Parfois et même souvent en hiver. Pour beaucoup de monde, Venise c'est l'Italie donc le sable chaud, la mer, le ciel parfaitement bleu. Mais Venise est au nord de l'Adriatique, ne l'oublions pas, au pied des montagnes, sa lagune attire les vents glacés du Nord et de l'Est. J'ai reçu récemment un courriel d'une petite fille qui avec sa classe travaille sur Venise. Elle me demandait s'il était vrai que la neige recouvrait la ville en hiver.
Si c'est moins vrai qu'autrefois, il n'en demeure pas moins que chaque année ou presque - changements climatiques obligent - la Sérénissime se recouvre d'un beau manteau blanc. Comme dans toutes les villes du monde la transformation du paysage urbain pose quelques problèmes de circulation mais les habitants n'en sont pas troublés pour autant. Histoire d'habitude en fait. Certes, ce n'est plus jamais comme dans le passé, quand la force des vents froids venus de l'Est et du Nord et la baisse rapide des températures faisaient de Venise une ville engloutie par la neige et la glace pendant plusieurs semaines. On avait l'habitude de patiner sur les canaux gelés et parfois même on se déplaçait jusqu'à la terre ferme ou à Murano en traineau sur la lagune glacée. De nombreuses peintures de l'époque en témoignent. Pour ma part, pendant mes années vénitiennes, j'ai connu la neige quasiment chaque année.
Je me souviens même d'un des premiers carnavals qui débuta ainsi. La neige recouvrait Saint Marc, le ciel était très gris et le brouillard qui tombait transformait la ville en scène de théâtre. Il fit tellement froid que l'approvisionnement en électricité ne suffit pas et un soir ce fut le blitz : une panne générale isola toute la ville et ce fut comme un retour instantané dans le passé : les masques blancs semblaient surgir des tableaux de Longhi ou de Bella, tout était sombre. Des lampes de poche et des bougies apparaissaient ça et là aux fenêtres des maisons. Un silence troublant pesait sur la ville et parfois on croisait dans le brouillard des groupes de gens chuchotant ou riant. Cela dura plusieurs heures. Magique, ce fut magique.
Le reste du temps, il fallait composer. Ceux qui connaissent l'Amérique du Nord en hiver savent combien on est chaque matin partagé entre la joie enfantine qu'on ressent devant cette étendue immaculée qui rend tout plus beau et efface toutes les laideurs de la vie moderne et le poids des contraintes que le blizzard impose quand il est impossible de circuler, quand il faut déblayer des kilos de neige sur le chemin pour pouvoir sortir de chez soi. Ici on s'en accommode. Les parapluies et les manteaux surgissent de partout et on continue à vivre. Il n'y a pratiquement plus de panne d'électricité ou elles ne durent pas longtemps.
Les bateaux circulent, encore plus lentement. Les bruits familiers sont étouffés, on n'entend guère les oiseaux et les pigeons ont froid aux pattes sur la Piazza. Batailles de boule neige et glissades font le bonheur des enfants. Les plus vieux s'aventurent en clopinant cherchant à ne pas glisser. Les passants s'entraident. Mais la neige ne dure jamais très longtemps de nos jours. Le soleil fait vite fondre la magie et l'élément principal du paysage vénitien reprend sa texture habituelle. Le blanc manteau redevient de l'eau sale... Mais ne dépoétisons pas. Ces temps de neige sont de merveilleux moments arrachés au quotidien et à la grisaille de l'hiver. Si vous avez la chance d'être à Venise quand il se met à neiger, vous verrez que c'est bien de magie dont il s'agit...
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