Je vous
parlais le 6 juin des vendeurs abusifs comme les nomment la presse
italienne. Ils font partie du paysage du centre historique et amusent
les touristes tant ils sont entassés les uns à côté des autres, file
presque ininterrompue de la gare à l'accademia en pensant par le Rialto
et Saint Marc. Ils sont la face sombre de ce que le continent africain
est devenu. Derrière l'outrance de ces déballages de camelote à trois
sous et de mauvaises répliques de maroquinerie de luxe pour gogos, il y a
toute la misère d'un peuple qui continue d'envoyer ses enfants se
brûler aux lumières de l'occident trop riche. Mais à Venise en ces
premiers jours de la 52e Biennale d'art contemporain, une autre Afrique
est aussi présente à Venise.
Davide Croff, le président de la Biennale et Robert Storr,
le directeur artistique de cette cinquante deuxième édition de la plus
ancienne manifestation d'art contemporain du monde ont remis dimanche le
Lion d'or à Malick Sidihé,
le photographe malien, pour l'ensemble de son oeuvre. Cette récompense -
tout à fait méritée - est aussi un symbole fort que Robert Storr
voulait adresser au monde de l'art. En créant un pavillon africain dont
la mise en place a été confiée à la Fondation congolaise Sindika Dokolo,
dont le siège est à Luanda, en exposant dans la sélection
internationale, à côté du lauréat, des artistes comme le camerounais Eyoum Ngangué et l'ivoirien Faustin Titi, créateur de la superbe BD "une éternité à Tanger", Yinka Shonibare, El Anatsui ou Mounir Fatmi.
D'un côté des artistes africains de renom et des organisations
officielles qui les soutiennent et les mettent en avant, un marché de la
création africaine en expansion et dont les prix atteignent le même
niveau que les artistes-phares de l'art contemporain occidental, de
l'autre les fameux "Vucumprà" (1), ces jeunes africains qui assaillent les touristes avec leur camelote contrefaite.
Déjà la polémique (la légende ?) est en route : leur manifestation devant les bureaux de Massimo Cacciari qui
a mal tourné attire déjà le regard des journalistes et de certains
intellectuels qui ont vite fait de crier à la ségrégation. le sujet est
sensible mais Venise n'est pas Milan. Le racisme n'est pas une
composante naturelle de l'âme vénitienne, bien que certains autonomistes
nostalgiques d'un passé bien sombre aimeraient en faire un réflexe. Harry Bellet, l'envoyé du Monde à Venise cite la réaction épidermique du critique d'art Lino Polegato,
commissaire du pavillon nomade de Tahiti qui s'inquiétait de leur
condition et de la répression dont ils font l'objet. Je le dis à
nouveau, cette profusion exponentielle de vendeurs ambulants sans
autorisation, clandestins pour la plupart, vendant les uns à côté des
autres la même marchandise contrefaite et de mauvaise qualité,
ravitaillés par la Camorra qui revient ainsi en force à Venise et qui
encombrent les abords des sites les plus fréquentés par les touristes,
devient chaque jour de plus en plus difficilement supportable. Les
commerçants se plaignent, les ambulants officiels déjà concurrencés par
les vendeurs de gadgets et de roses congelées de la Place Saint Marc,
venus d'Albanie ou de l'ex-Yougoslavie, n'en veulent plus.
Les
vénitiens eux-mêmes en ont assez de voir chaque matin ces chalands
déballer leur marchandise devant leurs portes. Ils sont sympathiques et
vraiment pas méchants mais ils n'ont pas le droit d'être là, ils n'ont
pas le droit de vendre ces contrefaçons. Certains ont été régularisés.
Ils ont un emplacement officiel et leur marchandise - toujours de
pacotille certes - est au moins ethnique (ou de style ethnique) :
boubous, pagnes, foulards, sacs, porte-monnaies, ceintures, tam-tams,
figurines en bois ou en corne. Ils sont malheureusement peu nombreux. La
majorité arrive clandestinement dans des camions affrétés par la Mafia,
de mystérieux pourvoyeurs leur distribuent la marchandise comme celle
saisie l'autre jour sur les quais de déchargement du port de Venise et
ils débarquent par centaines chaque matin dans le centre historique...
L'Afrique est à l'honneur à la Biennale mais la situation des Vucumprà n'est à l'honneur de personne !
.
(1) : Avant que ce terme ne se répande et devienne une assertion commune, il faut savoir que "vucumprà"
n'est pas né du dialecte vénitien. Il est la traduction sur le mode
napolitain de la phrase la plus souvent prononcée par ses africains"vuoi comprare", ("voulez vous acheter" devenu "vous acheter"), dans
un italien approximatif appris dans la baie de Naples, où ils
débarquent en général avant de remonter vers le nord de l'Italie. Ce
vocable devenu en une dizaine d'années un nom commun, est à rapprocher
du mot "sciuscia" qui désignait dans les années d'après-guerre
ces gamins napolitains qui gagnaient leur vie en cirant les chaussures
des soldats américains. Ils attiraient le chaland en criant dans leur
anglais approximatif "shoeshine" devenu "sciuscia". Ce terme a été rendu célèbre par le magnifique mélo de Vittorio de Sica,
récemment diffusé dans la collection des DVD du Monde. Il faut noter
qu'en Italie, les mots à connotation péjorative sont souvent choisis
avec une consonance napolitaine ou sicilienne par les italiens du nord,
marquant ainsi l'idée que rien de bon ne vient jamais des méridionaux
surnommés depuis toujours i terroni, ou africani par les romains, les milanais ou les vénitiens...
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