22 août 2006

Alerte rouge à Santa Maria Zobenigo


La très particulière église Sante Maria del Giglio, en vénitien Zobenigo, située près du Gritti, sur le campo qui porte son nom, entre San Marco et Santo Stefano, fait la une de l'actualité ce matin : son état devient plus qu'alarmant et l'un des principaux autels supportant une des magnifiques peintures du Tintoret menace de s'écrouler... 

Des dommages de plus en plus difficilement réparables font de cette très belle petite église, célèbre pour sa façade ornée de bas-reliefs représentant les places-fortes que tenaient Venise en terraferma, mais aussi pour son magnifique Rubens et ses Tintoret, un nouveau lieu de curiosité pour les touristes et les vénitiens effarés par ce qu'ils découvrent en y pénétrant. Le recteur de la paroisse, Monseigneur Gino Bortolan, vient d'ailleurs d'alerter solennellement le surintendant aux Beaux Arts et le monde entier, devant la recrudescence de la "chute des marbres".
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C'est le premier autel de gauche qui a été endommagé, celui-là même qui fut commandé par Francesco Duodo victorieux commandant des galères de la Sérénissime République à la bataille de Lépante. Orné de la célèbre toile représentant le Christ avec Sainte Justine et Saint François de Paul, œuvre importante de l'artiste réalisée en 1592; présente de graves fissures Depuis dimanche les gens défilent dans l'église pour se rendre compte de la situation et certains font même des propositions financières. Mais, il faut maintenant qu'interviennent les services publics afin de déterminer la cause des dommages et les moyens à mettre en œuvre pour sauver cette église presque menacée aujourd'hui d'effondrement.
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Depuis quelques années les paroissiens eux-mêmes, leur curé en tête avaient proposé de financer les travaux de restauration mais les services municipaux avaient décliné l'offre... Sans commentaire ! Après le baptistère quasiment écroulé, s'ajoute donc maintenant l'autel du Tintoret, sans parler des marches et des gradins des autres autels dans un état de consumation avancée. "Église ou cimetière de guerre ?" se demandait ce matin dans le Gazzettino la journaliste Titta Bianchini







 
posted by lorenzo at 12:41

I Sfrattai

A Venise depuis les années 50, le problème du logement est un souci pour un grand nombre (la majorité ?) de vénitiens. Derrière les façades des palais appartenant à de grandes familles à l'Etat italien ou à des entreprises de toutes nationalités, souvent "saucissonnées" en appartements (depuis plusieurs centaines d'années, la plupart du temps), il y a l'habitat urbain moyen.
Immeubles de location, propriétés familiales transmises depuis la nuit des temps, maisonnettes sans autre cachet que la patine des lieux, ces immeubles composent la majorité de l'habitat urbain vénitien. Y faire des travaux n'est pas une sinécure, trouver l'argent pour les financer, une entreprise herculéenne... Alors depuis la fin de la guerre surtout, la plupart des vénitiens ont dùu abandonner leur chez-eux pour aller loger sur la Terre-Ferme, à Mestre, parfois encore plus loin : Mogliano, Conegliano, Padoue... Bon nombre de ces immeubles sont restés à l'abandon, le coût des travaux étant souvent diabolique et les contraintes administratives très lourdes, la plupart des propriétaires n'a pas eu d'autre choix que de laisser en l'état un habitat parfois multi-centenaire. Les difficultés économiques de l'après-guerre avaient aussi amené les différents gouvernements à bloquer les loyers. Ne pouvant pas compter sur des revenus suffisants pour leur permettre de financer la rénovation des appartements, les propriétaires ont souvent préféré perdre leurs locataires et condamner les maisons en attendant un hypothétique changement de politique gouvernementale. 

Quand celui est effectivement arrivé, une libéralisation que l'on croyait rendue nécessaire par l'état préoccupant du parc immobilier, a créé cette nouvelle catégorie de vénitiens : i sfrattai (les expulsés) : les propriétaires pouvaient envisager de percevoir une aide de l’État pour la restauration de leurs biens immobiliers sous certaines conditions. Les prix ont grimpé à une vitesse vertigineuse, le m² à San Marco ou à Dorsoduro devenant aussi cher que le centre de New York, les Champs Élysées ou Hong Kong... Les vénitiens sans grands moyens n'ont pas pu rester locataires devant la libération des loyers, les candidats à la propriété n'ont pas pu acheter leur appartement. Mestre et les banlieues environnantes ont enflé. 
Aujourd'hui, le mal est fait, presque 80% des logements rénovés sont vendus à de riches étrangers, à des entreprises. Beaucoup deviennent des gîtes plus ou moins luxueux loués en permanence et de préférence pour de courtes durées aux touristes du monde entier, des palais entiers deviennent le show-room d'entreprises internationales florissantes en mal de prestige (comme les grandes propriétés du Médoc et de Saint Émile) et Walt Disney comme Las Vegas s'intéressent à ce qui pourrait devenir dans les cinquante ans à venir un eldorado pour milliardaires et incentives où les derniers rescapés de la civilisation vénitienne ne seront que garçons de café ou femmes de chambre. Vous vous souvenez, ces paroles prophétiques de l'Archiduc Otto de Habsbourg (prononcées certes dans un autre contexte - au Parlement européen - mais qu'il aurait pu répéter lors de ses nombreux séjours dans la ville) : 
"si nous ne réagissons pas, nos enfants deviendront les garçons de café des touristes des super-puissances".
Voilà la signification de la légende de ce t-shirt en vente chez mes amis de Venessia.com

17 août 2006

Le Cotentin comme une île

Le Cotentin comme une île m’éloigne de mon quotidien... Un climat plus difficile ou l’aléatoire beau temps soulève des cris de joie lorsqu’il daigne se présenter et réchauffer nos virées à la plage. Il y fait très calme et le cri des mouettes se mêlant au braiement des ânes dans le pré voisin remplace assez avantageusement chaque année le bruit des moteurs sur le Grand canal et la rumeur des foules sur les Esclavons.
L’ADSL n’étant encore qu’une légende dans le village où nous déposons chaque année nos bagages, je ne puis alimenter aussi régulièrement que je le souhaiterai mes blogs. Lorsque Constance, ma dernière va faire sa promenade équestre hebdomadaire à Coutainville, j’en profite pour me rendre à Coutances, la jolie petite ville voisine, où un cyber-café me permet de reprendre mes chroniques. Mais, que mes lecteurs se rassurent, je serai de nouveau devant mon clavier la semaine prochaine : prochain article, le 22 août 2006
posted by lorenzo at 14:41

La tour de l’horloge après dix ans de pérégrinations

Il aura fallu plus de dix ans pour que soit restaurée la superbe tour de l’horloge vieille de 500 ans. Pérégrinations en tout genre, procès et recours administratifs, incidents, conflits, grèves et rumeurs jusqu’à ce que, miracle digne de l’Evangéliste Saint Marc, patron de la ville, le monument puisse se montrer de nouveau au public venu nombreux le 27 mai dernier pour l’admirer dans sa splendeur originelle retrouvée.

Les travaux avaient pourtant été décidés en février 97. L’état pitoyable de la tour jamais rénové depuis l’occupation autrichienne nécessitait une intervention musclée. C’est sur un projet des architectes vénitiens Giorgio Gianighian, Matteo Pandolfo et Alberto Torsello que la municipalité se décida. Malheureusement, les méandres administratifs ne permirent l’attribution du chantier à l’entreprise Brandolin Dottor Group qu’en… juillet 2004 ! Pour compliquer la sauce, il faut savoir que la tour ayant plusieurs propriétaires, cette indivision a nécessité un certain nombre de réunions de copropriétés pour que tous les co-propriétaires puissent se mettre d’accord. Il y a eu ensuite une quantité incroyable de recours déposés par des artisans éconduits qui contestaient l’appel d’offre simplifié (sept ans pour que la décision soit rendue officiellement !) qui attribua les travaux à la société pressentie par les maîtres d’œuvre… Passons sur les nombreux contentieux entre les corps de métiers intervenant, les délais non respectés, les devis dépassés ou les matériaux non livrés.

Finalement, sous la férule de l’architecte Roberto Benvenuti, les travaux ont pu être menés à bien près de dix ans après la décision de la municipalité. L’horloge, réparée par Piaget depuis 1999, attendait bien sagement au Palais des Doges où elle fut exposée pendant quelques mois pour fêter le 500e anniversaire de son installation. On pu voir ainsi le mouvement restauré, ainsi que la cloche et les automates. Une polémique sur cette restauration anima quelque temps les conversations dans les bars vénitiens et amena le maire Massimo Cacciari à faire devant la presse une mise au point musclée qui fit taire les esprits chagrins toujours prompts à critiquer – parfois avec raison d’ailleurs – les initiatives des pouvoirs publics en matière de restauration et de protection de la cité des doges.

Mais tout semble bien s’être terminé comme le plus souvent ici. Giandomenico Romanelli, l’actuel directeur des Musées Civiques de la ville, se disait très satisfait du résultat et la foule des vénitiens présents le 27 mai dernier pour l’inauguration du monument. C’est Marco Balich, le chorégraphe vénitien qui organisa l’ouverture des Jeux Olympiques de Turin, qui mit en scène les retrouvailles de Venise avec sa tour, ses rois mages et ses maures resplendissants.

Car tout a été refait le plus possible à l’identique selon les plans, schémas, croquis, peintures et descriptions conservées dans les archives et les musées. Il a fallu revenir sur la restauration du XIXe qui avait voulu accentuer le côté renaissance du bâtiment en utilisant de lourds matériaux modernes, notamment pour la façade des briques vernissées d’un rouge Véronèse très théâtral mais totalement éloigné de l’esprit et de la technique d’origine. Exit donc les lourdes briques rouges. Des fondations à la toiture, en passant par les escaliers, les pavements, les encadrements de fenêtres, les pierres de la voûte, les encorbellements, tout a été refait. On s’est ainsi aperçu que les poutres qui soutenaient la voûte ne reposaient pratiquement plus sur rien et menaçaient vraiment de s’écrouler, risquant de faire s’effondrer le bâtiment, ce qui aurait pu coûter la vie à de nombreuses personnes et entraîner une partie des Procuratie par terre ! 

Un miracle que cela ait tenu jusqu’au bout. Mais Saint Marc n’est pas loin. Feu d’artifice, discours officiels, spectacle musical et chorégraphique, grand bal et festin, tout y était pour fêter ce magnifique travail mais beaucoup reste à faire : la piazzetta, consommée par les hordes de touriste est dans un état lamentable, l’ensemble des bâtiments de la piazza sont d’année en année défigurés par les déjections des pigeons, la zinguerie des façades et des toitures s’écroulent rognés par la rouille et les fientes et les nombreuses acque alte endommagent les fondations des bâtiments comme le pavement de la place. Mais nous en reparlerons avec le peu orthodoxe Ludovico de Luigi et son idée de Piazza San Parco.
posted by lorenzo at 14:37

03 août 2006

L'image du jour




Bonnes Vacances a tutti !
 
posted by lorenzo at 23:57

Il fauno allo scoglio

Je contemplais ce soir le petit faune de Augusto Murer que j'ai acheté en 1984, ma première œuvre d'art, à Venise. Je l'avais acheté sur les conseils d'Arbit Blatas à la galerie Graziussi où quelques mois plus tard je serai embauché. Toutes mes économies y étaient passées ! Devant cet élégant petit faune de bronze tiré à quelques exemplaires, c'est "The Day between" de John William, qu'il composa pour le film Stepmom (Ma Meilleure ennemie), qui me sauta à l'esprit. La délicatesse de la lumière sur les formes de ce merveilleux bronze me rappelait l'air du film. Une grande bouffée de nostalgie et en même temps une grande tendresse. 
Un joli titre, Le Jour entre deux. Mais entre deux quoi ? Entre hier et demain bien sûr. Entre une journée de travail avec sa cohorte d'appels téléphoniques, de paperasses à trier, de lettres à signer, et la journée de demain consacrée au voyage. car demain, je quitte Bordeaux pour rejoindre mes enfants en Normandie, dans notre vieille "maison de famille". Presque une journée de train ! Alors aujourd'hui est un de ces jours différents, où rien n'est vraiment comme hier ni comme demain. Demain sera une journée de lecture et de rêverie. Mansfield Park de Jane Austen m'accompagnera. J'aurai pu choisir un lourd roman de Dickens mais c'est davantage pour les voyages d'hiver, avec un chocolat chaud ou un vieux porto dans un compartiment bien clos. Non, demain ce sera Mansfield park avec une bonne tasse de thé (j'emmène toujours mon petit thermos à thé quand je voyage) et des Digestive, ces délicieux biscuits de Mc Vities. Le temps passera très vite avec Jane Austen.
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Il passe très vite tout court ce soir. Le train part tôt. Je dois encore finir mes bagages, mettre mes blogs à jour (pour ne pas décevoir mes fidèles lecteurs dont je remercie au passage l'assiduité), le chat à cajoler - il faut le préparer psychologiquement à notre absence - et mille choses à ranger. Sur un air de guitare de John William ou un air de flûte d'un concerto guilleret de Benedetto Marcello, car Venise dans cette maison n'est jamais loin.
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Bonnes vacances à mes lecteurs. Notre maison du Cotentin est un petit paradis mais, si nous captons merveilleusement bien la BBC de Jersey - qui est en face de notre jardin - Internet n'est pas très répandu. Je vous le promets, j'irai au cyber-café de Coutances (oui, je crois qu'il y en a un !), la seule grande ville à proximité, ou à Coutainville, pour entretenir un peu TraMeZziniMag pendant ces quinze jours. 

posted by lorenzo at 23:50

02 août 2006

Riflessi d'estate







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San Giorgio


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Toujours prêts !

 
Une meute de scouts (des vrais) posant sur les marches du Florian.
Gageons qu'il y a parmi eux un totem Lion ailé !
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Le grand canal par un bel après-midi d'été

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Touriste ou voyageur ?

En passant près de la rue Sainte Catherine, la rue la plus commerçante de Bordeaux où, à part une belle croix médiévale et une fontaine du XVIIIe adossée à une église très ancienne désaffectée, il n’y a absolument rien d’autre à voir que les sempiternelles enseignes présentes dans toutes les rues piétonnes de France et de Navarre, j’ai remarqué un groupe de touristes. Une famille avec une dizaine de personnes, du grand-père au bébé dans sa poussette. L’aïeul, la (jeune) soixantaine épanouie brandissait le guide vert Michelin. Venant de la Place de la Comédie, où notre théâtre trône maintenant sur unes esplanade livrée aux seuls piétons et bordée de terrasses très agréables, ils cherchaient la cathédrale. Le guide indiquant cette longue rue (elle fait plusieurs kilomètres de long) comme le meilleur moyen d’arpenter Bordeaux et d’aller vers ses monuments les plus significatifs.

Je me suis souvenu du guide préféré des jeunes américains, dans les années 80, Go to West qui disait alors que Bordeaux était une ville industrielle, noire et sale, sans grand intérêt à part Saint André (la Cathédrale), un musée assez ordinaire selon eux et une façade sur les quais assez belle. Le guide conseillait donc d’éviter Bordeaux, simple étape vers l’Espagne pour ces jeunes yankees qui parcouraient sac à dos en un mois toute l’Europe. L’opinion du guide a - je l’espère - changé. Mais les mentalités elles, changent peu. Je ne me permettrai pas de critiquer le Michelin et autres guides traditionnels, fort bien faits en général, mais toujours assez succincts. Mais comment comprendre une ville, l’apprécier, la découvrir, même en peu de temps, si on se réfère seulement à trois pages dans un ouvrage qui couvre toute une région, voire un pays. Quel manque d’imagination et quel dommage de se contenter de suivre le chemin indiqué… Ne serait-il pas judicieux de confier aux autochtones la description de leurs lieux de vie, quitte à vérifier ensuite auprès d'historiens et de géographes les informations reçues ? J'imagine même un site internet alimenté par les habitants d'une ville pour indiquer les lieux à voir ou à éviter et servir ainsi de guides virtuels aux visiteurs, rendant ceux-ci intelligents et avisés...

Pour vous donner juste un exemple, là où j’ai croisé cette sympathique petite famille, visiblement cultivée et curieuse des choses de l’art, en s’engageant sur sa gauche – ce qu’a fini par faire l’aîné de ce groupe tandis que les autres attendaient son verdict – elle aurait vu la place Camille Jullian, avec son ancienne église gothique, transformée en cinéma (le cinéma Utopia, assez controversé, mais qui dispose de plusieurs salles très joliment - gothiquement – décorées qui diffusent de très bons films, le plus souvent en V.O), des terrasses à profusion et un curieux monument fait de vestiges romains. Dans un angle une petite maison trop restaurée, date du XVIe, là où tout le reste est né entre 1720 et 1850. Un peu plus loin encore, un minuscule square a été aménagé de d’une manière très originale : au milieu des hôtels particuliers du XVIIIe, la ville a fait planter un jardin vertical. Sur de hauts murs poussent des plantes mais à la verticale. Un lieu très agréable. 

Cent mètres plus loin, il y a le cœur du centre historique, cet ensemble très vaste de constructions du XVIIIe (bientôt classé au Patrimoine de l’Humanité) souvent parfaitement rénovées, parfois encore dans un jus sympathique contrairement à l'avis de Monsieur Juppé que le noir de fumée qui protège les pierres agace au plus au point.. Au hasard des ruelles pavées de ces pierres ramenées des Iles où Bordeaux convoyait son vin et ses nègres (langage imagé et significatif de l’époque), on rencontre de très belles façades, des cours pittoresques, d’anciennes églises, des placettes ensoleillées où il fait bon prendre l’air… Partout des terrasses, des glaciers, des boutiques pleines d’attrait. C’est le Bordeaux mineur. De loin selon moi le plus parlant à un visiteur. Celui qui permet le mieux de comprendre l’âme d’une ville et d’en sentir le souffle.

C’est pareil à Venise. Ils vont, ces pauvres touristes, depuis cent ans, de la gare au Rialto, du Rialto à Saint Marc, de Saint Marc à la Salute et à la Pointe de la Douane et parfois jusqu’à l’arsenal. Une excursion (ou bien serait-ce une incursion ?) à San Giorgio, une autre à Murano, Burano, voire à Torcello (pour les plus courageux)… Tout est dans le guide. Mais si on l’oubliait ce guide, et son plan aussi ? Si une fois les bagages posés, la première suffocante impression digérée (vous savez tous, quand on débarque du train et qu’en sortant de cette  - assez horrible - gare très pays de l’Est, on se retrouve sur le parvis, le souffle coupé par la vue, les odeurs, l’air marin, les bruits ; ce spectacle incroyable qui nous saute aux yeux, au nez aux oreilles…), si on osait partir à l’aventure. Ce n’est pas la forêt amazonienne que diable ! C’est une ville avec tellement de monde qu’il y aura toujours quelqu’un pour vous remettre sur le bon chemin. Si donc chaque visiteur prenait son courage à bras le corps et allait droit devant. A l’instinct. Bien sûr il pourrait se faire que le séjour se passe sans rencontrer un seul des grands monuments qu’il faut parait-il avoir vu. Mais combien notre esprit et notre âme y gagneraient.

Quelle joie de découvrir, par hasard un campo solitaire avec son puits médiéval… Écouter une jeune flûtiste par une fenêtre ouverte… Caresser un chat paressant sur le pas d’une porte entrouverte… Quel bonheur de s’asseoir sur un banc dans une petite église fraîche dont on n'avait jamais entendu le nom, loin des grandes rues. La Venise mineure, qui vit et s’agite encore comme du temps de Goldoni, toute remplie de parfums, de bruits, de musique n’est pas enfermée dans les guides verts ou bleus ou rouges. Le petit bar où vous sera servi un délicieux macchiato ou un’ombra de Fragolino pour quelques centimes, n’aura pas de menu inscrit en cinq langues. La mammà qui étend son linge et vous voit vous avancer vers un cul de sac, vous criera avec gouaille "acqua ! acqua !" et vous rirez avec elle de votre méprise. Un chat peut-être vous suivra quelques pas, mais seulement parce qu’il va dans la même direction… Après, quand vous vous serez imprégné de cette atmosphère authentique, libre à vous de pénétrer ces hauts lieux sanctuarisés de la culture mondiale : San Marco (mais pas le jour, plutôt le matin très tôt, pour une messe à laquelle assister ne vous fera pas de mal), le palais des doges, loin des groupes et en prenant le temps d’imaginer la vie qu’on y menait, le campanile, la Salute, San Giorgio, Santa Maria dei Miracoli, Zanipolo, les Frari… Comme les pièces d’un puzzle qu'on assemble avec patience, lentement... 

Vous serez alors à même de comprendre cette ville et ses habitants. Vous vous souviendrez aisément ainsi que ce furent un État et un Peuple triomphants. Mieux encore, vous vous sentirez vénitien. Bon vénitien. 
posted by lorenzo at 19:32

01 août 2006

Jardins secrets pour initiés


S'il existe dans tout Venise de somptueux jardins historiques cachés derrière de hauts murs, au fond de passages fermés et protégés par de hautes grilles, des parcs, des potagers et des vergers plusieurs fois centenaires débordant de plantes rares et odoriférantes, remplies de statues antiques, il y a aussi un grand nombre de jardins plus modestes, aux proportions équivalentes à nos jardins de ville partout ailleurs dans le monde. 
Il y a bien sur le nôtre à Dorsoduro avec son catalpa et sa glycine centenaire. Mais il n'est pas très grand. J'en sais de bien plus charmants encore. En voici quelques uns. Mais, lecteur, vous ne m'en voudrez pas de taire leur adresse exacte et le nom de leurs (heureux) propriétaires.
Constance dans le jardin de la Toletta

Bonne promenade virtuelle !







 







 posted by lorenzo at 22:52



COUPS DE CŒUR N°7

Les enfants à la découverte de Venise
par Elisabetta Pasqualin, 
illustrations de Lorenzo Terranera.
Editions Lapis (Palombi Editori).
Excellent petit guide édité à l'intention des enfants. il existe le même pour presque toutes les cités historiques d'Italie. il montre l'essentiel, quartier par quartier, avec humour, s'attachant avec beaucoup d'intelligence aux détails qui sont susceptibles d'intéresser nos chères têtes blondes qui, même à Venise ( il y en a) peuvent s'ennuyer. 
Mes enfants ont souvent utilisé ce guide soit avec moi soit seuls et ils en sont enchantés. Mon fils Jean, blasé, vous dirait qu'il n'en a plus guère besoin. Ce qui est certainement vrai, tellement il pratique aujourd'hui la ville dans ses longueurs et largeurs. Les illustrations sont sympathiques et drôles. le texte précis et assez complet. pas une seule niaiserie dans ces pages. Je vous le recommande !
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Bancogiro, Osteria da Andrea
Campo San Giacometto, 
San Polo 122
Fermé dimanche & lundi
Ouvert de 10h.00 à 15h00 et de 18h30 à minuit.
Tel 041-5232061, / Fax 041-5232061
Andrea a à son palmarès plusieurs établissements où manger et boire est un plaisir et où on ne sort pas le portefeuille complètement essoré. Sa dernière création, née en 2004, est un lieu merveilleux et unique : Au Rialto, l'administration a libéré le rez de chaussée du Notre compère a loué deux modules entre le campo San Giacometto et la grande fondamenta qui donne sur le Grand Canal. L'intérieur du local n'est pas très grand (une quarantaine de couverts) mais il est très beau. Après maintes pérégrinations, il a eu l'autorisation de disposer des tables au bord du Grand Canal avec vue sur le Pont du Rialto, côté San Polo (vue assez rare). Voilà ce qu'en dit un guide internet vénitien : "Aux pieds du Pont du Rialto s'ouvre un campo qui de jour est envahi par les comptoirs des marchands de fruits et légumes et qui la nuit se transforme en une charmante salle à manger all'aperto". L'osteria se trouve exactement sous le porche dit du "Bancogiro", qui a ainsi donné son nom au restaurant, installé dans un ancien entrepôt du Rialto. C'est à cet endroit exact que fut instituée la première banque commerciale baptisée Bancogiro. Juste à côté de la statue si célèbre du bossu du Rialto, où on proclamait les lois et décisions de la République. C'est là aussi qu'on exposait au pilori les malfaiteurs livrés à la vindicte populaire après avoir été torturés. Maintenant tout le monde s'approche du vieux bossu ans aucune crainte et puis le très vaste choix de cicchetti proposés, la carte des vins de grande qualité, tout fait de ce lieu un vrai bàcaro (nom des auberges traditionnelles vénitiennes, quelque chose comme nos caves locales ou les bouchons de Lyon) De très bons vins donc, même au comptoir, des "cicchetti" raffinés pour accompagner votre verre et finalement, on se laisse séduire par le lieu et on se retrouve vite, devant autant de raffinement et de bon goût, avec l'envie de manger assis... Les prix sont très corrects. Et puis dites-leur que vous venez de la part de TraMezziniMag et de Eddyburg, ce sera encore moins cher ! Mais amis ou pas, il vaut mieux réserver !
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B&B Al Teatro
Fondamenta Fenice, 
San Marco www.bedandbreakfastalteatro.com
Des amis du blog m'ont demandé quel bed and brakfast recommander quand on voit sur l'annuaire des pages entières de locande privées que les gens préfèrent - souvent avec raison - aux petites pensione de notre jeunesse. J'ai entendu parler d'une petite maison bien tenue par des propriétaires très affables et vraiment accueillants. Ils disposent de quatre chambres assez vastes dont deux donnant sur le canal delle Veste, sur lequel donne (presque en face de la maison d'ailleurs) la Fenice. Eleonora et Fabio Agostini ont même monté un site très convivial. Petit déjeuner contibental copieux avec des produits de qualité, wifi dans les chambres, télévision aussi, air conditionné. les plafonds sont peints et le mobilier assez cossu. Mieux qu'un hôtel donc. Les prix ? Entre 90 et 130 euros la nuit avec petit déjeuner. On trouve moins cher mais c'est souvent moins bien.
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B & B Venezia
S.Elena - Calle Bainsizza, 3
Tel. +39 041 5200529
Fax +39 041 2775787
www.bbvenezia.com/fra/index.html
Une exception, Pour moins cher, avec un accueil aussi agréable mais bien plus éloigné du centre, on m'a parlé aussi (la panse le cite d'ailleurs) d'un B&B à San Elena, après les jardins de la Biennale. Là, les prix vont de 60 à 85 euros pour une chambre pour deux. Il existe même des chambres assez spacieuses pour se loger à 4 ou 5, (idéal pour les groupes d'amis). Salles de bains tout confort. L'accueil est chaleureux, la vue sur le jardin de la maison agréable m'a-t-on dit et on se prépare soi-même le petit-déjeuner en ayant à disposition la cuisine bien équipée.
posted by lorenzo at 21:25

31 juillet 2006

L'art et la manière

C'est ainsi que le chroniqueur de la Nuova Venezia présenta une soirée organisée à l'occasion d'un vernissage à la galerie Graziussi où j'étais employé à l'époque. 

J'y faisais office tour à tour de vendeur, coursier, interprète, chargé des relations publics ou grouillot... Giuliano Graziussi, le propriétaire, autodidacte acariâtre et arrogant, vénitien de pure souche (fils et petit-fils de gondolier) avait le sens des affaires et un flair artistique incroyable. Trop souvent imbibé d'alcool, il a disparu de la scène vénitienne et personne n'a su me dire ce qu'il était devenu. La galerie a disparu au profit du show-room de Matteo Lo Greco dont je vous reparlerai. Je suis resté deux ans dans cette galerie en dépit de la vie infernale que me menait Giuliano. J'y ai appris énormément, parfois à mes dépens. J'y ai aussi rencontré la plupart des artistes avec qui j'entretiens depuis des liens d'amitié. C'est notamment grâce à Giuliano que j'ai connu Arbit Blatas et Regina Reznik.
 
Cet hiver-là, il m'avait chargé de préparer le vernissage de la première exposition d'un jeune sculpteur qu'il avait découvert. Celui-ci, passionné par tout ce qui touchait à la Renaissance, je pensais d'abord prévoir une soirée costumée - le carnaval venait de renaître depuis quelques années à peine - mais je me rabattis finalement sur un dîner dans un restaurant chez qui nous avions nos habitudes derrière le campo San Bartolomeo. Giuliano par je ne sais quel miracle réussissait toujours à faire venir le tout Venise mondain, des arts et la presse. Pendant le vernissage, j'avais demandé à des étudiants de San Sebastiano, mon université, de venir chanter. Avec des amis de la Ca'Foscari et du Conservatoire Benedetto Marcello, ils avaient monté quelques mois auparavant un ensemble vocal de grande qualité. Leur répertoire très éclectique allait du Moyen Age à nos jours. Ils eurent un franc succès et poursuivirent leur prestation par des chansons à boire vénitiennes et... françaises. Les années ont passé et je ne sais même plus leurs noms. Que sont-ils devenus ? Si mes lecteurs vénitiens les reconnaissent, qu'ils n'hésitent pas à me donner leurs coordonnées. Je serai heureux d'avoir de leurs nouvelles !
posted by lorenzo at 21:39

30 juillet 2006

Vivre à Venise

En 1981, le magazine "Connaissance des Arts" publiait un article de Denis Picard illustré par des photographies de Robert Emmet Bright sur la très originale demeure de l'architecte et décorateur italien, alors très en vogue, Piero Pinto. 

En rangeant des papiers, j'ai retrouvé ce texte que je vous livre dans son intégralité. Je ne sais plus si Monsieur Pinto occupe toujours cette chapelle. En tout cas, il avait, outre le bonheur d'occuper un lieu aussi original, la chance d'avoir à deux pas, l'une des meilleures boulangeries de la ville. Les croissants de ce "panificio" étaient délicieux. Si je ne m'abuse, ce local a été remplacé par un bar-restauration rapide. J'habitais à quelques centaines de mètres de là, Calle Navarro, de l'autre côté du canal qui passe aux pieds de la ca'Dario et longe cette délicieuse petite place après la Guggenheim. Un des plus beaux endroits de Venise...
"Venise n'en finit pas de mourir, mais peut-être est-ce là son art de vivre. Une vie que poètes, peintres et cinéastes ont souvent teintée d'une romantique, voire morbide, mélancolie. Incomprehension ? L'esprit populaire lui-même ambigu quand il chante :
O che festa. Oh ! che spectacolo
Che presenta sta laguna
Quando tuto xé silenzioso
Quando sluse in ciel la luna...
Fête nocturne, hommage à la lune, mélopées des gondoliers qui inspirèrent peut-être l’une des plus belles mélodies du Tristan de Wagner, venu lui aussi mourir en ces lieux. L’une des grandes morts de Venise fut la naissance, sous les bottes d’un Bonaparte encore révolutionnaire, d’une éphémère République d’Italie. Point final de la Sérénissime, arrêt de mort aussi pour une part non négligeable du patrimoine immense de la cité : il fut décidé qu’une église suffisait à chaque district de la ville. Les autres, désormais surnuméraires, furent désaffectées, vidées de leurs œuvres d’art et bien souvent démolies. De ce vandalisme fut victime San Vio, une église fondée au Xe siècle et reconstruite au XIVe, connue à divers titres et notamment pour avoir abrité le tombeau de Rosalba Carriera, l’illustre pastelliste du XVIIIe siècle - on peut voir ses œuvres non loin de là, dans les salles de l’Accademia et dans les salons du Palazzo Rezzonico.


A vrai dire, San Vio n’avait pas totalement disparu : quelques éléments architecturaux épars furent récupérés. Et quand de pieux citoyens obtinrent du Vatican la permission d’élever, au fond du Campo San Vio, une petite chapelle de brique rouge en souvenir de la grande église, ces éléments furent réemployés. De style néo-byzantin, ce qui n’avait rien d’étonnant à l’époque (1865) et encore moins en cette ville – pour avoir fait mettre à sac Constantinople, Venise n’en a pas moins recueilli une bonne part de l’héritage de Byzance – cette chapelle connut récemment, comme jadis son aînée, le malheur d’être désaffectée. Mais les temps ont changé : elle ne fut pas détruite, seulement vendue.

Son acquéreur, Piero Pinto, passionné de Venise, s’est trouvé particulièrement heureux de pouvoir résider là, dans le Dorsoduro, entre l’Accademia et la Salute. Situation privilégiée, d’autant que la petite chapelle rouge ouvre côté abside sur un petit jardin secret et, côté porche, sur le noble espace du Campo San Vio. Au bout de ce Campo, le grand canal aligne ses palais fastueux mais aussi, presque en face de la chapelle, la petite maison rouge qui fut l’atelier de Canova avant de devenir le refuge de d’Annunzio. Restaurée, ses murs décapés pour retrouver la décoration de marbres anciens sauvés de San Vio, la maison de curé attenante réaménagée en chambres et salles de bains, la chapelle néo-byzantine est devenue confortable résidence. A l’intérieur se mêlent, en un subtil dosage, trois mondes qui furent complémentaires dans leurs oppositions : Venise bien sûr, mais aussi Byzance-Constantinople, sa rivale chrétienne qu’elle voulut supplanter, et la Turquie islamique de l’Empire ottoman, son ennemi de plusieurs siècles. Plus d’ailleurs par l’ambiance que par les objets. Né en Egypte, le maître des lieux a pourtant hérité de son père une belle collection d’art de l’Islam. Mais ici la "décoration" se fait discrète, par petite stouches. "Un peu de tout" dit modestement Piero Pinto".





















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29 juillet 2006

Farniente d'estate

Dédié à Agnès Calvy

Quand la douceur de l'air le permet, il n'y a rien de plus agréable que d'aller s'asseoir sur un banc, quelque part au bord de l'eau. Les Zattere, après le pont de San Trovaso, à la hauteur de l'ancien consulat de France (le palais Clari), sont un lieu idéal. Lorsque vous serez à Venise, faites donc comme elle. Prenez un livre captivant, promenez-vous le long des zattere, achetez une glace chez Nico. Un gianduiotto da passagio par exemple. dégustez-le en marchant le long des quais, remplissez vos yeux de toute l'animation du canal de la Giudecca. si vous avez de la chance, la lumière sur les façades en face sera magnifique, les arbres des nombreux jardins qui bordent vous dispenseront une agréable fraîcheur; des enfants vous bousculeront un peu, pris par leurs jeux, les passants vous salueront, quelques touristes regarderont avec envie cette glace que vous dévorez se demandant ce que c'est et comment l'obtenir du vendeur. Passées les arcades de la vieille banque, San Trovaso et son squero à votre droite, voilà la dernière partie des Zattere, le quai est maintenant plus large. Les dalles viennent en partie d'être refaites. Un banc libre. Installez-vous vite et maintenant, prenez le temps. Bonne lecture.
Posted by Picasa © Photographie Umberto Sartory - Droits Réservés.
posted by lorenzo at 01:10

28 juillet 2006

Il marchait seul dans la nuit.

Il marchait seul dans la nuit. Depuis toujours, il aimait arpenter Venise après le coucher du soleil. Un écouteur sur les oreilles, c’était chaque fois la même musique qui l’accompagnait : Vivaldi, le Magnificat et le Gloria. Un enregistrement sublime qu’il ne peut plus entendre sans que résonne dans sa tête le bruit de ses pas sur les dalles des ruelles, sans être pénétré de l’envoûtante odeur de la Cité endormie, ce mélange unique d’air marin, de salpêtre et de bois pourri. Il marchait seul dans la nuit en compagnie de ses rêves. Dans cette ville unique au monde, il savait qu’on ne risque pas de mauvaises rencontres.

Il avait ainsi appris d'instinct à connaître chaque recoin de la ville. Sa première promenade, il l’avait faite, seul déjà, un soir d’août alors qu’il n’avait pa quinze ans. Il demeurait avec ses parents et ses sœurs au Londra, sur la Riva dei Schiavoni, courte étape avant de se rendre en Turquie. Il n’avait pas voulu accompagner sa famille à un concert. Il préférait se promener. Sorti en même temps qu’eux, il choisit d’aller dans l’autre direction, vers les Giardini Reali, derrière la Piazza, le long de cette promenade qui borde le bassin de San Marco, avec les gondoles et les taxis bien alignés devant les balustres en pierre blanche. Le soir toute une foule cosmopolite et élégante s’y rencontre. De mauvais peintres y proposent des portraits à trois sous, des camelots se mêlent aux touristes sous le regard indifférent des nombreux chats qui vivent là depuis toujours. Il avait toujours aimé les chats et surtout ceux de Venise, tantôt faméliques, tantôt plantureux. Ses sœurs se moquaient de lui : il voulait un chaton vénitien comme à Rhodes il voudra un chaton grec. Ce n’était plus un enfant mais ce jeune adolescent restait très jeune dans sa tête. Poète, il rêvait chaque instant de sa vie et sa rencontre avec Venise fut un miracle, une révélation. Il ne devait plus s’en guérir. Jamais. 

La nuit allait être belle. Le soir tombait peu à peu recouvrant d’un voile rose les toits et les façades. Les colonnes de la Piazzetta se dressaient devant lui quand éclatait l'exultavit du Magnificat dans son casque. Il se rêva condottiere dans son retour triomphant d’Orient. Tour à tour prince d’Asie ou riche marchand, il avançait à travers les rues, hors du temps. Fasciné, il marcha plusieurs heures et ne revint dans sa chambre que fort tard dans la nuit. Il s’endormit, rompu, les yeux remplis de toute la beauté dont il s’était imprégné dans cette nuit magique.

Ce plaisir ne l’a jamais plus quitté. Il a grandi, Devenu homme, il a beaucoup voyagé. Nombreux de ses rêves d’enfants ont été trahis, perdus, abandonnés. La vie ne lui a pas toujours été facile, mais il n’a jamais cessé de revenir marcher dans la nuit, à Venise. Et toujours, depuis plus de trente ans, il écoute le même enregistrement (celui de Riccardo Mutti qu'il préfère à toutes les éditions plus récentes ) en errant sur les ponts, dans les rues et les campi de sa ville. Aujourd'hui, lorsqu'il revient à Venise, il se coiffe de ses écouteurs et repart à la conquête de sa ville. A la conquête de ses rêves. Il n'a plus la même énergie qu'autrefois et la fatigue vient plus vite, mais le plaisir demeure comme au premier jour quand, la nuit venue, il se faufile dans le dédale des raccourcis autour du Rialto, derrière le ghetto, derrière l'arsenal ou près de la cathédrale San Pietro avec le cum sancto spiritu. Il termine souvent par le campo San Fantin, sur ce magnifique palcoscenico où, avec le fronton de la Fenice, la tonnelle de la Taverne, les deux puits et les deux églises très noires, on a vite la sensation, surtout tard dans la nuit, quand il n'y a plus personne, d'être sur la scène d'un théatre abandonné. Assis sur les marches du théatre reconstruit, il écoute le hautbois de Gordon Hunt accompagner le merveilleux Domine Deus du Gloria.

posted by lorenzo at 18:03