VENISE,UN LIEU MA ANCHE UN VIAGGIO NELL'EUROPA CHE MI PIACE NOT THE ONE OF THE GLOBALIZATION MAIS CELLE DES NATIONS DES PEUPLES DES CULTURES, PATRIA DELLA DEMOCRAZIA DELLA FILOSOFIA DELLA STORIA LA REINE DES VILLES AU SEIN DE L'EUROPE REINE DU MONDE
Il y a un an, quand Venise faillit sombrer...L'occasion de vous présenter le somptueux "Venice Food Blog" de Nicoletta Fornaro, notre Coups de Cœur de novembre.
Le monde que chamboule la "crise" sanitaire (due bien plus aux mauvais choix de nos gouvernements fascinés par ses idoles mortifères, "Le Marché", Le "Profit", "Le Pognon" e tutti quanti, qu'à une épidémie certes galopante mais bien éloignée de la peste, de la malaria) aura oublié ces terribles jours de novembre de l'an passé, quand Venise a été submergée par une marée géante poussée par des vents furieux transformant la cité lagunaire en une Gotham City improbable. En quelques heures certains perdirent tout, les dégâts furent énormes. La peur et la panique laissèrent la place au chagrin et à la colère. Un an déjà et pour le visiteur, bien peu de traces. Moins qu'après la catastrophe de 1966 qui inonda Venise et Florence, détruisant irrémédiablement de nombreux chefs-d'œuvres et fragilisant bon nombre de bâtiments historiques. A l'époque le monde entier avait réagi envoyant des volontaires, de l'argent. Une loi spéciale fut votée. Cela ne devait plus arriver.
C'est pourtant arrivé à plusieurs reprises, des acque alte importantes mais jamais autant que cette fameuse marée de 1966. L'acqua grande de novembre 2019 n'eut pas le même écho. Heureusement, elle fut aussi moins haute. Pourtant les images terribles qui défilèrent sur les médias secouèrent. Une preuve évidente que ce changement climatique qu'un idiot couronné nia pendant toute la durée de son bail (vous savez ce type vulgaire et grossier et sa blanche maison qui faisait ressortir le noir de son âme) était bien là avec ses conséquences de plus en plus lourdes...
Je cherchais comment évoquer ces journées sans ressasser les mêmes propos sur l'inanité des dirigeants de la Sérénissime, la gabegie autour du MOse dont on ne croyait pas qu'il put fonctionner un jour.* Ainsi, pour commémorer ce triste évènement, heureusement superato (dépassé) depuis par la ville et ses habitants, je vous propose de lire un texte de Nicoletta Fornaro.
La dame est une blogueuse bourrée de talent, sa plume est alerte mais elle est aussi photographe (c'est la profession qu'elle affiche), cuisinière inventive et gourmande (ces recettes sont à chaque fois un délice). Bref, une vénitienne dynamique et charmante qui écrit drôlement bien, sur des sujets gourmands et culturels. Je regrette parfois qu'elle ne s'exprime qu'en anglais quand les vénitiens de la génération de ses parents s'exprimaient généralement en français. Mais n'est-ce pas la confirmation supplémentaire qu'ici comme ailleurs dans le monde, nous avons laissé notre langue s'affaiblir au profit de l'idiome de Shakespeare !
Nicoletta exprimait son désarroi le 30 novembre 2019 dans son Venice Food Blog, joliment baptisé "Naturally epicurean", son blog (voir le billet ICI), quelques jours après l'acquagrande, Triste et furieusetout en montrant un bel esprit de résilience, elle exprimait cette qualité heureusement répandue chez les vénitiens qui savent courber l'échine sous les chocs, mais redressent vite les épaules en se remettant avec ardeur au travail. Le nom que Goethe donna à la Sérénissime, lors de sa première visite, était bien trouvé : la République des Castors. Le castor est vraiment un animal très attachant. Il construit sans cesse des protections et des barrages, pour éviter que soient noyés ses petits, les lieux de vie et les provisions de sa communauté. L'article a un titre très parlant : Faire la paix avec Venise en trouvant le confortSulla luna. Double jeu de mots très spirituel. Le mot confort qui prend à la lecture le sens de réconfort et le joli nom de l'endroit dont elle parle, littéralement "Sur la lune" souligne le besoin de se retrouver le plus loin possible de la catastrophe tout en demeurant sur place. Mais Sullaluna, c'est aussi cet établissement, que bien d'entre vous connaissez, chers lecteurs. Tramezzinimag en avait fait un de ses Coups de Cœurs quand cette librairie-salon de thé fut créé (voir ICI).
(*) Il a fonctionné, les
lecteurs de Tramezzinimag ne l'auront pas oublié, ramenant le port des
cuissardes et des bottes presque inutiles et permettant de voir la
Piazza sous quelques centimètres d'eau là où régulièrement depuis des
années, les dalles du Liston étaient recouvertes par 30 à 50
centimètres, voire plus d'eau les mauvais jours. C'est une bonne chose
et montre qu'en dépit du modèle économique italien, contestable et de la
mauvaise habitude des détournements de fonds, si vite dilués qu'ils ne
sont quasiment jamais retrouvés.
Ces paroles d'une filastrocca (comptine) traditionnelle en Vénétie auront marqué des générations d'enfants depuis des lustres. Le 11 novembre à venise, on fête la San Martino d'une manière on ne peut plus bruyante. Partout sur les campi et dans les calle de la ville des bandes d'enfants se répandent munis de casseroles et de couvercles sur lesquels ils frappent avec des louches et des cuillères en bois, en répétant cette comptine que nous avons tous chanté. En dépit de la concurrence d'Halloween qu'on essaie d'imposer depuis des années en Europe pour des raisons commerciales, la San Martino continue d'être très attendue par les enfants et les familles. C'est un rite joyeux dont peu de gens, adultes ou enfants, connaissent l'origine.
Sur le campo San Barnaba, 11 novembre 2020
Cacophonie et tintamarre, bonbons et pâtisserie traditionnelle en forme de Saint Martin sur son cheval, c'est Saint Martin qui est fêté. C'est la fin de l'année, les dernières récoltes sont rentrées, la campagne prépare son hibernation et il faut célébrer cela. Et depuis des siècles, les enfants descendent dans les rues pour semer la confusion et faire le plus de bruit possible. Tous connaissent les paroles de la comptine typique de Venise. Mais peu de gens se souviennent de ce qu'on racontait encore aux enfants de ma génération et dont personne n'a jamais pu confirmer la véracité. Il y a tant de légendes à Venise et dans les environs qui mêlent de véritables évènements à des faits inventés ou magnifiés.
San Martin xè andà in sofita
par trovar la so noviza;
so noviza no ghe giera,
San Martin xè andà par tera.
E col nostro sachetin,
ve cantemo el San Martin.
Su 'sta casa ghe xè do putele
tute risse e tute bele
col viseto delicato
suo papà ghe lo gà stampato.
E col nostro sachetin,
ve cantemo el San Martin.
Siora Cate xè tanto bela
in mezo al peto la gà 'na stela,
se no la gavesse maritada
so papà no ghe l'avaria dada.
E col nostro sachetin,
ve cantemo el San Martin.
Siora Lussia la fassa presto
ch'el caigo ne vien adosso,
el ne vien adosso sul scarselin,
siora Lussia xè San Martin.
On expliquait par exemple les surprenantes paroles du premier couplet où il est dit que San Martino va dans une soupente retrouver sa fiancée (la noviza, la promise) et que ne la trouvant pas, il en tombe xé anda...col cul par tera (nul besoin de traduire je suppose !). Voilà ce qu'on racontait chez moi : Il y a très longtemps, dans le sestier de Castello, dans la contrada de San Francesco della Vigna, habitait un vieil homme célibataire ou veuf, appelé Martino, dont tout le monde se moquait. Il courtisait les filles jeunes. Un jour l'une d'elles attirée par la fortune du vieillard céda. Martino dès lors la considérait comme sa promise, sua noviza, à tout jamais. Un jour, il monta dans la soupente où vivait la jeune fille et ne la trouvant pas, il découvrit qu'elle était en douce compagnie. Il en fut tellement surpris, qu'il en tomba le cul par terre...
Crédits Photographique Catherine Hédouin - novembre 2020
Les auteurs francophones qui écrivent sur Venise sont légion. Ils forment une communauté assez étrange qui n'est ni un club d'aficionados, ni une cohorte, une franc-maçonnerie ou encore moins un syndicat. Des éditeurs malins ont à plusieurs reprises tenté d'en dresser l'annuaire dans des essais d'anthologie. Mais à ce jour l'aventure, qui pourrait trouver un lectorat tant tout ce qui touche à Venise, dans son universalité positive (la passion des uns) ou négative (la haine des autres), n'a jamais encore abouti.
C'est qu'il y a du monde, quelques uns célèbres et reconnus et une kyrielle de seconds couteaux, non pas moins talentueux mais peut-être moins chanceux, moins bien défendus par leur éditeur ou trop éloignés du monde parisien. Il y a des petits trésors qu'on découvre par hasard et qu'on voudrait faire lire à tout le monde tellement ils nous ont été un régal, d'autant meilleur qu'inattendu le plus souvent. J'ai abandonné l'idée de dresser une bibliographie exhaustive des romans contemporains dont Venise est le décor, le prétexte ou le thème. Cela reste à faire cependant pour la grande joie des fabricants de bibliothèques, tant il y aurait des kilomètres de rayonnage à façonner pour tout y ranger.
Parmi ces bijoux dont on peut regretter la chape de silence qui entourent leurs sorties - je me demande de plus en plus si les attaché(e)s de presse des maisons d'édition existent encore, si les représentants lisent ce qu'ils vendent voire même si ces deux professions indispensables à la diffusion du livre ne sont pas purement et simplement absentes désormais du générique de ces sociétés, jugées inutiles, inefficaces ou simplement trop coûteuses pour le modèle économique de l'édition d’aujourd’hui - Tramezzinimag avait été en 2019 (voir ICI), les tribulations de Flavio Foscarini, jeune patricien idéaliste et rêveur, marié à la sublime Assin échappée d'un des harems du Grand Turc, ami d'un futur grand poète, inénarrable Gasparo Gozzi, intime de bon nombre de patriciens, proche de Rosalba Carriera.
Le jeune homme dégingandé se passionne dès les premières pages pour une énigme qu'il va chercher à résoudre tout au long des pages du roman, tenant en haleine le lecteur et nous promenant dans une Venise joliment décrite, sans préciosité ni affectation comme hélas parfois chez certains auteurs, certes authentiques connaisseurs de la Sérénissime, de son histoire et de ses légendes, Fous de Venise - ce qui nous les rend éminemment sympathiques in spite of leurs défauts parfois insupportables -. L'auteur, Robert de Laroche connait Venise comme sa poche et on a parfois l'impression qu'il puise son inspiration dans son propre vécu. Un peu comme s'il avait connu personnellement en leur temps les gens dont il parle, dans la Venise d'avant la chute de la République.
Mais soyez rassurés, chers lecteurs, mon ami Robert de Laroche est bien de notre époque. Il aurait pu aisément faire partie du cercle des intimes de son héros Flavio Foscarini. D'ailleurs, le deuxième volet des aventures du jeune Nobil Homo* est tellement palpitant, réaliste et imagé, qu'on a parfois l'impression d'être dans un film, comme un reportage ou un documentaire. Un peu comme si l'auteur avait pu filmer les différentes scènes avant de nous les livrer.
Cette deuxième aventure pensée et conçue par l'auteur dès la parution de LaVestale de Venise, se déroule quelques années plus tard. Voilà ce qu'en peut lire sur la quatrième de couverture :
"Venise, automne 1741. À quelques semaines de la fête de la Salute, la terre se met à trembler, les flots envahissent la Piazza San Marco, des incendies éclatent et un cimetière s’effondre, libérant en pleine rue, monceaux de boue et squelettes. Une atmosphère de fin du monde s’installe dans la cité des doges. C’est à ce moment qu’arrive à Venise une noble dame française, Madame d’Urfé, alchimiste et cabaliste. Elle fait venir de Prague un certain mage qui affirme pouvoir sauver la Sérénissime grâce à l’aide des esprits élémentaires. Mais qui sont vraiment ces deux personnages ?
Flavio Foscarini, un nobiluomo curieux de nature, s’interroge sur leurs
intentions et décide d’enquêter, aidé par son épouse levantine, Assin,
et son ami l’écrivain Gasparo Gozzi, tandis que les événements les plus
dramatiques se succèdent dans une Venise en proie à la peur, aux
superstitions et aux morts mystérieuses."
L'auteur mêle habilement à ses héros inventés des personnages ayant réellement existé, faisant de ce livre autre chose qu'un simple roman noir. Véritable thriller historique, il tient tiendra le lecteur en haleine tout au long des pages, dans une Venise décadente mais toujours flamboyante. C'est le XVIIIe siècle de Casanova et de Goldoni que nous sommes plongés, sans une once d'ennui, sans rien qui cloche, la description des décors et les costumes, et c'est le grand talent de l'auteur, n'est jamais de l'à peu-près. Avec Robert de Laroche, pas de carton-pâte et aucun risque d'anachronisme. Non seulement il connait Venise et son histoire, mais il parvient à faire penser, agir et parler tous les personnages qu'il fait vivre sans que nous puissions un seul instant débusquer un jeu surfait, une parole inadéquate. tout se tient et la dernière page vient trop vite. Il ne nous reste plus en refermant le livre qu'à attendre patiemment les prochaines aventures du fringant Flavio, de sa ravissante épouse et de son ami Gozzi...
Pour en savoir plus encore : ICI et puis aussi un entretien avec l'auteur :
Robert de Laroche Le Maître des esprits Éditions du 81. 2020
ISBN 9782815543681
Prix : 18,90 €
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Notes :
* : L'abréviation N.H., du latin Nobilis Homo ou de l'archaïque vénitien Nobilhomo, c'est-à-dire «Noble Homme», est apparu dans l'ancienne République de Venise, accompagnant le nom des patriciens, la classe noble qui gouvernait la République. L'équivalent féminin étant N.D., (Nobilis Domina). Cela signifiait qu'un patronyme précédé de ces deux lettres désignait un détenteur de la souveraineté de l'État vénitien et donc un successeur potentiel du Doge, similaire dans la hiérarchie nobiliaire, au rang de prince de sang.
Les deux abréviations N.H. et N.D. sont encore utilisées aujourd'hui comme marque d'honneur pour désigner les membres de la noblesse vénitienne sans autre titre spécifique. Le titre de comte qui n'existait pas dans la République, date de l'occupation autrichienne et a été repris par la monarchie après l'indépendance. On trouve aussi quelques marquis à Venise mais ce sont rarement des descendants des familles inscrites au Libro d'Oro.
On m'avait parlé de son travail et j'étais à Venise lorsque la vidéo et le livres sont sortis. Six minutes de poésie,montage de plans fixes et d'images filmées, un vaporetto la nuit à la Giudecca, des femmes qui parlent, des touristes. Une ambiance irréelle,onirique, noire mais pas sombre. Un voyage intérieur plein de sensations et d'amour. Un rappel de la rudesse aussi de Venise en hiver qu'on se souvient comme en noir et blance sont revenues en mémoire lmes sensations de Dieci Inverni , le merveilleux film de Valerio Mieli. Mais Venise est ses îles n'a peut-être même pas été conçu en hiver. Le procédé, le noir et blanc et le rythme du montage évoquent la solitude et le vide des crépuscules à Venise entre novembre et février??. C'est beau et prenant...
Wiliam Guidarini est auteur et photographe, ou plutôt formateur en photographie comme il l'indique sur son site. Il vit et travaille à Marseille où il a été pendant douze ans le directeur artistique du Garage Photographie, un lieu dédié à la photographie à Marseille, à la fois lieu d'exposition et de rencontres, résidence d’artistes et centre de formation.
Il présente sa vision des lieux où il se rend dans un noir et blanc très marqué, sombre, un peu effrayant, mais jamais glauque. Son travail s'inscrit dans cette philosophie que Tramezzinimag défend depuis toujours, ce Spirito del Viaggiatore auquel nous tenons tellement, magie des mots, force du son et des images mouvantes ou figées comme une invitation au voyage, physique ou au contraire purement philosophique voire même poétique, éthéré. Fascinante vision de Venise, cette Venise rarement montrée mais qui est authentique et fascine.
"Sur ce territoire hybride, qui s’accorde parfaitement aux oscillations de l’âme, William Guidarini s’immerge sur la durée et y développe ses thèmes de prédilection : l’identité, les fissures de l’être, et la quête de soi.
La solitude comme port d’attache, la marche comme première pratique de l’espace.
Et l’eau tout autour, pour assurer la distance."
La Circle Song interprétée par le bassiste Misha Mullov-Abbado (le fils de Claudio Abbado et de Viktoria Mullova) avec son ensemble, rythme mes pensées. Les rencontres et les conversations téléphoniques - les textos aussi qui tendent à remplacer ces longs appels des amis qu'on ne voit plus guère, surtout les plus jeunes - m'empêchent de me sentir totalement en exil. Est-ce mon attachement à Venise ou ma passion qui jaillit toujours de mes pensées et s'insinue dans la plupart de mes conversations, comme un geste obsessionnel ? N'est-ce pas pathologique ? Une forme de folie qui peut fatiguer, voire effrayer... Surtout les tièdes, ceux qui n'ont jamais été confrontés à ce délicieux poison qui
s'empare de nous qui sommes pris depuis toujours par l'Ensorcelante.
Loin de Venise depuis si longtemps maintenant, l'ai-je perdue ? Suis-je dépossédé désormais de cette légitimité que le sang qui coule en moi ne suffit plus à garantir ? Aurai-je encore ma part d'amour et de joie quand je reviendrai. Y ai-je encore ma place ? Suis-je légitime encore pour écrire sur elle comme je le fais ?
22 octobre.
Il y aura trente-cinq ans dans quelques jours, le 25 octobre exactement, sous les voûtes de la Pierre qui Vit, ce bar bordelais où ma bande avait ses habitudes, nous fêtions la dernière soirée de cette Semaine de Venise à Bordeaux.Je pensais rentrer bientôt chez moi, à Venise, une fois les invités repartis. Il n'en fut rien. La manifestation avait été une réussite médiatique, le public qui d'abord avait boudé les concerts s'était très vite pressé et nous affichions complet à chaque fois mais tout cela nous avait coûté cher, il fallait créer de nouveaux évènements, obtenir des subventions. Je pensais revenir Calle Navarro, retrouver Rosa mon
délicieux petit chat gris, mes livres, la galerie de Bobo et toutes mes habitudes. Au moins jusqu'à Noël.
Je ne suis plus jamais revenu. Du moins pendant un an. Jusqu'à la Mostra
de 1986 où Pierre Veilletet m'envoya comme correspondant de presse, avec un photographe cette fois, mon ami Christophe Airaud. J'étais une fois de plus écartelé. Je me retrouvais fiancé, engagé dans des activités culturelles certes passionnantes mais tellement éloignées de mes désirs profonds. Bien sûr il y avait Marido qui m'aimait et avec qui j'étais décidé de me marier, ma mère heureuse de m'avoir de nouveau auprès d'elle, notre vieux chat Jules qui ne me quittait plus, ravi lui aussi de m'avoir retrouvé. Dès janvier, Bobo m'avait remplacé par Alessandro, un ami de son fils qui rêvait depuis longtemps de prendre ma place. Christian Calvy, le consul essaya une fois ou deux de me faire rentrer avec des propositions d'embauche à l'université et à l'Alliance Française. J'avais retrouvé les rites
anciens dans le nouvel appartement qu'occupait ma mère. Ce n'était plus la splendeur de la grande maison, mais l'essentiel avait été préservé. Je revis les amis de toujours et ma vie vénitienne redevint un souvenir de plus en plus brumeux... J'étais heureux de ma jeune notoriété, des journalistes qui se persuadaient de mon prochain engagement en politique, de ma vie avec Marido et de la perspective de notre mariage. Etais-je vraiment conscient de cette réalité nouvelle qui se profilait à l'horizon ? Parfois, des bribes de nostalgie me prenaient à l'improviste, comme un hoquet encombrant. Drôle de sensation qui me prenait en traître et que je repoussais rageusement. J'écoutais en boucle Maureen Forrester chanter "Ich bin der Welt abhanden gekommen", le poème de Friedrich Rückertmis en musique par Gustav Mahler, cette lamentation si poignante :
« Je suis coupé du monde / Dans lequel je n'ai que trop perdu mon temps / Depuis longtemps, il n'a plus rien entendu de moi / Il peut bien penser que je suis mort !»
Je me répétais souvent les derniers mots du lied sans pouvoir retenir mes larmes...
« Je suis mort au tumulte du monde / Et repose dans mon tranquille domaine / Je vis seul dans mon ciel, dans mon amour / Dans mon chant.»
En fait, je ne comprenais pas ou je refusais de comprendre qu'une part de
moi-même s'étiolait. L'air de Venise, le rythme de ma vie là-bas, ceux que j'y avais laissé, tout me manquait et pourtant ma vie bordelaise était agréable et facile. Je venais de reprendre le cabinet de relations
publiques qui s'était chargé de gérer la communication du festival, je
déjeunais souvent avec des élus, j'étais souvent sollicité et l'avenir
s'annonçait sous les meilleures augures. Autour de moi, famille,
fiancée, amis, tous étaient rassurés. L'aventure était terminée, je
m'apprêtais à rentrer dans le rang et cela se faisait apparemment sans
grincement de dents. Ils ne savaient pas. Je mentais à moi-même pourtant
et avançais comme un aveugle sur le chemin de la vie.
Tout ensuite alla
très vite et le temps passa. Inexorable évidence. Ce sont mes enfants qui m'ont sauvé. Leur
arrivée dans ma vie, cette joie totale, permanente effaça toute
autre joie, ou plutôt le besoin d'autres joies. Ce bonheur absolu d'être le père de ces quatre merveilleux
petits êtres, devenus quatre jeunes adultes incroyablement beaux, bons et
brillants, m'a gardé en vie, psychiquement, physiquement,
spirituellement. Rien de ce que j'ai entrepris - et qui surgissait de ce
que je suis vraiment - n'avait d'autre inspiration que tout l'amour que je
recevais d'eux. J'ai souvent cherché mes muses. Je les avais tout près
de moi, ces enfants qui justifient tout ce que je suis aujourd'hui. Le
destin a voulu que le décor s'écroula un jour et que se brisent
illusions et faux-semblants. Le divorce est tout sauf une petite mort.
Il a tout dévasté et se relever n'a pas été évident. Il reste tellement
de séquelles, ce goût amer dans la bouche, des remugles puants des
combats et des enfermements, les abandons et les trahisons des proches... Se
reconstruire pour effacer nos souffrances. Ne pas haïr, ne pas fuir, ne
pas tomber ou si l'on tombe, se vite relever. Ne pas se mépriser, avaler
sa culpabilité et sourire à la vie parce qu'il y a les enfants, qu'il y
a leur vie et qu'elle doit demeurer radieuse in spite of. Je ne
sais toujours pas si nous nous en sommes sortis. le serons-nous un jour ?
Le saurons-nous aussi ? Autant de réflexions que la crise actuelle qui
englobe l'univers fait rejaillir et relativise en même temps...
La
résilience... Il nous faut rebondir et accepter que tout n'aille pas
dans le sens imaginé, désiré. Rappel de l'impermanence... Les mots de Thich Nhat Hanh
"...De nouveau le jour tire à sa fin, Ta vie s'enfuit. Regarde profondément! Qu'as-tu fait ? A qui as-tu parlé tout ce temps? Consacre toi à la méditation,Mets-y tout ton cœur.Vis pleinement chaque instant, Libre de tous souci, de toute anxiété. Conscient de l'impermanence, Ne laisse pas filer tes jours dans l'inutile..."
Depuis quelques mois, nous sommes tous plongés dans l’incertitude. Nous avions pensé l’avenir, mobilisé nos forces pour préparer et structurer cet avenir. Nous avions donné une ossature à nos projets, avec l’élan et la joie de vivre des rencontres, des fêtes, des partages. Il y avait une réelle espérance qui nous portait. Puis il a fallu renoncer. Est-ce
seulement partie remise ? Mais pour quand et dans quelles conditions ?
Peut-être alors faut-il changer notre angle de vue. Peut-être nous
est-il donné avec la crise sanitaire, l'opportunité de pensers
nouveaux, d'idées plus généreuses, moins centrées sur notre unique
satisfaction. Notre égotisme aussi... Peut-être, en révélant nos
fragilités, cette tempête universelle va-t-elle nous révéler des vérités
que nous ne savions entendre, et en orientant nos choix différemment,
nous amener aux véritables priorités. Du métaphorique récit des
ossements desséchées du prophète Ezéchiel à l'expression populaire
sur le verre à moitié plein, c'est après tout un choix qui nous est
donné. Se lamenter, avoir peur, désespérer ou bien prendre à bras le
corps cette situation nouvelle, reconsidérer nos projets, et sourire des
opportunités nouvelles. Résister aussi.
Je
pense à ce trésor archéologique récemment découvert dans l'eau d'un rio de
Venise. L'une des conséquences heureuses du confinement a été le retour
pour un temps à la pureté de l'air et des eaux. Devenue translucide et
d'une clarté digne des sources de montagne, l'eau du petit canal révéla
aux riverains ébahis une nécropole antérieure à la construction de la
ville. De la nuit dans laquelle les vénitiens étaient plongés surgissait
soudain une lumière...
« Oui,
les villes belles, exquises, ne sont pas faites pour être habitées. On
finit par s'y sentir aussi irréel qu'elles et par vivre dans
l'anticipation d'un désastre imminent. »
Cette phrase me revient en mémoire. Je ne sais plus de
qui est-elle exactement... Je pense à Oscar Wilde... Bien sûr, Venise
est exquise, sa beauté est unique et peu résistent à l'ensorcellement -
il y a quelques irréductibles - mais à trop s'identifier à sa magie, à
s'imprégner jour après jour, année après année de ses charmes, on ne
sait plus trop où on en est. Cet amour fou, (passion parfois violente et
douloureuse), nous emprisonne et rend impossible toute relation qui
n'impliquerait pas la cité lagunaire. On devient l'amant de Venise et
les êtres que nous aimons doivent se confondre dans notre amour pour
elle. Malheur à eux, car la ville nous possède tout entier. Nous lui
appartenons corps et âme... Notre amour, notre tendresse, voire même
notre désir de l'autre ne sont souvent qu'une pose. Parfois, souvent
même, celles et ceux que nous aimons pourtant sincèrement, ne résistent
pas à cette présence permanente qui fait briller notre regard. Tous
finissent par prendre peur et s'enfuient. Nous restons alors tristement,
face à l'ineffable beauté de la la lagune, sous l'emprise de ses
reflets, de sa lumière, de son silence rempli de notre amour. Mais il ne
s'agit peut-être qu'un simple décor de théâtre, une fantaisie rêvée...
Alors, vivants en apparence, on se laisse porter, rejoignant la
troupe innombrable de ceux qui sont morts à la réalité et avancent dans
les rues de la ville et sur ses eaux, prêts à rejoindre Charon pour
aller vers d'autres rives. Le désastre imminent dont parle l'auteur.
Les notes du "Guten abent, gute nacht" de Brahms glissent sur la scène où, sous un halo de lumière, Pierrot
semble dormir tandis que sur l'horizon, défilent les dernières images de
Mort à Venise, quand le professeur se dresse avant de s'affaisser, son
univers, ses espérances, son amour s'écroulant soudain en même temps que
son cœur explose dans sa poitrine, et ce pauvre Tadzio qui lentement montre
l'horizon de son bras tendu...
J'ai toujours imaginé que jouer ce rôle a dû être un enfer pour Bjorn Andresen. Son regard innocent, sa candeur et sa pureté auront été abimés par les regards concupiscents qui l'entouraient et l'idée de devenir une icône de la beauté adorée. Visconti n'avait-il pas cru nécessaire d'avertir son équipe : « On ne touche à l'enfant». Mon esprit dérive vers une paraphrase concernant ces lignes : « On ne touche pas à Venise » mais - esprit d'escalier, ceci est une toute autre histoire...
Je
n'ai jamais aimé - ou bien alors seulement très peu de temps - quand
mon adolescence s'était faite languissante, ce romanesque morbide et
trop appuyé. Non, cela ne dura pas. Cela ne pouvait pas durer.
Heureusement, une force plus éclatante que la mélancolie des pulmonaires
qui adoraient venir mourir à Venise, dans une cité qu'on peut
n'imaginer qu'en noir et blanc, me reprit au vol. J'étais né pour la
Joie et la Joie a toujours paré Venise d'un éclat multicolore, un joyau
rutilant de perles de bonheur et de diamants de lumière. Cela m'aura
sauvé je pense, bien que certains adeptes de ce dieu nécrophage qui les
appelle à se sacrifier à l'"Étoile morte", ceux dont le « luth constellé porte le Soleil noir de la Mélancolie » croient que la rédemption passe par cet abandon mortifère.
Mais
s'il n'y avait pas eu ces mois de distance obligée, cet exil douloureux
et tout ce temps passé à se réhabituer à l'autre monde, celui qui
commence de l'autre côté du pont, aurai-je dépassé mes rêves ? Serai-je
enfin parvenu à construire une autre réalité, celle qui accompagnera les
derniers moments, l'ultime chemin?
Oui, finalement, c’est peut-être une opportunité. Cet exil forcé m'aura
éloigné des quelques mauvais acteurs qui encombraient la scène, des
êtres toxiques et sans consistance, bouffis d'orgueil, de prétentions et
d'orgueil, des depuis-peu seulement snobs mais vulgaires
surtout, impressionnante kyrielle de décadents, tristes personnages des
deux sexes, âmes malpropres dont je n'osais m'éloigner - ils pullulent à
Venise, comme ils pullulent à Capri, à Marrakech et dans d'autres lieux
encore que la littérature a façonnés. J'en ai tellement croisé du temps
de ma jeunesse et aujourd'hui encore...
Envisager
avec du recul, par l’absence et la distance, mon rapport véritable à
Venise... Tout sauf une contrainte. Encore moins un chagrin.
L’éloignement m’a fait comprendre qu’il m’est peut-être impossible d’y
vivre vraiment. N’est-elle pas seulement peuplée des fantômes de ma
jeunesse ? Peut-être n’y ai-je jamais cherché que ces senteurs
doucereuses du passé que la distance dans le temps avait rendues
idylliques ? Continuer de proclamer que Venise est un laboratoire, que
toutes les facettes de l'avenir humain y est projeté depuis toujours et
maintenant plus que jamais. Dire à qui veut bien m'entendre que Venise
ne cesse de se construire et de se régénérer, que Venise est bien
vivante et qu'elle survivra à notre bêtise et à notre inconstance. Nous
les Fous de Venise, il nous faut désormais faire un choix : s'attacher
au mât du navire comme Ulysse le fit, résister aux immondes sirènes et
croire que les éléments seront domptés une fois encore, ou bien laisser la tempête tout emporter, nos vies, notre joie, nos rêves et
nous laisser couler avec le navire.
Reconnaître
que le naufrage est celui de la Sérénissime, comme aussi celui de la
civilisation. Le faire comprendre à l'Humanité entière, n'est-ce pas le
seul message ailé pour pouvoir, peut-être, sauver enfin Venise ?
Pluie et vent froid. C'est vraiment l'automne.The Fall*. La saison attendue qui d'habitude comble mon besoin de solitude. Après la langueur tiépide des soirs d'été, quand les plages du Lido peu à peu se vident et que vient l'heure de la passeggiata, il est bon de retrouver ce besoin qui remonte des tréfonds de la mémoire ; le feu dans l'âtre et le thé brûlant qui fume devant le livre ouvert... L'automne et ses sortilèges. Mais rien n'est pareil aujourd'hui. La "crise sanitaire", véritable ou inventée, a tout bousculé. Depuis des années, ce passage de la liberté des jours de plage au repli sous les premiers frimas et leurs ciels bas, se déroulait toujours pour moi sur le même palcoscenico**, Venise et avec le même état d'esprit. C'était à chaque foi une joie ineffable...
La mascarade planétaire qui en se propageant partout, a rapidement balayé sans que nous en ayons toujours conscience notre vie d'avant, me tient éloigné de Venise depuis neuf mois... Plus d'avions ou à des prix indécents, plus aucun train de nuit et des règles liberticides auxquelles, d'instinct, je refuse de me soumettre. Je suis donc bloqué en France, reclus dans ma tanière bordelaise avec quelques échappées belles vers cette campagne des hauteurs de la Garonne, moins emportée par l'hystérie que les grandes ville, où les gens qui gouvernent ne valent pas mieux que ceux de la péninsule (en Italie au moins, les populations ne sont pas dupes et l’État n'ose pas se transformer en disciple des tristes régimes qui empoisonnèrent l'Humanité au XXe siècle...). Partout, s'instaure peu à peu une ambiance délétère et anxiogène.
Pour ne pas y succomber, comme beaucoup d'autres, j'ai éteint la radio, j'ai arrêté de suivre les « informations » et méticuleusement, je cultive - au propre comme au figuré - mon jardin. Je profite de la compagnie d'amis aussi éloignés que moi de cette folie universelle. Les chevaux et les vaches ne portent pas de masque et nul besoin avec eux de respecter une quelconque distanciation sociale, concept barbare dont l'évocation me hérisse. Les gens (ceux qui doutent comme le dit la chanson) vont bien finir par ouvrir les yeux et réagir. Mais en attendant, la terreur, la désinformation, la langue de bois et ceux qui tremblent... Jusques à quand ?
Mais, ai-je le droit de me plaindre quand je vois autour de moi des gens gagnés par la terreur, largement attisée par les médias et les discours officiels. Des gens meurent - mais il en meurt à peine davantage que les années précédentes. Oubliés le cancer, les accidents vasculaires cérébraux, le sida, la grippe, l'infarctus, les accidents de la route. On ne meurt plus que du coronavirus désormais !
Terminé la traduction du petit livre de Nico Naldini, encore jamais publié en français. Regret de n'avoir pu lui adresser. Il est mort il y a un mois, chez lui à Trévise. J'aurai aimé mieux parler - et plus longuement - avec lui de Venise, de son cousin Pasolini, et continuer cet échange né spontanément à Venise, il y a six ans, chez des amis communs. Trop peu parlé avec lui. La dernière fois, Quelques semaines avant Noël, je l'avais eu au téléphone. Je voulais traduire ce texte qu'un ami libraire venait de me faire découvrir. J'ai tellement été emballé par ces pages pleines de drôlerie mais aussi de la nostalgie dont il est imprégné. Non pas comme trop d'écrits dégoulinant d'auto-compassion, de regrets. Juste la remontée de souvenirs en anodins pour la plupart mais seulement pour les lecteurs distraits. Ce que le narrateur raconte, on sent combien c'était important pour lui. Au fil des pages, dans des proportions bien entendu différentes, je revisitais la Venise de ma jeunesse. Les personnages que Naldini y évoque ont existé et j'en ai bien connu certains. L'air que respire le héros du livre, je l'ai respiré aussi et personne après nous ne pourra décrire cette Venise-là, ces moments rares, déjà hors du temps, hors du monde d'ailleurs.
Je voulais lui dire mon enthousiasme, lui demander la permission de faire un commentaire de son texte, je voulais aussi que Francesco m'écrive une préface. Il y a tant de parallèles entre la vie d'un jeune homme à Venise dans les années d'après-guerre et celle qui était la nôtre dans les années 70 et 80. Mais, le savoir au bout du fil, entendre sa respiration, sentir son attention que je savais bienveillante, me paralysa.
J'étais soudain comme un enfant, intimidé et hésitant. J'avais pourtant tellement de choses à lui dire. Il m'avait parlé de textes encore inédits sur Venise et je rêvais de les publier. En raccrochant, après quelques banalités, furieux de ma bêtise, je m'étais promis de lui écrire et de lui détailler mes projets. Je ne l'ai jamais fait. il restait pour moi comme une sorte d'aîné, davantage comme un grand frère ou un cousin. Toujours mon rapport au temps, décalé et invraisemblable. Pathologique sûrement. Je n'ai réalisé qu'il était si âgé (il est né en 1929) qu'à l'annonce de son décès. Une coupure de presse envoyée par un ami...
« Ne jamais remettre au lendemain...»
Une fois encore, le temps perdu à déterminer si mes envies sont légitimes et acceptables, m'a empêché à tout jamais d'obtenir ce qui pourtant m'était offert. C'est peut-être à cause de mes éternels atermoiements qu'on me considère comme un doux rêveur... Seulement comme un rêveur...
Un autre projet de livre me tenait à cœur avec Michel Butor. C'était il y a quatre ans. Bien arrêté, maquette et couverture réalisées, il ne restait qu'à ajouter quelques textes qu'il m'avait promis. Je n'avais qu'à recontacter, comme nous en avions convenu lors de son séjour à Bordeaux. Les semaines passèrent. N'osant pas l'appeler, je m'étais décidé à lui écrire.
Mon courriel était prêt à partir. J'avais hésité avant d'appuyer sur la touche "envoi", voulant peut-être peaufiner encore ma demande... Les semaines passèrent. Antoine qui était allé seul passer quelques jours à Lucinges pour faire des prises de son, m'avait prévenu : la santé très précaire de l'auteur s'était beaucoup détériorée. "- N'attends pas, contacte-le vite. Il attend de tes nouvelles !" Je ne l'ai pas fait...
Il est mort très vite ensuite, la veille de ses 90 ans. Les textes qu'il voulait me confier pour la maison d'édition ne m'ont jamais été adressés, pas plus que son autorisation formelle pour transcrire cette conversation impromptue où il évoquait Venise et l'esprit du voyage*** qui a donné son nom à une des collections de la petite maison d'édition qui n'en finit pas de se préparer à naître... Acte manqué par excellence...
Ne pas rester sur ces impressions négatives. Reprendre pied et aller de l'avant dirait un coach à son équipe ! Haut les cœurs ! Reviendra bientôt le temps de Venise. "Tutto andrà bene !"
Délice de cette mélodie finlandaise, "Tröstevisa" (chanson de Solace) interprétée au piano par Benny Andersson. Je l'avais entendu l'été dernier, imaginant en l'écoutant quelles images se grefferaient à la perfection sur ses notes paisibles et faussement naïves... Le réconfort ne vient-il pas de ces petits riens sans prétention ? Cela m'a inspiré en tout cas, un petit conte pour enfants, à retravailler encore.
17 octobre.
Le climat atlantique a du bon l'été quand il est lui-même et que ses caprices nous rafraîchissent... Hélas, ces jours-ci, la météo est tout sauf clémente. Pluie et tempêtes se succèdent. Ciel bas et vents froids sont notre lot depuis quelques jours. Un ouragan chasse une tempête... Comment nommer ces brusqueries que la nature impose désormais, qui nous font passer de l'été le plus chaud à l'hiver le plus rigoureux presque dans une même journée. Cela ne peut que faire chavirer les plus sereins. D'autant qu'il est impossible de nier que ces changements sont en fait de vraies mutations qui finissent pas agir sur (contre ?) la physiologie de tout ce qui est vivant. J'ai creoisé ce matin un chien qui avait vraiment l'air triste et préoccupé...
Forcément l'angoisse s'instille, et avec elle le doute et ce sont de plus en plus de regards inquiets que nous croisons dans les rues. A la campagne, en première ligne pour assister à ce bazar climatique, on reste encore relativement serein. C'est dans les paroles échangées, cette routine sociale du quotidien, au marché, à la coopérative, à la sortie de l'église ou au café du commerce, que l'on sent poindre le doute. On est passé du "quel temps pourri" et du "décidément, il n'y a plus de saison", à l'affirmatif "ils ont fini par le bousiller, le climat" ou un terrible "Si ça continue, ils vont tout faire sauter", entendu hier matin devant l'étal d'un marchand de raisins à Monségur... Ce "il" sentencieux bouffi de menaces... La vieille dame qui disait cela, avec son accent chantant, n'avait rien d'une pythie déchaînée. Elle avait le regard défait des gens résignés.
19 octobre.
A entendre et à lire les commentaires que font mes amis vénitiens, la crise sanitaire n'a finalement créé que quelques désagréments dont les gens se sont vite libérés. Et si la peur ne résistait pas à la jovialité de l'air qu'on respire sur la lagune ? Depuis le confinement, il y est plus pur. Les hordes ne sont pas vraiment revenues, il y a moins de tensions. Pour ceux qui n'ont pas à quitter Venise (ceux que le compteur de la Pharmacie de San Bartolomeo comptabilise****), il est évidemment
impossible de vivre comme on vit ailleurs.
Ceux qui restent, ceux "qui en sont", ces quelques dizaines de milliers habitant à demeure au milieu de la Lagune, loin du reste de l'Europe qui pour eux n'est qu'une île, ceux qui disent - en faisant croire qu'il s'agit d'humour et s'en excusent presque - que le pont de la Liberté ne relie le continent à Venise que par une noble bienveillance et une vraie grandeur d'âme, ceux-là connaissent leur chance et goûtent en permanence leur privilège. Les vénitiens connaissent le prix du bonheur. C'est le "Qui Viviamo Bene" de cette amie pianiste et philosophe, la radieuse Ilona.
Pour les exilés contraints, c'est autre chose. La douleur se fait aigüe depuis ce temps du confinement qui nous a tenu éloigné de San Marco. Les images que par charité les "Confinés à Venise" (le privilège du siècle !) leur envoyaient, n'ont fait qu'attiser la souffrance d'être exclus de ce miracle quotidien : l'absence des barbares, le silence de la lagune,l'incroyable limpidité de l'eau jamais vue en vrai par aucun vénitien encore de ce monde, et le bonheur de se retrouver entre soi,
comme famille, sans plus être bousculé dans le vaporetto, sans plus être interpelé dix fois par jour pour indiquer le chemin de la Piazza ou de la Stazione, sans plus buter sur des canettes et des papiers gras abandonnés ou sur des corps avachis au milieu des ponts... "Le bonheur !" me criait une vieille amie vénitienne de toujours. Rien ne pourra donc
plus être comme avant. Le spectacle a vraiment marqué ceux qui y ont assisté. Il a rendu jaloux tous les autres.
à suivre...
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Notes
* The Fall (Littéralement la Chute), joli nom donné à l'automne qui évoque New York ou la campagne anglaise pour ceux qui aiment la littérature anglo-saxonne.
** Palcoscenico = scène de théâtre, (fam. : les planches).
*** Lo Spirito del Viaggiatore, l'une des cinq collections à paraître des Editions Deltae, la casa editrice vénéto-française en gestation (retardée par les blocages liés à la crise sanitaire) qui succèdera aux éditions Tramezzinimag. A suivre dans ces colonnes...
**** Un
moniteur d'un genre particulier est installé depuis quelques années
dans une des vitrines de la pharmacie Morelli qui donne le nombre des
habitants de Venise. Il s'agit des résidents vénitiens déclarés. Le
chiffre ne tient pas compte des résidents réguliers étrangers ni des
étudiants logés dans Venise. Cela étant, le compteur montre bien une baisse régulière et inéluctables de la population du centre historique.