C'est
fou comme les lieux communs au sujet de Venise ont la vie dure. La
ville s'enfonce, il y a plein de pigeons. Les gondoles pour les
amoureux... Tout un amalgame de fausses vérités, d'idées reçues et de
poncifs souvent entretenus par des séjours trop rapides et mal organisés
vendus par des tour-opérateurs sans vergogne comme on vend des petits
pains. L'idée que la plupart des gens sur cette planète ont de Venise
est exactement à l'image de ces groupes pressés au regard fatigué qui
suivent péniblement la guide brandissant un parapluie jaune sur le pont
de spailles ou le long du quai des Esclavons. Troupeau hagard qui
ressemble, de loin comme de près, aux veaux qu'on transporte vers
l'abattoir. L'issue en est certes moins fatale. Pour eux en tout cas,
pas pour l'image de Venise !
Un exemple, on me dit souvent "oh Venise, ça sent mauvais !". Bordelais, habitué depuis mon plus jeune âge aux séjours sur le Bassin d'Arcachon, je réplique que l'odeur de vase quand il fait chaud, les senteurs de la marée près des parcs à huitre, l'hiver, et ce parfum très fort que l'on respire sur la lagune en toute saison, on le sent aussi à Arcachon, à Andernos ou au Cap-Ferret. D'ailleurs, il serait intéressant de faire une étude comparative de ces deux lagunes. L'éco-système lagunaire, l'habitat primitif, la forme des coques des bateaux de pêche, les rythmes de la pêche, les mouvements des bancs de sable, tout sur le Bassin d'Arcachon peut être rapproché de la lagune de Venise.
Le climat n'est certes pas le même. Quand je passe en bateau près des cabanes tchanquées
de l'Ile aux oiseaux, je retrouve l'atmosphère et le style des maisons
vénitiennes d'autrefois encore debout sur certains ilots des environs de
Venise. Les poteaux érodés par le sel et l'humidité tout noircis et
couverts d'algues et de coquillages sont les parents des poteaux qui
surgissent le long des canaux de la Lagune...
Un autre poncif c'est "le manque de verdure à Venise". Oui la Sérénissime est minérale et aquatique, vous avez raison chers touristes pressés. Mais les jardins, la part de chlorophyle de la nature à Venise se mérite. Elle se cache et se protège. J'ai déjà parlé il y a quelques mois des jardins secrets de Venise. Je connais au moins une douzaine de jardins, publics ou privés, où l'herbe est vraiment verte sans être de l'algue, où les arbres poussent et fleurissent, où des fruits et des légumes splendides font le bonheur des riverains.
Sans
parler des fleurs, les glycines par exemple, que l'on sent partout au
printemps, des roses anciennes dans les jardins cachés de Dorsoduro, des
lilas et des jasmins. Voici quelques images de lieux très verts, très
paisibles et très reposants. Peu sont à la portée des touristes
trimballés par les guides officiels. Pourtant, il y en a : le jardin
public de la Biennale, celui du Palais royal, celui de San Girolamo, le
campo de la cathédrale S.Pietro, le petit jardin de la Ca'Rezzonico,
celui de la Giudecca et celui, très récemment ouvert, de la Ca'Foscari
où les étudiants dès les premiers beaux jours vont se reposer. Ils s'y
retrouvent pour bavarder, fumer (bien que cela soit maintenant interdit
en Italie) et grignoter leurs sandwiches entre deux cours... vous voyez
bien que c'est vert Venise !
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