22 janvier 2007

Avez-vous des nouvelles du Signor Casanova ?

Les Studios Disney l'avaient annoncé à grand renfort médiatique dès 2004 ce "Casanova". Une méga production Touchstone confiée à Lasse Hallström, avec un casting brillant et bien choisi. Mais la montagne a accouché d'une souris et le DVD est dans les bacs depuis moins de temps qu'il n'en faut pour réserver un billet au cinéma du coin. Qu'en est-il vraiment ?

Bon vous l'aurez compris, j'ai enfin visionné ce film et je peux maintenant en parler. Non ce n'est pas un flop, certainement pas non plus un titre qui restera dans les mémoires. En fait c'est un bon petit film très divertissant, une gentille histoire d'amour avec des moments très drôles et des scènes remuantes, tout ce qu'il faut pour un moment de plaisir en famille. Les acteurs ne sont pas mauvais, l'histoire assez bien trouvée bien qu'invraisemblable.

Mais ce qui me fait vous parler aujourd'hui de ce film, c'est bien sur parce que Venise y a une place prépondérante. En fait, à bien y penser, c'est Venise qui emporte le meilleur morceau dans ce méli-mélo hollywoodien. Car le réalisateur a insisté pour que tout soit tourné sur place, en décor naturel pour les extérieurs comme pour les scènes se déroulant dans les palais. C'est ainsi que Casanova fuit les gardes de l'inquisition à travers les couloirs du vrai couvent de la Pietà où il fut, disons, assez souvent aperçu. L'interrogatoire et le procès du séducteur numéro 1 se déroulent dans la salle même ou quelques siècles plus tôt Giacomo Casanova le vrai comparut devant le Tribunal...

Rien à redire non plus sur les costumes, les perruques, les coiffures et les parures des dames, les barques, les chalands et les gondoles, rien non plus à redire sur la décoration des appartements sinon quelques libertés prises avec les siècles (on voit à un moment dans un salon totalement XVIIIe une table à thé totalement XIXe).

Il y a toujours des erreurs grossières dans ce genre de film, mais cette fois-ci, elles sont rares et passent car l'authenticité du décor étouffe les quelques oublis. Je pense à une scène ou Casanova suit la belle Francesca croyant qu'elle se rend chez un amant secret. Elle passe au-dessus d'un passage (situé près de S.Giovanni e Paolo en vérité - à deux pas du palais où logeait sa mère, sur le Fondamente Nuove - est-ce un clin d'oeil voulu ou le hasard des repérages ?), la fenêtre de la galerie où la belle jeune femme passe est certes habillée de vitraux en cul de bouteille mais elle est aussi hélas encadrée par deux magnifiques volets métalliques, peints en vert bouteille, comme il y en partout à Venise depuis les années 60. C'est absurde mais ça passe.

Les vues du Grand Canal aussi passent très bien. Pourtant on y voit des bâtiments qui n'existaient pas à l'époque de Casanova... Cela n'a guère d'importance. Les scènes du bal, de la foule dans les rues ou sur la Piazzetta pour le carnaval, tout est parfaitement plausible. Ce n'est pas un hasard quand on lit au générique le nom de Danilo Reato, qui a été le conseiller historique du film.

Le DVD dans sa partie bonus présente d'ailleurs le making-off du film à Venise expliquant la part fondamentale de la ville dans l'esprit du metteur en scène. C'est ce qui restera avec l'excellente illustration musicale. Musique ancienne et baroque pour l'essentiel, revue mais toujours traitée avec beaucoup de fidélité. C'est tout neuf, mais ça passe. Regardez-le, c'est un agréable petit film. Et puis, dernière chose, en dépit de quelques détails presque scabreux, de dialogues parfois assez "pointus" oserai-je dire, les enfants peuvent le voir sans les faire ricaner de gêne ni faire rougir leurs parents.

20 janvier 2007

COUPS DE CŒUR N°13

Venise sous la neige
pièce de Gilles Dyrec 
mise en scène par Gérard Maro
Café de la gare, 41 rue du Temple, 75004 - Paris
(métro Hotel de Ville ou Rambuteau)
http://www.venise-sous-la-neige.com/
Depuis un an au Café de la Gare et ça continue en 2007 ! Un succès avec plus de 200 représentations et 30 000 spectateurs. Venise sous la neige est une comédie dynamique et savoureuse tournant autour d'un énorme malentendu. On se prend très vite au jeu en observant ces 2 couples si différents, dont l'un d'eux pourrait sortir tout droit du fameux Dîner de con. Entre déchirures amoureuses et déclarations de mariage, les rôles vont s'inverser et la soirée va accumuler les catastrophes hilarantes, pour le plus grand plaisir des spectateurs. Excellentissime ! L'histoire : Entraînée par son ami avec qui elle vient de se disputer, Patricia arrive furieuse à un dîner "entre amis" où elle ne connaît personne. Comme elle ne dit pas un mot, on la prend pour un étrangère. Elle entretient alors le quiproquo et fait voler la soirée en éclat…

Une question d'honneur
Donna Leon

Calmann-Lévy. 2005.
"Le célèbre commissaire Brunetti reçoit un jour la visite de Claudia Leonardo, une élève de sa femme. La requête de la jeune fille l'intrigue : elle veut savoir si son grand-père, qui a commis un crime pendant la Seconde Guerre mondiale, peut être réhabilité après sa mort. Mais elle reste très évasive quant à la nature de ce crime. Brunetti mène l'enquête et apprend qu'il pourrait bien s'agir d'un trafic d'œuvres d'art. Lorsque Claudia est retrouvée poignardée dans son appartement, les choses se compliquent. Tandis que certains secrets du passé refont surface, Brunetti doit déjouer les faux-semblants d'une affaire où l'honneur de plusieurs personnes est en jeu. A Venise, les masques dissimulent parfois d'inquiétants visages... " Paru en France en 2005, ce n'est pas la meilleure des aventures de Brunetti mais je prends toujours un plaisir fou à le suivre dans ses enquêtes. Savez-vous qu'il existe un site en français consacré de la reine américaine du polar vénitien : http://www.freewebs.com/donna-leon-portal/

Une épicerie à Venise
documentaire réalisé par Elke Sasse

Arte, Visages d'Europe 
Mardi 23 janvier, à 11h05
(Italie, 2005, 26mn)
Belle rencontre avec les frères Ernesto et Giuseppe Ortis, qui tiennent leur épicerie familiale dans un quartier de Venise encore épargné par les touristes. Une promenade dans les profondeurs de la vie vénitienne où le quotidien n'est pas si facile qu'on pourrait l'imaginer. Dommage que ce petit film ne soit pas rediffusé. Parfois, en écrivant à Arte on a la surprise de pouvoir le télécharger ou bien de le voir rediffuser à l'improviste.

Michel Lambert
Airs de cour
par René Jacobs
, Konrad Junghänel (théorbe), Wieland Kuijken (viole), Mihoko Kimura et Dirk Verelst (violon).
Curiosita, Harmonia Mundi. 
2004.
Discrète collection qui reprend des enregistrements du fonds Harmonia Mundi d’une incroyable richesse. Pour les esprits curieux (c’est ce que dit la notice de présentation du catalogue), on trouve les arts Florissants de Willian Christie interprétant magistralement le Cantique de Möyse de Moulinié, Les cantates de la vénitienne Barbara Strozzi avec la voix de Judith Nelson, l’Ensemble Janequin avec les Leçons de ténèbres de Sermisy, Huguette Dreyfus au clavecin qui joue Microcosmos de Bartok… Des pochettes résolument sobres, contemporaines, très légères presque trop épurées mais un contenu d’une belle qualité. J’ai toujours apprécié la politique éditoriale de cette maison de disques. Rappelez vous la création dans les années 70-80 de la collection Musique d’abord qui pour 10 Francs (1,50 €) proposait des enregistrements d’une grande qualité et d’une incroyable diversité. Presque tous les titres ont finalement été réédités mais le prix forcément a changé. Leur politique de développement est intelligente, leur méthode de commercialisation très sobre et surtout leur catalogue d’un éclectisme et d’un goût absolument sûr. Comme on dit d’une oreille qu’elle est parfaite. Bon, je ne sais si ce panégyrique me vaudra un cadeau de la maison arlésienne, mais je revendique mon attachement à cette compagnie !
Revenons-en à Lambert par René Jacobs. Dans un français parfait, le Maestro Jacobs chante avec la délicatesse, le raffinement et l’efficience qui lui sont naturelles (nous sommes en 1981 au moment de l’enregistrement réalisé par l’excellent Jean François Pontefract) ces "airs de cour" composés pour ces concerts qui s’organisaient souvent dans les salons en ville comme à la cour et où régnait une atmosphère précieuse et légère à la fois. Ce n’était pas des réunions prétentieuses mais savantes aurait-on dit à l’époque de gens bien mis, connaisseurs et cultivés. Michel Lambert, "élève" du grand Etienne Moulinié, chantait en s’accompagnant au théorbe. Presque toute son œuvre est consacré à ce genre avec le plus souvent une référence à l’amour et à la mort. Ce disque est un régal. J’aurai pu vous parler, paru dans la même collection, de Judith Nelson interprétant la musique de Barbara Strozzi parce qu’elle était vénitienne (autre disque fabuleux). Mais ces airs de Lambert participent de ma vie vénitienne. Il y a une vingtaine d’années, quand jeune étudiant, je passais les plus belles soirées du monde chez un vieil aristocrate musicien amateur qui connaissait tout le monde à Venise. Je sais bien qu’il réunissait chez lui beaucoup de jeunes gens parce qu’il était très sensible à notre jeunesse et on croisait souvent chez lui de forts jolis garçons et de très belles jeunes filles. Mais il n’eut jamais pour aucun de nous de gestes qui eurent pu nous embarrasser ni ne prononça de propos déplacés. Il nous jouait du Lambert. C’est chez lui que je découvris le théorbe, le plaisir de cette musique paisible, humaine, interprétée parfois par de grandes voix. Je pense à Margaret Zimmermann qui venait parfois chez lui, de ces jeunes musiciens du conservatoire Marcello dont j’ai déjà parlé et qui donnèrent à ma demande un récital pour l’exposition de Missa Yoshida (cf billet mis en lien de novembre dernier). Ce vieux monsieur, aujourd’hui disparu, avait un talent extraordinaire pour rassembler et harmoniser des êtres qui ailleurs ne se seraient jamais rencontrés. N’est ce pas cela l’esprit du XVIIe où la curiosité et la parfaite éducation permettaient de s’ouvrir à la nouveauté, où l’accueil se faisait naturel. Inconnu en pénétrant dans le salon, vous vous sentiez au bout de quelques minutes parfaitement intégré, comme lorsqu’on revient chez des amis de longue date… Cette capacité extraordinaire est une caractéristique de l’aristocratie et diffère tellement de la prétention bourgeoise, de cet esprit recroquevillé, frileux et sans curiosité aucune qui est malheureusement l’apanage de cette classe sociale pourtant pleine de prétention et de complexes. J'en croise tellement d'exemplaires à Venise ou à Bordeaux... 
Mais laissons-la ces digressions. Lambert et ses airs de cour valent bien mieux que ces considérations sur la bêtise et l'étroitesse d'esprit, surtout quand on écoute ce merveilleux "Vos mépris chaque jour" dont on ne sait pas l’auteur avec la basse continue qui souligne la douleur du chanteur fou d’amour et de dépit : "Vos mépris chaque jour me causent mille alarmes / Mais e" chéris mon sort, bien qu’il soit rigoureux. / Hélas ! si dans mes maux je trouve tant de charmes, / Je pourrais de plaisir, si j’étais plus heureux." La viole et les violons reprennent l’air et le terminent, prolongeant la douleur de l’amoureux transi. Ce qui fait la beauté de l’écriture de Lambert, c’est justement ce passage naturel de la voix à l’instrument. On n’est plus seulement dans l’ornementation. Chaque air possède un double qui loin de nous éloigner du texte, le développe, le souligne et parfois même l’explique. Méditation douloureuse, cette chaconne parle à tous les cœurs qui ont connu forcément à un moment ou à un autre les tourments dont il est question. Écoutez, vous serez conquis.
 
Au passage si quelqu'un peut m'expliquer comment parvenir à mettre du son et des images sur ce blog pour partager avec vous davantage encore de ma passion pour Venise, qu'il n'hésite pas à m'écrire ! Je ne parviens pas à résoudre ce pensum.

19 janvier 2007

TraMeZziniMag Galerie : "Andare a Ombre", une tradition vénitienne

On dit qu'il se sert plus de 50.000 ombre (1) par jour à Venise. Quand on sait le nombre d'habitants aujourd'hui dans le centre historique on pourrait croire que les vénitiens sont tous des alcooliques ! Si on boit beaucoup et souvent à Venise, c'est depuis toujours par sociabilité.

Les bars, appelés enoteca (œnothèque) quand ils vendent et servent uniquement du vin, birreria quand il s'y ajoute des bières ou bàcaro quand on y sert à manger (l'équivalent de nos bar-caves et de nos bars à vin), sont très nombreux. Ce sont des lieux de rencontre pour les habitants du quartier, un salon où l'on cause, où, tout en refaisant le monde on s'enquiert des voisins, de leur santé, de leur vie. Refuge pour les isolés, les personnes âgées, le mal logés.

Centre de la vie sociale de tout un peuple, des ouvriers à l'aristocratie, tous s'y retrouvent. Jeunes et vieux, on y fait au moins un passage chaque jour. A la mi-journée mais surtout le soir à partir de 17-18 heures, au moment de la passeggiata, avant dîner. Chacun a ses habitudes dans l'un des nombreux bars nichés parfois dans des endroits insolites, loin des grands axes du centre historique. 

Y entrer, boire un verre, parmi la foule des habitués, grignoter quelques cicchetti, vous permettront de comprendre la vie vénitienne et de vous sentir vraiment à l'intérieur d'un monde authentique, qui grouille de vie et d'ardeur et non plus un musée tristement figé dans ses splendeurs délétères.


Voici quelques photos des bàcari à mon époque (photographies prises entre 1980 et 1985), par deux enfants de Venise, grands amoureux de leur ville, auteurs de plusieurs ouvrages passionnants sur la cité des doges au quotidien (mais je vous en reparlerai).


Crédits Photographiques :
Catullo & Lagomarsino, photographes



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(1) : ombra, (pluriel : ombre) : Littéralement "ombre", vient du XVIIIe siècle, de la tradition vénitienne de servir à boire l'été à l'ombre du campanile de San Marco et sous les galeries quand il faisait trop chaud. Par extension, boire un verre, prendre un apéritif se dit "bere un'ombra" dans tout le veneto.


Etes-vous gourmands ?

Nous les sommes à Tramezzinimag et nous l'assumons. Particulièrement des pâtisseries vénitiennes traditionnelles, celles à base de pâte d'amande. Pour vous mettre l'eau à la bouche, voici quelques échantillons de pâtisseries locales :


18 janvier 2007

Venise au fil de l'eau...


Une lectrice, fidèle et attentive, qui suit ce blog depuis sa création, me faisait remarquer que je ne parle pas souvent des eaux de Venise. C'est vrai et cela peut surprendre. Mais parle-t-on souvent de l'air qu'on respire ? L'eau à Venise est tellement constitutive de ce qu'elle est, de ce qui compose son essence même. Il n'y a pas pour moi d'éléments distincts dans l'objet de l'amour que je porte à la Sérénissime et son autre appellation de Dominante, j'accepte sans réserve qu'elle le soit sur mon cœur, mes jours, mes désirs et mes choix. Sur ma vie tout entière. N'est-ce pas cela l'amour inconditionnel après tout ? L'eau à Venise, celle du Bacino, qui vient lécher depuis plus de mille ans les rives de la cité unique, celle du Canal Grande - le Canalazzo - , trépidante et qui palpite à toutes les heures du jour, justifiant mieux que partout ailleurs ce terme souvent employé d'artère, mais aussi ces rii (pluriel de rio, qui est le nom véritable de ce que les étrangers appellent canaux (car il y a peu de canaux à Venise outre le Grand Canal : il y a celui de la Giudecca, celui de Cannaregio par où on pénétrait autrefois dans la magie de la Sérénissime...), toutes les autres voies d'eau sont des rii), l'eau à Venise, nous en sommes imbibés.

Elle coule dans nos âmes et ses reflets animent dans nos yeux notre regard d'amoureux éperdu, nous les Fous de Venise. C'est pour ne pas devenir littéralement fou, que nous en parlons si peu. Je connais des dizaines de photographes, amateurs ou professionnels qui passent leur temps quand ils arpentent la ville, à figer dans leur objectif les reflets changeants des eaux. Jamais satisfaits, ils poursuivent leur chasse car, même réussi, aucun cliché ne reproduira jamais l'effet réel que cette magie suscite en nous... Et puis l'eau qui permit à nos aïeux de se protéger et se défendre, ne fut pas qu'une alliée - le terrible phénomène de l'acqua alta en est la preuve la plus criarde - mais bien souvent aussi une ennemie. L'ouvrage de Piero Bevilacqua, Venise et l'eau ( Liana Lévi, 1996 pour sa version française) aborde cette thématique d'une cité dont l'histoire s'est écrite avec et malgré l'eau, à la fois fondement de son développement, de son expansion et de sa richesse mais aussi menace constante. Il faut connaître l'histoire des rapports des vénitiens avec l'eau pour comprendre la ville. 

Pour Liliana Magrini, l'amie et traductrice d'Albert Camus, l'eau à Venise trouble l'esprit. Voilà ce qu'elle écrit dans son merveilleux Carnet vénitien (Galimard, 1956)
"[...] Pas une vibration sur cette épaisse couche d'eau. Est-ce cela son agonie ? Mais bientôt mon vaporetto n'est plus entouré que d'un clair reflet de ciel. Comme suspendu sur ce pur émail, un long profil ténu de toits brisés, de minces clochers, de coupoles estompées reparaît au loin. Je cherche en vain à y situer l'endroit où, en ville, je dois me rendre. Le chemin lui-même me semble improbable. Si connu pourtant, il se multiplie dans la mémoire qui le cherche, de même que les maisons qui le longent, les rues qui le croisent : tantôt aériens jeux de pierre, tantôt blancs éclats épars, tantôt lisses surfaces ténues ou mol amas qui s'effilochent dans le gris, ou facettes brisant la lumière en d'innombrables reflets. Comment poursuivre là-dedans une image certaine de Venise ? [...]"
Ne voyons-nous pas la magie des mots, bien plus clairement que par une photographie combien l'eau s'immisce en tout dans le réel comme dans la mémoire quand on évoque Venise ? Réalité ou construction de l'esprit qu'enjolive notre amour, Venise au milieu de ses eaux est peut-être après tout seulement une invention de l'âme... Combien trop souvent nos considérations quand il s'agit de Venise s'apparentent à la seule introspection. C'est encore Liliana Magrini qui vient écarter la confusion et répond à notre réflexion :
"[...] Venise n'existe pas. Voilà tout son secret. Les autres villes, on peut les mesurer ; on peut de la main, tâter leurs pierres : rêches ou douces, elles répondent par leur chaleur ou leur glace, leur moiteur ou leur sécheresse - infiniment solides, vaste corps hostiles ou maternels. C'est un geste qu'on n'est jamais tenté de faire à Venise. Ce n'est pas qu'il s'agisse, comme le prétendent de tendres fadaise, d'une ville de rêve ou de brumes solidifiées. Non, ce n'est pas un rêve : loin de là. C'est un très lucide mensonge. Un mensonge d'homme éveillé ; et qui ne croit pas qu'on puisse autrement s'en sortir.
C'est, dans un sens, le théâtre. Un théâtre où la notion du sacré est nulle, celle su spectateur, indifférente : sauf du spectateur qu'on est à soi-même.[...]
[...] Non, on n'y croit pas trop, et l'on sait ce que ça vaut : et qu'on peut faire ce qu'il y a à faire, puisque en tout cas aucune aide ne vient d'ailleurs, mais qu'en même temps, sans les masques et les fards du théâtre, on ne pourrait pas déjouer le vide.
Sous un soleil asséné, Venise se serait peut-être dépouillée, dureté blanchie par une aveugle lumière. ce serait une ville méditerranée. Les lagunes l'embuant de vapeur l'ont obligée à un jeu plus souple. [...]
Tout est dit. J'ai invité ma charmante lectrice à (re)découvrir les pages du carnet de Madame Magrini, si possible dans l'édition de la Collection Blanche, au format si propice et qui rappelle bien qu'il s'agit d'un carnet. La prochaine fois que vous serez à Venise, mettez-le dans votre poche et laissez-vous porter par ces textes ciselés qui, même écrits il y a plus de soixante ans, demeurent parmi les plus authentiquement porteurs de l'amour qu'on puisse porter à la Sérénissime.

17 janvier 2007

Aimez-vous le panettone ?

 
Traditionnelle brioche des fêtes de Noël jusqu'à la Befana, le panettone est apprécié des petits et des grands. Truffée de raisins de Corinthe et du cédrat et des oranges confites, il y en a partout mais rares sont ceux qui le fabriquent chez eux. Il y a à Venise un boulanger qui continue d'en faire de la même manière depuis 150 ans. Un délice autrefois réservé au doge et aux familles patriciennes. Il s'en fabrique plus de 200 millions chaque année dans le monde. Avec un vin blanc frizzante ou un chocolat chaud... Je ne pouvais pas parler de l'hiver vénitien sans évoquer cette icône gourmande. En voici la vraie recette un peu modernisée, car la recette originale prévoit trois jours de travail ! Bien que simplifiée, elle reste assez difficile à réaliser mais avec le coup de main et quelques essais, le résultat en vaut la peine.

Il vous faudra de la levure fraîche (20 grammes), du lait tiède (225 ml), de la farine (350 g) , du sucre roux (60 g), du beurre (100g), 3 oeufs, des fruits confits (cédrat et orange ou pamplemousse (40g de chaque), des raisins de Corinthe ou de Malaga (50g), de l'essence de vanille, le zeste d'une orange et d'un citron, du sel, un peu de lait et de la patience.

Au travail :
Tout d'abord, délayer la levure dans le lait. Il faut que tous vos ingrédients soient à température ambiante. Mélanger la farine et le sel dans une grande terrine. Faire un puits au centre de la farine et y verser la levure délayée dans l'eau. Mélanger avec une cuillère en bois. Faites le peu à peu afin d'obtenir une pâte molle. Ne pas incorporer toute la farine. Laissez lever environ 20 minutes puis mélanger le restant de la farine.

Pétrir l'appareil sur une table farinée jusqu'à ce que la pâte devienne lisse et élastique. Former une boule et la mettre dans la terrine. Recouvrir d'un linge sec en prenant soin qu'il ne soit pas en contact avec la pâte. Faire lever dans un endroit tiède, à l'abri des courants d'air jusqu'à ce que la pâte ait doublé de volume (cela prend environ une heure à Venise).
Quand votre pâte a bien gonflé, l'écraser avec le dos de la main pour chasser l'air. Elle doit se dégonfler largement. Laissez la reposer 10 minutes.

Pendant ce temps mettre les raisins secs dans de l'eau tiède, Beurrer un moule (certains recommandant un moule à fond amovible d'un diamètre de 20 cm et d'une hauteur de 15 cm. mais un moule à brioche rond peut faire l'affaire). 
Chemiser le moule en faisant dépasser le papier (environ 12 cm en hauteur). Égoutter les raisins. Mélanger les aux fruits confits et aux zestes râpés, ajoutez l'essence de vanille. Puis mélangez le beurre avec le sucre, les jaunes d'œufs. Quand vous avez obtenu une pommade ajoutez le mélange de fruits. 
Incorporer le tout à la pâte et pétrir pendant à nouveau (cinq bonnes minutes). Former une boule et déposer dans le moule. Avec la pointe d'un couteau, faire une incision en forme de croix au milieu de la pâte. Couvrir d'un linge et laisser lever jusqu'à ce que la pâte double de volume (environ deux heures). Badigeonner le panettone avant de l'enfourner avec un mélange fait d'un jaune d'œuf et d'une cuillère à soupe de lait froid. Préchauffez votre four (160°c). Mettre à cuire environ 45 minutes.
 
Il est cuit quand la pointe d'un couteau plantée au centre en ressort lisse. Démouler alors sur une grille et laisser refroidir complètement. Quand il est presque froid, je le nappe de sucre glace qui peu à peu va imprégner la croûte et disparaitre à l’œil. Attendre quelques heures pour déguster. Le panettone se conserve plusieurs semaines dans une boite en fer ou un linge s'il a un glaçage, jusqu'à un an s'il est tel quel et emballé dans un sac bien clos.


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9 commentaires: (Archives Google 2007)

danielle13 a dit…
C'est très bon ...
Je viens de découvrir le blog et de l'ajouter à mes favoris pour le découvrir tranquillement, car nous serons à Venise pour 5 jours début juin.
A bientôt
Danielle
Lorenzo a dit…
super c'est l'une des meilleures périodes. Si vous avez besoinde tuyaux Danielle, n'hésitez-pas !
Anonyme a dit…
Je pense vous avoir souvent rencontré sur les forums concernant VENISE avec des commentaires très pertinents.Nous ferons le voyage en train de nuit et serons à la Locada Antica Venezia. Je m'interroge surtout comment nous restaurer, à midi sur le pouce au cours des promenades et le soir ???
Je vous donne mon e-mail
danielle13g@yahoo.fr
Merci
Amicalement
danielle
Lorenzo a dit…
Sur le pouce ? A midi ? Mais dans les bacari, à la vénitienne : un verre de vin blanc soave ou pinot grigio et des tramezzini choisis au comptoir, tous frais : tonno-uova, carciofi, melanzane-uova,... chaque bar a ses variétés. Et toujours le pain délicieusement fondant, le mélange mayonnaise et thon, ce n'est pas forcément léger mais c'est délicieux et alla venexiana ! Et puis il y a les tavole calde traditionnelles fréquentées par les vénitiens et les étudiants. Ma préférée : La Rosticerria San Bartolomeo, derrière la place près du Rialto, là où il y a la statue de Goldoni. Vous choisissez au comptoir soit des choses à grignoter si votre appétit est léger : polpette, fritelle, crostini ou vous commandez un plat servi à l'assiette : risotto, lasagnes, gnocchi. C'est simple et délicieux. Mais je vais vous détailler tout cela par mail ! Vous m'avez donné faim.
danielle a dit…
Merci d'avance, j'espère que vous aurez également le temps de compléter " itinéraires choisis pour un petit séjour ".
Grace à vos blogs et à Venice Daily Photo, l'après-midi a été particulièrement agréable malgré la tempête qui a touché également la Touraine.
A bientôt de vous lire
Athena a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Athena a dit…
Quel super blog!
Miam...Miam...Hum la rosticeria San Bartolomeo est mon QG! Je me régale de cichetti avec un verre de vin blanc! J'ai faim, j'ai soif de Venise! Dans 15 jours je vais enfin humer son parfum et me perdre encore et encore dans sa toile...quel bonheur!
Fabienne a dit…
J'adore le panetton et je ne peux pas résister, en principe j'en achète pour les fêtes de Noël !
Lorenzo a dit…
Il ne faut surtout pas résister !

16 janvier 2007

Mais oui c'est vrai, il neige parfois à Venise.

Parfois et même souvent en hiver. Pour beaucoup de monde, Venise c'est l'Italie donc le sable chaud, la mer, le ciel parfaitement bleu. Mais Venise est au nord de l'Adriatique, ne l'oublions pas, au pied des montagnes, sa lagune attire les vents glacés du Nord et de l'Est. J'ai reçu récemment un courriel d'une petite fille qui avec sa classe travaille sur Venise. Elle me demandait s'il était vrai que la neige recouvrait la ville en hiver.

Si c'est moins vrai qu'autrefois, il n'en demeure pas moins que chaque année ou presque - changements climatiques obligent - la Sérénissime se recouvre d'un beau manteau blanc. Comme dans toutes les villes du monde la transformation du paysage urbain pose quelques problèmes de circulation mais les habitants n'en sont pas troublés pour autant. Histoire d'habitude en fait. Certes, ce n'est plus jamais comme dans le passé, quand la force des vents froids venus de l'Est et du Nord et la baisse rapide des températures faisaient de Venise une ville engloutie par la neige et la glace pendant plusieurs semaines. On avait l'habitude de patiner sur les canaux gelés et parfois même on se déplaçait jusqu'à la terre ferme ou à Murano en traineau sur la lagune glacée. De nombreuses peintures de l'époque en témoignent. Pour ma part, pendant mes années vénitiennes, j'ai connu la neige quasiment chaque année.

Je me souviens même d'un des premiers carnavals qui débuta ainsi. La neige recouvrait Saint Marc, le ciel était très gris et le brouillard qui tombait transformait la ville en scène de théâtre. Il fit tellement froid que l'approvisionnement en électricité ne suffit pas et un soir ce fut le blitz : une panne générale isola toute la ville et ce fut comme un retour instantané dans le passé : les masques blancs semblaient surgir des tableaux de Longhi ou de Bella, tout était sombre. Des lampes de poche et des bougies apparaissaient ça et là aux fenêtres des maisons. Un silence troublant pesait sur la ville et parfois on croisait dans le brouillard des groupes de gens chuchotant ou riant. Cela dura plusieurs heures. Magique, ce fut magique. 


Le reste du temps, il fallait composer. Ceux qui connaissent l'Amérique du Nord en hiver savent combien on est chaque matin partagé entre la joie enfantine qu'on ressent devant cette étendue immaculée qui rend tout plus beau et efface toutes les laideurs de la vie moderne et le poids des contraintes que le blizzard impose quand il est impossible de circuler, quand il faut déblayer des kilos de neige sur le chemin pour pouvoir sortir de chez soi. Ici on s'en accommode. Les parapluies et les manteaux surgissent de partout et on continue à vivre. Il n'y a pratiquement plus de panne d'électricité ou elles ne durent pas longtemps. 

Les bateaux circulent, encore plus lentement. Les bruits familiers sont étouffés, on n'entend guère les oiseaux et les pigeons ont froid aux pattes sur la Piazza. Batailles de boule neige et glissades font le bonheur des enfants. Les plus vieux s'aventurent en clopinant cherchant à ne pas glisser. Les passants s'entraident. Mais la neige ne dure jamais très longtemps de nos jours. Le soleil fait vite fondre la magie et l'élément principal du paysage vénitien reprend sa texture habituelle. Le blanc manteau redevient de l'eau sale... Mais ne dépoétisons pas. Ces temps de neige sont de merveilleux moments arrachés au quotidien et à la grisaille de l'hiver. Si vous avez la chance d'être à Venise quand il se met à neiger, vous verrez que c'est bien de magie dont il s'agit...



13 janvier 2007

Navigation vénitienne, suite.

La suite : rien que de très banal, des barges qui circulent sur un canal, les passagers qui bavardent, l'ambulance qui passe avec sa sirène tonitruante et les remous...

11 janvier 2007

Vigili del fuoco, les pompiers de Venise

Un lien trouvé sur le forum nous offre une vidéo sur le vif : un bateau des pompiers qui fonce à vive allure, sans se préoccuper du fameux moto ondoso, ces vagues qui rongent les fondations des immeubles en bord de canal. Regardez, c'est très court. Castello, l'auteur de ces images a bien failli être arrosé de haut en bas ! Je vous recommande une visite sur son site. Encore un passionné de Venise !



10 janvier 2007

Promenade à Venise (2)


Le rio, l'église et le squero San Trovaso, depuis les zattere, sur le ponte dei frati... A deux pas sur la droite, après les arcades de la vieille caisse d'épargne, il y a Nico, le glacier aux célèbres gianduiotti. Hmm! vivement l'été, qu'on se régale à nouveau de ces somptueuses glaces en marchant le ong des zattere jusqu'à la pointe de la douane !

09 janvier 2007

Promenade à Venise (1)



Le Grand Canal vu du pont du Rialto avec le palais des Camerlingues à gauche. Une vision estivale pour supporter la grisaille des jours d'hiver...

06 janvier 2007

Ida Barbarigo chez Fortuny

I Terrestri, exposition des derniers travaux de l'artiste au Palais Fortuny depuis le mois de septembre et jusqu'à la mi-décembre. 200 travaux réalisés la plupart dans son atelier de Venise, sont présentés au public. Une sorte d'allégorie du parcours artistique et humain de l'artiste.

Cette grande dame, grande artiste, compagne de Zoran Music, chez qui François Mitterrand logeait (au Palazzo Balbi-Valier), lorsqu'il venait à Venise, a présenté sur les cimaises du Palais Fortuny un travail magnifique, très parlant, sorte de synthèse de l’œuvre qu'elle peaufine depuis de nombreuses années. Il est difficile de parler d'un artiste et de son travail quand on n'a pas sous les yeux sa création. Je ne suis pas un spécialiste de l'art contemporain. Le travail chez Graziussi, la fréquentation de nombreuses biennales à Venise, des expositions à Bâle, à Paris, puis les leçons de vie et d'art de Bobbo Ferruzzi m'ont aidé à comprendre que le meilleur œil est celui qui se fait humble et sensible. Sensible à ce que le cœur peut ressentir de ce qu'il nous est donné de voir. peu importent les liens, les écoles, les idées. Il me semble que c'est d'émotion dont il s'agit.

J'ai découvert l’œuvre d'Ida Barbarigo quand je travaillais à la galerie de Giuliano Graziussi, a San Fantin, en face de la Fenice. C'est Arbit Blatas qui me montra un jour des gravures qu'elle avait publié. J'appris qu'elle était la fille de Guido Cadorin, professeur à l'Accademia (l’École des Beaux Arts de Venise), mais avant tout peintre et poète. Sa mère aussi était peintre. Extraordinaire lignée que cette famille Cadorin : des peintres, des sculpteurs, des architectes, des écrivains...

Ida Barbarigo a d'ailleurs étudié l'architecture avec un de ses oncles, Brenno del Giudice, mais elle préféra vite le dessin puis la gravure. A Paris, puis de nouveau à Venise, elle a énormément travaillé, restant cependant toujours à distance des courants modernes ou plutôt "à la mode" n'avait pas un grand succès. Elle est cependant toujours restée fidèle à sa vision de la réalité et son travail est aujourd'hui reconnu dans le monde entier. Elle a épousé Zoran Music en 49 je crois. Installé à Venise (il logeait au début sous les combles du Conservatoire Marcello), il devint l'assistant de son père.


Mais revenons à son travail présenté jusqu'à ces derniers jours à Ca'Fortuny. 200 toiles récentes (réalisées entre 2003 et 2006) consacrées toutes à la représentation matérielle de l'énergie de vivre qui caractérise l'être humain jusqu'à son dernier souffle. La décoration due à Daniela Ferretti tentait de reconstituer l'atmosphère de l'extraordinaire atelier de l'artiste : des structures polygones ouvrant et fermant l'espace en même temps permettent de voir les toiles comme sur la cimaise d'un atelier afin d'induire un contact émotionnel avec le visiteur, celui-là même qui vous prend lorsque vous pouvez toucher, tenir une toile qui vous plait chez vous ou chez l'artiste. Ces travaux récents montrent une humanité pleine de vie, qui bouge, hésite, tombe, se redresse, avance, recule, s'arrête, fuit, mais de qui toujours émane une vitalité "organique", induite, absolue et nécessaire.

A cette présentation des "terrestres" s'ajoutait un parcours didactique qui voulait reconstituer le cheminement artistique du peintre de 1962 à 1997 (avec le magnifique "Saturne") par une sélection de dix toiles toutes rassemblées sur un mur entier de la salle d'exposition.

Très beau catalogue publié chez Marsilio avec des textes de Giandomenico Romanelli (le directeur des musées de Venise), Jean Clair (ancien directeur du musée Picasso à Paris et qui vient de publier un roboratif "journal atrabilaire").


Ida Barbarigo
I Terrestri
2004

05 janvier 2007

Sargent and Venice, une grande exposition au Musée Correr

On annonce une grande exposition intitulée Sargent and Venice est proposée au public dans les salles du Musée Correr, à compter du 23 mars et jusqu'au 22 juillet 2007.


John Singer Sargent
Gondoliers’ Siesta, 1904
acquarello su carta, 36 x 51 cm.
Collezione privata
by Courtesy of Adelson Galleries, New York

04 janvier 2007

You raise me up.

L'enfant marchait seul le long de la berge. Il ne faisait pas beau, le ciel était gris et il allait certainement pleuvoir. L'enfant semblait ne pas craindre la tempête qui menaçait. Il paraissait si fragile et pourtant quelque chose dans son allure montrait une incroyable détermination. Il marchait seul le long de la berge. Soudain, en arrivant à cet endroit de la route où on aperçoit le port, avec les maisons du village déjà éclairées, l'enfant s'est mis à courir. Dévalant les marches qui descendent vers le quai au risque de tomber, il volait plus qu'il ne courait. Et c'était comme une lumière qui émanait de lui, comme une nuée d'anges, au son des trompettes se serait répandue sur le petit port : il venait de voir le bateau de son père qui rentrait enfin.
Venise, 13 février 2006
Ecrit en écoutant "You raise me up" de Josh Groban

03 janvier 2007

Venise au quotidien


C'est vrai qu'ici rien n'est jamais banal. Un bateau près d'un quai, devant un palais. mais pas n'importe lequel, le Palazzo Querini-Stampalia, avec le pont dessiné par Carlo Scarpa qui était le seul accès naguère à la bibliothèque et au musée.

Toute la population sur la place

La municipalité attendait 35.000 personnes pour la soirée du nouvel an sur la Piazza. Ce furent plus de 60.000 personnes qui se sont finalement rassemblés sous les fenêtres du Doge et au milieu du plus beau salon du monde pour admirer le spectacle pyrotechnique offert par la ville. Belle fête, une sorte de carnaval avant l’heure avec beaucoup de rires et de danses. Une population joyeuse, parfois un peu excitée mais toujours bon enfant.

60.000… Pratiquement le chiffre officiel de la population du centre historique en ce début d’année. La population vénitienne est maintenant tombée en dessous du seuil de 70.000 habitants ! Tous les habitants de Venise peuvent maintenant se réunir sur la Piazza. Lorsque j’étais étudiant, le nombre d’habitants du centre historique venait de descendre à 80.000 habitants. Cent ans avant, du temps de mes grands parents, il y avait plus de 120.000 habitants. Je crois que les troupes napoléoniennes pénétrèrent dans une Venise peuplée de près de 200.000 personnes…

62.000 habitants au 1er janvier 2007 Et ce phénomène va se poursuivre puisque les spécialistes prévoient moins de 60.000 habitants en 2010 ! Les causes sont multiples : logements trop chers ou insalubres, vie quotidienne devenue trop chère, de moins en moins d’emploi en dehors des métiers – certes honorables – de serveur, de porteur de bagages ou de vendeur de souvenirs. Trente fois moins de boulangeries, de boucheries, de merceries, de papeteries, de drogueries et de quincaillerie qu’il y a trente ans ! C'est pareil partout me direz-vous, mais ici c'est encore plus visible et dramatiuqe... Cent fois plus de boutiques à touristes… Et des masses de plus en plus nombreuses déferlant sur la ville. Terrible constat. L’agonie sera longue et pénible.

Mais, en dépit des hordes qu’on ne peut plus arrêter, nombreux sont ceux qui cherchent des solutions ou du moins des aménagements. C’est ainsi que les monuments comme les musées peu à peu s’aménagent pour accueillir ces hordes sans trop de dommage. C’est ainsi que la municipalité cherche le moyen de réguler la transformation des logements en chambre d’hôtes et autres studios loués aux étrangers. Mais comment freiner l’exode des administrations, des entreprises du tertiaire qui avaient leur siège – ô combien prestigieux – à Venise ? Le développement industriel s’il a pu pallier une grande partie du problème de l’emploi au début du XXe siècle a apporté tellement de nuisances qu’il n’est pas envisageable, surtout dans le contexte actuel de la mondialisation, de le redéployer. Attirer des entreprises quand la plupart s’en vont ? Ce qui attire ce sont les palais vacants que l’on rénove et aménage pour des soirées somptueuses mais qui n’apportent rien à la ville que la préservation de ses monuments. Cacciari mise sur l’art contemporain et la création… Pourquoi pas, mais on flirte toujours ainsi avec la calcification de la Cité des Doges : musée ou laboratoire de création, ce n’est pas ce qui fait vivre une ville et rouvrira boucheries et épiceries…

Égoïstement, nous qui avons la chance extraordinaire de pouvoir nous rendre souvent à Venise, d’y avoir un logement, des amis, des habitudes, nous cherchons à préserver notre ville et c’est parfois au détriment des vénitiens eux-mêmes et de la ville après tout. Plus nombreux seront les étrangers à choisir de vivre quelques mois dans l’année à Venise, à louer ou à acheter des pieds à terre ici comme d’autres sur la Côte d’Azur ou en Dordogne, plus difficile sera la recherche de logements pour les vénitiens de souche. Le problème ne se pose qu’avec ceux qui comme moi vont et viennent, s’installent quelques semaines et repartent. Le reste du temps la maison est vide ou au mieux prêtée à des amis ou louée… Si au moins nous vivions toute l’année à Venise… Peut-être faudrait-il encourager les forestieri à rester toute l’année. Après tout, le climat est très bon à Venise. Peu de pollution, une vie calme, les attraits d’une grande ville et d’un village en même temps. En Périgord, des villages ont repris vie grâce aux nouveaux colons britanniques ou hollandais. Cela ne s’est jamais fait sans grincement de dents mais au moins les maisons sont restaurées, occupées, les écoles rouvertes, des magasins apparaissent là où il fallait prendre sa voiture et faire trente kilomètres pour trouver un supermarché… On pourrait envisager l’obligation pour l’étranger d’apprendre le vénitien et de suivre des cours de vie vénitienne… On pourrait imposer un quota d’artistes, d’écrivains, de créateurs et de simples retraités amoureux de la ville pour ne pas en faire une sorte de Greenwich village artificiel, ghetto de vieillards ou d’artistes argentés… Et puis, il faut briser le globe sous lequel on a enfermé la ville. Depuis sa création, elle a bougé, elle s’est reconstruite, transformée, agrandie… Construisons là ou il y a de la place – et il y en a – laissons aux jeunes architectes italiens – Venise en regorge – la possibilité de s’exprimer et d’innover en partant des contingences locales certes très prégnantes mais nécessaires à respecter pour que se pérennise l’idée même de Venise. Le pont autrichien était déjà une aberration, alors le béton armé, la brique industrielle ou les structures de verre et de bois ne sont pas des audaces mais des conneries (pardonnez cet écart de langage). Venise est propriétaire de nombreux bâtiments mais les aménager en logements salubres coûterait une fortune. En l’état, peu sont habitables selon les critères d’aujourd’hui. Démolissons ce qui n’a pas un caractère extraordinaire et majeur pour le patrimoine de l’humanité. Il y a des friches à Venise, des îles vides, des terrains vagues. Ne les laissons pas aux spéculateurs de Las Vegas ou de Disney Corporation. Plus de projets d’hôtels de trop grand luxe pour happy few asiatiques ou américains. Offrons des logements locatifs abordables et les familles reviendront, les écoles rouvriront, les commerces réapparaîtront. A l’ère de l’ultra technologique pourquoi ne pas délocaliser à Venise ? Un statut spécial pour les entreprises italiennes ou étrangères créatrices d’emploi (je ne sais quelle est la marge de manœuvre de la municipalité et de la région en Italie en matière de taxes et d’imposition, mais je sais que n’importe quelle entreprise qui se verrait offrir 50, 100 ou 200 logements gratis en échange de l’implantation d’une unité de production ou de bureaux administratifs y réfléchirait à deux fois). Avoir son siège à Venise, pouvoir loger ses employés à moindre frais, qui n’en voudrait pas ? Mais je ne suis ni un élu, ni un économiste et mes idées sont peut-être naïves.

Je vois seulement quand je passe dans les rues combien la ville change. Rien qu’en sortant de chez moi pour aller acheter le journal quand j’habitais Cannareggio, Calle del’Aseo, derrière le Cinéma Italia, et que le kiosque de la lista di Spagna était fermé, je partais vers la gare, je passais devant trois coiffeurs, une quincaillerie, un droguiste, cinq épiciers, deux marchands de fruits et légumes, trois boulangeries, une mercerie, deux bouchers, un charcutier, quatre boulangers, un marchande de jouets, deux buralistes (ils vendaient encore du sel à cette époque), un serrurier, deux drapiers, un marchande de bonbons, un grand magasin Standa, quatre pharmacies, un nombre incalculable de petits bars avec des stands de Totocalcio, un réparateur de radios et télévisions, un négoce de vaisselle et d’articles ménagers, une salle des vente, six restaurants, un libraire, deux antiquaires, un parfumeur, un ébéniste, un plombier, trois bijoutiers, deux pressings, et des magasins de vêtements. Il y avait certes déjà un marchand de gravures et deux boutiques de souvenirs… L’énumération est fastidieuse, je sais, mais je voudrais faire comprendre à celui qui découvre Venise aujourd’hui combien il est triste de se promener dans des rues figées dans un passé artificiel, vides de leurs commerces ou remplies de boutiques attrape gogos Made in Taïwan. Imaginez combien les rues étaient bruissantes, les conversations animées, la vie bouillonnante partout, et cela depuis un millenaire… Aucune nostalgie dans ces lignes, je rêve seulement que la vie revienne dans ces rues et sur ces campi autrement qu’artificiellement avec des carnavals populaires et des fêtes de luxe pour les riches...

Il faut des enfants qui courent et nous bousculent, des vieux qui discutent assis au soleil, des marchands qui apostrophent les ménagères pour faire remarquer la beauté de leurs fruits et de leurs légumes venus des îles de la lagune, des pêcheurs qui offrent le produit de leur pêche, des livreurs qui se faufilent en criant gare… Même le touriste s’en trouvera bien, rien de tel que la vraie vie pour marquer un voyage non ? Allez du côté du marché du Rialto un matin vers 11 heures ou bien à Castello, sur la Viale Garibaldi, devant Santi Apostoli, et la vie qui fuse sous vos yeux dans ces endroits, c’est la vie et l’animation qu’on pouvait trouver partout dans Venise autrefois. De même à l’heure de la passeggiata, à San Luca ou à San Bartolomeo, les campi étaient nors de gens, tous ou presque avaient moisn de vingt ans. A Sto Stefano leurs aînés se retrouvaient, étudiants, jeunes ménages. Les familles sortaient à San Polo, Santa Maria Formosa, ailleurs encore. Une foule innombrable sortait des maisons et se retrouvait dans un brouhaha tellement chaleureux que le plus agoraphobe d’entre vous se serait senti comme seul avec des amis ou en famille… La passeggiata existe encore mais évidemment les figurants sont moins nombreux. La production n’a plus les mêmes moyens. Imaginez ce que cela sera lorsqu’on ouvrira le matin les portes de Venise aux hordes... De vrais figurants ceux-là se mettront en place et comme dans une sorte d'écomusée, singeront les gestes de leurs ancêtres : gondoliers, souffleurs de verre, marins, provéditeurs et conseillers en toge, mitrons portant sur leur tête les paniers remplis de croissants fumants, les lavandières avec leur panières de linge, les étudiants leurs livres sous le bras. On peut imaginer à certaines heures, comme la relève de la garde devant Buckingham Palace, des sortes de ballets comme Broadway ou Las Vegas savent en créer : gondoliers regagnant leur gondole, apprentis et serveuses, étudiants et religieuses qui s’agiteront en musique sous le crépitement des flashes des hordes qui en auront pour leur argent. Allez, ne vous en faites pas Venise-disneyland, cela pourrait ne pas être dans très longtemps. Parfois, je prie pour qu’Al Gore se soit trompé et que la montée des eaux soit pour demain et qu’on en finisse avec ce cauchemar !

Mais soyons résolument optimistes, les autorités cherchent des solutions et parfois proposent de bonnes choses. Les Moulins Stucky qui seront à la fois un hôtel de luxe et des logements sociaux, l'arsenal réorganisé et ré-exploité, la venue de la collection Pinault au Palais Grassi, d'autres projets de qualité qui créeront des emplois ailleurs que dans le tourisme... Et puis que diable, Venise reste toujours aussi belle et les jeunes qui s'en éloignent sont remplacés par de jeunes vénitiens d'adoption qui la découvrent : visiteurs ébahis, étudiants déterminés, certains resteront et formeront la Venise de demain. Je suis certain que tous, vénitiens d'adoption ou de souche, ils refuseront de devenir des sortes d'indiens dans une réserve, imbibés d'alcool et d'ennui ! Quant aux touristes, ils ne seront plus une horde de consommateurs ignares et pressés, mais des voyageurs informés et bien élevés dont l'émerveillement sera teinté de respect et de sollicitude.