Je parlais à ces jeunes alumni, que j'accompagne comme je peux dans une société en train de se défaire, de l'importance de l'esthétique, et en particulier de la beauté. De sa part dans le réel. L'esthétique, cette science du sensible, longtemps désignée comme science du beau et de nos jours réduite à n'exister que comme philosophie de l'art.
Les échanges sont riches, chacun évoque ce à quoi il pense immédiatement quand le mot «beauté» est prononcé. Très vite, ils sont d'accord entre eux pour dire que, comme l'argent dans un autre domaine, la beauté n'est pas une fin en soi ; qu'il s'agit d'un moyen, d'un outil. Ils peinent à définir un ordre dans la liste des choses belles. On en vient aux paysages et aux constructions humaines. Il y a des milliers de lieux dans le monde où la beauté règne, j'avance le nom de Venise bien sûr. Où mieux qu'à Venise peut-on pérorer sur le sujet ? La Sérénissime possède quelque chose d'unique dont bon nombre de grands lettrés, écrivains ou poètes ont parlé mieux que je ne le ferai jamais.
J'évoque donc Venise avec mes télémaques, après l'avoir fait avec mes propres enfants. Je me sers depuis toujours de la ville de Saint-Marc comme modèle de LA Ville, comme exemple ou mieux encore comme preuve de ce que j'essaie de leur expliquer. Lorsque cela s'avère possible, les leçons ont lieu sur place. C'était du moins en train de devenir un rite auquel la pandémie et les aléas qui suivirent ont mis un terme.
N'entendez pas dans ces propos, chers lecteurs, que je me prétende enseignant (Un de ces jeunes un jour m'a qualifié avec beaucoup d'esprit et sans forfanterie d'enseigneur [en-seigneur...]). Trop dilettante depuis toujours pour pouvoir m'astreindre à la discipline nécessaire, le travail de préparation et la méthodologie obligée pour donner un enseignement, je ne suis qu'un humble passeur, passionné par ce qu'il cherche à transmettre.
Apparemment ce mentorat fonctionne. A une exception près, il a même donné de surprenants résultats. Je n'en tire ni fierté ni arrogance. Plutôt de la joie. Celle de transmettre l'amour de ce que j'ai appris. Comme le font les professeurs, mais aussi les artisans, tous ceux qui par leur métier font office de passeurs.
Dans je ne sais plus quel texte, Kenneth White citait Buchanan l'écossais de Saint Andrews qui enseigna à Bordeaux, au Collège de Guyenne et fut le maître apprécié - moqué aussi - de latin de Montaigne. L'auteur des Essais a aimé son maître qui ne faisait que transmettre ce qu'il avait appris et qui l'avait aidé à devenir ce qu'il était. Le disciple et le maître trouvaient du bonheur dans cet échange.
Il ne s'agit pas que de contenu, pas seulement de techniques et de ficelles - il y en a forcément mais elles sont communes à toutes les disciplines - il s'agit d'aider ces jeunes gens à appréhender le monde et les autres, à se connaître, à se passionner, à être curieux, inventifs... Les aider à vivre en les mettant sur la voie, la leur qui n'est pas forcément celle que la société, la famille trace pour eux...
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