inquisiteur Pucci (Jeremy Irons), n'a plus d'autre solution que de feindre de vouloir épouser la jeune Victoria (Victoria Dormer), très agréable tout de même (bref ce ne serait pas un calvaire pour Giacomo !), mais cette jolie promise tombe sous le charme de Giovanni, le jeune frère de Francesca (Charlie Cox qui jouait en 2004 dans Le Marchand de Venise)... 
C’est un peu compliqué mais finalement on s’y retrouve : En manipulant les uns et les autres, Casanova espère se rapprocher de Francesca le soir du carnaval où expire l'ultimatum de Pucci. L'imbroglio peut se mettre en place. Cela ne manquera pas de vous rappeler nos classiques : Shakespeare, Molière ou Goldoni revisités par Hollywood...
Avec sa foule de personnages et ses rebondissements en cascade, cet énième Casanova (souvenez-vous de celui de Comencini ou de Fellini), vire progressivement à la pantalonnade, plus commedia dell'arte que drame sentimental. Heureusement, le brio des acteurs, qui s'en donnent à cœur joie, sauve un scénario tarabiscoté. Les puristes en sortiront perplexes, on peinera parfois à accepter les accents anglo-américains (alors que le réalisateur a tenu à filmer dans les décors authentiques de Venise), mais, en restant positifs, on savourera tout de même cette comédie en costumes d'époque avec son final inattendu, entre le cinéma de Richard Lester et celui de Philippe de Broca, comme un plaisir estival. 

Vous savez ces soirées très chaudes où on projette sur de grands écrans en plein air des films que tout le public, bon enfant, commente. Certes pas de quoi faire un classique retentissant et inoubliable qu’il faudra avoir dans sa filmothèque, mais c'est une farce plaisante où brille en sérénissime comique Oliver Platt et d'où émerge Victoria Dormer, délicieuse en jeune fille de bonne famille coquine. Une image saine de Venise, comme au XVIIIème, toute de joie et de plaisir.

posted by lorenzo at 23:00

30 juin 2006

Vacanze al mare

Et voilà le temps des vacances. Quelques jours d'absence chers lecteurs : j'accompagne mes enfants sur les bords d'une lagune mais elle n'est pas vénitienne. 
Nous serons sur le Bassin d'Arcachon quelques jours. 

Donc d'ici le 15 juillet, plus d'articles car la villa où nous allons poser nos bagages n'est pas branchée sur internet. Elle se dresse tranquillement depuis presque  cent vingt ans au bord de la plage, assez loin de la foule, et les journées se passent au rythme des marées. Peu de place pour alimenter les blogs donc. Joie de la lecture et de l'écriture, comme avant, avec un stylo et du papier...

En attendant, regardez Arte dimanche 2 juillet. Il y aura une soirée Thema consacrée à Venise avec "Vacances à Venise" de David Lean, excellent film avec la merveilleuse Katharine Hepburn, suivi de deux documentaires drôlement bien faits. Le premier qui se déroule comme une promenade sentimentale rythmée par les écrits et les commentaires d'auteurs amoureux de la Cité des doges, le second plus technique sur le terrible problème des eaux et de leur montée, de leurs effets dévastateurs... A ne pas manquer.  

A très bientôt donc et mille pardons pour cette vacance à mes fidèles lecteurs. 
posted by lorenzo at 13:26

28 juin 2006

Marcel Proust écrit sur Venise, genèse de la Recherche


En 1919, Marcel Proust faisait paraitre un texte sur Venise dans le quatrième numéro des Feuillets d'Art, qu'il reprendra plus tard, revu, modifié, corrigé dans A La Recherche du Temps perdu. Je vous en livre quelques lignes, telles qu'elles parurent cette année-là.
… Le soir, je sortais seul, au milieu de la ville enchantée où je me trouvais au milieu de quartiers nouveaux comme un personnage des Mille et Une Nuits. Il était bien rare que je ne découvrisse pas au hasard de mes promenades quelque place inconnue et spacieuse dont aucun guide, aucun voyageur ne m'avaient parlé. Je m'étais engagé dans un réseau de petites ruelles, de calli divisant en tous sens, de leurs rainures, le morceau de Venise découpé entre un canal et la lagune, comme s'il avait cristallisé suivant ces formes innombrables, ténues et minutieuses. Tout à coup, au bout d'une de ces petites rues, il semblait que dans la matière cristallisée se fût produite une distension. Un vaste et somptueux campo à qui je n'eusse assurément pas, dans ce réseau de petites rues pu deviner cette importance, ni même trouver une place, s'étendait devant moi entouré de charmants palais pâles de clair de lune. C'était un de ces ensembles architecturaux vers lesquels, dans une autre ville, les rues se dirigent, vous conduisent et le désignent. Ici, il semblait exprès caché dans un entrecroisement de ruelles comme ces palais de contes orientaux où on mène la nuit un personnage qui, ramené chez lui avant le jour, ne doit pas pouvoir retrouver la demeure magique où il finit par croire qu'il n'est allé qu'en rêve.
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Le lendemain je partais à la recherche de ma belle place nocturne, je suivais des calli qui se ressemblaient toutes et se refusaient à me donner le moindre renseignement, sauf pour m'égarer mieux. Parfois un vague indice que je croyais reconnaître me faisait supposer que j'allais voir apparaître, dans sa claustration, sa solitude et son silence, la belle place exilée. À ce moment, quelque mauvais génie qui avait pris l'apparence d'une nouvelle calle me faisait rebrousser chemin malgré moi et je me trouvais brusquement ramené au Grand Canal. Et comme il n'y a pas, entre le souvenir d'un rêve et le souvenir d'une réalité de grandes différences, je finissais par me demander si ce n'était pas pendant mon sommeil que s'était produit dans un sombre morceau de cristallisation vénitienne cet étrange flottement qui offrait une vaste place, entourée de palais romantiques à la méditation du clair de lune.
Quand j'appris, le jour même où nous allions rentrer à Paris, que Mme Putbus, et par conséquent sa femme de chambre, venaient d'arriver à Venise, je demandai à ma mère de remettre notre départ de quelques jours ; l'air qu'elle eut de ne pas prendre ma prière en considération ni même au sérieux, réveilla dans mes nerfs excités par le printemps vénitien ce vieux désir de résistance à un complot imaginaire tramé contre moi par mes parents (qui se figuraient que je serais bien forcé d'obéir), - cette volonté de lutte, désir qui me poussait jadis à imposer brusquement ma volonté à ceux que j'aimais le plus, quitte à me conformer à la leur, après que j'avais réussi à les faire céder. Je dis à ma mère que je ne partirais pas, mais elle, croyant plus habile de ne pas avoir l'air de penser que je disais cela sérieusement ne me répondit même pas. Je repris qu'elle verrait bien si c'était sérieux ou non. Et quand fut venue l'heure où, suivie de toutes mes affaires, elle partit pour la gare, je me fis apporter une consommation sur la terrasse, devant le canal, et m'y installai, regardant se coucher le soleil tandis que sur une barque arrêtée en face de l'hôtel, un musicien chantait "sole mio"…
Marcel Proust
Extraits de « à Venise »
in Feuillets d'Art , n°4, 15 décembre 1919, pp. 1-12

27 juin 2006

Botanique et navigation

Qui a dit que les gondoliers naissaient comme vous et moi ? Ils sortent tout habillés des fougères lacustres de la lagune. Bien nourris non et de fort bonne humeur pour vous emmener sur des rivages. Voilà du moins une explication très plausible après tout donnée par ma fille en regardant ces photos très sympathiques dénichées sur le net...

Au passage, laissez-moi vous signaler, pour ceux qui sont intéressés et ne le possèdent pas déjà, l'excellent ouvrage très joliment illustré d'Eugenio Vittoria, Le Gondolier et sa gondole, traduit par Dominique Pinchi, le libraire française de Venise, qu'il avait publié en 1979, dans sa maison d'édition, Editrice Evi installée à Castello. Disparu il y a quelques années, c'était un de ces vieux vénitiens très cultivés, passionnants et passionnés, comme je les aime et dont je vous reparlerai.

 


posted by lorenzo at 19:34

25 juin 2006

Gatti veneziani

Comme chez les humains, on rencontre toute sorte de caractères chez les chats mais chez ceux de Venise, il y a quelque chose en plus. D'abord ils gardent le souvenir de leur grande utilité du temps de la Sérénissime. Sans leurs ancêtres, la peste n'aurait cessé de se répandre dans la cité et les doges en avaient fait des notables dont le livre d'or s'il n'a jamais été écrit n'en demeure pas moins dans la mémoire collective. 
Si les rois de France avaient de beaux lévriers, les maîtres de Venise avaient surtout des chats ! Les bateaux ne partaient jamais sans un des leurs et sur le navire amiral de la flotte vénitienne à la bataille de Lépante, il y avait un somptueux matou guerrier qui ne manqua pas une charge et revint en triomphateur acclamé avec son maître.  Bref le chat de Venise c'est quelqu'un. 

Hélas comme tout à Venise aujourd'hui, le monde des chats est en péril. Certains gouvernements des années 80 ont voulu les éliminer, ou du moins en réduire les colonies. D'autres ont pris conscience de leurs malheurs et ce fut des campagnes de vaccination, de stérilisation mais aussi l'ouverture de refuges et de dispensaires. Voilà qui m'a donné envie de montrer quelques spécimens de ceux qui demain seront peut-être les seuls vrais vénitiens du Disneyland qui semble parfois se préparer dans la ville que nous aimons tant mais que les hordes dénaturent chaque jour davantage...
 
 
Celui-là qui joue sur un terrazzo de marbre clair, vague cousin de notre chat, est toujours aussi facétieux. Bien nourri aux sardines fraîches ou in saor, il vit une vie tranquille au premier étage d'un somptueux palais renaissance sur le Grand Canal. Il aime regarder pendant des heures le trafic sous son balcon et descend parfois dans le jardin au bord de l'eau. Pour lui, point de soucis. Il finira un peu trop gros sur des cousins en velours frappé de chez Fortuny.

 
On ne peut pas en dire autant de ce pauvre mendiant qui quête sa nourriture au pied du gobbo au Rialto. Il a trouvé de quoi poser son pauvre derrière endolori et n'a qu'une frousse, croiser les vigiles avec leurs horribles bergers allemands. Il ne mange pas toujours à sa faim et doit chaparder quand la faim le tenaille trop. Heureusement, il y a la soupe populaire... quelle rupture familiale, quel incident de parcours l'a jeté dans la rue ? La dégringolade arrive tellement vite à Venise pour un chat...
posted by lorenzo at 22:10

Belle de Jour présidera le jury de la Mostra 2006



On vient d'annoncer officiellement ce que les rumeurs laissaient entendre depuis un certain temps (on en parlait déjà au banquet offert par Christian Pinault l'autre jour à l'Arsenal) : Catherine Deneuve sera la présidente de la 63e Mostra de Venise, qui se déroulera du 30 août au 9 septembre prochains. 
 
Belle récompense en fait pour cette grande actrice dont la l'histoire est très étroitement liée à celle du festival : rappelez-vous en 1967, l’héroïne de Belle de jour rayonnait sur la scène du Palais du Festival, quand le film de Luis Bunuel obtint le Lion d'Or en 1967. Actrice de charme, grande dame du cinéma français, là voilà de l'autre côté de la barrière, qui pourra à son tour juger et récompenser ceux des films qui mériteront de l'être ! 
 
C'est encore une manière de récompenser le cinéma français qui a toujours été très apprécié et fêté sur la Lagune. De mémoire, la Mostra a toujours été (surtout depuis la reprise du festival après la guerre), une manifestation où le cinéma hexagonal est fêté, adulé et le plus souvent récompensé.
 
posted by lorenzo at 16:48

23 juin 2006

Un monde

Jean Lorrain disait de Venise : "Autrefois auberge de rois, maintenant auberge de fous". Venise est un mystère, sa puissance, son architecture, sa politique, son déclin... 

Les haines qu'elle a suscité et, aujourd'hui encore, la fascination qu'elle exerce, tout procède de ce mystère. Mes cinq années d'apprentissage sur la lagune m'ont appris à vivre. 

Venise m'a enseigné l'amour du beau, le sens du silence, la valeur du temps et si la nécessaire pérennité des valeurs qui font les empires n'est nulle part ailleurs qu'ici mieux démontrée, j'y ai compris combien l'homme doit rester modeste et accepter de voir avec humilité l’œuvre de sa vie vaciller, voire s'effondrer, et reconstruire comme les vénitiens n'ont jamais cessé de le faire, avec leur ville et leur civilisation. 

C'est à ce prix qu'ils ont pu tant donner au monde. Pour notre plus grand bonheur.
posted by lorenzo at 06:44

22 juin 2006

21 juin 2006

Grazie a Mark Trevis


Je viens de découvrir sur Yahoo un lien (daté de novembre dernier) vers un post de Mike Trevis, le chercheur vénitien spécialiste de la restauration des monuments qui anime plusieurs sites dont le sublime VeniceMap qui est un de mes sites favoris. Voilà, in extenso, sa citation. Merci à lui pour cet aimable coup de pouce (en italien) et que Vive Venise !
  TraMezziniMag E’ un blog, scritto prevalentemente in francese da Lorenzo, che si complimenta con me di Vene-map e mi invita ad andare a vedere il suo sito, invito che vi giro. Particolare il nome : Tramezzini Mag, quale nome più appropriato per un magazine su venezia e dintorni?
  Per chi non lo sapesse infatti noi Veneziani/Mestrini siamo famosi (o crediamo di esserlo) per i nostri tramezzini. E se non li avete mai visti dei veri tramezzini (… provvederò al più presto ad inserire una adeguata foto, su google non ce ne sono…) non pensate ai piatti tramezzini che vi vendono nel resto d’Italia, ma ad un gonfissimo triangolo pieno degli ingrdienti che preferite (porchetta, tonno e uova, tonno e cipolle, prosciutto e funghi…) accompagnati dalla giusta quantità di maionese.
   Com’è che in questi giorni mi ritrovo a parlare di cibo? Non so… ma se venite a Venezia un tramezzino di questi ve lo dovete mangiare.

par Miketrevis
posted by lorenzo at 23:51

19 juin 2006

Le roi des chats est vénitien

J'habitais en ce temps-là à Venise, un petit appartement, modeste et tranquille, au deuxième étage d'une très vieille maison dressée depuis plusieurs siècles entre un canal et un campiello où poussait une herbe drue comme à la campagne. La maison était toute tordue et un jardinet que personne n'entretenait jamais la séparait du canal. Mes fenêtres donnaient sur le jardin. Je n'en avais que trois, la quatrième, bloquée par des siècles de poussière, ne s'ouvrait plus et avait été condamnée par des panneaux de bois. Il y avait en contrebas une terrasse étroite couverte de marbre qui avait dû servir au temps de la jeunesse de cette noble demeure, de salon d'été. Un lieu idéal pour far niente. Ces détails plus loin seront utiles au lecteur, c'est pourquoi je m'y attarde. On pouvait accéder à cette terrasse par un e calier de pierre qui partait du jardin. Une vieille porte pratiquée dans le mur donnait dans la ruelle, un passage étroit appelé calle delle Spezier qui débouchait sur un pont. Une jolie patricienne devait certainemnt autrefois s'asseoir sur ce balcon romantique.
 
Eclairé donc par trois fenêtres garnies de géranium et de lierres, ce petit appartement avec son mobilier désuet m'avait plu dès le premier coup d’œil. J'étais arrivé à Venise au mois de février, quelques jours avant le carnaval, et la vie d'hôtel ne me convenait en rien. Il faut vous dire que déjà à cette époque j'exerçais le difficile métier d'écrivain. En fait j'étais journaliste et prétendais déjà, avec mes deux livres publiés, être du monde des lettres.
 
Mon hôtesse (l'auberge était à l'entrée du Ghetto, près du pont de Tre Archi), une forte femme entourée de bambins roux très affectueux, chez qui je logeais depuis mon arrivée, me proposa de louer un appartement chez une vieille dame qui ne voulait pas rester seule dans sa grande maison. Son dernier locataire, un peintre australien avait subitement décidé de s'installer à Rome. L'annonce venait d'ailleurs de paraître dans le journal, "propriétaire loue à personne de confiance appartement meublé deux pièces tout confort douche deuxième étage quartier du Ghetto petit loyer chauffage prix convenable libre de suite". Elle m'y emmena le lendemain. C'était un magnifique jour de printemps comme Venise en a le secret. Tout semblait transformé tant la lumière était joviale et chaude. La propriétaire, une très ancienne vénitienne, m'accueillit très gentiment. Visiblement je lui plaisais. Nous nous mimes d'accord très vite. Un escalier de bois menait à l'étage qui m'était dévolu. Je m'y installais le jour même. Je n'avais qu'une malle, arrivée de France quelques jours plus tôt, mes pipes et ma vieille machine à écrire. Bref, j'étais heureux : vivre à Venise, enfin et pouvoir écrire. J'arrangeais ce petit nid et entrais dans ma nouvelle vie avec l'allégresse d'un jeune marié.
 
Hélas, entre mon géranium, le charmant petit canal et le lourd mobilier de la vieille dame, je n'arrivais à rien. Pas une ligne. Le néant... Les feuilles de papier froissées remplissaient la corbeille, traînaient sur le bureau, par terre sur le tapis. Je n'arrivais pas à écrire. Le printemps était arrivé sans que je m'en doute. le jasmin fleurissait. En bas dans le jardin, contre le mur, une glycine montrait ses premières grappes parfumées et l'air se faisait plus léger. Je n'arrivais pas à écrire. La tête entre les mains, je maudissais cette machine d'où rien ne sortait. Ce stylo dont l'encre s'éparpillait et ne servait à rien. Bref, mon esprit était désespérément vite et mon éditeur, certainement, allait suspendre ses mandats... Mais vint un jour où tout commença d'être différent.
 
Ce jour-là (il devait être midi), le soleil qui brillait depuis le matin avait chauffé la pierre qui sentait bon le printemps. Le canal vibrait de mille reflets typiques. Comme à mon habitude, je fumais ma pipe accoudé à l'une des fenêtres. Je remarquais un chat, assez jeune, l'air bonhomme, installé juste en face de moi, entre les grands pots de terre que la vieille dame entreposait sur la terrasse. Il semblait dormir mais de temps à autre regardait dans ma direction. Il n'avait pas l'air farouche ni effrayé. Plutôt indigné de me voir ainsi prostré, avec ce beau soleil et ces parfums nouveaux...
 
Il m'agaçait presque, ainsi établi, me dévisageant d'un œil critique, avec cet air tranquille de ceux qui savent et dont la conscience est en paix, le cœur au repos et le ventre bien plein. Le lecteur se moquera, mais ce chat semblait vraiment m'observer et son regard narquois était celui d'un juge. La journée passa ainsi. Le chat étendu sous le soleil et moi, devant ma page blanche, las et bien triste. Vers cinq heures (j'étais dans la cuisine occupé à préparer du thé - rite important dans ma journée), je le retrouvais, sans gêne, en train de se lisser le poil des pattes sur le rebord de ma fenêtre, près du pot de géranium ! J'avais envie de l'envoyer promener. S'installer ainsi chez les gens, les espionner en ricanant... "Quel drôle de chat !" pensai-je en fermant la fenêtre au risque de le faire basculer par dessus bord.
 
Je ne tenais plus en place. La lettre tant redoutée était arrivée, explosive et définitive : mon éditeur suspendait ses mandats. Il attendait depuis trois mois un manuscrit que mon contrat prévoyait. Je devais prendre l'air. Un prosecco au café de l'Horloge, sur le campo Sta Maria Formosa, au-dessous de la maison du vainqueur de la bataille de Lépante, me remonterait le moral. Ah, si seulement je trouvais un thème, le schéma de départ, tout le reste viendrait ensuite. Mais rien, le vide, le noir, le trou. Le soleil était presque trop chaud. Nous étions le quatorze avril. En descendant l'escalier, je croisais la vieille dame. Elle m'accapara un long moment, s'inquiétait pour son neveu très malade, réprimandent les politiciens qu'elle rendait responsable des grèves et des attentats. L'appel d'une voisine me libéra. Enfin.
 
Atmosphère tranquille de la place. Des enfants qui jouent, les étals des marchands de fruit, un brocanteur et un marchand de cassettes. Voilà le décor planté pour ma mélancolie du jour. L'arrivée d'étudiants bruyants me fit fuir le café sitôt mon verre avalé. Mes pas me portèrent vers les Zattere. Je traînais deux heures, allant au hasard. Au détour d'une ruelle, près des Carmini, j'aperçus sur la margelle d'un puits un chat qui me regardait. Il ressemblait comme deux gouttes d'eau à celui que j'avais chassé du rebord de ma fenêtre le matin. Il avait l'air narquois, hautain même. Etait-ce cette présence ? mais je décidais de rentrer pour me remettre au travail. Tous les chats que je croisais semblaient me connaître et tous me toisèrent. Certains allèrent jusqu'à se retourner sur mon passage, notamment une vieille chatte blanche, calle della Mandorla, qui me suivit un moment...
 
à suivre
posted by lorenzo at 20:48

17 juin 2006

Adieu, Emporio Pettenello !

Il y avait naguère sur le campo Santa Margherita une boutique peu ordinaire qui faisait le délice des enfants... Cela pourrait être le début d'une nouvelle. Une belle et longue histoire en tout cas.
 
Depuis 1899, la famille Pettenello tenait sur la place le magasin de jouets le plus célèbre de la ville. Aucun jeune vénitien n'ignorait les trésors que recélait cette boutique un peu sombre. Aucun ne pouvait dire ne pas avoir été un jour chez Pettenello. On y trouvait de tout depuis toujours. Des jouets à la mode mais aussi des classiques d'autrefois. Dans ses larges vitrines, tout un univers magique se déployait attisant la convoitise des petits vénitiens. Jouets de tous les temps et en tout genre. Ses tiroirs et ses cartons regorgeaient de merveilles : billes multicolores, sifflets et crécelles, pétards, petites voitures et boîtes de soldats, poupées en tout genre, peluches, batteries de cuisine en miniature et dînettes comme en vrai... A la bimbeloterie et aux parfums s'ajoutaient des jeux de société, des déguisements, des découpages ou des pochettes surprise... Il y avait de tout vraiment, des objets de grand prix à faire rêver les enfants les plus gâtés jusqu'aux babioles à trois sous pour les petits porte-monnaie. 
Derrière le comptoir garni de boites et de cartons, trônaient Madame Pettenello et sa fille Béatrice, aidées parfois par des vosiines où même des petits habitués très connaisseurs. C'est Beatrice justement qui est à l'origine, à son corps défendant, de la fermeture définitive de l'Emporio Pettenello. La disparition d'une institution vénitienne, considérée par certains au même titre que le Florian ou le Harry's bar n'est absolument pas un évènement anodin ici. Comme dans ce délicieux petit film avec Tom Hanks et la jolie Meg Ryan où cette dernière, libraire passionnée, est obligée un jour de tirer le rideau ("you got mail"). Ruinée par une grande surface, l'héroïne laisse sur la porte un joli message destiné à ses jeunes clients... Mais sur le campo Sta Margherita, ce n'est pas de concurrence et de mauvais résultats dont il s'agit. Le choix de cette fermeture est une libre décision mûrement réfléchie sans raison financière. Tout allait bien pour ce commerce mais plus vraiment pour l'héritière de la maison. Elle a eu envie d'autre chose et après avoir cherché en vain un repreneur qui aurait continué l'activité et le mythe (on ne s'improvise pas marchand de jouet et ami des enfants, il faut être un peu poète, un peu Peter Pan, très patient et très inventif, avec les yeux qui pétillent comme le regard des enfants quand le nez écrasé contre la vitre ils rêvent d'un avion, d'un bateau ou une poupée !), il ne restait comme solution que la fermeture définitive. Le rideau est donc tombé sur plus de 100 ans d'histoire, quelques semaines après Pâques. Le temps de liquider les stocks et de faire toutes les démarches administratives. Le rideau est tombé. Il aura fallu quinze jours seulement pour que les barbares qui sévissent aussi à Venise s'emparent de la façade et la couvre de tags d'une laideur déconcertante. Cette verrue accentue la tristesse de ceux qui ont fréquenté cette délicieuse boutique.
C'était début décembre, Beatrice Pettenello avait surpris tout Venise en annonçant la fermeture prochaine du magasin. "J'ai fait mon choix" déclara-t-elle aux journalistes du Gazzettino "à trente ans passés j'ai envie de faire autre chose, nous avons cherché un repreneur mais personne ne s'étant présenté, nous fermons". Devant la déception des enfants et de leurs parents, elle a écrit avec Lilli, sa mère, une très belle lettre qui méritait d'être publiée. c'est ce qu'on fait les journaux. En voici une traduction :
"Chers enfants et chers amis de la Maison Pettenello, c'est un devoir pour moi comme pour ma maman Lilli de nous adresser à vous. Même si le magasin ne fermera pas tout de suite et que nous vous accompagnerons pour Noël, l'Epiphanie et le prochain carnaval, nous voulions vous dire un adieu amical et sincère. Nous vous remercions pour l'affection et la sympathie que vous ne cessez de nous démontrer ces jours-ci comme vous l'avez fait pendant toutes ces années. Nous voulons saluer particulièrement tous nos petits clients, ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui. J'aimerai leur raconter tellement d'histoires dont ils ont été les vrais protagonistes mais il n'y aurait pas assez de pages dans les journaux pour tout dire. Sachez simplement que vous, tous nos clients, et surtout vous les enfants, demeurerez nos plus chers souvenirs. C'est en 1899 que mon grand-père débuta cette merveilleuse histoire dont vous avez toujours été partie prenante : en achetant, en pleurant, en riant, en jouant chez nous et en grandissant. Certains d'entre vous n'hésitaient pas à venir travailler avec nous derrière le vieux comptoir, d'autres revenaient avec leurs enfants, leurs petits-enfants. Voilà que maintenant cette belle histoire va se terminer non pas parce que des méchants ont gagné ou parce que l'auteur est fatigué de l'écrire. Mais parce que, comme toutes les belles histoires il faut conclure avec la formule "ils vécurent heureux et satisfaits" et c'est là que commence une nouvelle histoire. La mienne."
Après tant d'années passées derrière ce fameux vieux comptoir que j'ai connu enfant, puis adolescent et que mes enfants ont bien aimé aussi, Beatrice, en dépit de sa tristesse et de celle des enfants de Venise, a choisi de s'envoler vers de nouvelles aventures comme elle le confiait à la journaliste Daniela Ghio en décembre dernier. Pour réaliser ses propres désirs enfermés depuis des années au fond d'un tiroir du magasin, elle a dû sacrifier l'activité familiale et mettre un terme à un pan de l'histoire de sa famille comme de Venise. "J'ai fait ce métier avec beaucoup d'entrain et d'amour pendant toutes ces années, aujourd'hui, à trente ans, j'ai envie de reprendre mes études là où je les ai laissé quand ma mère m'a demandé de l'aider au magasin. Lilli va pouvoir jouir d'une retraite amplement méritée... J'espérais que quelqu'un voudrait bien reprendre l'activité mais je n'ai pas trouvé hélas !..."
Aujourd'hui, tout cela fait partie du passé. Beatrice a repris ses études. Sa maman profite de sa retraite. le magasin est toujours fermé et les enfants sont un peu tristes. Les glaces de Renato Causin, juste en face les consolent un peu plus chaque jour. C'est ainsi que va la vie n'est-ce pas.
"J'ai fait un rêve papa" me disait ma petite dernière, en apprenant la nouvelle, "tu reprends Pettenello, on arrête de vivre ailleurs qu'à Venise. Rien ne change, et il y a plein de jouets de partout et tous les enfants viennent acheter leurs jouets chez toi et il y aurait des sucres d'orge, des bonbons, des poupées, des marionnettes et des déguisements incroyables et nosu on t'aide et on tous les jouets du monde"... Comme elle a raison. Son rêve est très beau... Le vieux comptoir de bois ciré, les étagères et les casiers débordant de merveilles, les vitrines éclairées les soirs d'hiver quand Noël se prépare avec les grappes d'enfants collées devant les trésors derrière les vitres. Le paradis des enfants, un lieu hors du temps...
posted by lorenzo at 23:10

14 juin 2006

"Allez-y si vous voulez, moi je reste là !"

 
© copyright Claire Normand - 2006 

posted by lorenzo at 21:29

Bon, on y va les gars ?...

... au lieu de papoter.


© copyright Claire Normand - 2006
 
posted by lorenzo at 21:25

La Chine exporte ses algues


Décidément 2006 est l’année de la Chine à Venise. Après la verroterie et les dentelles made in China, le cinéma et la nourriture, la Chine a fait un cadeau empoisonné à la Sérénissime : les algues géantes. Les bonnes vieilles algues puantes des canaux vénitiens ne sont plus celles d’avant. On ne s’en est pas vraiment rendu compte, mais les rives de la Cité parlent chinois dorénavant.
 
Car depuis une bonne dizaine d’années, ces algues de Venise dont le monde parle en se bouchant le nez avec des grimaces très significatives, sont en réalité un produit d’importation, une imitation parfaite fabriquée en Chine, infiltration sournoise. Due au hasard certainement mais qui se montrent aujourd’hui en grand nombre et au grand jour. Mammamia, le péril jaune envahit Venise ! De février à juin, la terrible Undaria pinnatifida se répand, se reproduit et s’étale…

On accuse déjà la France, d’où serait venue en 1992 une pauvre huître porteuse, à l’apparence innocente, qui transportait sous sa coquille la terrible ogresse chinoise. Avec les frontières si poreuses de l’espace Schengen, aucun douanier n’a vérifié ce qu’elle transportait, la bougresse ! Depuis, elle est l’espèce dominante partout sur la Lagune, surtout à Venise et à Chioggia… Mais ne vous fiez pas à son origine. Il ne s’agit pas d’une contrefaçon, d’un ersatz. Fabrication soignée, bonne tenue, chinoise certes, un peu exotique mais bon, répondant tout à fait aux critères attendus : l’odeur – nauséabonde-, l’aspect non pas jaune mais vert amande à l’œil nu et gluant. Tout en elle dénote une authentique recherche de style qui confirme bien son origine orientale. Et puis que voulez-vous, c’est ainsi, les algues de chez nous n’avaient qu’à mieux se tenir et apprendre à résister à l’envahisseur. Il ne manque plus qu’à la parfumer au santal ou à l’ambre mais cela finirait de dénaturer complètement Venise, puisque l’odeur de ses canaux… 
Mais trêve de plaisanterie, cette demoiselle japonaise (en fait comme il sied à un sujet du Mikado, native du Japon elle a d'abord colonisé volontairement les eaux chinoises à l'invitation des autorités de Pékin) n'est pas n'importe qui. Arrivée par hasard avec un naissain d'huitres, elle intéresse beaucoup de monde par ses qualités nutritives. Très riche - en fait l'une des algues les plus riches en composants nutritionnels - elle apporte peut-être la solution aux problèmes alimentaires de l'humanité : Déjà, de nombreux laboratoires en vendent sous forme de pétales séchées, de comprimés ; en poudre aussi. Le seul inconvénient demeurant son odeur très forte. Mais lyophilisée, compactée, reconditionnée, on oublie ce qu'elle fut avant, entre deux eaux...
Aussi paradoxal que cela puisse paraître aux vénitiens, notre demoiselle algue est cependant reconnue comme espèce menacée car si elle s'implante facilement en mer ouverte autant que dans les lagunes, les lacs et les étangs, elle demeure fragilisée par la pollution des eaux. Bref, quand vous serez à Venise, même en tordant le nez devant son peu délicat parfum, ne lui en voulez pas, soyez indulgent. Et après tout, après le sel, les épices, les soieries, les algues seront peut-être la solution naturelle au renouveau de l'économie vénitienne...
posted by lorenzo at 20:56

11 juin 2006

Cher Vaporetto

Lu dans le Gazzettino de ce dimanche une information qui dénote l'état d'esprit actuel à Venise. Rien n'est vraiment contre les touristes, mais on a pris conscience de l'imminence d'une catastrophe si rien n'est fait en grand et avec suivi pour canaliser les flots de visiteurs et retenir le peu de vie active et de vie normale dans la Cité des Doges.
Pas un centime en plus ou en moins pour les vénitiens, mais les touristes eux vont faire les frais de l'augmentation des tarifs sur une ligne. Une hausse des prix faite rien que pour eux. Non pas par discrimination, enfin, si un peu : ceux qui s'entêtent à prendre d'assaut la ligne 1 se verront demander 8 euros au lieu de 5 pour pouvoir monter à bord. Il ne s'agit pas, selon la Ca'Farsetti (la Mairie), de pénaliser les visiteurs, mais de réduire le volume des passagers de cette ligne de transport qui devrait être réservée aux vénitiens qui vivent et travaillent à Venise. Vu qu'à ce jour, aucun des moyens mis en place pour dissuader les touristes d'utiliser cette ligne "professionnelle" n'a fonctionné, la municipalité vise au cœur : le portefeuille. Ce sera peut-être 7,5 ou 9 euros, on ne sait pas encore. Mais l'idée est de rendre évident que la ligne 1 trop chère est à délaisser pour les autres lignes, comme la 4, la 3 ou la 82. La décision est prise. Il ne reste plus qu'au Conseil de délibérer, ce sera chose faite le 30 juin. Ainsi en ont décidés hier l'Assesseur au tourisme, l'Avocat Augusto Salvadori, l'Assesseur à la Mobilité Enrico Mingardi, le Président de l'ACTV Marcello Panettoni, après un entretien au Palazzo Cavalli. Comme l'a dit Salvadori : "È una battaglia per la vivibilità" / c'est une bataille pour la vivibilité (sic). 
posted by lorenzo at 21:37

08 juin 2006

Marcel Proust écrit sur Venise, genèse de la Recherche

En 1919, Marcel Proust faisait paraitre un texte sur Venise dans le quatrième numéro des Feuillets d'Art, qu'il reprendra plus tard, revu, modifié, corrigé dans A La Recherche du Temps perdu. Je vous en livre quelques lignes, telles qu'elles parurent cette année-là.
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… Le soir, je sortais seul, au milieu de la ville enchantée où je me trouvais au milieu de quartiers nouveaux comme un personnage des Mille et Une Nuits. Il était bien rare que je ne découvrisse pas au hasard de mes promenades quelque place inconnue et spacieuse dont aucun guide, aucun voyageur ne m'avaient parlé. Je m'étais engagé dans un réseau de petites ruelles, de calli divisant en tous sens, de leurs rainures, le morceau de Venise découpé entre un canal et la lagune, comme s'il avait cristallisé suivant ces formes innombrables, ténues et minutieuses. Tout à coup, au bout d'une de ces petites rues, il semblait que dans la matière cristallisée se fût produite une distension. Un vaste et somptueux campo à qui je n'eusse assurément pas, dans ce réseau de petites rues pu deviner cette importance, ni même trouver une place, s'étendait devant moi entouré de charmants palais pâles de clair de lune. C'était un de ces ensembles architecturaux vers lesquels, dans une autre ville, les rues se dirigent, vous conduisent et le désignent. Ici, il semblait exprès caché dans un entrecroisement de ruelles comme ces palais de contes orientaux où on mène la nuit un personnage qui, ramené chez lui avant le jour, ne doit pas pouvoir retrouver la demeure magique où il finit par croire qu'il n'est allé qu'en rêve.
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Le lendemain je partais à la recherche de ma belle place nocturne, je suivais des calli qui se ressemblaient toutes et se refusaient à me donner le moindre renseignement, sauf pour m'égarer mieux. Parfois un vague indice que je croyais reconnaître me faisait supposer que j'allais voir apparaître, dans sa claustration, sa solitude et son silence, la belle place exilée. À ce moment, quelque mauvais génie qui avait pris l'apparence d'une nouvelle calle me faisait rebrousser chemin malgré moi et je me trouvais brusquement ramené au Grand Canal. Et comme il n'y a pas, entre le souvenir d'un rêve et le souvenir d'une réalité de grandes différences, je finissais par me demander si ce n'était pas pendant mon sommeil que s'était produit dans un sombre morceau de cristallisation vénitienne cet étrange flottement qui offrait une vaste place, entourée de palais romantiques à la méditation du clair de lune.
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Quand j'appris, le jour même où nous allions rentrer à Paris, que Mme Putbus, et par conséquent sa femme de chambre, venaient d'arriver à Venise, je demandai à ma mère de remettre notre départ de quelques jours ; l'air qu'elle eut de ne pas prendre ma prière en considération ni même au sérieux, réveilla dans mes nerfs excités par le printemps vénitien ce vieux désir de résistance à un complot imaginaire tramé contre moi par mes parents (qui se figuraient que je serais bien forcé d'obéir), - cette volonté de lutte, désir qui me poussait jadis à imposer brusquement ma volonté à ceux que j'aimais le plus, quitte à me conformer à la leur, après que j'avais réussi à les faire céder. Je dis à ma mère que je ne partirais pas, mais elle, croyant plus habile de ne pas avoir l'air de penser que je disais cela sérieusement ne me répondit même pas. Je repris qu'elle verrait bien si c'était sérieux ou non. Et quand fut venue l'heure où, suivie de toutes mes affaires, elle partit pour la gare, je me fis apporter une consommation sur la terrasse, devant le canal, et m'y installai, regardant se coucher le soleil tandis que sur une barque arrêtée en face de l'hôtel, un musicien chantait "sole mio"…
Marcel Proust
Extraits de « à Venise »
in Feuillets d'Art , n°4, 15 décembre 1919, pp. 1-12

03 juin 2006

COUPS DE CŒUR N°6

Johannes Brahms
Sonates pour piano, Variations et Fugues, 
Anatol Ugorski, piano
Deutsch Gramophon, 
1997.
 Entendu l'autre jour à la radio une chose extraordinaire : La chaconne en ré mineur de la partita BWW 1004 en ré mineur de Jean Sebastien Bach, transcrite par Brahms pour la main gauche interprétée – célébrée – par Anatol Ugorski. Magistral ! Le disque longtemps resté indisponible chez Deutsche Gramophonn, (car l'interprète a eu quelques soucis de santé et la maison de disques n'avait réédité que son interprétation de pièces de Messiaen). Je viens de le trouver en Import, toujours dans la même maison de disques mais avec une couverture différente. Deux CD magiques. Ecoutez cette interprétation incroyable de la grande chaconne transcrite par Brahms, qui devait travailler sa main gauche et n'arrivait pas à avancer dans la composition de ses symphonies, vous verrez c'est simplement sublime.

01 juin 2006

Journal d'un adolescent - juin 1982

1er juin 1982, 10 heures. 
Doux soleil sur la lagune. La barque a glissé doucement sur les canaux tranquilles. Il faisait un peu frais ce matin mais le soleil maintenant éclate comme en été. presque trop chaud. Nous voguons vers le Lido. Des motoscafi nous croisent, un cargo grec vient de saluer la ville en entrant dans le chenal. Ou bien était-ce nous qu'il honorait au passage ? Des pêcheurs nous encouragent en agitant leur casquette. Impression incroyable que celle qui nous saisit à chaque fois, lorsque debouts sous le soleil de l'Adriatique, nous voguons. Nos corps, dans un rythme identique, impeccable harmonie dont nous sommes fiers, avancent et reculent en suivant le mouvement de nos rames. Le glissement de la barque sur l'eau me rappelle un bruit de soie froissée. L'image d'une jolie fille en robe de bal me vient en mémoire. Etait-ce ici à Venise ou autrefois, dans ces improbables soirées bordelaises où nous nous enivrions d'odeurs et de sensations, persuadés d'être les rois d'un monde merveilleux protégé et immuable ? La chaleur nous envahit et décuple nos forces. Nous avançons, tendus dans l'effort. Mon coéquipier pousse des "han, han" auxquels répondent le bruissement de nos rames sur les forcole ; un rictus presque méchant déforme son visage. Il transpire. Comme lui, je suis en nage. 

J'aime cette sensation quand l'effort est extrême, presque sensuel et qu'enfle en nous cette sensation de plénitude. Le vent, toujours présent à cet endroit de la lagune, comme une caresse rend nos mouvements plus légers. Nous approchons du Lido. Le ciel est incroyablement bleu. Nous accostons près du cimetière juif, là où le ponton de bois est un peu en pente. Au retour, nous utiliserons le moteur. 

Notre bon pupparin amarré, nous sautons à terre, les jambes un peu douloureuses et remontons par les avenues qui longent les immeubles sans beauté, près de l'hôpital. Il y a sur ce chemin une patisserie où nous allons trouver de quoi récompenser notre effort. Les meilleures tartes aux amandes de toute la lagune. Des sortes de petits paniers en pâte sablée tendre à souhait remplie de cette pâte sucrée, parfumée avec les morceaux d'amande qui fondent dans la bouche... 

Nous avons rendez-vous avec Julia et Marina qui ont dormi sur place, dans la maison d'une tante de Marina, partie pour Milan. Il y aura aussi ce garçon anglais que j'aime beaucoup. Son père est de Venise et sa mère de Londres. Il est intelligent, beau, raffiné et aime, comme nous voguer sur la lagune et se baigner la nuit au Lido. Il sort avec une fille gentille qui aimerait retourner avec lui à Londres mais qui devra attendre de finir ses études. 

La maison est dans un désordre inimaginable. Il fait tellement chaud que toutes les fenêtres sont ouvertes. les rideaux volent au vent. C'est beau comme une image de film.

Une chanson de Tom Waits nous accueille. Après un verre de vin blanc bien frais, nous partons pour les murazzi. Ce sera notre première baignade. L'eau est fraîche. 

De nombreux baigneurs nous ont devancé pourtant. Les rochers sont chauds et parfumés comme en été. Près de nous, deux très jeunes garçons nus, plongent et replongent en riant. 

Incroyable sensation de plénitude. Comme une journée de plein été. 

Nous regagnons Venise vers 19 heures. Le moteur ronronne, les avirons gisent sous nos pieds. Éreintés, nous parlons peu. Federico a pris un coup de soleil sur le nez. Anna et sa sœur Graziella rentrent avec nous. Il fait doux. La lagune est remplie d'odeurs sucrées. L'eau est d'un vert d'émeraude. "Une lumière de cinéma" dit Federico. 

Dîner ensuite au Paradiso Perduto, après avoir retrouvé les autres au baretto, à Santa Margherita. Antonio le serveur est en pleine forme. Il est aux petits soins et nous rejoint dans la salle du fond. 

Il voudrait que j'aille écouter son groupe, Death in Venice. Il voudrait bien davantage aussi ce me semble. Federico et les autres se moquent de ma tête quand il me fait comprendre son attirance et que je reste la bouche ouverte. Mais qu'ont-ils tous ?

Tout le monde a un peu bu. Les filles sont belles. J'ai la tête qui tourne.

Tom Waits encore en fond sonore. Blue Valentine... Comme un générique pour illustrer notre journée sur la lagune. Demain, les premiers certificats de la maîtrise. A la grâce de Dieu.