Jusqu’en 1986, j’habitais un petit appartement en colocation au dernier étage de la calle Navarro, entre San Vio et les Zattere. Une grande cuisine avec un énorme fourneau d’autrefois, une salle de bain en commun et trois chambres. La mienne donnait sur la ruelle et j’apercevais derrière les toits de Venise, le campanile penché de Santo Stefano.
J’y vivais avec Rosa, ma petite chatte grise et nous partagions l’appartement avec Federico, son propriétaire, étudiant en médecine qui logeait dans une superbe pièce aménagée dans le grenier et Betti une étudiante en littérature. Dès les premiers rayons du soleil, la coutume était de se retrouver sur les Zattere. Nous restions assis pendant des heures sur les marches de l’église des Gesuati, ou (quand nous avions assez d’argent), aux terrasses des cafés qui se trouvent sur cette fondamenta. Il y avait la terrasse de Nico le fameux glacier, mais surtout - c’était ma préférée - celle du Cucciolo. Ponton flottant comme les autres, elle était située en face de la Calcina, l’auberge où John Ruskin avait ses habitudes. L'intérieur se réduisait à une grande cuisine et un petit local doté d'un bar et d'une vitrine pour glaces. Les serveurs nous connaissaient bien. Dès le mois d’avril, la terrasse se remplissait d’étudiants et de lycéens. En ce temps-là, es touristes s'aventuraient rarement de ce côté de Venise. Après avoir visité l’Accademia et fait un tour jusqu’à la pointe de la douane, ils rebroussaient chemin et s'en retournaient bien vite vers San Marco. Nous étions entre nous et c'était bien...
Je me souviens des bandes de jeunes vénitiens, filles et garçons, installés aux tables les plus éloignées du quai et qui se servaient de grands éventails d’aluminium pour bronzer vite et plus intensément dès avril. J’y passais des heures moi aussi, dès que le temps le permettait : nous y déjeunions d’un croque-monsieur avec un birrino. Nous y prenions nos cafés et bien entendu nos gianduiotti, cette extraordinaire coupe glacée faite d’une énorme rasade de crème fouettée avec au milieu un lingot de glace gianduia (ce mélange unique de noisette, d’amandes et de chocolat)… Ce lieu m’inspirait. J’y amenais d’ailleurs ma petite machine à écrire portable, une Remington dans un coffret immaculé et je retapais là mes articles et mes notes, en fumant des Craven A sans filtre…
Le Cucciolo s’était appelé le Vapore bien avant que nous soyons nés, puis la Calcina. C’était à la fin du XIXe et au début du XXe le lieu de rendez-vous des écrivains et des artistes comme Franco Maria Piave, le librettiste de Verdi qui y avait ses habitudes, la poétesse Marie de Régnier l’amie de d’Annunzio, Jean-Louis Vaudoyer (on a une photo des deux amis sur cette terrasse), John Ruskin - qui y rédigea « Pierres de Venise ».
En 1912, Rainer Maria Rilke - c’était un de nos héros - écrivit sur une des tables de ce café, sur cette terrasse, une très belle lettre intitulée "Ponte Calcina, Zattere 775 ", adressée à sa Princesse Thurn et Taxis. Le baron Jacques d'Adelsward-Fersen, poète et écrivain qu'un roman de Roger Peyrefitte rendu bien plus sulfureux qu'il ne fut en réalité, y recevait Jean Lorrain en faisant disposer des abats-jours roses sur les lampes pour rendre les femmes plus belles.
Le Cucciolo a laissé la place à la Piscina. Davantage restaurant que café dorénavant. Les serveurs ne sont plus les mêmes, le style plus sophistiqué et les prix plus compliqués. La Piscina parce que, jusqu’à la fin des années cinquante, se trouvait tout à côté un bassin fermé de natation où les vénitiens venaient apprendre à nager.
Je me souviens des bandes de jeunes vénitiens, filles et garçons, installés aux tables les plus éloignées du quai et qui se servaient de grands éventails d’aluminium pour bronzer vite et plus intensément dès avril. J’y passais des heures moi aussi, dès que le temps le permettait : nous y déjeunions d’un croque-monsieur avec un birrino. Nous y prenions nos cafés et bien entendu nos gianduiotti, cette extraordinaire coupe glacée faite d’une énorme rasade de crème fouettée avec au milieu un lingot de glace gianduia (ce mélange unique de noisette, d’amandes et de chocolat)… Ce lieu m’inspirait. J’y amenais d’ailleurs ma petite machine à écrire portable, une Remington dans un coffret immaculé et je retapais là mes articles et mes notes, en fumant des Craven A sans filtre…
Le Cucciolo s’était appelé le Vapore bien avant que nous soyons nés, puis la Calcina. C’était à la fin du XIXe et au début du XXe le lieu de rendez-vous des écrivains et des artistes comme Franco Maria Piave, le librettiste de Verdi qui y avait ses habitudes, la poétesse Marie de Régnier l’amie de d’Annunzio, Jean-Louis Vaudoyer (on a une photo des deux amis sur cette terrasse), John Ruskin - qui y rédigea « Pierres de Venise ».
En 1912, Rainer Maria Rilke - c’était un de nos héros - écrivit sur une des tables de ce café, sur cette terrasse, une très belle lettre intitulée "Ponte Calcina, Zattere 775 ", adressée à sa Princesse Thurn et Taxis. Le baron Jacques d'Adelsward-Fersen, poète et écrivain qu'un roman de Roger Peyrefitte rendu bien plus sulfureux qu'il ne fut en réalité, y recevait Jean Lorrain en faisant disposer des abats-jours roses sur les lampes pour rendre les femmes plus belles.
Le Cucciolo a laissé la place à la Piscina. Davantage restaurant que café dorénavant. Les serveurs ne sont plus les mêmes, le style plus sophistiqué et les prix plus compliqués. La Piscina parce que, jusqu’à la fin des années cinquante, se trouvait tout à côté un bassin fermé de natation où les vénitiens venaient apprendre à nager.
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