Dédié à la mémoire de Paolo Barbaro et de son épouse.
Cet
enfant, rouge encore de s'être dépensé sous le soleil à jouer au
ballon, belle frimousse et chevelure bouclée. Il s'assoit en face de moi
sur le banc pour remettre ses chaussures que sa grand-mère lui tend. Il
me regarde en silence. Soudain il me sourit, montrant de jolies dents
écarlates.
"C'est un livre sur Venise ?" me demande-t-il.
Sa grand-mère aussitôt rugit : « Louis, on n'interpelle pas les gens ainsi, voyons ! » et se tourne vers moi visiblement désolée. Elle me sourit. Je souris à mon tour.
« Pardon » poursuit l'enfant en penchant la tête derrière sa grand-mère, « mais c'est bien sur Venise votre livre ? ».
Je lui réponds par l'affirmative. Il continue d'ignorer sa grand-mère qui soupire et poursuit : « C'est beau Venise. J'y suis allé l'été dernier avec mes parents. ».
La
vieille dame est retournée s'asseoir, mais elle reste aux aguets et me
lance des regards gênés comme pour s'excuser d'avoir un petit-fils aussi
culotté.
« C'était magnifique ! ».
Il mord goulûment dans la brioche que la vieille dame lui a tendue. Il continue de me regarder. Je recommence à lire.
Il mord goulûment dans la brioche que la vieille dame lui a tendue. Il continue de me regarder. Je recommence à lire.
« Je ne crois pas qu'elle s'enfonce, moi »
ajoute-t-il après avoir jeté un regard du côté de sa grand-mère qui
s'était remise à tricoter.
Je lève les yeux vers lui, tenant le livre d’une main.
Je lève les yeux vers lui, tenant le livre d’une main.
« C'est
à cause des gens, en vérité. Ils viennent à Venise comme on se jette
sur un gâteau au chocolat. Ils ne veulent pas en laisser un bout, alors
la ville, elle s'abîme. »
Ce
raisonnement tellement exact me laissa pantois. L'enfant ne devait
guère avoir plus de huit ans et d'instinct, il semblait jouer avec le
sens du verbe s'abîmer.
"Tous ces gens partout, c'est comme s’ils l'écrasaient".
Il termine son goûter et se lèche les doigts. Un peu de Nutella a coulé
sur sa main. Il le lèche et s’essuie les lèvres d’un revers de manche.
La grand-mère plie ses affaires.
« Louis, il faut aller prendre ta sœur. » lance-t-elle à l’enfant, sans se retourner.
L’enfant,
semble très concentré. Les sourcils froncés, il a remis ses chaussures
et s'est levé. Sa belle frimousse éclairée par un sourire, il m'a fait
un signe de la main auquel j'ai répondu en agitant mon livre. La vieille
dame m'a fait un salut poli de la tête et ils ont quitté le parc.
« Au-revoir Monsieur » m’a-t-l lancé spontanément.
« Au-revoir Monsieur » m’a-t-l lancé spontanément.
Resté
seul à l'ombre du magnifique micocoulier où j'aime venir lire, J'ai
senti soudain se mêler aux parfums du jardin, comme un souffle parfumé. Celui des senteurs de la lagune...
L'esprit de Venise venait de passer devant moi. Il avait l’allure et le rire de cet enfant.
Ecrit en lisant le "Petit guide sentimental de Venise" de Paolo Barbaro,
Bordeaux, Jardin Public, mai 2012.
Joli texte plein de poésie. Le petit garçon sur la photo c'est à la Querini Stampalia n'est-ce pas ?
RépondreSupprimermerci pour votre blog si raffiné et documenté !
Stéphane
Merci Stéphane,
SupprimerC'est effectivement le jardin de la Querini ou du moins la cour du café du musée.
Cordialement,
Lorenzo