En couverture cette semaine sur la Gazette de l'Hôtel Drouot un objet rare dont on sait peu de choses. Comme l'énonce la notice, il s'agit d'une "Imposante gourde de pèlerin ou flacon d’apparat, cet objet en verre, monté de cuivre ajouré, présente un délicat décor de pampres feuillagés, agrémentés sur la panse de grappes de raisins. Mais ce qui attire le regard, c'est le médaillon champlevé, émaillé bleu azur et turquoise, figurant le lion de saint Marc."
Le soin porté à la ciselure du décor de la monture de cette "fiasca da pellegrino" (gourde de pèlerin) est assurément l’œuvre d’un orfèvre de talent. Certains spécialistes évoquent même le Florentin Antonio di Salvi (1450-1527), dont les décors gravés très similaires de pièces liturgiques sont conservés au Bargello à Florence. Cependant la figure du lion de saint Marc, tenant le livre entre ses pattes, importe plus. Dans cette posture hiératique, le félin incarne la majesté de l’État. Il est finement gravé, la crinière et des ailes laissées en réserve, l’auréole et les fonds étant émaillés de deux bleus différents. Ont-ils été appliqués au moment de la fabrication de l’objet ou plus tard, pour masquer par exemple des armoiries nobiliaires ou faire de cette fiasque un cadeau diplomatique de la cité des Doges ? il faudrait de longues heures d'études dans les salles des Archivi delle Stato derrière les Frari ou à la Marciana pour en apprendre peut-être davantage sur ce bel objet qui va partir dans une collection privée puisque à ce jour aucun musée italien ou français ne semble vouloir s'y intéresser.
J'ai souvent tendance à penser, quand de tels objets du passé resurgissent des collections privées où ils étaient conservés, que nous devrions organiser des souscriptions publiques pour acquérir ces objets et en faire ensuite don aux musées vénitiens. Encore faudrait-il être informé assez tôt pour pouvoir lancer la souscription. Même en période de crise, tout ce qui concerne le patrimoine du passé mérite d'être protégé et conservé comme bien de l'humanité toute entière et non pas disparaître dans des collections privées où ils sont souvent considérés seulement pour leur valeur marchande...
Exceptionnelle pièce que cette gourde en verre, enchâssée dans une monture en cuivre gravé, ciselé, repercé, découpé, doré, champlevé et émaillé reposant sur un piédouche. La fiasque est en verre de Murano de couleur bleu cobalt avec un très long col et une panse circulaire aplatie. La monture qui recouvre entièrement la fiasque dépasse du col de la bouteille d'environ deux centimètres. En la démontant, les experts ont pu en restituer l'agencement : Elle se compose de deux coques, constituées chacune de deux parties métalliques soudées entre elles ; sans décor sur les pourtours, cette armature est repercée de motifs végétaux sur toute la hauteur des deux faces du col ; deux mufles de lion en fort relief sur l'épaulement sont retenus à l'intérieur de la monture par des écrous en étoile ; chacun de ces mufles conserve un maillon des chaînettes manquantes qui étaient reliées aux petits anneaux placés au milieu du col ; de chaque côté, un large motif de rinceaux, en forme de croix et fixé par deux vis ; ces deux éléments servent à consolider l'assemblage et masquent la séparation des deux coques, en faisant la jonction entre les mufles de lions et les deux disques repercés qui ornent les deux faces de la gourde. Ces deux disques au décor ajouré sont fixés aux parties métalliques de la coque par des rivets disposés sur leurs circonférences. Le centre de ces deux disques est orné d'un médaillon champlevé, émaillé bleu azur et turquoise représentant le lion de saint Marc en buste, les ailes relevées et tenant le Livre fermé entre ses pattes. Le piédouche, reprenant les motifs ajourés, est fixé à l'armature également à l'aide de rivets.
En dépit de quelques légers manques et déformations, l'absence de chaînettes et du bouchon, l'objet est dans un état de fraîcheur incroyable. On peut penser que le médaillon en émail a pu être placé à une époque postérieure. Lors du démontage, on observe des consolidations anciennes à l'étain, notamment à l'emplacement des soudures et des fixations des éléments décoratifs. Des petites pattes métalliques ont été rajoutées afin d'améliorer la solidarité entre toutes les différentes pièces de la monture. Le col a ainsi été doublé intérieurement à son extrémité afin de le rigidifier. Par un souci de protection du papier et du coton ont été glissés sous le fond de la fiasque entre le verre et la monture. La bouteille, en verre soufflé dans un moule, présente de nombreuses bulles et deux petits défauts de fusion. Des dépôts et des salissures sont visibles. On peut ainsi penser que l'objet fabriqué à Venise pendant cette période bouillonnante pour les arts que fut le début de la Renaissance, a ensuite été remanié - suite à un dommage ou pour être mis au goût du jour - ce qui le rend très vivant, laissant à notre imagination tout loisir pour lui inventer une histoire...
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