14 août 2005

Théo de San Barnaba

Sur le joli campo de San Barnaba existe depuis de nombreuses années un petit bar sans prétention fréquenté par les gens du quartier mais aussi par de nombreux musiciens et des peintres. Le patron, grand amateur de musique avait chaque jour la visite d'un chat ordinaire dénommé Theo


Mais pas si ordinaire en fait. Theo, gatto genetico, pareil à des centaines de ses congénères qui occupaient les cours et les ruelles de Venise (avant que des fonctionnaires venus de Rome décident qu'il fallait réduire cette colonie traditionnellement implantée à Venise depuis la nuit des temps), arpentait le quartier. 

Bien nourri par les mammagatti qui elles aussi, surtout à Dorsoduro, étaient légion, il menait une vie calme et sereine. Très organisée aussi : le matin il allait à Santa Margarita, où il retrouvait ses congénères devant les étals de poisson. Quand midi sonnait, on le voyait au soleil, sur la margelle d'un puits, le rebord d'une fenêtre ou au milieu de la Corte dei Furlani où il demeurait, non loin de la Ca Rezzonico. Plusieurs minets, bien plus jeunes qui lui ressemblaient, vivaient dans les environs, preuve de ses amours passées. Il en avait pincé un temps pour la chatte du bedeau de San Barnaba mais cette infidèle lui avait préféré un jeune rouquin paresseux vivant du côté de San Trovaso. Bref notre Theo était une vedette. 

Chaque jour ou presque, lorsque le bar "Ai artisti" se remplissait de monde et que des musiciens jouaient, ou même quand le patron mettait un disque, Theo arrivait. Dès qu'il entendait la musique (sa maison était sur la fondamenta de l'autre côté du canal), il grattait pour sortir ou sautait par la fenêtre et il rappliquait. Il s'installait à gauche de l'entrée, sous le téléphone et se couchait sur les annuaires près du comptoir. Ceux qui l'ont connu vous le confirmeront, il semblait vraiment aux anges. Il ronronnait de plaisir surtout quand on lui mettait les Quatre Saisons de Vivaldi, et plus que tout, quand les violons glissaient et répandaient leurs trilles joyeuses et résonnaient sur la place. C'est ainsi que Franco Gelli a voulu immortaliser notre amateur de musique dans une lithographie parue aux Edizioni di Ghen, aujourd'hui introuvable et qui siégea longtemps, joliment encadrée, sur un des murs du bar. L'estaminet n'est plus, mais tous se souviennent de Theo !

Cette anecdote me fait penser à un très bel ouvrage, publié en 1991 par Robert de Laroche, grand amateur de chats, chez Casterman, avec des photos de Jean-Michel Labat, intitulé "Chats de Venise". Je le recommande à tous les amoureux des chats et de Venise. 
J'espère que Robert de Laroche, s'il lit ce modeste journal, ne m'en voudra pas d'une aussi plate présentation de son superbe livre !

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