Rédigé par Lorenzo et publié depuis Overblog
Toute la ville en parle avec émotion, ceux qui l'ont bien connu avec tendresse et le sourire vient très vite après les yeux embués quand ses amis, ses voisins, ses professeurs parlent de lui, quand soudain un souvenir de ce garçon, grand, mince, solaire, facilement repérable quand il arpentait les rues de San Lio où vit sa famille, revient à la mémoire. Il vient d'être enlevé à l'affection des siens, par surprise, injustement, comme chaque fois qu'un accident stupide survient. Pourtant le jeune homme était prudent, pétulant et radieux en permanence mais pas comme un chien fou. Il avait mille projets et s'apprêtait à suivre la voie familiale en devenant architecte. Une chute du haut d'une falaise quelque part en Algarve où il séjournait avec ses amis du Liceo Artistico de Venise. Ils étaient venus là pour admirer un des plus fameux couchers de soleil d'Europe. Il sera parti avec cette lumière dans les yeux. Un de ses plus proches amis à réalisé une petite vidéo. Toute simple. Émouvante. Aussitôt mise en ligne par la maman de Filippo qui souligne combien elle est persuadée qu'il n'est pas dans le noir, mais dans la lumière, cette lumière qu'il avait déjà dans le regard et dans son sourire.
Je ne connais pas cette famille, sinon par la réputation du père, quelques amis communs sur Facebook, et je ne les rencontrerai certainement jamais. Pourtant, c'est naturellement que j'ai ressenti la nécessité de rendre hommage à ce jeune mort, injustement enlevé à l'affection des siens, fauché avant même que de commencer vraiment sa vie d'homme. Dieu a des plans que nous ne comprenons pas et le papa que je suis tremble à la pensée de ce que les parents de cet enfant peuvent endurer.
Je suis allé tout à l'heure sur le campo Zanipolo. J'avais prévu de rendre visite à mon ami, le Padre Massimo Mancini, le frère dominicain du couvent de Venise avec qui j'aime beaucoup discuter. Il est absent de Venise jusqu'à la semaine prochaine. En passant devant Rosa Salva, j'ai vu la porte de la petite chapelle San Tommaso ouverte et je me suis souvenu de ce qu'on m'avait dit hier : Le catafalque devait y être exposé toute la soirée et demain matin avant les obsèques pour ceux qui souhaiteraient venir lui rendre hommage et prier. J'ai longuement hésité à franchir le porche. J'ai fixé longuement, comme un imbécile cette porte grande ouverte dans ce mur de brique et face au campi, visible par tous, le cercueil blanc couvert de fleurs.
Pay tribute to someone ne nécessite pas de se montrer en le faisant. Bien au contraire ce me semble. On peu prier partout, le bon dieu nous écoute en tout lieu et ce ne sera pas le nombre de visiteurs qui manquera. La famille ne sera pas seule. J'allais et venais devant Rosa Salv,a ahuri de constater que des touristes voyant une porte ouverte cherchaient à rentrer pour faire une photo... A un moment, un homme grand, aux cheveux grisonnants, vêtu de vert et de kaki est sorti. Il a parlé quelques secondes avec deux jeunes touristes qui devaient demander de quoi il s'agissait. L'homme, posément, a donné des explications suffisantes pour que les jeunes femmes, gênées, s'éloignent sans plus chercher à rentrer dans la chapelle ardente... Il a traversé, conservant le sourire qu'il avait en leur parlant, mais qui semblait maintenant figé sur son visage. Cet homme, je l'ai reconnu aussitôt, c'était Marco Marin le papa de Filippo, qui rejoignait des membres de sa famille installés dans la salle à côté du comptoir de la pâtisserie. Alors, ne pouvant décemment aller voir cet homme pour lui dire mon émotion et combien le père que je suis imagine sa douleur, sachant combien les mots ne soulagent en rien, il s'agissait juste d'être présent, de porter avec discrétion ceux sur qui pèse une pareille souffrance, peut-être la pire que nous puissions endurer : celle de survivre à ses enfants et de devoir continuer à avancer comme si de rien n'était... J'ai franchi d'un pas le plus assuré possible les quelques mètres qui me séparaient de la chapelle sous les yeux d'un touriste français assis sur la terrasse avec ses enfants et dont j'ai croisé le regard. Il semblait avoir compris mon émotion et me fit un signe avec la tête, vague et bref geste de compassion...
Face au cercueil de bois blanc qu'on réserve aux purs, à ceux qui partent en pleine jeunesse, aux enfants, j'ai ressenti un incommensurable chagrin et la peine de tous ceux qui veillaient à une certaine distance du catafalque est devenue mienne. J'ai senti le sol se dérobait sous mes pieds, ma tête tournait. Je n'ai eu que le temps de m'incliner, de marmonner dans ma barbe deux mots de la prière qui me vint à l'esprit, de faire un signe de croix et je me suis précipité dehors, comme un imposteur qu'on aurait découvert. N'en étais-je pas un après tout ? M'immiscer ainsi dans le chagrin d'une famille que je ne connais même pas simplement parce que ce deuil me touche ?
Je me suis retrouvé assis sur un banc du Giardino dei Gatti, dans l'ospedale où j'aime tant, surtout le soir quand toute la population féline qui loge là fait sa passeggiata, m'asseoir sous le laurier et m'imprégner des bruits et des senteurs du lieu. Heureusement l'appel d'une amie m'a sorti de ma torpeur et à calmé mon émotion.
"Venise rend vulnérable les âmes trop sensibles." En tout cas, j'ai ressenti pendant quelques minutes une proximité incompréhensible avec les êtres et les choses et derrière la tristesse du moment vécu, une immense joie. Celle que je souhaite au jeune Pippo dans son éternité.
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