05 septembre 2006

E la nave và...

 
Voilà la rentrée est consommée. Chez nous, les enfants sont tous à l'école. Pour la première fois, chacun dans un établissement différent. Paperasseries à n'en plus finir, fournitures selon les nombreuses exigences des professeurs et des maîtres, emplois du temps à coordonner et le rythme régulier des jours de classes à retrouver : lever tôt, coucher tôt... Venise est loin avec son doux farniente. Pour un temps en tout cas. Vogue le navire jusqu'aux prochaines vacances... Bonne route à tous !

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04 septembre 2006

Cameriere, un Gianduiotto per cortesià !


  posted by lorenzo at 20:25

Avez-vous déjà goûté le merveilleux, l'extraordinaire, l'unique gianduiotto de chez Nico ? Il faut le déguster sur leurterrasse, sur la Fondamenta des Zattere. Après une journée de ballade, après une visite à l'Accademia ou à la Guggenheim, une excursion sur la lagune ou un doux farniente au Lido, cet appareil de glace chantilly fraiche et légère cachant un bloc de glace au gianduja, accompagné par un verre d'eau glacée, c'est l'idéal avant l'heure de l'apéritif, que ce soit le spritz sur la campo Sta Margarita ou un Bellini au Harry's bar ou dans un fauteuil du Danieli. Laissez la terrasse du Florian, du Quadri ou de Lavena pour les touristes paresseux. Si vous n'y êtes pas encore allés, vous vous y rendrez demain ou après-demain. Il y a le temps. Choisissez plutôt un soir après un excellent dîner ou un début d'après-midi pour le café, comme du temps de Goldoni. En revanche, chez Nico, le gianduiotto s'impose à n'importe quelle heure du jour ! Mais vous n'en consommerez pas deux à vous tout seul. Ce serait du mauvais goût et mal vu de votre estomac ! Allez-y et vous nous en donnerez des nouvelles !

Un bout de paradis

 
Il y en a beaucoup comme cela à Dorsoduro,
à Cannaregio, à San Polo ou plus loin encore à Castello.
Comment ne pas aimer la vie et la vie à Venise 

quand on a la chance de vivre là ? 
 
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1 commentaire: 

    lucie h a dit… 

    c'est mon rêve 

     04 septembre, 2006

 

Calle del vento

Dans mon précédent billet, c’est Henry de Régnier qui chantait la louange des Zattere, cette Fondamenta qui longe Dorsoduro de la Pointe de la Douane aux hangars de Santa Marta. Il mentionne à la fin de son texte l’ultime rue de ce quartier de San Trovaso, loin de tout et peu fréquentée par les touristes : la Calle del Vento.
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Eté comme hiver, la ruelle porte bien son nom, le vent y est toujours présent comme chez lui. C’est un endroit plein de poésie. Partie des Zattere, elle débouche sur le petit campo San Basegio, non loin de l'église San Sebastiano. Un des lieux les plus pittoresques de Venise. Encore préservé et peu fréquenté.
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L’écrivain vénitien Diego Valeri (l'auteur du seul vrai guide sentimental sur Venise et qui habitait à deux pas, sur la fondamenta Cereri, à côté des Carmini), a écrit à son sujet un poème que j’aime bien. Calle del vento, c’est aussi le titre d’un recueil de poésie paru l'année de sa mort, en 1976 chez Mondadori, qui mériterait d’être traduit en français pour les amoureux de Venise. Les anglais ont la chance d'avoir My Name on the wind, paru en 1989, dans une belle traduction de Michaël Palma (Princeton University press). En voici un extrait, dans une traduction personnelle que j'espère fidèle à l'esprit de ces vers inspirés :
Qui c’è sempre un po’ di vento
a tutte l’ore, di ogni stagione:
un soffio almeno, un respiro.
Qui da tanti anni sto io, ci vivo.
E giorno dopo giorno scrivo
il mio nome sul vento.
Il y a toujours ici un peu de vent
A n’importe quelle heure, à chaque saison :
Un souffle au moins, comme on respire.
C’est là que je suis depuis tant d’années, j’y vis.
Et jour après jour j’écris
Mon nom sur le vent.

Diego Valeri
Calle del Vento,
Mondadori, 1976

posted by lorenzo at 07:30

03 septembre 2006

Venise en septembre

Cette mosaïque réalisée avec Picasa, le logiciel de gestion d'image de Google (que je vous recommande en passant si vous ne l'avez pas encore adopté) comme une impression de Venise en ce début de septembre. L'été semble installé pour quelques semaines encore et il fait ici aussi bien meilleur qu'en août. A Venise non plus il n'y a plus de saisons. La Mostra bat son plein, les plages du Lido sont très fréquentées. Il fait beau. Il fait doux. Venise est resplendissante. Catherine Deneuve aussi. 
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posted by lorenzo at 22:59

02 septembre 2006

Les Zattere

Je vous aime, ô Zattere, pour toute votre longueur lumineuse ou nocturne, de la pointe de la Dogana, où vous commencez, à la calle del Vento où finit votre quai de pierre, bordé de façades diverses ! Je vous aime dans toute votre étendue parce que, sur votre dalle, il fait bon marcher vite ou doucement ou s'arrêter, selon l'heure ou la saison, à l'ombre ou au soleil, ô Zattere !
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Souvent, je viens à vous par le rio San Trovaso. Oh ! la maison qui est au coin avec ses arcades et sa glycine, – jaunissante, cette année, quand je la revis ! Pourtant un clair soleil de novembre brillait au ciel de Venise. L'air était frais et limpide, et quel plaisir de le respirer à pleine bouche sur votre promenoir, ô Zattere, devant le canal large, en face de la Giudecca aux trois églises et aux jardins de sauge et de cyprès !
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Me voilà donc. Tournerai-je à droite ou à gauche ? Je ne sais, car je vous aime toutes, ô Zattere, de la pointe de la Dogana à la calle del Vento ! Je vous aime aux Incurabili comme aux Gesuati et au Ponte Longo et à cet endroit où il y a un vieux palais dont le marteau de porte est un Neptune de bronze qui dompte des chevaux marins. C'est là, je crois bien, que j'irai m'adosser pour fumer un de ces âcres et minces cigares que l'on coupe de l'ongle par le milieu avant d'en allumer une moitié.
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Oui, car il fait doux, ce matin, et le ciel est pur. Les bateaux que l'on décharge sur le quai gémissent sourdement à leurs amarres. Partout ailleurs qu'ici la vue d'un port et de ses navires donne des pensées de départ et de voyage. Mais qui songe à quitter Venise ? En vain, les coques enflent leurs flancs et les mâts balancent leurs cordages. Où pourrait-on être mieux que le dos à ce marteau de bronze et les semelles à votre sol, ô Zattere ?
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J'ai entendu le canon de midi. Les cloches sonnent. J'ai reconnu celles des Gesuati, de San Trovaso et de la Salute. Celles du Redentore, de Santa Eufemia et des Zitelle s'y joignent, d'au delà du canal. L'air vibre. Le temps de ma promenade est passé. Demain je ne resterai pas là, en paresseux, et je vous parcourrai tout entières, ô Zattere, de la pointe de la Dogana à la calle del Vento, tout entières, ô Zattere !
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Henry de Régnier
posted by lorenzo at 00:23

01 septembre 2006

Poor poor Mister Andrew Conte. Poor poor Venice !

Andrew Conte est un sympathique citoyen américain de Pittsburgh. Marié, père de deux enfants de 6 et 3 ans, il a eu le bonheur et la chance de passer quelques jours à Venise cet été. Ce n'était pas son premier voyage, non. C'est à Venise qu'il fit avec beaucoup d'originalité, son voyage de noces. Il y retourna quelques années après une deuxième fois, un anniversaire en quelque sorte, visitant avec passion églises et musées. Mais c'était la première fois qu'il y venait avec toute sa petite famille.
 
Avisé, il avait renoncé à réserver une chambre d'hôtel avec toutes les contraintes que cela suppose quand on a des enfants en bas âge. Il avait donc loué un appartement. Une sorte d'ersatz d'appartement dirai-je plutôt. Nickel chrome : tout neuf, tout propre, rassurant. Aseptisé comme un décor de cinéma. Si vous aimez le genre, j'ai l'adresse. Juste ce qu'il faut de couleur locale. 
Voilà notre famille Conte qui débarque à l'aéroport. Point de bus ou de vaporetto, un taxi (il en relève d'ailleurs le prix prohibitif mais pour un américain !) car les chers petits auraient souffert, l'heure du dîner approchant et les dernières tartines de peanut butter trop loin, il craignait une rébellion insupportable (chers petits anges). On passe sa vie chez un psy pour moins que ça de l'autre côté de l'Atlantique ! Le voilà donc en taxi se prenant pour l'ineffable Georges Clooney (vous savez le néo-bellâtre qui se promenait à Hollywood avec son cochon dressé et fit longtemps croire à la gent féminine de la planète qu'il maniait le bistouri comme un dieu...). La lagune, le grand canal et c'est l'arrivée, la remise des clés, l'installation. On notera au passage que l'appartement a l'air conditionné (nécessité absolue pour un américain) et que, bien que complètement aménagée la cuisine ne leur a jamais servi...
Pour le confort des enfants, entre les pigeons de Saint Marc et les toboggans des Giardini Publici, Monsieur Andrew Conte préféra pendant toute la durée de son séjour se faire servir un petit déjeuner très neutre. Impossible pour lui d'imaginer que se rendre chez le boulanger du coin ou chez le petit épicier, d'écumer le marché du Rialto pour ramener fruits et légumes frais, poissons et viandes, serait pour les enfants une expérience culturelle défrisante et somme toute éducative. Non, ce pauvre Monsieur Andrew Conte aura préféré nourrir sa famille de panini et de pizza tourista (c'est ainsi que j'appelle ces pizzas de la taille d'une tarte au sucre en général peu cuites garnies de sauce tomate épaisse et parfois de dés de jambon blanc industriel...) arrosés de Fanta pour les gosses et de bière pour leurs géniteurs ! 
Il raconte ainsi un mémorable pique-nique sur un campo où trône un monumental lion ailé  (les lecteurs avisés auront reconnu). Assis sur le piédestal, la tribu Conte a délicieusement déjeuné puis, pour aider à la digestion certainement, les chers petits sont ensuite partis escalader le lion vert-de-grisé (selon l'expression même de Andrew Conte). Pour ceux qui ne l'ont pas reconnu, il s'agit du monument à Daniele Manin, sur le campo du même nom, derrière San Luca... 
Notre héros vante cette péripétie comme une joyeuse aventure à imiter, sans se rendre compte qu'il y a là de quoi donner des palpitations à l'Avocat Augusto Salvadori, le courageux assesseur au tourisme, parti en guerre contre la sauvagerie des touristes qui compissent les murs, s'installent pour pique-niquer au pied de la basilique Saint Marc, jettent leurs canettes de Coca-Cola vides dans les canaux et prennent la ville pour un Luna-park géant... 
De quoi aussi renforcer l'offensive des patrons de Disney qui souhaitent mettre la main sur Venise pour en faire, justement, un gigantesque complexe touristico-ludique comme ils en ont le secret. Un accord dans ce sens a d'ailleurs été signé avec les financiers de Las Vegas...
C'est un début... Après tout, en bon yankee qui se respecte, ce pauvre Monsieur Andrew Conte ne pourra que s'en féliciter : ses chers petits pourront se gaver de bouffe industrielle à chaque coin de rue et grimper sur les monuments - après avoir fait la queue bien sûr - en toute impunité...

Certes mes propos sont un peu outrés. Ce sympathique américain livre aux gens de Pittsburgh des adresses pour un séjour réussi à Venise vu sous l'angle du mode de vie américain et c'est cela que Tramezzinimag cherche à dénoncer. Cette main mise de plus en plus prégnante d'un style de vie, où tout doit être à portée de main, facile, surtout pour les enfants qu'il ne faut jamais forcer, et le monsieur ne donne de Venise qu'une idée tellement proche d'un parc d'attraction. Pourtant c'est un lettré, un homme de culture... Mes enfants m'accompagnent toujours dans les musées et les galeries, les églises et les salles de concert. Ils ont la liberté de jouer, de courir et de réclamer des glaces ou des limonades mais nous n'avons jamais, leur mère et moi, cédé aux sirènes de l'américanisation des mœurs. Ils savent ce que Non veut dire quand les parents prononcent ce mot et ils ont appris tôt les règles et les usages. Délurés et épanouis comme le sont les enfants en bonne santé, ils sont aussi sages et calmes quand cela est nécessaire, polis et respectueux avec le reste du monde comme ils le sont en famille, avec nous et entre eux. Comme des milliers d'autres enfants élevés et aimés. Ils transmettront un jour cela à leur tour.

Pour la lecture du texte d' Andrew Conte, publié dans le Pittsburgh Tribune Review, le 06/08/2006 sous le titre (alléchant avant lecture) "The Sounds of Venice", il est à la disposition des lecteurs de Tramezzinimag en cliquant sur le lien ICI
Crédits photographiques : © Andrew Conte & The Pittsburgh Tribune Review.

posted by lorenzo at 00:55

30 août 2006

Esquisses vénitiennes

J'ai dormi, cette première nuit, dans un tel silence qu'il me semble que je ne me réveillerai jamais tout à fait. Cependant l'air matinal rafraîchit mes yeux, mais les choses qu'ils voient contribuent à me maintenir, dans un demi-rêve : ces eaux muettes, ces pierres taciturnes, ce ciel lumineux, – tout le décor de la ville enchantée où la noire gondole qui me mène paraît signifier, par sa forme funéraire, qu'on est mort au reste du monde.
N'est-ce pas, en effet, ici un lieu étrange par sa singulière beauté? Son nom seul provoque l'esprit à des idées de volupté et de mélancolie. Dites : "Venise", et vous croirez entendre comme du verre qui se brise sous le silence de la lune.... "Venise", et c'est comme une étoffe de soie qui se déchire dans un rayon de soleil... "Venise", et toutes les couleurs se confondent en une changeante transparence... N'est-ce pas un lieu de sortilège, de magie et d'illusion ?

Ce ne sont pourtant ni des ombres, ni des fantômes qui l'habitent, mais des hommes, et des hommes qui naissent et meurent, qui vivent et qui mangent, car ma gondole croise des barques chargées de légumes et de fruits, et l'eau roule des feuilles et des écorces. Sur les marches de ce petit quai, on entasse des paniers de poissons et de coquillages. Des gens marchandent ces nourritures. Ils n'ont l'air ni étonnés ni anxieux d'être là. Je voudrais leur parler et leur avouer mon angoisse. Ah ! qu'ils m'apaisent et me rassurent, qu'ils me convainquent que tu n'es pas un rêve fragile et vain, ô Ville enchantée, que tu ne vas pas, comme une vision de sommeil, te dissoudre et t'évaporer; que tu n'es pas seulement un mirage passager de ta lagune, un peu de lumière et de couleur entre le ciel et les eaux, - car j'ai peur, j'ai peur, si je fermais un instant les yeux, de ne plus, en les rouvrant, retrouver à ta place, ô Ville marine, que l'étendue des ondes désertes au-dessus desquelles planerait le vol de bronze, Venise, de ton Lion ailé !
Henry de Régnier
"Esquisses vénitiennes",
in - Revue de Paris, 1er août 1905
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29 août 2006

Une rue de Venise

Une rue de Venise par Walter Ahlfeld
© Walter Ahlfeld, 2006 - Tous Droits Réservés
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Mon musée vénitien

L’Accademia. J’aime ce musée. L’atmosphère des grandes salles protégées du soleil par les hauts rideaux de toile blanche. Lorsque les fenêtres en été son ouvertes, on dirait les voiles d’un navire en pleine mer… Il y a dans ce musée des trésors que l’humanité entière vénère. Mais ceux que j’aime ne sont pas toujours les plus célèbres. Un critique d’art rirait certainement de mes préférences.
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Plus que tout, ce sont les primitifs vénitiens qui depuis mon enfance m’attirent. J’avais dans un livre offert par mes grands-parents, la reproduction d’une peinture de Jacopo del Fiore. Cet amour pour la peinture des XIVe et XVe siècles ne s’est jamais démenti. C’est sur les peintres vénitiens de cette période que j’ai travaillé quand j’étais étudiant en histoire de l’art dans le vieux bâtiment aujourd’hui en cours de reconstruction, qui jouxte l’église de San Sebastiano. Je m’étais pris de passion pour ce lien entre la peinture à vocation spirituelle et l’inspiration païenne des primitifs (la représentation du martyre de Saint Sébastien en est un exemple sur lequel j’ai travaillé deux ans, étudiant l’évolution des représentations depuis les mosaïstes jusqu’au XVIe siècle. La relation entre ce sujet fort de l’iconographie chrétienne dès les origines et la représentation physique des héros de l’antiquité est flagrante). Le Trecento (XIVe) me fascinait. Une époque encore rude et primitive bien que très raffinée. Des concepts sociaux et moraux très prégnants dans une Venise toujours sur ses gardes mais triomphante, qui encourageait une effervescence artistique au service de son pouvoir et de l’Eglise certes, mais qui se traduisait par un véritable laboratoire de pensée et de réflexion artistiques. Leur peinture faisait le lien entre le monde antique et ce monde nouveau que le développement du christianisme généra dans les mentalités et donc dans l’art. On trouve tellement d’indicibles indices qui expliquent l’éclosion de la Renaissance, là, déjà dans ces œuvres du Moyen-âge néo-oriental nées à Venise…

.Paolo et Lorenzo Veneziano, Giambono sont encore, comme Del Fiore, sous l’influence des mosaïstes byzantins mais peu à peu, on sent qu’ils découvrent la matière et leur style se libère des contraintes de la mosaïque. Les attitudes se font moins hiératiques, les visages moins figés. La vie s’exprime. J’aime leurs figures allongées, les yeux fixes encore, la plupart du temps écarquillés par l’extase et la majestueuse solennité des scènes gothiques ordonnées autour du Christ et de la Vierge, avec des personnages qui n’ont d’existence que par rapport au Sauveur et à sa Mère.
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Une autre salle fait mon bonheur. Celle des Bellini, Carpaccio, Cima da Conegliano, Basaiti et les non-vénitiens : Mantegna le padovan, Pietro della Francesca le toscan dont on dit dans ma famille qu’il aima une des sœurs de notre aïeul Elio, Tura de Ferrare, Memling le flamand… Autant d’influences pour l’école vénitienne. Mais je reviens à mes primitifs. J’aime particulièrement un tableau de Michele di Matteo Lampadini-Bolognese (vers 1416). C’est un polyptique très orné qui provient de la belle église conventuelle de Sant’Elena. On raconte que ce tableau avait été choisi pour rejoindre les collections du Louvre à la demande de Napoléon mais que les moines, prétextant le mauvais état du placage de bois et de l’encadrement,mirent tellement de temps à le décrocher que les navires chargés du butin de Bonaparte appareilla avant qu’il ne fut livré sur le quai des esclavons. Il ne retourna jamais pour autant dans l’église, mais au moins n’a pas quitté Venise. Une vingtaine de saints sont représentés sur un fond d’or. En haut l’artiste a peint la crucifixion et les quatre évangélistes, au milieu la Madone sur un trône avec son fils adoré par les anges. Sainte Hélène, Marie-Madeleine et Catherine entourent cette scène très pure. Sur les prédelles on voit un commentaire très imagé de la découverte de la vraie croix et tout en bas, l’émouvante signature en majuscule : "MICHAEL MATHEI DE BOLONIA FECIT". Plus loin, six petits tableaux de l’Ecole de Rimini, datés de la première moitié du XIVe siècle relatent l’histoire du Christ, la passion et le jugement dernier. Elégance des fonds dorés, ampleur des mouvements, personnages pleins de vie… Les tableaux les plus récents font le lien avec la peinture vénitienne "moderne " née au XVe siècle avec la famille Bellini. Le tryptique de Saint Sébastien entre Saint Jean et Saint Antoine. L’adolescent martyr a une très belle tête mais ses jambes et son corps sont lourds…
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J'aimerai parler aussi de Giorgione, de Longhi, de Rosalba Carriera... Mais mes tableaux préférés demeurent ceux de la fameuse Ecole de Bellini. J’aime ces jouvenceaux en bas rouge, aux joues très roses que l’artiste devait ramasser dans les rues ou sur un campo, comme on ramassait devant Saint Marc le Balloto qui devait tirer au sort les électeurs du Doge. Moyennant quelques pièces, ils posaient en saint martyr. On a longtemps retrouvé dans les rues de la Venise moderne, les sosies de ces jeunes hommes immortalisés par les Bellini, Carpaccio, Vivarini : la mode des longs cheveux, souvent ondulés, les petits bonnets roulés sur le haut du crâne, les pantalons étroits et moulant leurs longues jambes fuselées… Tout dans leur allure rappelait les vénitiens d’antan, leurs ancêtres… Quand je vivais à Venise et que je les voyais le matin au marché du Rialto, sur la Lista di Spagna ou le soir à San Luca ou à San Bartolomeo, je ne pouvais m’empêcher d’associer leurs voix rauques et leurs poses affectées aux personnages figés pour toujours dans les grandes peintures de l’Accademia. Depuis, chaque fois que je vois un tableau de Carpaccio ou de Bellini, j’entends leurs voix, leurs rires et ils semblent vivre comme nourris de la vigueur et de la jeunesse de leurs descendants d’aujourd’hui.
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Dans le grand couloir, une série de vedutisti me plait beaucoup aussi : Ricci notamment avec ces scènes champêtres où à première vue rien ne semble bouger, et qui, si on les regarde plus attentivement, révèlent une foultitude de saynètes : un cavalier qui effraient volailles et lavandières, pâtres fuyant l'orage qui menace, promeneur endormi que renifle un chien intrigué...
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Mais il y a aussi dans ce musée des toiles plus ou moins reconnues et célébrées. J’aime notamment le Christ mort de Basaiti, petite toile devant laquelle on passe souvent sans la remarquer en allant vers le cycle de Sainte Ursule de Carpaccio. Le Christ étendu sur une pierre entre deux anges qui le soutiennent dans un paysage mystérieux. L’un des chérubins porte sur le bras une délicieuse couronne de fleurs.
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Il y avait naguère juste à côté de cette toile, dans le même couloir qui mène au merveilleux voyage où Carpaccio nous convie, une petite toile de Guardi, une miniature ovale représentant un beau paysage et aussi une ébauche en plâtre d’une sculpture de Tiepolo aussi.
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Mais je n’ai pas vérifié depuis longtemps l’installation des toiles du musée. Je crois que la sculpture a disparu mais le Basaiti est toujours là comme le petit Guardi ovale.

Quand je vivais à Venise, mes amis étudiants aux Beaux Arts m’attendaient souvent dans la cour de l’école. J’aimais m'y promener, et j'aimais beaucoup regarder dans les salles. La collection de plâtres avait ma préférence. Toutes ces répliques de statues célèbres, ces moulages dont les plus anciens datent du XVIIIe siècle, me fascinaient. J’ai connu aussi un vieil antiquaire qui avait dans son palais, sur le grand canal, une collection de plâtres presque aussi importante. Au milieu des tissus anciens, des meubles antiques et des tapis d’Orient, on rencontrait la Vénus de Milo, l’Ephèbe d’Olympie ou les Grâces de Visconti. La blancheur fantomatique de ces sculptures me faisait une impression très particulière. Comme passer à travers un miroir et depuis le monde réel côtoyer un monde enfoui mais toujours vivant. C'est cela aussi Venise.

posted by lorenzo at 20:21

27 août 2006

Le condom de Venise : vogue la gondole contre le sida...

Demain, lundi 28 août 2006, des gondoles d'un type particulier partiront du Squero san Trovaso vers 19 heures... Petites, munies d'un felze, 5000 barques noires contenant chacune 7 préservatifs colorés comme une fête de carnaval, vendues habituellement 15 euros, seront ainsi distribuées...
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C'est la dernière trouvaille du comité vénitien de lutte contre le Sida avec l'aide d'une société au nom évocateur : la société Casanova, spécialiste des préservatifs "colorés comme du verre de Venise" (c'est l'image utilisée dans un des ses discours par un parlementaire italien). Cela peut faire sourire, mais c'est tout à fait sérieux. La société est l'un des premiers fournisseurs de la Péninsule depuis sa création. Elle portait alors le nom d'une antique pharmacie "al Perdon", à San Apponal et fournit en leur temps Lord Byron ou Rudolph Valentino... Mais avant tout, il vous faut savoir que beaucoup d'historiens sont d'accord pour attribuer à Venise l'origine du préservatif. Le Marquis de Sade parle ainsi dans sa "Philosophie dans le boudoir" d'un "petit sac de peau de Venise, vulgairement nommé condom, dans lequel la semence coule, sans risquer d'atteindre le but"... 

Mais revenons à l'évènement de demain. Sous la présidence du NH Comte Girolamo Marcello au nom de la Sérénissime, une vingtaine de personnalités locales parraineront chacune un de ces vaisseaux. parmi elles, citons le peintre Ludovico de Luigi, la comtesse Fiora Crespi, vice-présidente de l'A.N.A.I.D.S., le consul d'Espagne, Antonio Simionato, secrétaire du corps consulaire à Venise qu'il représentait ...
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Mais cette manifestation placée dans la lignée traditionnelle des campagnes contre le sida, en voulant rappeler aux jeunes la nécessité de se protéger, soulève déjà une polémique. Aldo Rosso, le président du syndicat des gondoliers n'apprécie pas l'appropriation de l'image la plus forte de Venise pour une campagne prophylactique de ce genre. "Pourquoi n'ont-ils pas pris le pont du Rialto ou une bricola" (ces poteaux de bois qui marquent l'entrée des palais vénitiens et sont peints aux couleurs des propriétaires de ces palais)... Les auteurs de la manifestation ont répliqué en expliquant que le choix de la gondole voulait exprimer une comparaison entre la fragilité de la Cité des Doges et la fragilité de l'être humain que menace le Sida comme les eaux et l'érosion menace la ville... Je vous laisse juge mais pourquoi polémiquer après tout. Il s'agit de prévention et tous les moyens sont bons, car suivant l'adage, "'il vaut mieux prévenir que guérir"...
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Mais revenons au produit lui-même. Avec la gondole lancée demain, la boîte "bricola" existe avec à l'intérieur 30 capotes vendue 35 euros. Si on peut acheter cette protection à l'unité dans un bel emballage pour 1 euro, on trouve aussi des boites à l'ancienne, ornées de très belles peintures s'inspirant de la Commedia dell'arte, le chapeau de paille des gondoliers en réduction avec 7 capotes, un fac similé d'une rareté bibliophilique, "La Ninfomania o sia il Furore Uterino", livre interdit par l'inquisition imprimé à Venise en 1783 (25 préservatifs) pour 30 euros. Il existe aussi un CD reproduisant le célèbre guide de 1796, "Il forestiere illuminato", avec 10 préservatifs...
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Bref un marketing peut-être un peu outré mais dynamique et terriblement inventif. Et pour les touristes, un nouveau souvenir pour le moins original à ramener d'un séjour vénitien ! En tout cas, moi je dis bravo. Voilà une initiative qui montre au monde que Venise n'est pas un musée figé dans son passé ni un parc d'attractions à la Walt Disney, mais un lieu de vie, en pleine évolution et tourné vers l'avenir.
posted by lorenzo at 23:10

Musica, musica !

Est-ce la chaleur de l’été qui revient ce matin quand le vent a cessé de souffler ? Est-ce cette lumière presque orange qui éclaire le jardin ? Mais j’ai dans la tête un de ces airs italiens qui nous viennent du sud, de Naples ou de Sicile et que les américains ont repris pour les populariser … Vous savez ces airs de Lou Monte, Julius La Rosa, Franck Sinatra ou Jerry Valle ; mandoline, accordéon et guitare et voilà que défilent des images en noir et blanc, celles du cinéma des années 50. 
La fenêtre de la chambre d'Alix à la Toletta ©Tramezzinimag, 2005.
Rien à voir a priori avec Venise me direz-vous. Pourtant, par une grossière simplification venue d’Outre-Atlantique, la musique napolitaine et les promenades en gondole, les dîners romantiques au bord d’un canal et le son de la mandoline sont aujourd’hui mêlés dans l’inconscient collectif universel. Les  asiatiques qui se promènent la nuit en gondole seraient déçus si on ne leur chantait pas "O Sole mio" au clair de lune ! Allons ne faisons pas les difficiles. Certes la musique populaire vénitienne existe, certes elle est parfois très belle mais n’a malheureusement pas cet écho universel de la pauvre musique un rien nostalgique née sur les plages de Sorrente, à Capri ou dans les bouges du port de Palerme. La chaleur, le plaisir que ces airs procurent sont pour moi depuis toujours je l’avoue, l’accompagnement sonore de ma vision de Venise en été.



Imaginez un quartier tranquille. Peu de passants. Le ciel est aussi bleu qu’on puisse l’imaginer, mille parfums différents viennent vous solliciter, une soupe qui cuit, la vase des canaux, le jasmin et les lys d’un jardin, l’eau de Cologne dont s’est aspergé le monsieur qui passe sur le pont à côté son journal à la main… La lumière envahit tout portant chaque couleur à son paradoxe comme à saturation. Jamais le moindre pan de mur, le plus petit reflet argenté sur l’eau d’un canal ne vous paraîtront plus beaux. Vous êtes seul avec vous-même face à tant de beauté et la joie qui vous gagne rejoint cette musique un peu sirupeuse parfois, la voix de Julius la Rosa ou celle de Dean Martin s’incruste dans chaque détail du paysage que vous avez sous les yeux et vous sentez derrière vous le visage extasié de Katherine Hepburn ou le sourire d’Alida Valli. Je pense par exemple à "Come back to Sorrento" devant cette photo…


Comment peut-on se contenter d’assimiler ce délice visuel permanent, même l’hiver quand la lumière se fait froide et noire, à un adagio funèbre de Mahler et au visage d’un adolescent triste et malingre comme le grand art de Visconti nous y avait contraint avec Mort à Venise. C’est bien plus la tarentelle ou des chansons d’amour pour clair de lune qui conviennent pour illustrer Venise dans toute sa beauté. 



Regardez cette vue sans prétention. Aucun monument, rien de particulier. Seulement une "atmosphère". Là aussi j’entends une de ces mélodies comme "O mio babbino caro". Du temps de ma vie d’étudiant, il y avait près du jardin Papadopoli, un petit bar fréquenté par des gondoliers. Un vieillard y jouait de la mandoline. Je me souviens de son visage buriné par les années. Il lui manquait plusieurs dents. Parfois quelqu’un l’accompagnait à l’accordéon. Le soir, ils jouaient sans façon tous ces airs : Santa Lucia, Luna Rosa, Mamma Rosa…


Cette musique générique italienne dans sa capacité à réchauffer les cœurs et à porter la joie et la fête, n’est-elle pas après tout pour notre époque ce que la joyeuse musique de Vivaldi ou de Veracini, Galuppi, Geminiani, les chansons de Monteverdi furent autrefois pour ceux qui les fredonnaient… En tout cas, sans aucune prétention musicologique, quand je suis loin de Venise et que je ferme les yeux, ce que je vois en moi est illustré par cette musique joyeuse ou mélancolique du lointain sud italien revisitée parfois à la sauce yankee

Texte inspiré de la lecture de The saint of lost things, roman de l'écrivain italo-américain Christopher Castellani. L'auteur a écrit son livre en écoutant cette musique des années 50, mélange de chansons populaires italiennes et de rythme américains que les migrants italiens écoutaient en boucle avant d'arriver à New York ou une fois installés...


posted by lorenzo at 13:04

25 août 2006

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 2) : Alain Crozier


Connaissez-vous Alain Crozier
J'ai découvert son site par hasard. Un personnage ! Il écrit de belles choses et je vous livre ici, en même temps qu'un raccourci vers son site, deux poésies . Sobres. Très pures. Très fortes. Elles sont imprégnées de l'atmosphère de Venise... 
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Une place vénitienne
.Une place vénitienne,
A l'ombre d'un campanile.
Le temps est tellement beau,
La fin de l'après-midi.
En train de devenir amoureux
Depuis le train,
Ne sachant pas que c'était réciproque.
Une place vénitienne,
Ma future amante à mes côtés.
Je suis loin du monde,
Je suis hors du temps.
Venise est en train de nous appartenir,
Depuis le train,
Les plus beaux jours de ma vie.
Le cerveau déconnecté,
Je ne pense à rien,
Plus à rien.
.
Échos du quai ensoleillé
( publié dans Bastet n°3 - juillet 2004)
.Le jour se lève sur le quai,
Un matin ensoleillé.
Seul sur ce quai,
Je repense à elle,
À Venise et son train.
Au départ ou à l'arrivée
Du voyage fantastique,
C'est ici que tout a commencé.
Suis-je déjà venu ici
Avant de succomber ?
 
.Alain Crozier
.
Tous Droits Réservés

Coup de Coeur : Alain Crozier


Connaissez-vous Alain Crozier ? 
J'ai découvert son site par hasard. Un personnage !
Il écrit de belles choses et je vous livre ici, en même temps qu'un raccourci vers son site, deux poésies . Sobres. Très pures. Très fortes. Elles sont imprégnées de l'atmosphère de Venise...
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Une place vénitienne
.Une place vénitienne,
A l'ombre d'un campanile.
Le temps est tellement beau,
La fin de l'après-midi.
En train de devenir amoureux
Depuis le train,
Ne sachant pas que c'était réciproque.
Une place vénitienne,
Ma future amante à mes côtés.
Je suis loin du monde,
Je suis hors du temps.
Venise est en train de nous appartenir,
Depuis le train,
Les plus beaux jours de ma vie.
Le cerveau déconnecté,
Je ne pense à rien,
Plus à rien.
.
Échos du quai ensoleillé
( publié dans Bastet n°3 - juillet 2004)
.Le jour se lève sur le quai,
Un matin ensoleillé.
Seul sur ce quai,
Je repense à elle,
À Venise et son train.
Au départ ou à l'arrivée
Du voyage fantastique,
C'est ici que tout a commencé.
Suis-je déjà venu ici
Avant de succomber ?

.© Alain Crozier
Tous Droits Réservés
posted by lorenzo at 16:35

24 août 2006

Dachine Rainer, poète et anarchiste

"La pierre sous l’orme / prend forme maintenant / la pierre se courbe sur son bord / la pierre qui dans l’air prend forme... "

"L’arbre a pénétré dans mes mains, / la sève est montée le long de mes bras / l’arbre dans ma poitrine est devenu grand, / vers le bas, / les branches sont sorties de moi comme des bras / tu es arbre, / tu es mousse, / tu es violette que caresse le vent... / les arbres meurent et le rêve reste. "
Ezra Pound
Canto XC

En 1984, j'ai rencontré entrée par le plus grand des hasards à la galerie Graziussi où je travaillais, une vieille dame anglaise qui se prit pour moi d'amitié. Je me souviens de son allure, petite, un peu ronde, elle portait ces inénarrables jupes de tweed qui font invariablement penser à la Miss Marple des romans d'Agatha Christie. Ses cheveux étaient blancs et assez courts. Elle ne marchait pas mais courrait. 


Un air décidé et sévère tempéré par un sourire moqueur, elle m'expliqua son passé anarchiste, ses déboires en Amérique et au Royaume-Uni avant et pendant la guerre (elle fut emprisonnée aux Etats Unis pour propagande pacifiste). J'étais fasciné par ses aventures. Nous discutions autour d'une tasse de thé dans ce salon de thé aujourd'hui disparu qui était aussi à l'époque le seul restaurant végétarien de Venise, Calle della Mandorla. Je lui faisais visiter les recoins méconnus de la Sétrénissime. Je lui plus et elle fit du jeune homme que j'étais son compagnon de promenade, sorte de secrétaire particulier et de drogman on demand.
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Elle avait loué un tout petit appartement à deux pas de l'église Santa Maria del Giglio, près du Gritti. Cette maisonnée me fascinait. Située au rez de chaussée d'une vieille maison, on y pénétrait par une porte peinte en vert. A gauche du couloir, une salle de bain en marbre rose, puis la cuisine et le living, vaste pièce éclairée par une grande fenêtre ornée d'un rideau de cretonne fleuri, tout cela respirait une atmosphère de campagne anglaise. Toujours Miss Marple... Bien meublé, cet appartement m'attirait. Il était tellement à l'opposé de mon appartement. Puis quelques mois plus tard, elle s'installait à Dorsoduro, dans une maison jouxtant la Guggenheim, tout près de la galerie de Ferruzzi où j'allais travailler les deux dernières années de mon séjour vénitien (devenue aujourd'hui la boutique de la Guggenheim)... Vaste appartement à l'étage, avec deux ou trois chambres dont les fenêtres donnaient sur les jardins du palais. Une merveille. La décoration, les meubles, les tableaux au mur, tout respirait une atmosphère de paix et de raffinement. Je me souviens d'une chambre avec deux lits jumeaux très année 50. La lumière y était très belle. Le calme absolu. 
Je rêvais de m'y installer pour écrire et lire. Je lui proposais à demi-mots d'entrer à son service comme factotum : j'aurai fait les courses, le ménage, la dactylographie de ses travaux et en échange, elle me permettait d'occuper cette chambre, à l'autre bout de la maison, en haut de ces quatre marches de bois qui craquaient délicieusement et sentaient l'encaustique. Elle refusa, prétextant qu'elle avait besoin d'être seule et qu'elle trouvait
"scandaleux de m'employer comme un vulgaire laquais alors que je méritais mieux et qu'il me fallait toujours rester libre et ne pas me vendre pour un lit et un bol de soupe"...
Elle avait certes raison, mais mes vingt ans affamés ne comprirent pas tout de suite ce refus. J'avais déjà lu trop de romans...
 
Dachine s'intéressait aux chats du quartier et aimait m'entendre lui raconter les péripéties de Rosa, ma petite chatte grise. Elle prenait beaucoup de notes et lorsque, après le déjeuner, l'inspiration lui venait elle me chassait, me priant de la laisser vite travailler. Elle venait me chercher à la galerie pour une promenade ou une démarche administrative et souvent, me racontait en s'appuyant sur mon bras, ses péripéties pendant la guerre, quand elle fut internée pour ses opinions libertaires et son opposition violente à la guerre. Lorsqu'elle quitta Venise, elle laissa une assez grosse somme d'argent à la vieille dame de la calle Navarro, tout près de ma nouvelle demeure, qui abritait dans sa grande maison des dizaines de chats. Elle m'écrivit une ou deux fois, m'envoya des extraits de son Giornale di Venezia et d'un texte sur Ezra Pound (elle l'avait bien connu et le considérait - à juste titre - comme un des plus grands auteurs modernes) et Olga Rudge qu'elle rencontra à plusieurs reprises à Venise avec moi.
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Je crois qu'elle se méfiait un peu de moi : j'avais faim, j'étais désargenté et j'étais jeune,
"trop beau et trop jeune, pas assez pauvre et pas assez affamé"
me disait-elle. Elle l'écrivit aussi dans un de ses textes... Elle ne concevait pas que je puisse être autre chose qu'un idéaliste révolutionnaire, anarchiste ou nihiliste... Peut-être craignait-elle que je m'intéresse à elle uniquement parce que j'étais fauché et elle fortunée... C'était une romancière... Elle avait tellement de choses à raconter. Nos journées étaient passionnantes.
Elle aussi avait lu beaucoup de romans et elle s'en faisait un aussi dans sa tête... Quelques années plus tard, retourné en France et jeune marié – elle était repartie dans son manoir écossais – je l'avais invitée à Bordeaux pour faire la connaissance de ma femme et de notre fille qui venait de naitre. Elle hésitait, m'écrivant qu'elle avait besoin d'un lieu paisible pour terminer je ne sais quel ouvrage, qu'elle se sentait toujours poursuivie, harcelée par ses ennemis de toujours... 
Je lui proposais de venir s'installer dans notre chambre d'amis tapissée de livres, tout au fond de notre appartement, éclairée par le plafond comme un atelier d'artiste. Elle y serait vraiment au calme pour écrire. Devenue un tantinet paranoïaque, elle se croyait épiée et menacée par les Services Secrets anglo-saxons, l'idée d'un refuge bordelais lui plût. Ravie de mon invitation, elle hésita cependant. Nous avions convenu d'une date et après quelques arrangements, elle devait prendre l'avion pour Bordeaux sous quelques semaines. Elle ne vint jamais.
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Elle mourut deux ans après, en 2000. Je ne l'ai plus jamais revu. Elle m'a dédicacé un exemplaire du Giornale di Venezia où elle parle quelque part de nos journées, de nos promenades et des lieux que je lui ai fait découvrir, mais je n'ai jamais reçu le colis... Il m'a été adressé par sa fille quelques mois après sa disparition. Je le conserve précieusement avec ses lettres et les pages du tapuscrit qu'elle m'avait envoyée qui concerne nos promenades ainsi qu'un texte où elle parle du jeune érudiant fou que j'étais alors.
Sur sa tombe à Londres, au cimetière de Highgate, non loin de celle de Karl Marx et de Rossetti, il y a pour seule inscription :
"poète et anarchiste"
posted by lorenzo at 21:44

23 août 2006

L'image du jour

Tous Droits Réservés © Yves Phelippot

Buon Compleanno, Claire !

Qualche candelina in più sulla torta non può far altro che illuminare maggiormente il tuo cammino... I miei più belli auguri  !

posted by lorenzo at 20:01

Quiétude estivale



Je ne sais pas vous, mais moi j'aime particulièrement ces débuts d'après-midi, l'été, quand il fait déjà passablement chaud, que les rues ombragées gardent la fraîcheur du matin et que la plupart des touristes écrasés de soleil et de vin rosé trop frappé paressent aux terrasses des trattorias (trattorie devrait-on écrire). Les chats dorment, les vieilles dames en tablier à fleur épluchent leurs haricots devant leur porte, les enfants font la sieste. Un bateau qui passe en direction du Lido trouble un peu le silence et les remous de l'eau du canal bercent ma rêverie. C'est l'heure où j'aime m'attarder accoudé à ma fenêtre, regardant cet horizon de toitures et de cheminées qui fait mon bonheur depuis plus de vingt ans. Le ciel est d'un bleu vif et les oiseaux qui chantent couvrent presque la radio qui s'échappe d'une fenêtre entrebâillée de l'autre côté de la rue. Un air ancien (1984 !) remplit toute l'atmosphère de la rue, "Hotel California" par Joe Walsh et The Eagles
 
"...Last thing I remember, I was
Running for the door
I had to find the passage back
To the place I was before
Relax, said the night man,
We are programmed to receive.
You can checkout any time you like,
But you can never leave!"...
    
Voilà qui s'applique particulièrement bien à Venise par un bel après-midi d'été. Comme cela s'applique aussi parfaitement au doux farniente qu'il faut savoir y vivre. Bonne fin d'été à tous !
 
posted by lorenzo at 13:52