Souvent
autrefois, je me demandais comment on pouvait encore avoir la
prétention d'écrire sur Venise. Tellement de grands écrivains avaient su
parler de la ville, celle d'hier et celle qu'ils voyaient. Tellement de
choses, de sensations, d'impressions ont été ainsi merveilleusement
décrites. Comment oser encore ajouter mon verbiage. Avec internet chacun
devient expert, spécialiste, gourou aussi parfois. Il se trouve
toujours un public pour apprécier cet à peu près qui convient bien au monde d'aujourd'hui. Plus de 80.000 personnes sont venus régulièrement lire TraMeZziniMag en deux ans.
Mais j'ai l'impression ce soir, en parcourant toutes ces pages
virtuelles d'être un imposteur. Non pas que j'ai menti ou dit des
insanités. Non, j'ai toujours écrit en vérité, avec mon cœur et mon âme.
Cependant, je suis fatigué de ce combat quotidien contre la médiocrité
de mes idées. J'en suis réduit à chercher en permanence ce qui pourra
attirer l'attention du lecteur, lui apporter de la nouveauté, lui faire
découvrir quelque chose. Il n'y a plus guère de spontanéité et de
simplicité dans mes pages. Les aficionados de Venise prennent
apparemment du plaisir à ses promenades virtuelles et j'en suis flatté,
mais je me suis éloigné de l'esprit de départ, de ce qui avait motivé la
création de ce blog. Car TraMeZziniMag
n'est pas un site, c'est un blog. Une sorte de journal, un exutoire où
je soigne la douleur de mon exil et les péripéties parfois difficiles de
mon existence présente. Un moyen aussi de garder vivantes toutes les
aventures de ma jeunesse vénitienne.
Et
puis je vois tellement de passionnés, tellement de gens sympathiques
dont l'amour pour Venise se traduit dans des sites magnifiques. A les
parcourir, je me rends compte que ma passion, ma connaissance de la
ville, l'amour que j'ai pour elle qui est comme l'amour qu'un homme peut
porter à une femme, est aussi partagé par des milliers d'autres
personnes et que je ne transmets finalement que de l'à peu près, du
superficiel. Du virtuel.Certes un ressenti authentique, de très riches
souvenirs, mais de l'à peu près tout de même...
Non pas que je regrette de n'avoir pas Venise pour moi seul. Mais je
ne me sens pas toujours à la hauteur. Mon amour est solitaire.
Personnel. Avec mes enfants, avec un nombre très réduit d'amis aussi, je
parviens parfois à le vivre puisqu'ils partagent naturellement cette
passion. Pas avec les autres. Et puis arrive forcément un moment où
j'empiète sur la plate-bande de l'autre justement. A maintes reprises
déjà, cherchant une image pour illustrer un texte, j'ai emprunté un
cliché à des sites amis. Personne ne m'en veut vraiment, mais ce pillage
dérange. Pour ma part, je n'aime pas photographier Venise - cela m'a
toujours gêné comme si je violais son identité profonde - mais j'ai
besoin d'illustrer mes textes...
Bizarrerie supplémentaire :
je suis terriblement jaloux des lieux où j'aime aller dans Venise et
pourtant j'en ai dévoilé quelques-uns au fil des pages. En parcourant
tous ces blogs, tous ces sites, j'ai retrouvé les mêmes endroits, les
mêmes passions, les mêmes émotions. J'ai pris conscience que Venise ne
m'appartient en rien, pas plus qu'elle ne vous appartient. Et pourtant
je la voudrais toute à moi. En fait, je n'arrive plus à accepter d'avoir
à partager.
C'est pourquoi ce soir j'ai
pris la décision d'arrêter pendant quelques temps la parution du blog.
C'est une décision terriblement difficile car depuis des mois, ma vie
tourne autour de ce blog, en fonction de ce blog. Je me lève la nuit
pour rechercher une citation, je laisse de côté mes travaux et mes
obligations professionnelles. Je vis constamment avec Venise en tête et
délaisse tout le reste... Je veux garder ma Venise authentique pour moi,
et ne plus m'angoisser de savoir comment donner sans me défaire,
comment exprimer tout ce que je ressens sans copier ni plagier. Et puis,
je veux aussi continuer de vivre normalement, sans elle. Je n'ai pas
envie de devenir fou ni monomaniaque.
Merci de m'avoir lu avec autant de fidélité et d'indulgence et à bientôt !