Il n'est pas encore parti et n'a pas dit son dernier mot. Le bonhomme, rusé, envoie ses giboulées. Elles nous prennent par surprise. Ne sont-elles pas après tout placées sous l'égide du dieu de la guerre puisqu'on les sait naître en mars. Qui dit encore qu'il n'y a plus de saisons et que tout est chamboulé ? Apparemment le changement climatique, s'il s'avère être tout sauf une invention d'hallucinés adeptes du complot, n'a pas encore eu raison des adages paysans, des proverbes populaire de l'almanach Vermot.
by courtesy of © Catherine Hédouin - 2016 |
Car avec quelques heures d'avance sur la tradition climatique, les giboulées de mars nous tombent joyeusement dessus, aidées en cela par une mercenaire au joli nom de princesse. La tempête Pia qui provoque depuis quelques jours de fortes pluies et des vents violents dans le Nord de l'Europe et couvre désormais une bonne partie de l'Europe, routes sont bloquéeset zones côtières inondées, fleuves qui débordent faisant quelques victimes au passage et de nombreux dégâts. Pia décoiffe et fait s'envoler les parapluies, aboyer les chiens et frissonner les chats réfugiés bien au chaud quand ils le peuvent.Petit détail amusant : J'étais il y a un peu plus d'une heure, à Bordeaux, assis à une terrasse sous ciel d'un bleu très pur et un soleil primavérile - pour emprunter l'adjectif italien à Paul-Jean Toulet qui l'avait certainement lu dans un poème d'Adelsward-Fersen. Le café était digne des cafés italiens. Il me fallait rentrer à contre-coeur pour poursuivre ce travail de forçat auquel je m'astreins depuis des mois : reconstituer un à un la totalité des billets publiés dans Tramezzinimag depuis mai 2005, avec les illustrations, les vidéos, les sons et les nombreux commentaires d'origine.
La tentation était forte de délaisser mon devoir pour m'adonner à ce doux farniente, ma vraie nature en réalité, penchant honteux dans ce monde commandé par l'appât du gain et des apparences. Dehors, l'habituelle manifestation dominicale. Aujourd'hui, les ukrainiens. Quelques cris, des oriflammes bleus et jaunes. Les mêmes couleurs que celles qui décoraient quelques heures auparavant, le temps du café post-méridien et... la pluie, d'abord fine et discrète, le ciel d'un gris tellement sale, comme dans la chanson de Jacques Brel, un gris qui fait se perdre et se pendre un canal et fait l'humilité, et l'averse qui décuple sa force poussée par le vent d'est de la chanson. Encore un coup des méchants russes à moins que ce ne soit la faute des enfants de chœur ukrainiens. Ceci posé, je ne prêtais pas beaucoup d'attention à ce changement de décor, chronique attendue de ces semaines intermédiaires quand débute le Carême. j'avais à classer des photographies retrouvées dont j'avais fait mon deuil. Envoyées par une grande amie, soutien inconditionnel et lectrice de la première heure de Tramezzinimag, elles ont souvent illustré mes billets. Son œil acéré et son amour pour la Sérénissime produisent des clichés qui le plus souvent illustrent les articles du blog comme un complément naturel, évident des textes.
Le fichier qui s'ouvrit pendant que je me préparais une tasse de thé, contenait des clichés de Venise... sous la pluie ! Quand on dit qu'il n'y a pas de hasard ! Quatre d'entre eux ont été pris depuis les fenêtres du salon de l'appartement de la Calle dei Avvocati, qui donnent sur le campo sant'Angelo. Pendant plusieurs années, je m'y suis rendu, j'y ai reçu mes enfants, mes amis, il y eut des dîners entre amis, une exposition des grandes peintures d'une amie suédoise. Situé à l'étage noble, il était assez haut pour permettre une vision globale du campo mais le bâtiment très ancien faisait cet étage - celui du dessous, à l'entresol était occupé une partie de l'année par une artiste parisienne, et celui au-dessus de celui de Catherine, abrita pendant quelques mois une autre amie, vasco-parisienne, historienne de l'art venue inventorier l'ensemble de l’œuvre de Clementina et Lucio Andrich, couple d'artistes au talent éclectique, conservée dans leur villa de Torcello, sur les marais de la Rose.
Comme Catherine, la couleur rose saumon de la façade du palais de l'autre côté de la calle, me fascinait. Lorsque j'occupais l'appartement, je déplaçais canapé, fauteuil et bureau du salon pour pouvoir avoir à la fois la perspective du campo avec le campanile penché de Santo Stefano et cette façade muette dont l'enduit montrait des nuances changeantes selon les heures, était éclairé par une ogive gothique en pierre d'Istrie murée depuis longtemps. Quand il pleuvait - comme sur la photo ci-dessous - la visions était magique. L'immeuble rénové et les appartements refaits, je suis persuadé que l'actuelle occupante des lieux aime à contempler cette vue.
by courtesy of © Catherine Hédouin - 2016 |
Une situation assez proche de la rue donc pour assister à son spectacle sans cesse renouvelé, chaque jour et chaque moment de la journée en faisant un palcoscenico que n'aurait pas renié Mario Praz, Luchino Visconti ou son émule Franco Zefirelli. Vous entretenant de la pluie et des giboulées, ces quelques images instantanés capturés par Catherine Hédouin pendant l'été 2016, ne font-elles pas spectacle vivant, ballet de figurants hallucinés dont on ne sait que trop bien les préoccupations, celles-là même que Michel Butor a si joliment rapporté dans le somptueux San Marco dont il a été plusieurs fois questions dans ces pages.
En légende, ne pourrait-on pas - toujours sur un ton humoristique gentiment ironique - que même s'il pleuvait des hallebardes de bois et de fer, les touristes continueraient à arpenter les rues de la ville. Seuls les vénitiens savent aller par les ruelles étroites et les ponts glissants avec leurs parapluies, voir le désarroi des touristes est touchant. Un dépliant récent est à leur disposition pour savoir comment circuler avec un parapluie sans éborgner personne ni bloquer le flux des passants. Être bon vénitien n'est pas toujours inné, il y a des conventions et des usages à apprendre. Qu'on se le dise.
by courtesy of © Catherine Hédouin - 2016 |
Sur la première photographie, le lecteur avisé aura remarqué le cocasse d'une photographe immortalisant celle qui depuis la fenêtre du salon la prend eu même moment en photo... Je ne sais pas vous, mais on est en présence d'un de ces clins d’œil délicieux, qu'on peut classer dans la fameuse catégorie, tendre ou drôle, de l'arroseur arrosé !
Un grand merci à l'amie Catherine, pour ses photos, sa patience et son humour, à qui je dédie cette petite vidéo du vidéaste Phil Brammer que m'a adressé en 2016 un ami britannique
«Passeggiando sotto la pioggia, Venezia »(Promenade sous la pluie, Venise) a été filmé par Phil Brammer, le 23 avril 2016 dans les sestieri de San Marco et de Cannaregio.
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