Je me demande pourquoi cette photo volée il y a cinq ou six ans me remplit de mélancolie et qu'elle me renvoie directement à cette merveilleuse chanson de Barbara et Moustaki ? A priori rien, absolument rien à voir entre les strophes émouvantes de la chanson et cette scène d'un quotidien tranquille à Venise avec ces deux vieilles dames dont nous rejoindrons bientôt l'âge... "Nos superbes défaites, nos angoisses secrètes..."
Peut-être parmi les paroles celles que je pourrais adresser à Venise surgissant des tréfonds de mon cœur quand, passant par les rues et les campi comme je l'ai fait aujourd'hui, je suis témoin de cette vie qui grouille partout, là où les touristes ne font que passer... Ainsi tout à l'heure, en revenant des Crociferi où j'étais allé travailler, dans ce café fort agréable en toute saison. Je traversais San Cancian, le campo San Giovanni e Paolo, remontais ensuite par Santa Maria Formosa.
Tout au long du chemin, des vénitiens se promenaient avec leurs chiens, des parents attendaient la sortie des écoles, un jeune violoncelliste d'une quinzaine d'années s'en allait vers son cours de musique en bavardant avec un ami qu'il venait de croiser. Devant l'hôpital des gens papotaient, formant des petits groupes devant Rosa Salva... Une ambiance bon enfant, un décor magistralement éclairé par un soleil d'hiver particulièrement inspiré. Des images d'un bonheur tranquille, un quotidien paisible tellement rare ailleurs dans nos paysages urbains défigurés par l'automobile, bruyants et pollués...
Beaucoup de joie et de plaisir ressentis, cette impression roborative qui s'empara de moi au fil des pas s'accompagnait aussi de cette nostalgie qui revient souvent. Mais de quoi s'agit-il en vérité ? Est-ce le regret de n'avoir pu voir naître et grandir mes enfants à Venise et de pas avoir fait vivre ma famille comme vivent toutes les familles croisées ? Le regret de n'être plus vraiment d'ici ? d'être finalement devenu étranger au quotidien de ces gens ? Est-ce ma difficulté pour renouer avec ma vie vénitienne ? Je sais pertinemment qu'elle est mienne pourtant, qu'elle est constitutive de ce que je suis vraiment. Pas seulement parce que j'ai vécu ici mes "années d'apprentissage" et que, de tout ce qui fait un homme, beaucoup a été reçu, appris, vécu ici bien plus qu'ailleurs, mais surtout parce que je sens en moi cet appel aux sources, aux fondements de ce que je suis, de ce que sont les miens. Le sang qui coule dans mes veines est vénitien après tout.
Au risque de lasser le lecteur, me voilà une fois encore ressassant de sempiternelles questions qui n'auraient pas été si compliquées autrefois. parce que la vie ici était plus simple, parce que ma vie ici coulait de source... Recevoir ce weekend mon fils pour quelques jours était une épreuve redoutée. Non pas que je doutais de la manière dont tout allait se passer, mais parce que je craignais que son séjour ne révèle l'absurdité de ma situation et soit inconfortable pour lui. Il s'est installé chez moi avec son ami comme il l'aurait fait dans la maison familiale au détail près que, en dehors des photos de famille et de quelques objets familiers, rien dans l'appartement ne lui était familier. Je n'occupe les lieux que quelques semaines par an pour bien vite repartir. Par nécessité. Par peur aussi certainement. Peur de ne plus voir mes enfants aussi souvent et facilement que je les vois quand je réside en France, dans la même ville que leur mère et que la plupart de leurs amis et les membres de notre famille. Ils n'ont à Venise que des souvenirs, le plus souvent des bribes du temps de leur enfance. Leur vie est désormais à Paris, Lyon, Nantes ou Montréal. Si je m'installais définitivement ici, ou du moins plusieurs mois par an, viendraient-ils ? Vaut-il mieux renoncer et rester plus près d'eux ? Questions sans réponse encore...
Peut-être parmi les paroles celles que je pourrais adresser à Venise surgissant des tréfonds de mon cœur quand, passant par les rues et les campi comme je l'ai fait aujourd'hui, je suis témoin de cette vie qui grouille partout, là où les touristes ne font que passer... Ainsi tout à l'heure, en revenant des Crociferi où j'étais allé travailler, dans ce café fort agréable en toute saison. Je traversais San Cancian, le campo San Giovanni e Paolo, remontais ensuite par Santa Maria Formosa.
le jeune violoncelliste, son copain et le chien, Salizada Seriman, 29/01/2019 - © Tramezzinimag/ Lorenzo Cittone |
Tout au long du chemin, des vénitiens se promenaient avec leurs chiens, des parents attendaient la sortie des écoles, un jeune violoncelliste d'une quinzaine d'années s'en allait vers son cours de musique en bavardant avec un ami qu'il venait de croiser. Devant l'hôpital des gens papotaient, formant des petits groupes devant Rosa Salva... Une ambiance bon enfant, un décor magistralement éclairé par un soleil d'hiver particulièrement inspiré. Des images d'un bonheur tranquille, un quotidien paisible tellement rare ailleurs dans nos paysages urbains défigurés par l'automobile, bruyants et pollués...
Au risque de lasser le lecteur, me voilà une fois encore ressassant de sempiternelles questions qui n'auraient pas été si compliquées autrefois. parce que la vie ici était plus simple, parce que ma vie ici coulait de source... Recevoir ce weekend mon fils pour quelques jours était une épreuve redoutée. Non pas que je doutais de la manière dont tout allait se passer, mais parce que je craignais que son séjour ne révèle l'absurdité de ma situation et soit inconfortable pour lui. Il s'est installé chez moi avec son ami comme il l'aurait fait dans la maison familiale au détail près que, en dehors des photos de famille et de quelques objets familiers, rien dans l'appartement ne lui était familier. Je n'occupe les lieux que quelques semaines par an pour bien vite repartir. Par nécessité. Par peur aussi certainement. Peur de ne plus voir mes enfants aussi souvent et facilement que je les vois quand je réside en France, dans la même ville que leur mère et que la plupart de leurs amis et les membres de notre famille. Ils n'ont à Venise que des souvenirs, le plus souvent des bribes du temps de leur enfance. Leur vie est désormais à Paris, Lyon, Nantes ou Montréal. Si je m'installais définitivement ici, ou du moins plusieurs mois par an, viendraient-ils ? Vaut-il mieux renoncer et rester plus près d'eux ? Questions sans réponse encore...
Mais qu'importe les états-d'âme. Ils ne sont souvent que les prétextes fallacieux d'une âme trop faible - ou trop tendre en vérité - qui a peur de l'échec, ou de l'erreur, ou du regard désapprobateur des autres. Qu'importent les autres aussi finalement. Ils ne sont pas ce que nous sommes et nous ne serons jamais ce qu'ils sont. Contentons-nous de ne pas les brusquer, les choquer ou les décevoir. Ils ne savent pas ce qui vibre et flamboie en nous, ni non plus ce qui souffre ou s'étiole.
Heureusement, au hasard des rencontres, selon un plan mystérieux qui nous échappe le plus souvent et qu'élabore la Providence pour notre bien, nous approchons et croisons des êtres d'exception, ou d'autres qui nous semblaient ordinaires en apparence mais qui tous, nous aident à grandir, à avancer, à être tout simplement. Mon chemin de vie à Venise, mais aussi ailleurs auparavant, est pavé de ces rencontres merveilleuses qui continuent de me nourrir et m'accompagnent dans une quête de joie qui ne cessera jamais, même après la vie. Et tant pis pour les pisse-vinaigres qui trouveront à redire et se moqueront de cet angélisme... Mes fidèles lecteurs reconnaîtront une fois encore dans ces lignes cette petite lumière qui brille aussi en eux pour la plupart j'en suis convaincu, et laisseront avec moi les persifleurs s'enfoncer dans leur triste et amère pénombre.
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