Portrait de Mallarmé par Manet. |
Venise, mon obsession ou simplement le lieu où mon être parvient seulement à se rassembler ? Mon âme s'ouvre et s'épanouit quand résonne un de ces chants, nés de l'énergie spirituelle des hommes, dans un temple antique comme dans les lieux de culte bâtis au Christ. Cela me remplit de joie et fait éclater ma reconnaissance. Mon corps s'épanouit et s'ouvre de la même manière quand le soleil m'éblouit et réchauffe ma peau, quand la mer m'enveloppent mais aussi dans ces grands espaces très purs et très hauts en montagne, vierges de toute création humaine, la neige, l'horizon dégagé,, l'immensité... Mais, c'est seulement dans Venise que je suis. Pathologie inguérissable, folie dont le pathétique n'apparait qu'aux autres, ceux qui pensent (qui savent ?) que voyager, découvrir, rencontrer leurs pairs sont des agissements, des situations, des moyens qui font grandir et enrichissent. Au lieu que, de rester figé sur les mêmes lieux, enfermé dans les mêmes endroits, reproduisant les mêmes gestes, rend fou ou ne génère que de l'incomplétude...
Cela serait vrai partout ailleurs. Pas à Venise. Ailleurs, on tomberait vite dans la monomanie, l'hystérie, l'habitude qui lasse et épuise lorsqu'on est incapable d'en sortir pour refaire jaillir l'étincelle. Dans la cité des doges, un univers s'offre à celui qui se laisse ainsi prendre par des rites, des usages. Et puis l'air, c'est là un des mystères des lieux, transporte les remugles des siècles passés, les passants que l'on croise ont dans leur sang le sang des fondateurs, la langue qu'on entend est la même que de temps des Sanudo, Bembo, Foscari. Le monde change et modifie certains aspects de la ville mais la civilisation demeure. Intacte. Comment vivre cela comme un enfermement ?
Je me souviens de mes longues marches dans la nuit de Venise autrefois. J'avais vingt ans. C'était nouveau ces baladeurs, engins miniatures, lancés par Sony. De petits boitiers métalliques, élégants et discrets dans lesquels on glissait une cassette, autre objet devenu aujourd'hui délicieusement incongru et bizarre. j'écoutais en boucle le Gloria et le Magnificat de Vivaldi dirigé par Riccardo Muti, avec notamment Teresa Berganza(*). Une merveille que je ne me lasse pas d'écouter. Musique revigorante et tellement inspirée. offert par un mien cousin que j'aimais beaucoup et que les vicissitudes de la vie m'ont fait perdre de vue. Daniel a toujours été discret. trop peut-être. Mais, doté d'une sensibilité exquise, il débordait de talents. Je lui dois beaucoup, et ce à plusieurs étapes de ma vie. Ce disque a tellement bouleversé mon paysage intérieur... Mon père écoutait Beethoven et Schubert. Et Mozart aussi. La Flûte enchantée pour sa symbolique résonnait souvent dans notre salon. Les grands opéras italiens aussi. Mais l'arrivée concomitante des Concertos brandebourgeois (un double LP acheté une fortune, que j'offris à mon père pour son anniversaire contre l'avis de mon frère qui pensait que cette musique allemande ne plairait pas à l'oreille paternelle) et de cet enregistrement de Vivaldi changea mon oreille et ma conception de la musique.
Je tenais là la traduction sonore de mes goûts et de mes attirances. Venise prenait soudain une couleur bien plus nuancée que celle que m'avait donnée jusqu'alors les Quatre saisons enregistrées selon les critères des années d'avant la redécouverte du baroque. Plus j'avançais, lors de mes séjours sur la lagune, dans la découverte de la ville et de ses trésors,d e son architecture, que je pénétrais ses méandres, plus la musique religieuse du prêtre roux avec sa tonalité si particulière, prenait sens. Avec les années, de nouveaux interprètes, des musicologues avertis (et audacieux) redonnèrent à cette écriture sa véritable configuration. Quel compositeur peut illustrer/expliquer mieux que Vivaldi ce qu'est ou a été la Sérénissime ?
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(*) : Paru à l'époque chez EMI, c'est à mon avis, le meilleur enregistrement jamais réalisé de ces deux œuvres majeures du prêtre roux. Niquet dit quelque part qu'au sortir d'un concert de musique spirituelle de Vivaldi, c'est un peu comme avec Boismortier, on en sort, les interprètes comme le public, revigoré, revitalisé...
1 commentaire:
- Oh oui, vivre en matérialiste doit-être bien dur et plat, Je comprend tout à fait ce que vous dites au sujet des effluves du temps passé. Sans aller jusqu'à parler de psychométrie, je peux aussi ressentir ces souvenirs flottants dans l'air dans les fêtes ou dans les lieux dans lesquels le temps s'est comme accumulé. Comme des vieilles rues de Venise, comme une ancienne habitation rongée par le lierre, comme un ancien temple ou une vieille église. Mais on sent tout cela bien mieux au contact de quelqu'un qu'on aime ... tout est plus beau, plus riche !