Vous savez
ma passion pour les carnets d'artiste. Celui que les Éditions de la
Différence ont consacré aux croquis du peintre Théo Tobiasse est une
petite merveille. J'attendais mon exemplaire depuis quelques jours avec
impatience. Le facteur a déposé dans ma boîte ce matin la grande
enveloppe blanche. Il est enfin arrivé. Avec une dédicace de l'auteur.
Superbe album.
.
« J'aime Venise aux souvenirs entrecroisés » écrit-il dans la préface de l'album, « les uns sur les autres. Hommes assis sur leur chaise, femmes à la vigilance inquiète. Le passé s'engouffre dans le présent »...
Théo Tobiasse
est d'origine lituanienne. Il est né en 1927 à Jaffa, en Palestine où
la famille venait d'émigrer. Retournés en Lituanie, les Tobiasse
s'installent ensuite à Paris pour fuir les pogroms. Comme Arbit Blatas quelques années plus tôt. Par manque d'argent la famille ne peut pas fuir et doit rester cachée deux ans. A la libération, Le jeune Tobiasse trouve un emploi chez l'imprimeur d'art Draegger.
Il y réalisera des décors de théâtre, des décorations de vitrines de
magasin, puis dessinera des emballages, des logos, des catalogues.
Installé
à Nice, il découvre la lumière et les paysages provençaux et se met à
peindre. Il est vite repéré par les critiques et le public s'intéresse à
ses œuvres. En 1966, Venise découvre Venise qui devient une des
sources fondamentales de son art. Il y puise une nouvelle inspiration,
retrouvant dans la cité des doges la synthèse des influences qui l'ont
fait grandir en tant qu'artiste. Derrière une apparente nonchalance et
une forte dérision, Tobiasse
exprime dans ses travaux une grande sensibilité et il ressort de son travail quelque chose de très dense. La bible et l'histoire du peuple
juif rejoignent dans les années 70 les thèmes de l'enfance et de l'exode
pour s'imposer dans son œuvre.
Artiste très prolixe, manipulant le feutre et l'encre avec autant de vigueur et de dextérité que la couleur, il est
le peintre du bonheur inquiet, de la satisfaction mêlée de modestie de
l'homme après l'effort ou après un bon repas. C'est aussi comme ses
cousins en art, Chaïm Soutine, Chagall, Blatas,
le peintre d'une douleur contenue, pour qui la joie de survivre, celle
de pouvoir voir et de contempler ce que d'autres n'ont pas eu la chance
de contempler, fait avancer chaque jour le vieil enfant qui sommeille en
lui. La peinture de Tobiasse ? Quelque chose d'intense et de léger à la
fois.
Son amour pour Venise est flagrant. Ces extraits le confirment :
« Venise
que j'aime, opéra permanent qui se joue au pied de la Salute. Joyau
tissé de nostalgie où la voix des prophètes ne s'éteint jamais. Peuple
assoiffé de pulsions étranges. Palais de marbre, ciselés, barricades de
joie dressées dans un silence de miroirs. Colonnes gravées
d'invraisemblables tendresses, l'hiver à Venise meurt entre deux vagues
de gondoles. Les ponts se rouillent contre les murs inspirés. »
[...]
« Depuis,
dans mon coeur je vis avec une fenêtre ouverte sur le Grand Canal. Des
fleurs séchées creusent le temps et les canaux. La nuit, les rues
désertes, où rôdent des éclats de rire, font écho au silence dans les
replis des pierres. »
[...]
« L'enfant rejoint le poète sur le trône des doges.»