Qui parlait ainsi de ce sestiere
un peu éloigné de tout, qui a su garder toutes les caractéristiques de
la Venise traditionnelle. Cannaregio était son pendant autrefois, avant
que le flux ds touristes transforme tout sur son passage, de San
Geremia au Rialto. Simplement Castello à Venise, le quartier le plus
vaste de la ville. Hormis l'Arsenal, l'ex-cathédrale de San Pietro, la
belle église conventuelle de Sant'Elena, rien de monumental. Tout y est à
la mesure de l'homme, de la vie courante. Modeste. L'Arsenal bien sûr,
même sans l'intervention de Dante qui nous le fait assimiler ses
ateliers et ses chantiers à l'Enfer, transpire encore la puissance et le
gigantisme de ce qu'il fut durant mille ans, mais les autres monuments
qui restent encore du passé glorieux de la sérénissime ?
Prenons
l'église San Martino. Elle se dresse, presque solitaire, un peu cachée,
loin derrière la Riva que tout le monde emprunte en venant de San
Marco. Elle contient des trésors et le saint qu'elle honore est
particulièrement cher aux vénitiens, notamment aux plus jeunes d'entre
eux qui le fêtent bruyamment - et joyeusement - chaque année en novembre, avec bien
plus d'enthousiasme que la très artificielle fête de Halloween importée
des Amériques.
San
Martino di Castello est construit sur ce qui fut il y a très longtemps
- bien longtemps avant que ne se construise le gigantesque Arsenal -
les ilots Gemini aujourd'hui totalement emberlificotés
dans la structure de la ville depuis l'aménagement de l'Arsenal et de la
cathédrale. Dédiée à Saint Martin de Tours, ce saint fameux pour avoir
coupé sa tunique en deux et l'avoir partagée avec un mendiant, elle
contient des trésors peu connus. Comme son histoire d'ailleurs : une
colonie lombarde s'était installée sur la lagune et Saint Martin était
leur saint protecteur. Mais on ne sait pas trop en fait... L'église
votive aurait pu aussi être édifiée par des réfugiés qui avaient fui
Ravenne et auraient nommés la chapelle comme la basilique de leur cité.
On trouve les premières mentions de sa construction en 932 et on sait
qu'elle fut consacrée en juin cette année-là. C'est un lieu
particulièrement agréable à visiter. Dans le silence de ses voûtes, la
fraîcheur de ses marbres, il faut bon se poser un instant et faire
silence même quand on n'est pas croyant.
Ne
manquez pas de la visiter. Du temps où je vivais à Venise, il y avait
là un vieux curé très sympathique qui avait toujours une anecdote à
raconter et se faisait un plaisir de montrer son église aux visiteurs.
C'est ainsi qu'on y découvre des merveilles : une vierge des douleurs de
Palma Il Giovane, un autel de Tullio Lombardo, et dans la sacristie trône un charmant tableau de Antonio Zanchi
si ma mémoire est bonne qui représente la Vierge et Saint Joseph avec
Saint Antoine de Padoue. L'église conserve aussi une précieuse relique,
un tibia du saint tourangeau.
Autre
chose à voir : Parmi les dalles de marbre qui recouvrent le sol devant
le maître-autel, on trouve des carreaux gravés de figures représentant
les outils utilisés non loin de là dans les ateliers de l'Arsenal, par
les calafati, cette confrérie d'artisans chargés de calfater les
navires fabriqués dans les chantiers navals de la République. Les
membres de cette corporation, qui était fort puissante, bénéficiaient de
nombreux privilèges. Ses membres embarquaient parfois sur les navires
de la Sérénissime afin d'assurer le calfatage des coques. Ils étaient
très considérés. Ouvriers fonctionnarisés par la République, ils avaient
aussi le droit de travailler pour les navires marchands privés et de
percevoir une rémunération de la part des armateurs. San Martino était
leur église.
Un billet de TraMeZziniMag
citait l'originalité de cette corporation qui, avec les charpentiers de
navire existe encore et dispose - c'est l'unique rescapée de
l'ancienne République - une société mutuelle, devenue au fil des
siècles une caisse de retraite et de prévoyance. Toujours privée,
toujours régie par les règles édictées du temps des doges et approuvée
par le Sénat de la Sérénissime. Chaque année, le 5 mars, jour de la San Foca,
martyr natif du Pont-Euxin, les voûtes de San Martino retentissent du
chant des membres de cette confrérie à l'occasion d'une messe
solennelle. Le prêtre y bénit des petits pains qui sont ensuite
distribués à l'assistance dans des petits sachets avec une image de San Foca (ou Phocas)
reprise d'une mosaïque ancienne de San Marco. Cette cérémonie est une
des dernières à rester authentiquement vénitienne et n'a jamais été à
ce jour, dieu merci, offerte en pâture aux touristes. Après la
cérémonie, les membres de la corporation et leurs familles se
retrouvent pour un repas traditionnel. Pour y avoir été invité à
plusieurs reprises, je puis vous assurer que tout y est authentique,
vrai, chaleureux et convivial !
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