C'est une bonne
nouvelle qui a été accueillie avec satisfaction par les vénitiens et
tous ceux qui regrettaient de ne plus pouvoir s'installer à la pointe de
la douane, la nuit, pour contempler l'un des plus beaux paysages
urbains du monde, les amoureux qui aimaient s'asseoir au pied du
lampione, les rêveurs, les musiciens qui parfois, loin de toute
habitation, venaient gratter leur guitare ou souffler dans leur flute.
Il va donc être remis en place et Tramezzinimag s'en félicite.
Combien
de fois, la nuit, après un dîner, une soirée, ou simplement en revenant
de la bibliothèque Querini-Stampalia, avec des amis, ou le plus souvent
seul, suis-je venu m'asseoir au pied de ce lampadaire. A droite la
longue façade de la Giudecca avec le Redentore éclatant de blancheur, en
face, San Giorgio et son campanile, le petit port de plaisance d'où
parvenaient le cliquetis des drisses et le grincement des coques contre
les pontons, et à gauche, la Piazza, illuminée, avec le palais des doges
, les coupoles byzantines de la basilique, le campanile, "Il paron di
casa"... L'eau noire du bassin, du Grand Canal et du Canal de la
Giudecca, comme un appel du large. Les quelques bateaux qui passaient,
le dernier vaporetto, une vedette de la police, plus rarement une
ambulance. Puis, plus rien que le silence et le clapotis de l'eau.
Le
plaisir de tirer une longue bouffée odorante de la pipe qui ne me
quittait jamais alors. Le ciel étoilé. Le silence. La paix. La beauté du
décor. Et le lampadaire contre lequel j'appuyais mon dos, qui éclairait
cette pointe de la douane et répandait l'ombre de mon corps en de
multiples directions, symbole de mon désir d'être partout à la fois dans
cette ville tant aimée, de tout voir, de tout posséder. Chaque fois, en
me relevant, j'avais l'impression d'être le capitaine à la proue de son
navire, scrutant l'horizon de ses jours. Les rares fois où un chagrin,
une angoisse, un problème m'empêchaient de dormir, une promenade
jusqu'au lampione suffisait pour tout apaiser en moi...