11 novembre 2006

Urgence pour Venise



Quarante ans après la terrible catastrophe qui fit prendre conscience au monde de la nécessité de se battre pour sauver Venise, combien il reste à faire. Combien de ruines s'élèvent là où le touriste ne voit que du pittoresque. Combien de vénitiens sont ils partis encore ce mois-ci, remplacés peu à peu par les touristes et les non-résidents qui peuvent se permettre d'entretenir une maison et n'y venir que deux ou trois fois l'an quand des centaines d'immeubles sont insalubres et forcent les vénitiens de souche à émigrer vers la terre ferme et de plus en plus loin ? Y songeons nous lorsque nous demandons toujours plus de Bed & Breakfast, toujours plus d'appartements à louer, de restaurants et de boutiques de masques... 
 
L'idée d'un péage à l'entrée de la ville avance. Elle a ses partisans et ses détracteurs. Ne pas tomber dans la dynamique luna-park à la Las Vegas (ils en rêvent là-bas), dans le Disneyland néo-historique, le musée figé ou la réserve d'indiens. 175.000 habitants il y a cinquante ans, un peu plus de 50.000 aujourd'hui dans le centre historique avec plusieurs millions de visiteurs chaque année... Ne faut-il pas trouver des solutions ou doit on se contenter d'attendre que les pôles fondent, que l'eau des océans monte et engloutisse à tout jamais Venise et sa lagune (vous savez les fameux 6 mètres de plus de hauteur qu'atteindront les mers sur toute la surface du globe, envahissant toutes les bordures de chacun des continents comme le montre si bien Al Gore dans son film...).

10 novembre 2006

Restitution ou sauvegarde ?

Le patrimoine artistique né à Venise au fil des siècles a toujours été éminemment recherché. De tout temps, les voyageurs ont aimé rapporter de leur séjour dans la Cité des Doges peintures, verreries, objets d'orfèvres, livres et gravures, brocarts et soieries. Au XVIIIe siècle, l'atelier de Guardi comme celui de Canaletto, les Bellotto et autres vedutistes reproduisaient presque à la chaîne des vues pittoresques de la ville qui ornent aujourd'hui les murs des plus grands châteaux et de tous les musées du monde.
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Avec l'invasion des armées de Napoléon et le pillage systématique à peine camouflé par des velléités d'organisation et de classement rationnel au bénéfice de l'humanité (surtout l'humanité proche, famille et amis du corse), l'appropriation de ces beaux objets nés du savoir-faire des artisans vénitiens s'accéléra. C'est ainsi qu'on retrouve régulièrement chez les antiquaires, sous le marteau des commissaires-priseurs et dans les successions, dations et donations de la vieille Europe comme aux Amériques de très beaux objets qui au fil des temps deviennent de plus en plus côtés parce que de plus en plus rares.
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Tout ce discours pour vous parler d'un manuscrit qui après maintes péripéties se retrouve sur le catalogue d'un éminent et très sérieux libraire parisien, la maison Clavreuil, (pour la petite histoire, cette librairie est aussi spécialisée dans les parutions napoléoniennes...) Un bijou, une pièce de musée, un témoignage important du passé de la Sérénissime. Il s'agit du texte relatant l'installation en 1683 de la supérieure du couvent de Santa Maria delle Vergine qui était dans l'enceinte même de l'Arsenal.
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Fondé au XIIe siècle par le pape Alexandre III et l'Empereur Barberousse pour y installer sa fille comme première abbesse en 1177, il était régi par la règle des augustines, cette communauté fondée à Hippone par Saint Augustin lui-même pour sa sœur. Dans ce beau document, la supérieure , c'est la Nobildonna Maria Gioconda Contarini, la propre sœur du doge Ludovico Contarini. Issue d'une des plus grandes familles vénitiennes, elle naquit dans ce beau palais qu'on peut toujours admirer sur le Grand Canal à moins que ce soit à la Ca d'Oro qui appartenait aussi à cette illustre famille. Elle était la tante du célèbre général, né cette année-là (et mort en 1721) que l'on prénommera Agostino en l'honneur de sa tante religieuse. Son couvent fit couler beaucoup d'encre jusqu'à sa disparition au XVIIIe siècle.
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C'est en effet là que plusieurs scandales éclatèrent en 1295 puis en 1499 après qu'il fut découvert à chaque fois un "commerce charnel" entre les fils et les filles de Dieu qui avaient pourtant fait vœu de chasteté... On trouvait beaucoup de religieuses dans ce monastère mais peu de vierges. A la décharge de ses femmes de tous âge, il faut rappeler que beaucoup s'y retrouvaient par la volonté d'un père ou d'un frère (ça ne vous rappelle pas le mode de fonctionnement de certaines sociétés contemporaines dont la religion n'est pas vraiment très libérale e envers les femmes ?) sans vocation religieuse particulière. Mais à l'époque de notre Gioconda Contarini, l'ordre avait dû revenir...
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Bien sur, il existe dans de nombreuses collections, publiques ou privées, des ouvrages de ce type et de cette qualité. Cependant, puisque depuis une quinzaine d'années il est devenu évident que le patrimoine artistique des nations doit, autant que faire se peut, leur être restitué. Ce manuscrit daté de 1566 devrait reprendre sa place sinon au monastère d'où il a été enlevé du moins à la bibliothèque Marciana ou dans le fonds des Archives Historiques, ou bien encore à la Querini Stampalia. Je viens d'alerter diverses associations capables financièrement d'assumer l'acquisition de cet ouvrage pour le restituer à Venise ainsi que des amis dans l'administration de la ville. Mais une décision est longue à prendre et l'objet peut être rapidement acquis par un riche collectionneur. J'aurai essayé. 15.000 euros ce n'est pas une bagatelle. Mais pour une administration ou une fondation, ce n'est pas grand chose.
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Alors je me suis mis à rêver. Nous réussissions à rassembler des bonnes volontés dans le monde entier pour rabattre les manuscrits, les livres, les tableaux, les objets de qualité qui participent du passé historique de la cité des doges (et que souvent la France a dispersé du temps heureusement bref de son administration) afin de les lui restituer, rassemblant ainsi au même endroit les plus grands témoignages comme les plus humbles du passé grandiose et universel de Venise. Mais le rêve n'est pas la réalité...

09 novembre 2006

Le Colbert à Bordeaux

publié par Lorenzo

Le Colbert à Venise

C'est aujourd'hui le 9 novembre. Il y a 36 ans mourrait dans sa maison de Colombey, le Général de Gaulle. Cet anniversaire m'a fait penser aux liens qui auraient pu exister entre le fondateur de la Ve République et Venise. A ma connaissance, il n'y est jamais venu. Cependant, j'ai trouvé un lien qui me permet aussi de relier la mémoire de l'homme du 18 juin à Bordeaux et Bordeaux à Venise : le Croiseur Colbert.
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Autrefois orgueil et fleuron de la Royale, navire amiral de l'Escadre de Méditerranée, admiré par le monde entier, ce navire transporta en 1967 le Général et Madame de Gaulle au Canada. C'est à son bord qu'il prépara son fameux discours. Aménagé pour permettre au couple présidentiel de vivre le mieux possible pendant la traversée (les hublots du carré de l'Amiral où logeait le chef de l’État furent transformés en fenêtres et une véritable cheminée fut installée), un lit spécial fut réalisé (la grande taille du Général), il a rendu longtemps de fiers services à la Flotte et termina sa carrière militaire en participant à la Guerre du Golfe. C'est aussi à bord du Colbert que la dépouille du Maréchal Liautey fut rapatriée en France.
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Désarmé en 1991, il finit de vieillir depuis un certain nombre d'années sur les quais de Bordeaux et beaucoup souhaitent sa disparition. Transformé en musée flottant, il passionne petits et grands et c'est le monument le plus visité de la ville. Tas de rouille, certainement amianté, il ne partira pas en Inde mais à la casse. Une association d'excités bordelais "coulez le Colbert" attendent son départ pour faire la fête. Les imbéciles. Ils ne comprennent pas grand chose. Certes aujourd'hui le bateau est en très mauvais état. Il est moins visité du coup. Et il gêne la vue des riverains qui oublient qu'autrefois tous se plaignaient de la présence des cargos et des grues qui faisaient beaucoup de bruit. J'ai même entendu dire qu'il cachait la vue... Pour ceux qui ne connaissent pas Bordeaux, en face ce n'est pas la Giudecca ni San Giorgio, c'est une friche industrielle d'une laideur absolue avec quelques usines encore en activité. Avoir ce bateau sous ses fenêtres moi cela ne me dérangerait pas; c'est comme si le vent du large venait souffler derrière les vitres. J'espère qu'il sera simplement déplacé et confié à une organisation capable de l'entretenir et de l'animer... Je fais partie de ceux qui le regretteraient à cause du "Vive le Québec Libre" hurlé par le général à la tribune, et parce que loin de n'être qu'un symbole guerrier, il est la marque d'une époque où la présence française était toujours ressentie comme rassurante, forte et apaisante.
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Lorsqu'il mouillait dans les eaux somptueuses qui font face à la Piazza, des centaines d'embarcations s'en approchaient et il était autant fêté que le regretté France, le Clemenceau ou la Jeanne. Mais si je suis toujours ému en pensant à lui c'est aussi que, lors d'une visite qu'il fit à Venise, en 1984 je crois, j'ai eu l'honneur de monter à bord à la suite de Christian Calvy, alors Consul de France, et des autorités vénitiennes. Pour le jeune français que j'étais, cette réception d'apparat sur un navire français - et quel navire - fut un évènement. J'ai raconté en son temps dans je ne sais plus quel périodique cette soirée. Il mouillait au large à l'époque. Sa beauté était saisissante ; rutilant, abordant le grand pavois avec San Giorgio auréolé d'un superbe coucher de soleil à sa droite et le Lido dont les réverbères allumés donnaient une image irréelle de scène de théâtre...
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Quand il est revenu, pour son dernier voyage en tant que navire amiral, il était amarré sur les esclavons. Les photos reproduites ici montrent cette ultime visite de courtoisie. Chaque fois que je monte à bord maintenant je me souviens. La musique, le décor (il y avait ce soir là je l'ai dit, un coucher de soleil des plus majestueux et le spectacle des vedettes amenant les invités, les sifflets incessants pour les accueillir, les marins en grande tenue et dans un garde à vous impeccable, les jeunes filles ravissantes dans leurs robes fleuries).
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Nous étions arrivés avec "l'Ile de France", le bateau du consulat. Le seul bateau immatriculé à Venise qui avait le droit de battre pavillon étranger. Vestige d'un vieux privilège donné aux navires de la couronne de France par la Sérénissime en remerciement de je ne sais plus quelle aide,et qui se poursuivit jusque dans les années 80. Tombé en désuétude puisque nous n'entretenons plus de consulat général et donc plus de flottille privée, ce n'est plus qu'un souvenir ! Vous imaginez combien nous étions fiers de pouvoir nous faire conduire par cette vedette rutilante tout en acajou avec le drapeau français flottant au vent. On ne passait jamais inaperçu. J'en souris aujourd'hui. C'était une autre époque, presque un autre monde...

08 novembre 2006

Promenade


Quelqu'un (pas de signature sur le mèl) vient de m'envoyer cette photo. Elle décrit sans fioriture l'atmosphère de la ville, sa tranquille beauté, sa décrépitude aussi et rappelle que Venise n'est pas qu'un musée mais un lieu de vie quotidienne...

07 novembre 2006

Eaux calmes et vertes que déchire la rame...

Chroniques d'un quotidien sans histoire

Le temps passe toujours trop vite à Venise. Pourtant, il est facile de faire durer chaque geste, chaque action. Je m'y emploie dès que j'ai posé le pied sur le quai de la gare.
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Humer l'air qu'on respire sur le quai, devant la gare. Sentir avec chaque parcelle de son corps cette atmosphère unique qui saisit dès le premier regard jeté sur ce spectacle toujours semblable et pourtant à chaque fois différent. Passées les premières minutes de jubilation (cette fois mes enfants poussaient des cris de sauvages en arrivant tant leur impatience était grande de revenir enfin), le coeur battant comme un amoureux qui retrouve sa belle, nous prenons le chemin de la maison. Hélas nous avons peu de jours. 

Le vaporetto, notre lent cortège sur le Canalezzo vers l'Accademia. Tiens le kiosque est fermé aujourd'hui. Peu de monde encore en ce matin un peu gris. Que sera cette première journée ? un pont, et c'est la Toletta. Le portail vert au fond de la ruelle. La clé tourne dans la serrure. La maison bien préparée embaume l'encaustique et le linge fraîchement repassé. Graziella a bien fait les choses. Les radiateurs sont allumés. Les pièces du rez-de-chaussée sont un peu humides. Le jardin est tel que nous l'avons laissé la dernière fois. Le palmier dans la cour semble un peu triste. Sur la table du salon, un vase que nous allons remplir de fleurs et le courrier arrivé ici pendant notre absence. Des petits riens qui me font me sentir vraiment ici chez moi bien plus qu'ailleurs au monde. 
Je n'ai pas encore défait les valises que déjà les enfants sont sortis. le CD de Pedrini est la première musique que j'écoute en rangeant nos affaires. La bouilloire chante aussi. Une bonne tasse de thé et je pars retrouver les enfants sur le campo. Il faut faire les courses. Fruits et légumes chez le marchand flottant de San Barnaba. Le reste chez Billa. Une tarte aux amandes achetées au restaurant des Zattere en rentrant et ce sera un festin. Il faut bien fêter nos retrouvailles avec la Sérénissime. 
A part deux ou trois expositions, une visite aux amis, et l'inévitable gianduiotto de chez Nico, la messe à San Giorgio, ce sera un week-end de calme et de farniente. Jean a les cheveux trop longs, il ira peut-être chez mon coiffeur, celui près de la Lista di Spagna. Constance veut retrouver le magasin où il y a ces extraordinaires poupées dont le visage est calqué sur des visages humains. Alix a l'intention de se reposer au soleil des Zattere et Margot n'a pas de temps à perdre. Son concours blanc est pour la rentrée. C'est décidé, elle sortira peu... Tiens, elle est partie avec les autres ! Venise ensorcelle mes enfants ! Ai-je bien fait de leur instiller dès le biberon ce poison délicieux qu'est notre amour pour la Cité des Doges ? 
Et moi ? Je voudrais faire un tour chez l'antiquaire de la calle delle Carozze près de San Samuele... J'irai aussi me gaver de pâtisseries. Je vais cuisiner souvent : poissons frits, risotto di verdure, lasagnes de canards, zabayon all'arancia...  
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Et puis je dois écrire, recopier mes notes, trier, corriger, élaguer, dépouiller. Lire bien sûr : une dizaine de livres attend dans ma valise. Ah ! quelques jours à Venise. Loin de tout et pourtant au milieu de tout. Non, au centre du monde, puisque Venise pour nous est le point de départ et le point d'arrivée, l'épicentre de nos préoccupations, de nos désirs et de nos vies.
Écrit dans l'euphorie du retour, le 31 octobre.

COUPS DE CŒUR N°11

The Magic Numbers 
"The Magic Numbers"
Heavenly Recordings, 
EMI. 2005
En sirotant un délicieux Fragolino et des polpette bien chaudes, j’ai découvert l’autre jour ce disque dont tout le monde me parlait depuis l’été dernier. J’ai mis du temps me direz-vous à juste titre. C’est que j’ai la (très) mauvaise habitude de n’écouter jamais que de la musique ancienne. Non pas que je sois sectaire. Mais j’aime ce son depuis mon enfance. Je sors peu du baroque, avec quelques incursions dans la musique du XVIIIe siècle et rarement dans celle du XIXe. Alors le XXIe… Je me dis souvent que c’est pour les oreilles de mes enfants dont le MP3 regorgent davantage de ces chansons à la mode que de Gabrielli ou Marcello ! Cependant, il m’arrive de découvrir des sons agréables, qui ne me font pas fuir à cause de ces bou boum boum qui me donnent vite la migraine. C’est vrai que mes oreilles en sont restées à l’éventail sonore des Cat Stevens, Bob Dylan ou Leonard Cohen. Ajoutez Jack Johnson et les papas and mamas et vous connaitrez mes goûts - et connaissances (limitées) en matière de musique pop. J’aime quand c’est doux, agréable, reposant, chaud. Je bondis lorsque les Who, Cure ou autres Pink Floyd prennent leurs instruments et que ça hurle et pète dans tous les sens. C’est comme ça. Mais The Magic numbers, c’est autre chose. Mes tympans ont aimé. Musique heureuse et paisible s’il en est. Un peu mélancolique parfois. Parfait pour un après-midi relax ou farniente rime avec copains. 
 
Tant que je suis dans les disques pop lounge, je voulais signaler à ceux qui ne le connaissent pas encore : mon amie Claire vient de m’offrir "Ballad of the broken seas" par Isabel Campbell et Mark Lanegan. Superbe. Particulièrement la chanson "it's hard to kill a bad thing" et surtout "dusty wreath" qui convient bien à mes soirées au coin du feu où parfois la nostalgie me tient, agréable sensation finalement que cette musique d'aujourd'hui qui porte et se laisse écouter et réécouter à n'importe quelle occasion.
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Venise et l'Orient
Aurélie Clemente-Ruiz
Ed. Gallimard.
Hors série Découvertes. 2006
Il paragone entre deux destins intimement liés. Deux mondes aussi qui faillirent n'en plus faire qu'un... Devenue une grande puissance grâce à sa suprématie commerciale en Méditerranée, Venise a su établir très tôt des liens privilégiés avec les grandes dynasties musulmanes, les Ayyoubides, les Mamelouks et les Ottomans. Du XIVe au XVlle siècle s'ensuivent d'importants échanges culturels et artistiques entre la cité maritime et les grandes villes du Proche-Orient : Alexandrie, Le Caire, Damas, Jérusalem, Istanbul. Dans le même temps où Venise se pare de palais d'inspiration orientale, où ses grands peintres - Carpaccio, Bellini, Lotto - se plaisent à peupler leurs tableaux de personnages enturbannés ou de précieux tapis venus de Turquie ou d’Égypte, s'opère une formidable transmission des savoirs et des techniques entre l'Orient et la République vénitienne, de l'art du verre à celui du métal. Et Venise d'exporter à son tour des objets de luxe à la mode orientale vers les grandes capitales d'Europe. Un petit livre dépliant d'une vingtaine de pages qui est une parfaite introduction à la magnifique exposition qui a lieu actuellement à l'Institut du Monde Arabe à Paris. Mais je vais vous en reparler.
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Une saison à Venise
Wodzimierz Odojewski
Traduit du polonais par Agnès Wisniewski et Charles Zaremba.
Ed. Les Allusifs.
J'ai lu dans le train, d'un trait et avec délectation ce joli petit livre. Son format, sa couverture, le papier la typographie sert d'écrin à un petit joyau écrit par un polonais dont je n'avais jamais entendu parler et qui m'a entraîné dans un voyage déroutant et loufoque. Une famille un peu comme la mienne: des fous de Venise et cette folie traverse les générations. C'est enfin le tour de de Marek, il va accompagner sa mère et découvrir enfin le palais des Doges et le pont du Rialto. Il a tout préparé. Il sait tout du plan de la ville, il a appris par cœur le nom des et des canaux, il a découpé des dizaines de photos. Mais ce voyage est programmé en 1939. Au lieu du voyage, c'est l'invasion et la guerre. Le séjour vénitien est remplacé par un départ précipité chez une tante qui mène une vie "hygiénique" et souhaite transformer sa villa Art nouveau en pension de vacances. Une inondatyion va bouleverser la réalité et ramener notre petit monde vers le paradis. Une bassine deviendra gondole, la table de ping-pong fera très bien la place Saint-Marc et le piano animera las terrasses des cafés, quelques planches à repasser serviront de passerelles et si les adultes veulent bien jouer le jeu pour un soir…L'auteur "réussit en quelques lignes à restituer cette force de l’enfance qui gomme le danger pour redessiner le rêve et le rendre plus brillant que la réalité. Son écriture n’est jamais naïve ou condescendante, elle transcrit au plus juste ce glissement vers l’imaginaire, quand le regard accepte de passer de l’autre côté du miroir. Marek n’ira jamais à Venise, la sienne est autrement plus poétique" écrit Christine Ferniot dans Télérama. Lisez-le, il y a longtemps que je n'ai pas trouvé une description de Venise aussi vraie !

05 novembre 2006

Exposition Missa Yoshida, Galeria Graziussi, Venise 1984


J'ai retrouvé ce soir des photos qui me font chavirer plus de vingt ans en arrière... C'était la première exposition qu'il m'avait été donné d'organiser à la galerie près de la Fenice. Giuliano Graziussi, le galeriste invitait Missa Yoshida, la compagne japonaise de son ami sérigraphe,. Il m'avait donné carte blanche. Son installation m'avait beaucoup plu : une immense bande de gaze, pareille au tissu qu'on utilise pour les voiles de mariées, sur laquelle elle avait peint au gesso des colonnes et des formes architecturales. Sobriété toute japonaise et en même temps hommage à la civilisation occidentale et en particulier à son ascendance romaine.

 
La photo ci-dessus montre un bout de l'installation. A gauche l'artiste et votre serviteur, Agnès Calvy, et Massimo un ami compositeur descendant de Casanova attendant les invités. Nous avions décidé avec l'artiste de recevoir les invités avec simplement du saké. Cela changerait des éternelles coupes de prosecco et des petits fours. Lorsque la foule des invités se pressa comme à l'accoutumée, ils furent assez surpris par ce qui était exposé bien sur mais aussi par la sobriété du cocktail : des bouteilles de saké et des centaines de petits verres.

 

Le soir, un dîner réunissait les personnalités que Giuliano m'avait chargé d'inviter, les artistes, les gens de la Biennale, les journalistes et les habitués de la galerie. Ce fut un dîner traditionnel. J'avais chois cette trattoria près du Rialto où on sert un délicieux cochon de lait. Il y avait une soixantaine de convives. Un ensemble de jeunes chanteurs anima la soirée avec des airs de musique ancienne (j'ai déjà parlé d'eux dans un précédent post).
  
Le peintre Ludovico de Luigi entre Carla Graziussi et Agnès Calvy, la fille du consul de France d'alors, le sympathique Christian Calvy, à qui je dois énormément et sans qui ma vie vénitienne n'aurait jamais pu être ce qu'elle fut.

04 novembre 2006

Acqua granda : 40 ans après la catastrophe de 1966

Il y a 40 ans, le 4 novembre 1966, de fortes marées poussées par des vents terriblement forts accopagnés par des pluies incessantes, envahirent la lagune, inondant Venise et toutes les îles des environs comme jamais auparavant elle ne l'avait été. La ville porte encore aujourd'hui les cicatrices de cette catastrophe.

"Le ciel s'était fait gris, avec une lumière très particulière, comme un soir d'orage. les nuages très noirs s'avançaient et soudain, dans un grondement infernal, la mer passa par-dessus les Murazzi et en quelques minutes Venise fut inondée. A la Marciana, les manuscrits et les ouvrages précieux flottaient parmi les tables, la violence des flots renversa les gondoles et les embarcations sur le bord des canaux. C'était comme si tout allait être englouti" me disait cette vieille dame. Elle avait juste quarante ans à l'époque et même si on savait qu'il y aurait une acqua alta, personne n'imaginait ce que serait cette catastrophique journée. "Au début les jeunes sont sortis pour voir, s'amusant à l'idée d'aller en barque sur la piazza ou à San Bartolomeo. Il n'y avait rien d'ouvert, plus rien ne fonctionnait. On a eu très peur. Une vision d'apocalypse"...
Des centaines d’œuvres d'art, quasiment tous les monuments de la ville furent endommagés et c'est ainsi que s'éveilla la conscience du monde : il fallait sauver Venise... Enfin ! 40 ans après les intérêts divergents s'affrontent toujours, Maire et Président de la Région en tête, alors qu'à Rome, on hésite : personne ne sachant plus si le projet MOse sauvera la ville ou s'il n'est qu'une gabegie de plus. En l'espèce, aucun expert aujourd'hui n'est formellement capable de dire si ces travaux pharaoniques seront efficaces ou pas. Il n'y aucune étude alternative et les spécialistes du monde entier s'opposent. En tout cas, à la vue de ces photos qui font mal et qui font peur, il parait évident qu'il faut faire quelque chose.

02 novembre 2006

The winter chills in color...

 
Une image ordinaire de la Venise ordinaire, sur "Vincent" (*) la très belle chanson de Don Mc Lean, une merveilleuse mélodie qui résonne ce matin dans la maison et exprime bien notre état d'âme ici devant tant de beauté, devant cette lumière incroyable et cette douce mélancolie qui nous prend lorsque déjà nous devons songer à repartir...

Starry starry night
paint your palette blue and grey
look out on a summer's day
with eyes that know
the darkness in my soul.
Shadows on the hills
sketch the trees
and the daffodils
catch the breeze
and the winter chills in colors
on the snowy linen land.
And now I understand
what you tried to say to me
how you suffered for your sanity
how you tried to set them free.
They would not listen
they did not know how
perhaps they'll listen now.
Starry starry night
flaming flo'rs that brightly blaze
swirling clouds in violet haze
reflect in Vincent's eyes of China blue.
Colors changing hue
morning fields of amber grain
weathered faces lined in pain
are soothed beneath the artist's loving hand.
And now I understand
what you tried to say to me
how you suffered for your sanity
how you tried to set them free.
perhaps they'll listen now.
For they could not love you
but still your love was true
and when no hope was left
in sight on that starry starry night.
You took your life as lovers often do;
But I could have told you Vincent
this world was never meant
for one as beautiful as you.
Starry starry night
portraits hung in empty halls
frameless heads on nameless walls
with eyes that watch the world and can't forget.
Like the stranger that you've met
the ragged men in ragged clothes
the silver thorn of bloddy rose
lie crushed and broken on the virgin snow.
And now I think I know
what you tried to say to me
how you suffered for your sanity
how you tried to set them free.
They would not listen
they're not list'ning still
perhaps they never will.
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* Chanson composée par Don Mc Lean et dédiée à Vincent Van Gogh, devenue un peu l'hymne officiel du musée Van Gogh d'Amsterdam. C'est notre item à Venise.

Rentrer chez soi à chaque fois...



 
Philippe Sollers, à propos de la première fois qu’il vit Venise :
"Je sais, d’emblée, que je vais passer ma vie à tenter de coïncider avec cet espace ouvert, là, devant moi… C’est un mouvement bref de tout le corps violemment rejeté en arrière, comme s’il venait de mourir sur place et, en vérité, de rentrer chez soi."
Je n'aime pas particulièrement cet auteur, pourtant bordelais comme moi. J'ai trop d'affection et d'admiration pour Jean René Huguenin (fondateur avec Sollers et Jean Hedern Hallier de Tel Quel), qui disait de lui (dans son journal) :
"[...] Sa passion se contemple trop elle-même. Elle n’est pas assez incarnée, héroïque. La mienne repose sur le sacrifice, la sienne sur le plaisir - il a le sacrifice en horreur. Il lui manque quelque chose, un poids, du tragique, un rêve, son intelligence éclaire tout, elle ne respecte pas ces grands repaires d’ombre où notre mystère se tapit, il explique trop ; il n’inquiète pas. Il est lisse et lumineux, et on a l’impression que son bonheur ne cache pas de blessures, c’est un bonheur propre et sans charme, dur comme un bonheur d’enfant. J’aime mieux les êtres qui saignent. J’aime les forts, bien sûr, mais pas tout à fait les forts. J’aime les forts au regard tremblant tremblant d’amour..."
 
Mais ce que Sollers écrit de Venise est indéniablement parfait et puis, à ma connaissance, Huguenin n'a jamais écrit sur Venise ou peut-être même n'a-t-il jamais eu le temps de visiter la Sérénissime et de noter ses impressions.

01 novembre 2006

L'Europe du goût est bien celle que je préfère...


4 commentaires:

Choubine a dit…
Quitter Venise, je sais bien comme c'est difficile...
Roseline a dit…
et la recette de la bacala mentecato ? J'ai gouté aussi un jour des beignets de bacala pourriez vous nous en communiquer la recette ? Merci pour votre blog c'est chaque fois un enchantement que de vous lire et les photos sont belles.
lorenzo a dit…
c'est difficile mais combien est heureux le retour à chaque fois !
danielle a dit…
Pourquoi ces allers-retours, sont-ils impératifs ?
Merci pour votre blog, pour les souvenirs de la morue que préparait ma belle-mère juste pour moi.
Merci encore pour " HUMEURS ET MOEURS ", mon mari a lu avec intérêt l'article concernant Paypal qu'il utilise pour ses ventes de timbres.
Il pleut, il vente sur la Touraine, je continue ma visite.

30 octobre 2006

Derniers moments d'un été qui fuit...

30 octobre.
C’est un peu comme si l’été ne voulait pas s’en aller. Partout dans le Veneto, on se croirait en août ou au tout début de septembre. La végétation, la lumière, le ciel d’un bleu limpide, tout porte à croire que les vacances vont pouvoir continuer ou reprendre... “Température supérieure aux normales saisonnières” entend-on à la radio. Cette sensation est agréablement entretenue par le Fhoen, ce vent tiède qui nous vient du versant sud des Alpes et se répand depuis hier sur Venise.

Ce matin à 8 heures, le thermomètre accroché à la fenêtre de ma chambre indiquait 10°.
Vers midi, il est monté à 20°. 

Pourtant, le soleil ne donne sur ce côté de la maison que vers deux ou trois heures de l’après-midi ! 

Mais cela ne va pas durer. Les feuilles des arbres commencent à tomber et les glycines jaunissent. La météo prévoit un changement d’ici mardi ou mercredi avec une perturbation atlantique. Un peu de pluie et le froid sera là avec des courants qui viendront de Sibérie. Ce sera 10 degrés de moins donc qui nous attendent la semaine prochaine. Mais si le ciel reste bleu et le soleil sans obstacle, il fera bon se promener - bien emmitouflé - sur les zattere
Bientôt les écharpes les manteaux et les gants. Puis viendront le brouillard et la pluie dense, interminable. Le ciel bas et gris. Puis la neige et le brouillard encore. Et enfin, un matin, les odeurs se feront différentes, l'air plus léger. Les oiseaux chanteront d'une autre manière. Tout sera comme allégé, illuminé : le printemps sera là de nouveau...

29 octobre 2006

Le départ d'un ami, un père, un maître...

C'est par ces paroles, prononcées avec beaucoup d'émotion, que Massimo Cacciari, le maire de Venise, a salué la mémoire d'Emilio Vedova, l'un des plus grands peintres italiens contemporains, mort dans son sommeil à 87 ans. Après le décès de Pontus Hulten, c'est un autre grand témoin et un immense protagoniste de l'art contemporain qui disparait cet automne. C'était un grand monsieur. Je me suis rendu plusieurs fois chez lui du temps de ma vie étudiante, et l'entendre parler de l'art mais aussi de Venise était quelque chose de "monumental".
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Le maître venait de perdre quelques semaine plus tôt Anna-Maria son épouse, compagne fidèle et attentive. Il n'avait jamais cessé de peindre. Né en 1919, il est mort mercredi dernier dans sa maison des zattere. L'annonce de sa disparition a causé à Venise et dans le monde une immense émotion. L'histoire artistique et humaine de ce vénitien a traversé tout un siècle et sa vie est un véritable roman. Comme le rappelait le maire-philosophe Massimo Cacciari, "par son art et son engagement, il a contribué à écrire une des pages les plus importantes du XXeme siècle".
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Né en 1919 dans une famille d'ouvriers, Vedova vient à la peinture en autodidacte. Obligé de travailler pour vivre, il exercera différents métiers : ouvrier d'usine d'abord, puis photographe et restaurateur. Dans les années 30, il commence à dessiner et à peindre intensément. Autoportraits, motifs d'architecture, perspectives, il est dans la lignée des peintres italiens de Installé à Rome en 1936, il fréquente les cours d'Amedeo Bocchi, puis à Florence, il poursuit ce cursus désormais entièrement voué à la peinture. En 1942, il expose pour la première fois et adhère au courant milanais "Corrente". En 1943, la galerie où il expose est fermée par la police fasciste. Dès lors, il participe activement à la Résistance. Sa peinture traduit la vigueur de ses convictions et de son engagement. En 1946, il est parmi les signataires du "Manifeste du réalisme" et participe à Venise à la fondation de la "nuova secessione italiana" puis au "Front Nouveau des Arts". Il participe à de nombreuses expositions collectives dans le monde entier et devient l'invité de la Biennale de Venise en 1948 et 1950, à Sao Paulo en 1951, de nouveau à Venise en 1952 puis à la Documenta de Kassel en 1955.
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Associé au "Groupe des Huit" (1951), créé par Lionello Venturi dont il se dissociera deux ans plus tard lors d'une déclaration publique lors d'un congrès de haute culture à la Fondation Giorgio Cini. Il créé des collages et des "assemblages" . Son travail s'oriente ensuite sur l'échelle chromatqiue des noirs et des blancs, avec des insertions de rouge vif. Ce sera le "cycle de la protestation" puis le "cycle de la nature". En 1954, Vedova part pour le Brésil où il reçoit un prix qui lui permettra de rester trois mois en Amérique. La découverte de la réalité de l'Amérique du Sud et de son atmosphère va fortement le marquer.
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En 1956, il expose à Munich et commence un travail très intense de gravure qui sera couronnée par le prix Lissone en 1958. L'année suivante il présente une exposition très commentée "Scontro di situazioni" (collisions de situation) où ses toiles sont disposées en angle droit, dans le cadre de l'exposition "Vitalité dans l'Art" organisée par l'architecte Carlo Scarpa au Palais Grassi. En 1960, il reçoit le Grand Prix de peinture à la XXXe Biennale de Venise, décerné à l'unanimité par un jury international composé des plus grands experts.
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Il travaille ensuite à ses fameux "Plurimi', présents aujourd’hui"hui dans les plus grands musées du monde. Ces réalisations en technique mixte s'articulent et se meuvent dans l'espace sont exposées la première fois à la galerie Marlborough de Rome et présentée par Giulio Carlo Argan. Invité par de nombreuses universités américaines, il donne une série de conférences sur ses plurimi. Il enseigne ensuite à la Sommerakademie für bildende Künste de Salzbourg en 1965 et à l'Accademia de Venise en 1975. En 1967, il aménage l'espace du pavillon italien à l'Exposition Universelle de Montréal. Constamment à la recherche de l'innovation, son travail ne sera jamais figé. Il créera ainsi des lampes en verre en collaboration avec la verrerie Venini de Murano puis vint le cycle "Lacérations et Fragments", les "disques et les cercles" . Il collabore avec Luigi Nono pour la scénographie de différentes œuvres comme "Intolleranza" ou "Prometeo".

 
.Son extraordinaire force créatrice se manifesta dans un important travail de gravures où il expérimenta de nombreuses techniques. Parmi les dernières expositions qu'il fit, il faut rappeler celle du Musée d'Art contemporain de Turin en 1996, et en 2001 celle organisée par la galerie Salvatore et Caroline Ala, à Milan.

"Pour moi, c'est un ami, un père, un maître qui disparait " a dit le maire "avec lui c'est une grande figure de la peinture et de la culture italiennes du siècle. Un peintre géant de Venise, vénitien de toutes les fibres de son art, dans tous les traits de son dessin, dans le moindre filet de ses couleurs. Ce sera de bon ton dans les prochains jours dans toute la ville, dans tout le pays, dans le monde entier de commenter l’œuvre et d'en exalter l'importance. Pour le moment, les paroles me manquent pour exprimer ma douleur".
Les obsèques (civiles) du peintre présidées par la Municipalité ont eu lieu samedi au Musée Correr. La dépouille du maître transportée en gondole depuis les Zattere le long du Grand canal afin de permettre aux vénitiens de lui rendre hommage; a été ensuite portée jusqu'au grand salon d'apparat de l'aile napoléonienne où une chapelle ardente avait été dressée. Le service civil était présidé par le maire qui a prononcé un discours très émouvant.

En voici une partie dans une traduction approximative : ''[...]Et maintenant repose Emilio. Mais Emilio ne repose pas non plus dans cet ailleurs où il se trouve désormais parce qu'il est une inquiétude du coeur qui ne trouve pas non plus le repos dans l'au-delà. Si Dieu existe, ce Dieu aime les coeurs qui cherchent toujours"...''Il y avait un Vedova que tout le monde connaissait, dramatique et expressif, le Vedova des collisions de situation, des images prises comme un conflit, comme un cri ; mais il y avait en lui une opposition entre la volonté de parler de soi, d'intervenir, de s'exprimer et sa dimension intérieure lyrique, réfléchie, méditative de grand espace et de grand silence qui ne se voyait pas directement dans ses œuvres mais en était l'âme..."
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Le maire a évoqué la petite pièce toujours dans un désordre apparemment chaotique dans laquelle Vedova se retirait pour travailler en silence sur toutes les petites choses qu'il avait ramassé et sauvé, débris de toutes sortes qu'il parvenait à faire revivre, leur redonnant une voix en les transformant en œuvre d'art. "Le geste de l'art est sauvegarde", a commenté le maire, "sauvegarde de nos misères, de nos malheurs, de nos contradictions, réussir perpétuellementà leur donner parole et voix, les préservant ainsi et les faisant renaître" . Cacciari a rappelé "la capacité de Vedova à risquer dans les limites des profondeurs, des lacérations et des contradictions, pour être en situation, pour pénétrer les rencontres et les oppositions, et de là, rebondir"... "Il existait un Vedova pudique" a continué le maire, "qui avait en lui une dimension ésotérique, qui assimilait les contradictions et les collisions, avec une seule forme d'intolérance : le refus de toute injustice. Il ne supportait pas que l'homme fasse du mal à l'homme. Alors Vedova se mettait à hurler. De l'Espagne au Vietnam ou à Sarajevo, il ne s'est jamais abstenu de dénoncer les exactions humaines, à sa manière, avec ses mots, les couleurs et les images. Parce que l'art est révolutionnaire quand il nous révolutionne nous-même et non pas quand il établit des manifestes politiques... Voilà ce que nous a enseigné Emilio Vedova." Émouvant discours en vérité. 


28 octobre 2006

En sortant de la Querini Stampalia




Jusqu'à il y a peu, on entrait et sortait de la Querini Stampalia, que ce soit pour aller visiter le musée ou pour travailler dans la bibliothèque, par l'entrée traditionnelle du palais avec le pont construit par Carlo Scarpa. On y accède maintenant par le campo San Polo.
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J'aime travailler le soir tard dans les grandes salles de la bibliothèque. Souvent la nuit, les fenêtres ouvertes sur le jardin, quelques lumières restées allumées dans les autres salles vides, j'ai l'impression de traverser les siècles et de n'être plus au XXIe siècle mais au temps des écrivains vénitiens dont j'étudie les textes. Étudiant, je venais déjà beaucoup ici. J'y ai découvert l'histoire de Venise, les écrits d'Henry de Règnier, de Jean Lorrain, les partitions de Marcello mais aussi celles de Debussy. Tant d'autres choses encore.
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Aujourd'hui, ce sont mes filles qui y sont inscrites puisqu'elles sont étudiante et lycéenne. Moi, si je possède toujours la carte d'accès en tant que chercheur, je me trouve cependant maintenant un peu déplacé parmi tout ces jeunes visages penchés sur des ouvrages de littérature, de sémantique ou d'histoire. Comme nous avant eux, ils restent là des heures, prenant des notes puis descendent dans le jardin ou sur le campo pour fumer une cigarette, boire un café et se détendre. Puis quand vient l'heure de la fermeture, tous se répandent dans les ruelles vides et disparaissent dans la nuit, tout enivrés des mots et des idées dont ils se sont nourris des heures durant..