09 décembre 2016

La Venise d'Albert Marquet (2)




La Venise d'Albert Marquet (1)

Le bordelais Albert Marquet aimait à voyager et il aima particulièrement Venise. Certes pas au point de renoncer à sa vie pour s'installer dans la cité des doges mais suffisamment pour y travailler, remplir ses carnets de notes et de croquis, et réaliser de très belles toiles, toutes empruntes de la sensibilité si particulière que nous lui connaissons. Celui qu'on a baptisé le peintre du temps suspendu a laissé des images de Venise très chères à mon cœur. parce qu'elles émouvait le peintre Arbit Blatas qui l'avait bien connu et qui ne m'a laissé surprendre sa grande sensibilité qu'à deux reprises. Dans l'évocation du pogrom qui l'avait amené à fuir de Lituanie et sa proximité fraternelle d'avec Marquet, avec qui il avait travaillé sur une même toile représentant le Bacino di san Marco je crois bien. Une peinture à deux pinceaux en quelque sorte, de quoi alimenter un jour les experts et les historiens d'art ! ... Les dessins présentés ici sont extraits du carnet du voyage à Venise de l'artiste en 1936.

















 


Albert Marquet
Venise : carnet de voyage.
Préfacé par Marcelle Marquet
Collection Quatre Chemins, Editart. 
2 volumes. 1953

07 décembre 2016

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 38 ) : Pierre Bonnard et Les Exigences de l'émotion

 Rogi André, la palette de Bonnard, 1930
Tramezzinimag reçoit depuis sa création de nombreux services de presse. Grands et petits éditeurs savent l'impact des nouveaux medias sur les ventes de leurs livres et ne manquent pas de nous adresser leurs publications. Parmi les envois, souvent faits à la chaîne par des stagiaires inexpérimentés, certains ouvrages retiennent particulièrement l'attention de notre (petit) comité de lecture. La plupart d'entre eux sont bien sûr en lien avec Venise, d'autres traitent d'art, de littérature ou de philosophie. Tramezzinimag se veut LE magazine des Fous de Venise et en tant que tel, il cherche à trouver un lien avec tout ce qui se publie de bien et de beau - avant tout en langue française - parce ce que nous l'assimilons à la Venise que nous aimons dépeindre et que nous défendons becs et ongles. Nous ne citons pas toutes les parutions, loin s'en faut. 

Parfois, un bijou apparait. A la gourmandise qu'il y a à découvrir ainsi un ouvrage qui nous aurait peut-être échappé - tellement de titres sont publiés chaque semaine - s'ajoute le plaisir du partage avec nos lecteurs. Traitez-moi d'élitiste et de snob si vous le voulez, mais dans une époque aussi sombre, pauvre et monochrome que la nôtre, tenter de faire jaillir les couleurs et les sons qui sont comme un été indien perpétuel pour le cœur, contribue de chasser la pluie et la froidure qui obscurcissent nos jours. Mais laissons la grandiloquence qui en fera se moquer plus d'un et venons en aux faits. 

Nu dans un intérieur, 1912-1914
Tramezzinimag à la prétention de continuer, vaille que vaille, d'être un passeur de ce sentiment permanent de joie et de beauté, parce que c'est de Venise toujours dont il s'agit ; de l'amour immensurable que nous lui portons tous, vous et moi, et parce que nous prétendons que Venise, quoiqu'on en dise parfois dans ces pages, est symbolique de cette union divine de la Joie et du Beau. Le reste n'étant que billevesées. C'est de civilisation dont il s'agit pas de mode. Ainsi, lorsqu'un éditeur prend la peine d'accompagner un service de presse par une carte autographe ; quand non seulement il envoie l'ouvrage dont nous souhaitions parler mais en ajoute un second, complémentaire du premier ; quand, une fois le paquet défait, on a devant soi deux beaux livres, soignés et élégants, on est évidemment séduit. 

L'éditeur en question, beaucoup d'entre vous le connaissent. Il a pour (joli) nom François-Marie Deyrolle (1) et sa maison se nomme L'Atelier contemporain. Les deux ouvrages dont il est question ici : Les Exigences de l'émotion, entretiens et articles du peintre Pierre Bonnard et les Observations sur la peinture de l'artiste, recueil de ses notes et de croquis réalisés dans ces petits agendas de poche que le XIXe siècle a inventé.


Un régal, un vrai que ces deux petits livres dont la très réussie conception graphique est de Juliette Roussel qui travaille avec l'éditeur depuis le début. C'est un bonheur que de parcourir ces pages et de se plonger peu à peu dans la pensée et les réflexions de ce grand artiste. Lorsque j'étais étudiant à Venise, un professeur que j'avais en Histoire de l'Art (2), m'avait conseillé de lire l'ouvrage du neveu de l'artiste, Antoine Terrasse. Je n'avais trouvé qu'une monographie dans le catalogue de la Querini Stampalia où nous passions nos soirées avec mes amies Violaine et Rebecca. Ma mère m'envoya cet ouvrage,  Bonnard, Étude biographique et critique, paru chez Skira, en 1964. 

Gisèle Freund, Pierre Bonnard au Cannet, 1946.
Grande émotion que cette découverte ! L'esprit de l'artiste collait tellement à ce que je ressentais sur l'art et l'écriture et que je n'avais jamais vraiment réussi à exprimer. Je découvris bien plus tard Correspondances, ce superbe ouvrage entièrement dessiné et écrit de la main du peintre paru peu de temps avant sa mort (qui figure en deuxième partie des Exigences de l'émotion), offert par mes parents pour un anniversaire. J'ai conservé mes notes d'alors. En haut de la première page du carnet où je notais en vrac mes cours et mes idées du moment, ces mots de Michel-Ange
"La conception de la Beauté ne doit pas se réduire à une impression sensuelle..." 
Le travail de Bonnard, sa recherche sur la couleur, le mouvement, les formes. ce fut pour moi une de ces rencontres esthétiques fondamentales qui nous font avancer intellectuellement. Si après de multiples essais j'ai laissé dans notre grenier des Chartrons palette et pinceaux, conscient de mon absence totale de talent et que je me suis consacré à l'écriture, c'est en grande partie à la proximité de l’œuvre de Pierre Bonnard et des Nabis (3), et à sa pensée sur l'art. Non pas seulement sur l'art, en vérité mais sur la vie et la conscience de sa finitude, inexorable et qu'il nous faut aborder sans crainte ni mélancolie. 

La palette de Bonnard
Les deux ouvrages sortis en début d'année ont donc trouvé place à côté de l'ouvrage de Terrasse. La lecture de la préface d'Alain Lévêque est un régal, une mise en bouche qui donne envie de courir découvrir ou redécouvrir les peintures de Bonnard. Au fil des mots, on voit s'animer l'artiste et cette silhouette connue, ce visage familier s'animent. L'auteur de ces très belles pages, ancien rédacteur en chef du Courrier de l'Unesco dont j'étais un fervent lecteur du temps de mon passage à Sciences Po, est un habitué de la maison Deyrolle, il y a notamment publié Bonnard, la main légère et un récit qui m'a chamboulé il y a quelques années et que je recommande aussi aux fidèles lecteurs de Tramezzinimag, La Maison traversée, paru en 1999. Texte émouvant à la recherche du pourquoi du besoin d'écrire, ce questionnement qui nous est si familier. "Pour vivre davantage et parler plus juste". Une réelle parenté de pensée existe dans les pages personnelles de l'auteur et celles qu'il consacre au peintre. N'est-ce pas ce qui fait dire d'un auteur qu'il est vraiment écrivain bien loin au-dessus de ceux qui prétendent écrire et il y en a tellement... De même la connivence évidente de l'éditeur avec les auteurs et les titres qu'il choisit de publier. Là encore, ce qui fait la différence entre un éditeur et un producteur de livres... 

Quelle joie donc de lire cet ouvrage rempli de jolis mots, percutants, sensibles et efficaces puisqu'ils donnent au lecteur la sensation de vivre avec l'auteur et son sujet un moment privilégié. Comme si nous avions poussé avec lui la porte de l'univers intime de Pierre Bonnard. Le Lapsang-Souchong qui fume dans la jolie tasse bleue et le chat qui ronronne près de moi, la musique de Johann Johannsson (4), sont-ils complices de cet état d'âme, alors que le jour se lève à peine ce matin sur mes mots à moi ? Forcent-ils mon état d'esprit, donnant à l'émotion que m'ont procurés ces deux livres de l'Atelier contemporain une densité déplacée ? Peu importe. Ce qui compte c'est Bonnard. Ce qu'il était réellement , et puis que ces pages nous montrent comment regarder l'œuvre du peintre. Comme l'a dit Aimé Maeght qui fut son ami en dépit de la grande différence d'âge : "Bonnard est Le Peintre"

Bonnard et Roussel à Venise. Photographie de Vuillard. 1899
Je me suis souvent demandé ce qu'aurait donné dans l’œuvre de Bonnard un long séjour à Venise. A ma connaissance, mise à part la célèbre photo prise par Vuillard, on ne sait rien de l'activité de Bonnard pendant ce court voyage de jeunesse, en 1899. Des croquis, des peintures, des lettres ? L'idée de recherches et d'un texte à venir pour votre (ignorant) serviteur... C'est le midi de la France qui, après la Normandie, a été sa terre d'élection. Les couleurs et la lumière toujours. Qu'en eut-il été des reflets et des formes si Bonnard avait peint Venise ? J'ai lu quelque part qu'il aimait les étoffes à carreaux. On sait qu'il était gourmand des estampes japonaises. Ces détails et tout ce qui est écrit par Alain Lévêque et auparavant par Antoine Terrasse ou Albert Kostenevitch, peuvent aider à imaginer combien Venise aurait gagné à être peinte par Bonnard. Après Turner, Monet, Marquet... Bonnard aimait aussi André Suarez qu'il a beaucoup lu. J'imagine leurs conversations. Sur Venise, sur le Titien (cf Bonnard par André Giverny in- La France Libre, citée dans Les exigences de l'émotion, pp. 68-69) 

F.-M. Deyrolle par Ann Loubert
Tramezzinimag, toujours sur la brèche quand il s'agit de participer au combat de l'art, de la qualité et de la culture, dans un monde de plus en plus étanche à la beauté, à l'Inutile (5) et à l'art, ne peut que se sentir une parenté avec ceux qui ont produit ces deux ouvrages que je vous invite à commander, parfaits cadeaux pour les Fêtes qui approchent à grand pas. Et pour ceux qui le peuvent (mais nous le pouvons tous selon nos moyens), François-Marie Deyrolle et son équipe invitent le public à participer à une opération de crowdfunding pour le financement de son prochain ouvrage. Vous savez combien il est difficile d'être éditeur de nos jours et bien que la France soit mieux placée qu'ailleurs - par rapport à l'édition en Italie notamment - les moyens mis à la disposition des petites maisons d'édition par l’État ne suffisent pas. l'objectif de 6000 € a été atteint, mais davantage d'argent permettra d'autres parutions en 2017... Plus que huit jours. Pour aider l'éditeur, cliquer ICI. Et comme un repas n'est accompli qu'avec un dessert raffiné, laissez-moi vous recommander Le charme indiscret de Bonnard, très bel article de Gérard-Julien Salvy, paru dans la Revue des Deux Mondes (juillet-Août 2006, p.173 et s.), à l'occasion de l'exposition "Bonnard, L’œuvre d'art, un arrêt du temps", au Musée d'art moderne de la ville de Paris.
 
Pierre Bonnard
Les Exigences de l'émotion
Éditions L'Atelier contemporain
2016, 192 pages
ISBN :  979.10.9244.4.346
 
Pierre Bonnard
Observations sur la peinture
Éditions L'Atelier contemporain
2016, 72 pages 
ISBN :  979.10.9244. 4.728

 ________________

Notes :
 
1- François-Marie Deyrolle est né à Agen en 1966. Après des études parisiennes d’histoire de l’art et des débuts dans l’édition, il s’installe à Montolieu, où il crée, à 24 ans, sa première maison d'édition. Sept ans et pas moins de 92 livres plus tard, on le retrouve directeur du Centre régional du livre de Franche-Comté puis de l’Office du livre en Poitou-Charentes, qu’il quitte en juillet 2003. Entretemps, il aura lancé une revue littéraire, L’Atelier contemporain entre 2002 et 2004. en 2003 : il devient directeur de la Bibliothèque des musées de Strasbourg puis chargé de mission pour la création de l’artothèque de la ville. En 2013, L’Atelier contemporain renaît de ses cendres et, tout en projetant d’ouvrir une galerie et de développer une activité d’agent d’artistes, il se relance dans l’édition sur un créneau qui lui tient à cœur : le dialogue entre plasticiens et écrivains.
2- La faculté de Lettres de l'Université de Venise avait son siège dans les années 80,  à San Sebastiano dans un bâtiment revu par l'architecte Carlo Scarpa.
3- Le terme Nabi, prophète en hébreu, a été trouvé par Henri Cazalis, féru de langues orientales, ami de Paul Sérusier qui décida la formation d'un groupe chargé d'annioncer au monde le nouvel évangile de la peinture (Antoine Terrasse in- Bonnard, Étude biographique et critique, Ed. Skira, 1964, p18)
4- Jóhann Jóhannsson est un compositeur islandais. La musique dont il est question dans ce billet est celle qu'il a composé pour le très beau film de James Marsh, The Theory of everything, en 2014.
5- Nuccio Ordine, L'Utilité de l'inutile, manifeste paru aux Éditions Les Belles Lettres en 2012.

05 décembre 2016

Idées pour un repas vénitien ou Il Pranzo di Natale

Réédition du billet paru le 21 décembre 2008 
 sur le premier Tramezzinimag : 

Ecco il menù di Tramezzinimag. Voici donc le menu de Noël de Tramezzinimag, recettes de tradition familiale élaborées du temps où la famille vivait à Venise. Quand j'étais membre de la célèbre Accademia Italiana della Cucina, j'ai rencontré des homologues de Venise qui possédaient des variantes de ces plats. Une cuisine de tradition mais qui s'autorise tout de même quelques touches de goût du jour. Au menu donc de ce repas de fête (proportions pour six personnes) : 
Aumônières Balthazar 
Pintade Omar 
Crème blanche meringuée au sabayon d'orange 

Aumônières Balthazar 
Ingrédients : 6 crêpes assez fines, 6 jolies cailles bien charnues, 200 gr. de foie gras ou de mousse de foie gras, 40 gr. de truffes noires ou blanches, une boîte de jus de truffes, 1 verre de cognac, 60 gr. de beurre, 2 gousses d'ail (dont une écrasée), 100 gr. de pignons de pins, huile d'olive, sel et poivre.  
A l'aide d'un couteau fin et coupant, désosser entièrement les cailles pour les mettre à plat. Saler et poivrer. Récupérer les foies, les hacher et les faire blondir dans la moitié du beurre avec l'ail écrasé. Les ajouter au foie gras ainsi que les truffes grossièrement hachées. Saler et poivrer légèrement. Déposer un peu de cette farce dans chaque caille. Reconstituer les oiseaux en enfermant bien la farce et en ficelant vigoureusement.
Dans une sauteuse, faire chauffer l'huile. Quand elle grésille (mais sans qu'elle fume), y faire dorer les cailles. Réduire le feu et couvrir. Laisser mijoter environ 20 minutes. Pendant ce temps, passer rapidement à la poêle les pignons de pin dans le reste de beurre. Ils doivent être dorés. Les réserver.
Quand les cailles sont cuites, les poser chacune sur une crêpe. Parsemer de pignons et refermer la crêpe en aumônière en la liant avec un ruban de papier aluminium. Tenir le tout au chaud à l'entrée du four.
Déglacer la sauteuse avec le cognac et le jus de truffes. Faire bouillir en grattant bien le fond avec une fourchette sur laquelle vous aurez piqué une gousse d'ail. Servir cette sauce bien chaude dans une saucière en même temps que les cailles. On peut servir avec un assortiment de petits légumes mêlés aux pignons restant. Variante : les légumes frits avec les pignons sont mélangés à la sauce et versés au moment de servir sur les aumônières. 
...
Pintade Omar 
Ingrédients : une belle pintade, 2 gros oignons, 1 carotte, des clous de girofle, thym, laurier, estragon, persil, sel et poivre. Pour la sauce : 1 cuillère à soupe d'huile d'olive, 3 cuillères à soupe de farine, 2 cuillères à café de paprika, 75 gr. de parmesan, 100 gr. de crème fraîche ( ou de crème soja pour faire plus léger), 2 cuillères à café de purée de tomates. Cognac (ou armagnac).
Mettre 1 litre et demi d'eau dans une grande cocotte avec les herbes, les aromates, les oignons piqués de clous de girofle. Porter doucement à ébullition puis déposer la volaille coupée en morceaux. Saler, poivrer. Laisser cuire 1 heure 30 à petit feu.
Retirer les morceaux de pintade à l'écumoire et les placer dans un plat à gratin. Garder le bouillon. 
Dans une petite casserole à fond épais, mettre à chauffer l'huile puis la purée de tomates et la farine. Travailler le mélange. Mouiller avec 1/2 litre de bouillon de cuisson. Ajouter le paprika et le cognac. Laisser bouillir quelques minutes sans cesser de remuer. Hors du feu, ajouter le fromage râpé et la crème. Napper le poulet de cette sauce qui doit être onctueuse mais pas trop épaisse, et faire dorer à four chaud.
Servir avec de la polenta grillée, coupée à l'emporte pièce en forme de sapin de Noël nappée de beurre fondu. 
Crème blanche meringuée au sabayon d'orange 
Pour le sabayon : 1,5 kg d'oranges, 100 gr. de fécule de pomme de terre, 100 gr. de sucre en poudre (cassonade ou sucre roux). zeste de citron vert et jaune. 
Pour la crème : 6 cuillères à soupe de tapioca, 8 cuillères à soupe de sucre, 2 oeufs, 4 tasses de lait, 1 pincée de sel, 1 bâton de vanille. 
Pour la sauce : 200 gr. de sucre glace, 1 citron jaune non traité, 50 gr. de pralin, 1 morceau d'angélique confite, 40 gr. de raisins de Corinthe, Grappa. 
Presser les oranges pour obtenir 1 litre de jus. Délayer le jus dans un grand bol avec le sucre et la fécule. Ajouter des petits morceaux de zeste d'orange et de citron vert et jaune. Mettre sur le feu jusqu'à ébullition sans cesser de remuer. L'appareil doit avoir une consistance de crème épaisse sans grumeaux. Verser dans les coupes de service. Mettre au frais.
Faire bouillir le lait avec le sel et la vanille préalablement écorchée dans le sens de la longueur avec un couteau pointu. Quand le lait bout, verser le tapioca en pluie. Cuire 2 à 3 minutes, ajouter le sucre et les jaunes d’œufs dilués dans un peu de lait. Faire cuire 2 minutes sans cesser de remuer. Ajouter la grappa. Battre les blancs en neige très ferme, les verser en mélangeant délicatement dans le tapioca avec le pralin. Verser dans les coupes déjà remplies à moitié de sabayon. Mettre au frigo.
Faire tremper l'angélique et les raisins dans de la grappa.
Au moment de servir, faire fondre le sucre glace avec un peu de citron et d'eau à feu très doux dans une casserole épaisse et mettre les zestes d'orange, de citrons jaune et vert dans une autre casserole en les recouvrant d'eau froide. Faire bouillir 5 minutes puis sortir les zestes et les laisser refroidir. Les hacher en julienne très fine. Réserver l'eau de cuisson. Lorsque le sucre est fondu, mouiller le caramel ainsi obtenu avec l'eau de cuisson des zeste, ajouter la julienne de zeste, les fruits confits, en remuant bien pour obtenir une certaine consistance. Ajouter le Cointreau.
Napper la crème avec cette sauce, décorer avec des raisins de Corinthe, le reste de la julienne, et de pralin. Servir avec un Malvasia dolce di Casorzo ou le délicieux Moscato d'Asti millésimé de la famille Batasiolo.
N.B. : On peut ajouter à la grappa, un 1/2 verre de Cointreau ou du vin doux choisi pour accompagner le dessert. Il existe une variante au Sauternes et c'est aussi délicieux avec du Champagne mélangé au Cointreau.

3 commentaires:

 n-talo a dit…

mieux qu'en rêve ... les aumonières balthazar me laissent réveuses mais la crème blanche au sabayon d'orange ... je vais en rêver longtemps à moins que je ne me décide à faire vite !
merci pour tous ces beaux partages
lena sous le figuier a dit…
Un festin qui me laisse également rêveuse...des noms évocateurs...
J'imaginais que le sabayon se faisait toujours avec des jaunes d'oeufs.
Lorenzo a dit…
c'est vrai mais c'est le nom de ce dessert dans notre famille. Disons que le zabayon est un cousin du sabayon...

30 novembre 2016




"Il ne s'est jamais présenté à mon esprit la plus légère contradiction entre la vie de l'âme et celle des sens"
Henry de Montherlant 
(Earinus, Troisième Olympique, 1929)

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 38 ) : Livia Tivoli, une vénitienne de coeur et une artiste de talent



Livia Tivoli était l'épouse de Guido Cadorin qu'une magnifique exposition, inaugurée il y a quelques jours, célèbre au Palazzo Fortuny. TraMezziniMag reviendra bientôt sur ce couple d'artistes et sur toute leur famille, ascendants et descendants qui occupent une place de choix dans le paysage artistique vénitien de la fin du XIXe à nos jours. Voici, en guise d'amuse-gueules, deux peintures de l'artiste que j'ai toujours beaucoup aimé et qui sont visibles jusqu'en mars prochain au Fortuny.

29 novembre 2016

Un jeune homme à Venise. Notes retrouvées. 1982




Mardi 1er juin 1982 
Assis à la terrasse d’un café devant l’église dei Ss. Apostoli, entouré de vénitiens tranquilles, je reçois le merveilleux cadeau que Venise m’offre à chacun de mes retours : le spectacle de la rue, ce brouhaha qui en fait ne perturbe en rien le silence immuable de la ville. Partout ailleurs, le bruit, infect poison de notre époque – et l’odeur – des automobiles anéantit la paix et la sérénité de tous lieux jusqu’aux quartiers que le société moderne cherche à restaurer et protège comme par désespoir. Les plus belles villes du monde de vaudront jamais dans mon cœur le charme et la tendresse de Venise. 

Au risque de paraître ridicule, je chante avec emphase cette amante fidèle et patiente ! Que vouloir d’autre ? Que chercher en plus ? Le reste n’est que perte de temps, fausses illusions, vains combats… 

[…] 
 
Seul dans Venise, j’ai retrouvé ma liberté et le goût d’espérer, le désir de créer ! 

Mercredi 2 juin. 
J’ai su dès mon arrivée lundi matin que c’était ici. Nulle part ailleurs, mon cœur, mon esprit et mon corps ne se trouvent ainsi unifiés. Une même sérénité faite d’espérance tranquille, de joie profonde et de certitudes. 

Quoiqu’il advienne, quelques soit mon existence et l’évolution du monde, des évènements et des circonstances, je retrouverai toujours ici la paix et la joie. 

P. me disait avant mon départ combien selon lui Venise est un lieu malsain, morbide, déliquescent. Je crois qu’il n’a pas compris. Venise ne se donne pas. On pourrait croire, en voyant le flot de touristes qui l’envahit, qu’elle se vend. Cela n’est qu’apparences, vision superficielle. Il faut mériter ces palais gigantesques, ces églises dont l’aspect change au gré des heures et de la lumière. Cette lumière justement, unique et nacrée qui enveloppe tout ce matin d’un voile irisé. Mon initiation fut longue et elle loin d’être achevée. Si la bêtise humaine ne vient pas tout détruire, je suis, sans le moindre doute, persuadé que mon bonheur est ici. 

P. ne veut voir de Venise que les fêtes du regretté Visconti, les trop jolis garçons, faisandés  et ces femmes un peu fanées déjà, qui hantent le Harry’s, le Danieli ou le Gritti et recherchent plaisir et fortune, sans spiritualité aucune. Sans héroïsme. Sans la grâce non plus. Un monde que j'exècre. Impur, malsain et pervers.

Il ne peut y avoir de bonheur dans la vie sans la Grâce. L’espérance et le rêve ne restent jamais que du vent si nous ne regroupons pas en nous toute cette force, cette énergie que nous avons reçu comme un don précieux du divin. J’ai compris cela ici, dans cette vieille église parfumée et tellement fraîche des Saints Apôtres. Venise m’unifie et me rassemble. 

[…] 

Dimanche 6 juin. Giardini Publici. 
Il fait très chaud. Assis sur les bords d’un petit canal, je laisse passer les heures loin de la foule. Devant moi se dresse une ravissante petite maison, avec un jardin débordant de hautes herbes. Une vigne vierge recouvre presque toute la façade. Abandonnée, elle a été entièrement murée l’année dernière. 

Je ne sais pas pourquoi elle me plait tant. Je l’ai découvert lors de mon premier séjour avec mes parents, il y a plus de quinze ans. Ils m’avaient laissé me promener seul et j’avais fini par déboucher dans cette rue où naquit Tiepolo, au fin fond de Castello. Je l’ai connu vivante, elle dort maintenant. C’est une petite merveille, avec un joli jardin hélas abandonné, bordé sur deux côtés par un canal et qui donne sur la grande allée du jardin public. Restaurée, elle redeviendrait vite une pimpante domus vénitienne. Elle a connu le temps de Goldoni et de Vivaldi. Avec la villa Lysis de Capri, cette maison aux ouvertures murée s’ajoute à mon futur imaginaire. Le 1623 de la calle San Domenico serait un lieu de vie idéal. Pour écrire, vivre et aimer...

[…] 

Le départ n’est pas triste cette fois. J’ai la sensation de fermer la porte de chez moi pour quelques semaines tout au plus… Je m’éloigne quelques temps, laissant la clé sous le paillasson et le frigo branché. 

[…]

Venise me dit au-revoir d’une belle manière en ce dimanche soir : concert sur l’herbe à San Alvise. De jeunes musiciens proposent à un parterre de vieilles dames ravies et d’enfants piailleurs (joyeux/chamailleurs...), un bel échantillon de musique vénitienne (du XVe à nos jours). Trois bonnes heures de musique, chansons et dans au son du luth et du hautbois. 

Poésie des ruines qui ornent ce jardin pendant que se répand parmi les arbres et les fleurs la musique. 

Ultime promenade. Halte au Florian, puis dernier verre au Harry’s bar et ce sera le départ. 

Lundi 7. 
Dans le train qui me ramène vers ma vie provinciale, je lis Henri de Régnier, L’Altana ou la Vie Vénitienne

Combien ces pages me correspondent et me comblent de joie. Je m'identifie tellement à l'auteur et la musique de son époque coule dans mes veines : "On peut aimer Venise sans y adopter un état d’exaltation et sans s’y attendre à des sensations exceptionnelles… Elle enveloppe de tant de douceurs que l’on y vit vite dans une sorte de bonheur apaisé, dans une espèce de détente amicale, de joie discrète, de tendre reconnaissance, dont il faut accepter le délicat plaisir. C’est cet acquiescement raisonnable à ce qui vous entoure, cette réserve vis-à-vis de toute exaltation factice, ce laisser-aller aux tranquilles délices d’un beau loisir dans le plus beau lieu du monde que nos amies du Palais Dario appellent « être bon vénitien ». Or il me semble que je me sens bon, très bon et même excellent vénitien"  

[…] 

"A Venise, aller au plus beau et au plus essentiel. Pour celui qui y vient pour la première fois, en emporter sinon une image complète, du moins bien composée. La véritable connaissance de Venise exige de longs mois d’intimité" 

[…]  

" Pourquoi le son des cloches dans le ciel, le bruit des pas sur les dalles me font-ils battre le cœur d’une certaine façon ? De quelle prédisposition me vient cet accord avec tout ce qui m’entoure ? De quelque lointaine influence atavique peut-être ? N’ai-je pas dans mon ascendance deux aïeules qui portaient un nom à consonance italienne et qui m’auraient transmis d’obscures affinités ?"

[…] 

"Je ne sais, et que savons-nous d’avant nous-mêmes ? Que conservons-nous en ce que nous sommes de ce que nous avons peut-être été ? Or, de ces vies antérieures que nous nous plaisons à nous imaginer et dont nous croyons volontiers reconnaître en nous quelques traces, il en est une dont je retrouve ici le souvenir et qui fait que je m’y sens vénitien autant que le Doge au corno doré dont j’admire le portrait ducal, ou que le pauvre rampino qui, du bout de son crochet de fer, aide à l’accostage de ma gondole. "
[…]

"Mais ce n’est pas cette vie antérieure que je tente d’évoquer en ces pages, c’est celle que j’ai vécue à Venise. Peut-être aurai-je préféré m’y voir le contemporain de la Venise du XVIIIe siècle, de la Venise de Goldoni, de Gozzi et de Casanova, au temps de la Sérénissime République où l’existence vénitienne atteignit son point le plus délicat dans ses plaisirs et sa nuance la plus exquise en sa molle et voluptueuse décadence ; mais si j’éprouve quelque regret de n’avoir pas porté la baüta de satin noir et la maschera de carton blanc, je n’en rends pas moins grâce au destin bienveillant qui m’a permis de vivre en la Venise d’hier et d’aujourd’hui."

28 novembre 2016

Venise, l'oiseau du songe que l'Italie a lâché sur l'Europe (1)

Ces mots d'André Malraux figuraient en exergue des premières pages de Tramezzinimag en 2005. Elles venaient faire le lien entre mon engagement de l'époque en faveur du Non au référendum sur la constitution européenne et mon amour pour Venise qui a toujours représenté le parangon de l'idée que je me fais de ce que devrait être l'Europe. Je les retrouve ce matin dans une note oubliée dans Les Voix du Silence que je n'avais pas ouvert depuis des années. L'idée m'est venue de rassembler les idées et les sentiments de Malraux sur Venise...

L'allegro du concerto pour deux violoncelles d'Antonio Vivaldi magnifiquement interprété par Julian et Jiaxin Lloyd-Webber résonne dans la maison. Il sonne parfaitement bien avec les réflexions que je me fais depuis hier sur les propos de Malraux au sujet de Venise et des arts que la République a savamment mis en scène, avec le sérieux et la précision d'un communiquant moderne - je ne veux pas dire propagandiste - ou mieux encore d'un cinéaste. car, si on y regarde de près, toute la mythologie vénitienne et les rites qui l'accompagnèrent mille ans durant, l'omniprésence active et forte d'un ensemble culturel et social cohérent, la part belle donnée à la forme et aux couleurs qui prennent le pas sur la représentation pure et simple. Tout est mise en scène et le décor est incroyablement fort. La cinégénie  de Venise fait s'apparenter les grandes fêtes et leur représentation physique à des scènes de cinéma. Là encore, la sérénissime est innovation. est-ce la raison inavouée de l'acharnement du caporal corse à détruire une république millénaire

N'est-ce pas aussi une explication logique à la violence de la suzeraineté autrichienne qui dura presque soixante-dix ans. La puissance du mythe, les racines populaires autant qu'aristocratiques de ce qui fonda et perpétua jusqu'à ce malheureux matin du vendredi 12 mai 1797 où le Sénat mit fin à la République en dépit de la volonté populaire, un des systèmes les plus originaux et les plus extraordinaires de l'Histoire, tout fut balayé par la médiocrité d'idées mal dégrossies qui, comme le plus souvent dans les révolutions, ne faisaient que cacher le ressentiment d'ambitieux et de jaloux qui s'empressent toujours, parvenus au pouvoir (et parvenus du pouvoir - je ne résiste pas au jeu de mot et à l'association d'idée). Ceux qui euthanasièrent la Sérénissime, les vénitiens comme les français, ne pensèrent qu'à leurs intérêts personnels : la renommée et la fortune pour Buonaparte et son armée de pilleurs et de voyous, la sauvegarde de leurs biens et de leur vie pour les patriciens dont l'attitude pleutre et mesquine - cela durait depuis plus de quinze ans et les derniers doges n'ont jamais pu enrayer la chute inévitable. 

S'entêtant à vouloir rester toujours et systématiquement neutre, le gouvernement de la République ne sut pas utiliser cet état pour réformer son fonctionnement et entretenir ses réserves monétaires. La décadence de l'idéal politique, du sens de l’État, contraste terriblement avec l'enthousiasme et la dévotion du peuple pour la bannière de San Marco. Les richissimes détenteurs du pouvoir ne surveillaient plus que leur or, défendant leurs prébendes et s'éloignant de plus en plus des réalités du monde. D'autres l'ont analysé bien mieux que nous le faisons ici. Venise alliée des idées nouvelles auraient pu tempérer les ardeurs révolutionnaires des peuples voisins, proche de la France nouvelle elle aurait contribué à éviter les guerres qui s'apprêtaient et sa diplomatie aurait certainement pu avec patience, ruse  et détermination - capacités légendaires - en satisfaisant le parti de la révolution, contenir la colère et l'ambition des Habsbourg, éviter l'humiliation du pape et la mort de millions d'innocents. Mais l'uchronie est une science qui nécessite des arguments précis et chiffrés sinon nous flottons dans une douce rêverie qui porte à sourire... 

Giorgione
Entendre André Malraux s'exprimer sur tout cela sur le ton de L'Irréel aurait été passionnant. Au chapitre VII de L’Irréel, il assimile la peinture vénitienne à un poème et complète sa pensée par une des belles phrases dont il est coutumier :
"Titien nomme poèmes les mythologies qu’il envoie à Philippe II, et pour les maîtres de Venise, que leurs tableaux soient profanes ou religieux, le successeur du cosmos médicéen […], c’est le monde du poème."
(L’Irréel, Écrits sur l’art, II, 2004, p. 602.)
Pour lui, Venise, en dépit des siècles qui passent et éloignent de sa réalité de puissance politique et économique, et de son rôle culturel de premier plan, la présence active d'un ensemble (culturel) cohérent et dynamique souvent utilisé comme outil politique, admiré par tous et souvent jalousé, demeure très forte à notre époque. Cette ville qui fut l'une des métropoles les plus peuplées d'Europe, un lieu permanent d'innovation et de mode demeure semblable à ce qu'elle fut. Le monde moderne, s'il a contribué à ternir son aura, n'a jamais eu raison de son essence. La modernité n'a pas pu saccager Venise. l'absence d'automobiles ( et longtemps du moteur à explosion en général puisque les bateaux étaient mus uniquement à la force des rames ou à la voile). 


André Malraux est souvent revenu sur la forme et les couleurs de la Sérénissime, qui depuis toujours prennent leur sens en prenant le pas sur la représentation, autre porte d'une évolution, autre lien. Cela évoque le cinéma par la mise en scène de la lumière, des couleurs et des reflets...Il a parlé aussi du rapport à l'obscurité qui ne peut pas ne pas être perçu par le visiteur. Il donne à cela une explication poétique autant que philosophique que les théoriciens de l'esthétique de la ville moderne semblent avoir oublié. La prise de conscience environnementale ramène peu à peu nos espaces urbains à cette poétique de la ville. L'obscurité, le silence, la pureté de l'air, les jeux de lumière... tout concourt à préserver un cadre de vie supportable. Soutenable. C'était déjà cela dans la Venezia Dominante e Serenissima. Sans théorie ni parti-pris. Lire son analyse des peintres de l'école vénitienne, du Giorgione à Guardi est une véritable gourmandise. 
à suivre.