Il aura fallu pas mal de négociations et de pressions pour décider
le milliardaire français de rendre aux vénitiens la pointe de la Pointe
de la Douane et ranger son éphèbe à la grenouille dans un recoin de ses
collections. Le réverbère va revenir. C'est officiel et Tramezzinimag
s'en réjouit.
Ce n'est pas qu'elle était laide cette sculpture mais sa présence - et
celle d'un vigile grognon - à un endroit stratégique de la ville où
tout le monde aimait à se promener le soir, avait bousculé les usages.
Pour la première fois, un lieu public, le chemin qui longe les anciens magazzini de
la douane, était de fait quasiment privatisé ou du moins offert à
l'usage d'un milliardaire arrogant. Les vénitiens n'aiment pas qu'on
joue avec leurs traditions et ils n'ont jamais vu d'un très bon œil
qu'on piétine les usages. Or ces lieux étaient depuis toujours voués à
la passeggiata, enfants, couples d'amoureux, artistes, musiciens
ou simples riverains, tous aimaient à se promener le soir face au plus
beau panorama de toute la lagune. Combien d'amoureux se sont embrassés
là, sous la lumière du réverbère ou à l'ombre des colonnes du bâtiment ?
Des pêcheurs s'y installaient dans le journée, des vieilles dames
venaient y promener leurs chiens et papoter. La nuit, quand la ville
endormie se faisait silencieuse, il y avait toujours un noctambule pour
venir là avant de regagner son lit.
Vous
le savez sans doute, le fameux réverbère avait été enlevé lors des
travaux et jamais remis, à la demande du locataire des lieux et de son
architecte. A la place, cette sculpture de Charles Ray, haute de
2,47 m qu'on protège des intempéries par une cage de verre blindé. Les
vénitiens ravis au début de ce nouvel ornement des lieux l'acceptèrent
tant qu'il s'agissait d'une situation provisoire. le temps d'une
exposition comme on est habitué désormais d'en voir surgir un peu
partout dans la ville au moment de la Biennale... hélas, l'enfant et son
crapaud ont pris racine. Et il devenait évident que le provisoire
s'installait dans la durée. Et le réverbère ? La ville a d'abord essayé
de noyer le poisson en expliquant que la nouvelle esthétique des lieux
ramenait les aménagements à l'aspect d'origine... La pilule était trop
difficile à avaler. Les vénitiens se rebiffèrent. Pétitions, émissions
de radio, manifestations. On parla même dans certaines arrières-boutiques de faire subir à l’œuvre le même
sort que celui que Buonaparte réserva au Bucentaure... Finalement, le bon sens a prévalu. La sculpture s'en va et le réverbère revient. Nous nous en réjouissons.
Exit les vigiles aussi, du moins espérons-le. Quelle barbe pour deux
amoureux qui veulent être un peu tranquilles, la nuit quand la ville se
fait silencieuse et que les touristes dorment enfin, si un sbire méfiant
et voyeur tournait autour d'eux, sous la lumière du lampadaire...
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