"La lettre que j'ai envoyé à mon oncle installé depuis quelques mois à Rome a mis tellement peu de temps à lui parvenir que sa réponse, arrivée en trois jours, a vraiment surpris tout le monde. C'était un peu comme l'avoir croisé sur le campo s'en allant vaquer à ses nobles fonctions de magistrat exécuteur contre le blasphème avec Angelo Legrenzi, son secrétaire et recevoir de sa bouche les réponses à mes questions. Notre service de courrier est le plus efficace du monde et démontre, s'il en était besoin, la grandeur de notre administration et la sagesse du Sénat. Je suis fier d'être fils de la Sérénissime et aussi vrai que Christ est notre roi tout-puissant pour l'éternité, Venise est ma patrie chérie". Ainsi s'exprimait (la traduction est moderne et trahit sans doute un peu l'esprit de son auteur) dans ses mémoires, jamais achevées ni publiées, N.H. Carlo Agostino Ruzzini, futur Procurator de Saint-Marc, fils de Carlo Ruzzini, lui-même procurateur puis brillant diplomate, et futur doge. Le seul que la famille ait donné à la République.
Carlo Ruzzini procurateur, ambassadeur puis doge de Venise |
Carlo Agostino
écrivit pendant de longues années à son oncle (sa mère et sa tante
étaient sœurs), qui était aussi son parrain. Ces lettres ont fait
l'objet d'une publication au début du XIXe siècle. Comme le père de
Carlo Agostino, N.H. Alvise Pisani fut membre de cette magistrature née de la Sainte Inquisition (dont l'objectif était de maintenir
Venise dans le respect de la Sainte Religion et de prévenir tous les
égarements qui pourraient asservir l'esprit des populations dixit le Frère Tommaso Maria Gennari, inquisiteur). puis deviendra doge quelques années après son séjour à Rome, succédant à son beau-frère mort en 1735.
I Corrieri Veneti, dits di Roma, une institution aussi célèbre que les postes des futurs princes Tour et Taxis,
famille qui inventa la poste moderne avec un système efficace
d'estafettes protégés au fur et à mesure de l'amélioration des routes
par des conventions internationales qui n'avaient rien à envier à nos
traités modernes. Le prince possédait d'ailleurs un palais à Venise dont
le fondaco servait de dépôt postal. Déjà, sous la Rome
impériale, le courrier était acheminé d'une manière incroyablement
rapide et il fallut l'arrivée des barbares pour que cette organisation
s'interrompe, comme furent interrompus les aménagements et l'entretien
des routes et des relais. C'est à Venise que s'établit la première
administration postale des temps modernes, en 1160 exactement.
Les
Archives de la République possèdent de nombreux agréments, contrats et
traités qui permirent le déploiement du système d'acheminement des
correspondances dÉtat à État aussi rapidement que les moyens de
locomotion le permettaient. A la fin du XVe siècle, la régularité et les
délais furent règlementés afin de proposer un service performant et
concurrentiel. Il ne faut jamais oublier pour comprendre Venise de
comparer l'esprit de ses élites à celui des anglais de la City au
XIXe siècle ou des financiers de New York à notre époque. La rapidité
des échanges favorise le commerce. C'est ainsi que s'érigea en 1489, une
corporation professionnelle avec sa mariegola et sa scuola qui
perdura jusqu'à l'invasion française et le saccage des institutions de
la République par le corse. Lors de la fondation de la scuola, le métier
était exercé par quarante personnes et la charge était héréditaire.
Ces courriers acheminaient le courrier dans des lieux aussi éloignés que Bruges, Londres, Gênes, Barcelone et valence. La liste des destinations desservies est impressionnante. On la trouve dans un ouvrage de Marin Sanudo comme dans le Coronelli, ce fameux guide des étrangers à Venise, publié pour la première fois au milieu du XVIIe siècle, qui en cite près de 150 à travers l'Europe.
Installée tout d'abord dans la contrada San Cassiano au Rialto, où étaient aussi les bureaux postaux de Portogruaro, (ceux des différentes nations étaient regroupés Riva del Carbon), elle fut déplacée près de San Moïse, Corte Barozzi en 1775, quand le Sénat décida, pour des raisons financières - la crise économique faisait rage - de nationaliser le Courrier. Le bâtiment, transformé en résidence-hôtel, existe encore. En 1541, une délégation de marchands vénitiens vint se plaindre de la lenteur du courrier. Il fallait vingt jours pour qu'une lettre parvienne à Rome... Il fut ainsi décidé d'instaurer un acheminement hebdomadaire, avec garantie de délais. Le prix fut établi selon le poids. Les missives concernant les services diplomatiques et la correspondance avec le Saint-Siège étaient en Franchise et pouvaient bénéficier d'une expédition plus rapide. L'invention de la valise diplomatique en quelque sorte... Les jours de levée furent établis et publiés, et le courrier délivré à heures régulières certains jours de la semaine selon la provenance dans les bureaux postaux. Une livraison à domicile pouvait être effectuée à Venise moyennant un supplément.
La Scuola, peu connue, disposait d'une chapelle dans l'église San Giovanni elemosinario, surnommée San Zuanepar les vénitiens, église peu connue située au Rialto, et qui était une des églises dogales depuis les temps les plus reculés. L'autel de cette chapelle est ornée d'un retable de Pordenone, représentant la sainte patronne de Corrieri, Sainte Catherine entourée par Saint Sébastien et Saint Roch qu'on peut toujours voir à sa place d'origine, après restauration de l'église qui eut à subir bien des vicissitudes.
Curiosité retrouvée dans les archives de cette famille Ruzzini dont le nom n'est plus aujourd'hui qu'assimilé à un hôtel installé dans un de ses palais - dont TraMeZziniMag vous contera l'histoire mystérieuse - l'un des chefs de service des Postes vénitiennes qui furent maintenues dans leur organisation par les
autrichiens jusqu'en 1806, se nommait Agostino Ruzzini (la famille, venue de Constantinople en 1120 à la suite du rapatriement des ressortissants vénitiens décidé par le doge Domenico Michiel), n'apparait dans le Livre d'Or de la République qu'en 1298). Le patronyme disparait définitivement en juin 1916 avec la mort lors de la bataille de Gorizia du dernier héritier mâle de la famille.
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