15 novembre 2007

La mia Venezia (première partie)

 Tous les amoureux de la Sérénissime ont tendance à vouloir se l'approprier. Ils conservent jalousement leurs bonnes adresses, le secret de leurs itinéraires et ne voient jamais d'un bon oeil qu'un autre connaisse le même bar, la même cour avec son somptueux puits renaissance. Mais cette universalité de Venise a aussi un bon côté : il se forme par la magie des moyens de communication modernes une gigantesque communauté de coeur, sympathique et active qui partage son amour. Venise mérite bien ainsi le surnom qu'on lui donnait autrefois : "la Dominante"... Je crois que même en le voulant, on n'en finit jamais avec Venise. Et puis pourquoi en finir avec cette passion qui nous lie à l'un des plus beaux et des plus magiques lieux de vie du monde ?

"I love bácaro", me disait une amie japonaise. Comme elle, j'adore les bacari, ces vrais bars vénitiens où l'on sert du vin tiré des barriques et des cicheti, les tapas vénitiens, toujours délicieux. Le mot viendrait du latin "ciccus" qui veut dire en petite quantité. Le terme bacaro viendrait quant à lui de Bacchus (Bacco en italien)... Un verre de prosecco, une assiette de petits poissons grillés, des anchois, un oeuf dur, du jambon, des artichauts grillés marinés à l'huile, des boulettes de viande, des gros haricots blancs... Autrefois on trouvait peu de variétés de ces amuse-gueules, ils permettaient de boire davantage sans être trop vite malade. C'est devenu une institution maintenant, et chaque bacaro y va de sa spécialité plus ou moins sophistiquée qu'il cherche à attirer de nombreux clients étrangers ou qu'il veuille maintenir l'authenticité et l'esprit "casalinga".

Les touristes se plaignent souvent de l'accueil froid voire désagréable. On y parle volontiers en dialecte. C'est un peu comme lorsque vous débarquez avec votre appareil photo en bandoulière dans un pub au fin fonds du Pays de Galles ou en Écosse. Cela dérange. Mais dès qu'ils se rendent compte que vous essayez de vous plier aux usages locaux, que vous ne réclamez ni coca ni pizza, tout s'arrange et si, lors de votre séjour vous y retournez plusieurs fois, vous finirez par être admis et le patron vous accueillera d'un gentil sourire. C'est ainsi. Mais j'ai le souvenir de bouchons lyonnais où on se demande jusqu'à l'addition (et même après) si on n'est pas un ennemi personnel du patron tellement l'accueil est glacial et agressif... Les bacari vénitiens, il faut y aller un peu avant midi et en début de soirée, quand les cicheti sont juste terminés et sortent tous frais de la cuisine. C'est là qu'ils sont les meilleurs et puis on voit les gens arriver, il y a peu de monde.

Quelques bonnes adresses : Ai do Mori, Canareggio 429 (calle dei do Mori), Osteria Al Garanghelo, Castello 1641 (via Garibaldi), cantina da Alberto - attention à l'aventure, un lieu réellement peu accueillant pour les touristes du genre de ceux contre qui nous déversons notre ostracisme - Cannaregio 5401 (calle larga Giacinto Gallina, I Promessi sposi, Cannaregio 4367 (Calle dell'Oca, près de la Strada Nova), Al Bomba, Canareggio 4297 (située aussi Calle dell'Oca, cette petite rue parallèle à la Strada Nova entre Sta Sofia et Sti Apostoli), Alle Alpi di Dante (Corte Nova). Antica Adelaide à Cannaregio aussi, (3728 calle larga del Dose Priuli) Mais il y en a heureusement plein d'autres.


Masaneta alla Venexiana
Parler des cicheti me donne envie de vous détailler mes préférés. Tout d'abord en ce moment, un délice qu'on trouve dans les meilleurs endroits : le Carcinus mediterraneus, en vénitien la Masaneta, la femelle fécondée du crabe commun qu'on trouve en abondance en Méditerranée mais seulement pendant une assez courte période dès la fin août et jusqu'aux premiers jours de décembre si le temps a été clément. C'est en ce moment même la meilleure période car la femelle, dont la chair est plus fine que celle de son compagnon, est en période de pré-ovulation, sa vieille carapace se fait très tendre. C'est un délice. 

La préparation n'est pas compliquée. La seule difficulté (pour les âmes sensibles) c'est que ces dames crabes doivent être fraîches donc vivantes au moment où, terribles bourreaux que nous sommes, nous allons les plonger dans de l'eau bouillante salée (il faut auparavant bien les laver). Laissez cuire 5 à 6 minutes pas plus. Éteindre ensuite le feu et laissez tiédir. 

Égoutter les crabes et détacher les pattes et avec l'aide d'une fourchette, détachez le dessus de la carapace puis séparez la partie supérieure de la carapace du reste du corps, mettre le tout dans un saladier, assaisonnez avec une sauce faite d'huile d'olive, d'ail et de persil haché, salez et poivrez. 

Laissez reposer au moins une heure pour que la chair s'imbibe de la totalité de la sauce. Servir avec des morceaux de polenta grillée et une bouteille de Soave ou de Pinot grigio selon votre goût.


Il y a aussi les Polpette, ces petites boulettes faites d'un mélange de viande de boeuf et de veau mélangées à du pain trempé dans du lait, assaisonnées d'ail et de persil, la Bacalà mantecata (brandade de morue) servie sur des petites tartines de pain grillé ou la Bacalà alla Giudia (plus rare aujourd'hui, ce sont des filets frits). le Rumegal (panse de boeuf bouillie marinée à l'huile), et plein d'autres spécialités le plus souvent à base de poisson ou de crustacés frits ou grillés.





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2 commentaires: 
(Parues sur TraMeZziniMag l'original, avant sa suppression par Google) 

Anonyme a dit…
Je me réjouis de découvrir Venise à la "Tramezzini" !!!
Je vais emporter chacun de vos posts pour être sûre de rien oublier et d'honorer cette ville comme elle le mérite. Ce que vous écrivez sur les "bacari" me rappellent ces petits bars merveilleux ds la vieille ville de San Sébastian. 
Sunny 
17 novembre, 2007 

Lorenzo a dit…
Il y a quelques ressemblances en effet. Les basques et les vénitiens sont des cousins et puis la bacalà ne fait elle partie de la gastronomie des deux peuples ? Le particularisme de leurs langues ?  
17 novembre, 2007


14 novembre 2007

L'ordinaire des jours de novembre

Et bien voilà, ce dimanche a marqué la fin de l'été de la saint Martin. Si le ciel reste pur et le soleil très présent, le froid a fait son entrée sur la lagune. l'air est vif comme en montagne quand il va neiger, le vent glacial et la lumière plus diaphane. On dirait que les couleurs hier encore très vives ont été délavées, diluées dans une sorte de transparence humide. C'est à ce moment de l'année que l’on s'aperçoit si on aime vraiment vivre à Venise. Les rues éloignées du parcours des touristes se font très silencieuses et le bruit des pas résonne davantage. L'éclat des vitrines réchauffe ça et là le promeneur. Il fait nuit très vite. L'hiver est partout. J'aime ces fins de journées plongées dans le silence, les gens pressés de rentrer au chaud chez eux, les pierres qui brillent sous l'humidité. Venise semble appartenir toute entière à celui qui continue de marcher et va sans but précis par les ruelles sombres. Une expérience unique que je conseille à tous ceux qui veulent pénétrer la vraie vie vénitienne et s'en imprégner. Voir et sentir Venise en hiver, c'est la découvrir telle qu'elle est. Sans fioriture.

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3 commentaires:


Florence BRIEU-GALAUP a dit…
Bonjour, Je suis folle amoureuse de Venise. Mon mari m'a fait découvrir la ville en 1995 et depuis ce jour, nous nous y rendons tous les ans. J'ai fait des études de lettres et j'ai choisi Venise comme sujet de ma thèse. Elle vient d'être publiée aux éditions de l'Harmattan (Venise, un refuge romantique (1830-1848). J'avais moi aussi envie de créer un site sur Venise mais dans ses rapports avec la littérature (vaste sujet). Ce qui est amusant c'est que les voyageurs du XIXe siècle rendent la ville intemporelle. Concernant Venise même, leurs commentaires pourraient émaner de voyageurs contemporains. J'aime beaucoup votre blog et votre approche de ce lieu qu'il faut protéger. J'essaierai de le consulter souvent.
Lorenzo a dit…
Je serai ravi de découvrir votre ouvrage et de le faire découvrir aux lecteurs de TraMeZziniMag. La seule différence entre les voyageurs du XIXe et nous, c'est que la technique a permis à Venise de s'inscrire dans la modernité tout en conservant cette intemporalité, phénomène unique dans l'histoire de l'humanité : un monde du passé qui vit au présent. Il y aussi la misère qui faisait de Venise des années 1830-1900 un bout de tiers-monde parfois sordide et qui a heureusement disparu de nos jours. Les enfants ne vont plus pieds-nus en guenilles, les filles ne sont plus prostituées par des matrones édentées et on ne meurt plus du Choléra. Les poètes invertis trop raffinés ne pédiquent plus les jeunes garçons faméliques dans les arrières-cours des grands hôtels de la Riva dei Schiavoni.
Tietie007 a dit…
Nous avions visité Venise en février 2004, juste après le Carnaval, et l'atmosphère était superbe ! Nous avions eu la chance de voir la neige, ce qui fut fantastique ! Pour mon contact à Venise, je suis passé par l'Alliance Française, et de nombreux enseignants vénitiens m'ont contacté. Je suis donc en contact avec le Lycée Benedetti. Bonne soirée.

13 novembre 2007

Le son de Venise



Venise ce sont des couleurs, des reflets, des odeurs mais aussi des sons. Le bruit das pas sur les dalles des rues, les gondoles qui glissent sur l'eau des canaux et les cloches. Les nombreuses cloches des églises de Venise qui rythment la cadence des jours et forment un décor sonore inchangé depuis des siècles. Où que l'on se trouve dans la ville, on les entend qui se répondent et enchaînent leur carillon dans un ordre immuable. Lorsque je suis allé pour la première fois en Turquie, l'appel du muezzin en haut des minarets était une curiosité les premiers jours. Puis au bout de quelques semaines, si je prenais autant de plaisir à entendre cette voix - dans la plupart des endroits où nous passions, il s'agissait hélas déjà d'un enregistrement, procédé qui s'est généralisé dans tout l'Islam depuis des années - je sentais un manque indicible. Quand nous avons repassé la frontière grecque et que dans un petit village, la cloche de l'église tintinnabulait joyeusement, ce fut une grande joie. Je retrouvais ce paysage sonore si familier et qui m'avait tant manqué. Et quelques jours plus tard en arrivant à Venise nous avions l'impression que la ville en liesse accueillait ses fils prodigues. Ce n'était qu'un dimanche matin comme les autres et chaque clocher répandait ce son joyeux qui s'associe dans l'esprit de beaucoup de voyageurs à l'image de la Sérénissime, de ses gondoles et des ses palais sur le Grand canal.

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4 commentaires:


Anonyme a dit…
Ah les bruits de Venise... Ce sont aussi "...the fast gaining-waves, that beat, like passing belles, against the Stones of Venice" (John Ruskin, The Stones of Venice)
Anonyme a dit…
Oups, "bells", sans le "e" final.
Douille a dit…
Dans certaines églises en Belgique ce sont aussi des enregistrements de cloches qu'on entend...
Gérard a dit…
L'Europe , c'est quoi , finalement ? Intéressante question , non ? Eh bien , c'est ce qui nous manquera intensément lorsqu'on aura tout perdu . Ce sont deux choses : nos Églises et la Liberté . Blaise Pascal les sépara , Charles Péguy les raccorda.   Comme quoi , tout vient à qui sait les entendre .

12 novembre 2007

Poésie de rue


C'est déjà mieux que les graffitis infects qui fleurissent partout à Venise et que certains qualifient d'expression artistique : Il y a souvent sur les murs de la ville des apparitions poétiques, dues la plupart du temps à l'imagination des élèves de l'école des Beaux-Arts. Ces collages sont très souvent agréables et ne déparent guère. Et puis, faits de papier fin et à peine collés, ils disparaissent vite quand des amateurs ne se sont pas chargés de les enlever pour les récupérer. Envoyez-moi vos clichés si au hasard de vos pérégrinations vénitiennes vous êtes tombés devant des exemplaires de cet art de rue.
 

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2 commentaires:

Anonyme a dit…
Depuis que j'ai découvert votre blog sur Venise, je vous suis fidèlement chaque jour. J'aimerais vous soumettre une recherche sur le Palais de Polignac/Decazes. Que s'est-il passé dans ce palais au XVIIIème. Est-ce là qu'un mari jaloux aurait poignardé sa femme ? ou peut-être avant ? Qu'en savez-vous ? Mille merci. Sunny
Anonyme a dit…
J'ai découvert votre blog complètement par hasard, en cherchant une photo du dolce di San Martino. C'est un très beau blog, dans lequel je me retrouve pleinement. Je suis vénitienne par mon père, française par ma mère, et depuis toujours, mon coeur balance, et je vis d'aller-retours entre Paris et Venise, d'où je reviens à peine. Elle était encore plus belle que d'habitude, habillée des couleurs et des lumières extraordinaires de ce beau mois de novembre...

TraMeZziniMag salue l'introduction de Venise dans le club très select des City Note Book de la société Moleskine

Le nouveau City Note Book de Venise que la société Modo & Modo (aujourd'hui rachetée par le Groupe Société Générale), plus connue sous le nom de Moleskine est en vente depuis le 8 novembre dernier. Portant le désormais célèbre label Venezia, réalisé sous la direction artistique de Philippe Starck, c'est déjà un véritable objet-culte : le premier guide que vous écrivez vous-même. C'est une société italienne à capitaux français qui depuis 1986, sous l'impulsion de l'écrivain Bruce Chatwin, dépité de ne plus pouvoir se fournir en carnets de note fabriqués jusqu'alors par une petite société de Tours, qui a réalisé avec ce nouveau City Note Book (après Paris, Londres, San Francisco, Prague, etc...) un travail "Made in the World" en collaboration avec Venise, la ville italienne "universelle" par excellence. 
Mariage inattendu entre deux univers différents. L'entreprise utilise, cas unique, le "bouche à oreille" comme mode publicitaire dans un monde où les messages commerciaux sont omniprésents et tellement agressifs qu'ils en sont devenus insupportables. Les city books fleurissent ainsi et c'est une véritable mode qui propulse depuis quelques années les fameux petits carnets noirs au sommet, se basant sur le nombre de grands artistes et écrivains qui les auraient utilisés. Le rapprochement avec Venise, peut-être la seule ville au monde qui n'a aucunement besoin de faire de publicité tellement son image est forte, est insolite. Ce sont deux styles, deux conceptions, deux modes de vie uniques qui se rencontrent aujourd'hui. 
Mais cette rencontre n'a finalement rien de contre-nature (ce qui est déjà un phénomène à rebours des modes...) et elle se concrétise dans le soutien apporté par la société Moleskine à l'activité artistique de jeunes artistes choisis par la Fondazione Bevilacqua La Masa. Un moyen de confirmer la vitalité de Venise qui a toujours été un une référence importante dans tous les types d'expression artistique. Parcours de pierre et d'eau avec huit jeunes artistes du monde entier, le City Note Book de Venise est partout : On le trouve dans toutes les vitrines "culturelles" de la ville : à la librairie Mondadori, la librairie Toletta, la papeterie Testolini, dans les boutiques du Palazzo Ducale, du Musée Correr, de la Ca' Rezzonico, de la Ca'Pesaro et chez Feltrinelli à Mestre comme à la librairie française de San Zanipolo
Moleskine est l'expression d'un bouillonnement à l'intérieur même de la vie culturelle dans le sens le plus ample du terme. Pour l'organisation Fondaco, les petits carnets noirs représentent l'aspect humain d'un monde en perpétuelle accélération. "Éditeurs de page blanches", c'est ainsi qu'aiment se définir les responsables de ce label "libre" parce que totalement dénué de toute connotation idéologique, un agglomérat d'individualités et de contenus variés. Cela pourrait être un contresens mais en réalité le monde des petits carnets noirs est un univers authentique, un outil d'aide à la réflexion, à l'introspection puisque ces pages blanches sont un appel à l'écriture ou au dessin. A une époque où tout est technologie, il est incroyable qu'un ensemble de feuillets blancs reliés et fermé par un simple élastique puisse représenter un instrument important de vie et un signe de reconnaissance d'une communauté universelle. Il suffit pour vérifier ces propos de visiter les sites qui fleurissent sur la toile et présentent le contenu de nombreux carnets.
Le City Note book di Venezia est tout cela, un outil qu'il appartiendra au touriste ou au vénitien de remplir de rendez-vous, de sensations, de réflexions, de dessins et de collages. Un ensemble de pages blanches qui va permettre à ceux qui les posséderont de pouvoir réaliser leur guide personnel et unique de Venise... 
Une grande opportunité donc pour la Sérénissime. Le moyen de de se rapprocher encore un peu plus des grandes capitales culturelles du monde comme Londres, Paris, New York, Berlin, San Francisco, Prague, Barcelone, qui font déjà partie du network Moleskine.
L'enthousiasme des journalistes lors de la conférence de presse organisée par Fondaco, à l'origine du projet. Il faut dire que le carnet était offert à tous les journalistes présents pour qui les carnets noirs restent des objets fétiches (je sais de quoi je parle pour en consommer plus d'une quinzaine par an !) . "S'agissant d'un objet avant tout diffusé parmi les jeunes, Moleskine peut être utile pour rajeunir l'image de la cité des doges et stimuler à son égard une approche non conventionnelle" a dit le maire Massimo Cacciari

Ces paroles confirment la philosophie de l'organisation Fondaco qui, depuis trois ans, s'emploie à développer des projets concrets pour positionner Venise dans le monde de demain tout en préservant son identité unique. On ne peut que remercier la société Moleskine d'avoir cru dès le début dans leur proposition en considérant Venise comme une vitrine internationale où il faut être présent, démontrant ainsi sa modernité en dépit des incertitudes qui pèsent sur son avenir et des lourdeurs qui la figent dans un rôle de musée de cire .

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2 commentaires:


Andrée a dit…
Ets-ce qu'on les trouve en France ? Et à quel prix ?
Lorenzo a dit…
OUI, oui au fur et à mesure de leur distribution, chez les libraires et les papetiers de qualité. Le prix est de 15,50€ mais je ne veux pas faire de publicité. Ce qui est génial c'est la manière dont ces carnets sont utilisés, détournés pour devenir souvent des livres-souvenirs, des journaux de voyages voire des œuvres d'art (le site Flickr contient plusieurs centaines de photos de crantes noirs peints qui sont de véritables œuvres d'art). L'association DÉTOUR de Moleskine a un site et expose dans le monde les carnets peints et décorés. Je trouve personnellement cela très beau très attirant.

11 novembre 2007

Les témoins d'un passé que nous n'avons pas vécu

Sans nostalgie ni mélancolie aucune, comment pourrait-on se promener dans les rues de Venise sans ressentir avec intensité la présence du monde d'avant. Sous les arcades du Rialto, on a toujours l'impression, même (et surtout) en pleine nuit, qu'une foule de gens, marchands affairés, usuriers, soldatesque à la recherche d'une taverne, huissiers de la Provéditure, paysans venus vendre leur production, a laissé là un peu de ce qu'ils furent. Mais au lieu de faire peur, cette présence aérienne est un réconfort. Le rappel que nous ne faisons que passer et que d'autres après nous continuent le chemin. C'est peut-être ces témoins rassurants d'un passé que nous n'avons pas vécu, mais dont nous sommes issus, qui fait qu'à Venise il y ait si peu de suicides et pas beaucoup de psychanalystes. "Venise où la régulation heureuse des esprits", un titre pour une réflexion métaphysique et philosophique que n'aurait pas désavoué Feu Monsieur de Casanova. De quoi inquiéter l'Inquisition en ses sombres bureaux du palais ducal...

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1 commentaire:

Tietie007 a dit…
Venise est une cité a-temporelle, où le temps n'a pas de prise ...
Par contre juste une petite demande. Je suis enseignant en France, au Lycée Vauvenargues à Aix en Provence, et je compte faire un voyage scolaire avec mes élèves à Venise, en avril prochain. Le Conseil général 13 conditionne une aide financière pour notre possible périple à un "appariement" avec un lycée du coin. Si tu connais un professeur qui travaille à Venise dans un lycée général ou technique, ça serait sympa de me mettre en contact avec lui.
Bonne journée.

C'est aujourd'hui la Saint Martin



La fête de San Martino se célèbre dans toute l'Italie par des manifestations en tout genre à l'occasion de ce fameux été de la Saint Martin, "l'été indien" des anglo-saxons, que les capricieuses variations climatiques rendent de plus en plus aléatoire. Cette brève période de temps beau et chaud caractéristique des régions méditerranéennes en ces premiers jours de novembre. Cette embellie qui surgit au milieu des premiers frimas, au moment des premières gelées comme le mieux du mourant avant son agonie. Venise très à l'affût de ce qui peut lui permettre de renouer avec la singularité de son passé tout en renouvelant les plaisirs offerts aux touristes a redonné à cette fête le lustre d'il y a cinquante ans.
 
Ce fameux été de la Saint Martin trouve son origine dans l' épisode le plus célèbre de la vie du saint. Par un jour particulièrement froid (c'était un 11 novembre), le jeune officier romain qui cheminait sur une route enneigée, rencontra sur sa route un pauvre vieillard à qui il donna la moitié de sa chlamyde, cette lourde cape militaire que les soldats portaient pour se protéger du froid. Aussitôt, le ciel s'éclaircit et un soleil intense fit fondre la glace et réchauffa la terre. Les hagiographes racontent que cette nuit-là, Martin vit le Christ en rêve qui portait sur ses épaules la moitié de la Chlamyde, le remerciait pour son geste de compassion. Martin, originaire de Panonie, était militaire contre son gré (son père était officier et il intégra le corps de la Schola, la garde d'honneur à cheval de l'Empereur), il devint évêque de Tours et fut l'un des premiers saints non martyr. Il mourut très âgé en 397, déjà très célèbre.
Partout en Italie, depuis les temps les plus reculés (l'anecdote remonte au IVe siècle), pendant ces chaudes journées du début novembre, on ouvre les bouteilles de vin nouveau et on déguste des châtaignes grillées. Le poète Giosué Carducci (premier italien prix Nobel de Littérature) a même célébré cette tradition dans un poème connu par tous les italiens et justement intitulé San Martino. 
A Venise, on fête le saint le 11 novembre. C'est une fête populaire qui avait peu à peu disparu. Autrefois on mangeait des marrons grillés et le vin nouveau coulait à flots. On chantait sous les fenêtres des gens en espérant qu'ils lancent à leur tour des châtaignes ou des sucreries. On retrouve depuis quelques années cette ambiance dans certains quartiers du centre historique : il est resté l'habitude de faire du bruit - notamment avec des couvercles et des casseroles - en demandant des bonbons ou autres douceurs aux commerçants ou aux passants (avant tout aux vénitiens). On chante pour l'occasion de vieilles comptines que les enfants apprennent pour l'occasion, comme celle-ci :

S. Martin xe'ndà in sofita
a trovar ea nonna Rita
nona Rita no ghe gera
S.Martin col cùeo par tera
E col nostro sachetìn
cari signori xe S. Martin

Cela donne approximativement en français (La traduction est un art difficile) : "Saint Martin est allé au grenier retrouver la nonne Rita mais la nonne Rita n'y était pas alors Saint Martin s'est assis par terre. Avec notre petit sac, Messieurs Dames, il y a Saint Martin".
 
Ce ne sont plus que les jeunes, et notamment les enfants des écoles, qui perpétuent cette bruyante tradition. Ils fabriquent casques, armures et chevaux en carton, le tout complété d'une épée et bien sur d'une cape rouge. Dans quelques écoles de la Terre Ferme, un homme déguisé en Saint Martin monté sur un vrai cheval vient à la rencontre des enfants pour leur distribuer des bonbons. Mas cela a lieu à peu près de la même manière partout ailleurs en Italie.

Ce qui caractérise vraiment la fête vénitienne, outre les comptines en dialecte, c'est le traditionnel dolce di San Martino : un gâteau de pâte sablée qui prend la forme du saint cavalier avec son épée et son manteau, garni d'un glaçage de sucre coloré, de pralines, de bonbons et de pastilles de chocolats. Il y a aussi une version toute nappée de chocolat. Chaque pâtissier a sa recette et les décorations varient d'un magasin à un autre.
Vous voyez il n'y a pas que "Halloween", cette tradition américaine que les publicitaires et les commerçants s'acharnent à imposer dans le monde pour développer de nouveaux prétextes à la consommation ! Car si la fête des citrouilles n'est pour la plupart des enfants (et des parents) qu'un joyeux divertissement, elle a à la base une origine mortifère où les esprits, le diable, les morts et les monstres ont la part belle. La San Martino, c'est au contraire la fête de la vie, de la lumière, de l'espérance qu'au plus sombre de l'hiver tout bientôt pourra renaître. Pour ma part, aucune hésitation. Je choisis la fête de la vie et la philosophie dont elle émane à cette culture de mort et de dépit qu'on cherche à nous imposer. La polychromie plutôt que le noir ! 
Pour ceux qui connaissent mal ou pas du tout Venise, l'église San Martino est située dans le sestiere de Castello, à deux pas de l'Arsenal. Elle a été construite par Sansovino en 1540 (mais la façade de style toscan revue et restaurée date de 1897). A l'intérieur, la nef est couronnée par un extraordinaire plafond en trompe-l’œil de Domenico Bruni. Le presbytère est décoré de fresques de Fabio Canal.

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1 commentaire:

Choubine a dit…
C'est une belle fête...

08 novembre 2007

Venise comme un état d'esprit


Cette longue citation me revient en mémoire au moment où Venise est comme métamorphosée par l'été de la Saint Martin, cette traditionnelle embellie du climat chaque année au moment où les petits vénitiens s'apprêtent à fêter San Martino. Ce n'est pas une belle journée d'automne, c'est plus que ça. Un soleil ardent, un air plus léger, une douceur souriante qui rend joyeux comme aux premiers jours de juillet... Je l'ai déjà publié sur ce site mais je ne résiste pas. Elle est extraite du livre "Venise" de Eric Ollivier
"Venise est plus qu’une ville, c’est un état d’esprit, une merveilleuse idée humaine. Une invention géniale. Elle est le refuge parfait du solitaire. Elle sait s’en emparer et le prend dans ses tentacules. On ne rencontre jamais mieux Venise que seul et sans but. Le cafard, la malinconia est un art vénitien. Cet état atroce et merveilleux, le solitaire s’y accroche car il y trouve un délicieux bonheur, une richesse unique. Triste et joyeux presque simultanément, le malade de Venise s’enrichit d’heures en heures de sensations spécifiques. Il repartira – s’il repart – en paix avec lui-même, harmonisé, rédimé, apaisé et riche d’une richesse intérieure très enviable de nos jours."

07 novembre 2007

L'érudit du ponte delle Spezier


Quand j'étais étudiant, il y avait près de chez moi un vieil érudit passionnant qui était né dans le ghetto et avait connu les terribles années de plomb qui couvrirent l'humanité d'opprobre et marquèrent du sceau de l'infamie ceux qui au nom d'un concept erroné massacrèrent des millions d'innocents. Il se disait descendant de Miguel Abraham Cardoso, célèbre médecin juif cabaliste qui répandit avec son frère la pensée messianique auprès des communautés juives tout autour de la Méditerranée au début du XVIIe siècle. J'ignorais son âge. Une vieille femme un jour me certifia qu'il avait plus de 150 ans et que par la force de sa foi il était intouchable et quasiment sur de l'immortalité... Il mourra en 1986. 

On apprit alors qu'il avait plus de 90 ans. Il m'accompagnait souvent dans le ghetto et me montrait des tas de choses comme il l'avait fait avec Hugo Pratt qui s'était inspiré de ses récits - et de ses affabulations - dans plusieurs de ses histoires : Je découvris dans la bibliothèque de sa communauté des documents extrêmement rares et magnifiquement ornés et illustrés (je me souviens d'avoir eu entre les mains le premier Talmud imprimé à Venise - en 1519 - par Daniel Bomberg, typographe venu d'Anvers)...  Avec lui j'ai gravi  les étages de presque tous ces vieux immeubles tellement hauts qu'on peut les considérer comme les gratte-ciels du Moyen-Âge - et le quartier du ghetto comme le Manhattan de l'époque ! - Toutes les banques étaient là (on peut encore voir l'entrée du Banco Rosso, célèbre maison de prêt sur gages) et elles étaient célèbres dans tout le monde civilisé. 

Lorsqu'au début de son règne, le roi Louis XVI (dont l'histoire omet trop souvent de souligner l'extraordinaire travail de fond qu'il entreprit pour modifier la société française au profit des plus petits) mit en place le premier mont-de-piété organisé à l'intention des plus démunis pour éviter que soient aggravées leurs difficultés, il se renseigna sur le fonctionnement des banques du Ghetto et chargea son ambassadeur à Venise de prendre des informations.
Le vieux sage me montrait des maisons et des palais ruinés et m'expliquait qui avait habité là et ce qui s'y était passé avant 1798. J'avais ainsi l'impression de vivre en direct ces anecdotes vieilles de plusieurs siècles. Il m'amena un jour dans le vieux cimetière juif du Lido, si pittoresque et émouvant avec ses tombes des XVIe et XVIIe siècles au milieu d'une végétation sauvage et d'arbres pluri-centenaires. Il était alors fermé au public. Il fallait sonner chez le gardien du cimetière moderne pour obtenir la clé de la grille. Là, nous nous asseyions sur l'herbe et il me racontait la vie des personnages qui reposaient sous ces pierres richement sculptées. C'était là-encore, à chaque fois, un voyage hors du temps. J'ai envie de dire hors du monde. Il y avait aussi le vieux sacristain des Mendicoli, un moine dominicain de San Giorgio et un père lazariste arménien pour peupler mon univers spirituel... Je n'étais pas particulièrement - en suis-je vraiment sûr aujourd'hui ? - en recherche ni demandeur pour les choses de la foi ; j'aimais cependant beaucoup les écouter tous évoquer à leur manière le passé de Venise et celui de leur communauté et me donner à voir ses couleurs à l'aune de leur foi.

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3 commentaires:

Anonyme a dit…
Merci merci quel bonheur de vous lire ! Surtout n'arrêtez pas, je voyage avec vous, je lis vos archives, je ne connais pas encore .... Venise. Grâce à vous je vais le découvrir autrement. 
Sunny
Gérard a dit…
C'est une grande chance que d'avoir pu toucher ce Livre . Précieux . Le toucher est un sens , c'est vrai . L'esprit , un autre . Aussi précieux . Une furtive et imperceptible émission d'Arte , sauf pour les joyeux gantés de l'esprit judéo-vagabond qui en tournent les pages , nous en avait joyeusement parlé . Comme eux donc , je ne suis fais interrogatif . Et si la faucheuse passe bien avant que j'en puisse espérer la trouvaille , je ne lui en voudrai pas ? Et pourquoi donc ? Très simple . J'aurai rêvé !
Luc a dit…
Bonjour Lorenzo, Nous avons constaté que de nouveau vous avez utilisé une photo de notre site sans nous en avertir et sans même citer au moins notre site. C'est un peu triste... nous avions une autre image de vous. Luc et Danielle
Lorenzo a dit
          Luc et Danielle, une fois encore désolé pour cet emprunt sans mention de copyright.
          j'avoue ne pas être très organisé dans mes banques de données. 
          Parfois j'enregistre des photos trouvées sur le net avec en titre le nom de leur auteur. 
          Le plus souvent j'oublie et enregistre ces clichés sans conserver leur provenance. 
          Car j'avoue aussi ne pas avoir ce sens commercial de la propriété qui fait beaucoup
          travailler les gens de nos jours. 
          Mes emprunts sont gratuits, leur diffusion aussi qui donne à voir des clichés qui 
          parfois ne seraient pas vus autant qu'ils le méritent. J'ai du mal à concevoir que dans
          ce monde de l'internet que je ne conçois que gratuit et au service de tous, diffusé 
          universellement pour tous, certains ne voient que la possibilité de faire de l'argent
          facile. 
          Personnellement, je ne sais pas faire et cela ne m'intéresse pas. Je défendrai toujours la
          gratuité dans l'art, la culture, l'éducation comme j'en défends l'idée pour les transports,
          la santé. 
          Je ne dis pas que votre souci est lié à un quelconque vision commerciale et je connais, à
          vous lire, votre dévouement pour promouvoir une certaine idée de Venise éloignée de 
          ce tourisme de masse que nous n'aimons pas et qui dénature chaque jour davantage la 
          sérénissime. Cependant, je ne vois pas en quoi mettre en avant une photographie d'un 
          lieu en omettant son auteur pose un problème. 
          Je ne fais jamais de photos moi-même en dehors de portraits de mes enfants et de mes 
          amis et peu m'importe que des gens s'en emparent si elles sont belles. 
          Je le vois comme un hommage.
         Je vais donc inscrire en tête de ce blog que je remercie les auteurs des clichés utilisés 
         pour illustrer mes articles, que le copyright leur appartient et qu'ils se manifestent
         pour que je rajoute en légende leur nom et toutes les mentions qu'ils jugent bon d'y 
         faire apparaître. Cela vous satisferait-il ?
         Bien amicalement.
         Lorenzo
         24 novembre 2007


06 novembre 2007

Secrets dévoilés


Il existe à Venise trois lieux magiques et cachés qui portent de jolis noms poétiques : l'un se situe calle dell'amor degli amici (rue de l'amour des amis), le second est non loin du ponte delle maravegie (le pont des merveilles) et le troisième, calle dei marrani (rue des marranes) à San Geremia, dans le Ghetto. 

Quand les vénitiens (et parfois aussi les maltais...) sont fatigués des autorités constituées, ils se retirent dans ces trois lieux secrets et, ouvrant les portes qui sont au fond de ces cours, ils partent pour toujours dans des endroits magnifiques et de nouvelles aventures. Ne cherchez pas à pousser la porte vermoulue si vous n'avez pas dans le cœur assez d'esprit d'enfance, cette force magique qui transcende les chagrins les plus vifs, les douleurs les plus profondes et cet éclair de joie qui transfigure votre âme. La porte ne s'ouvrira pas. "Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille..."

D'après Hugo Pratt

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1 commentaire:

Tietie007 a dit…
Venise sera éternellement mystérieuse ...J'essaierai de trouver ces passages quand je retournerai dans la Cité des Doges.

05 novembre 2007

En voiture !

Je lisais sur le forum du Guide du Routard un commentaire très négatif sur le voyage en train de nuit Paris-Venise avec Artesia dont j'ai déjà souvent parlé. La personne y écrivait ses impressions et ce n'était pas joyeux. Curieux comme embarqués dans le même train, au même moment, deux personnes peuvent vivre deux choses complètement différentes et en tirer une impression totalement opposée l'une de l'autre. Ah ! la nature humaine dans toute sa diversité et sa richesse...
  
"Train "Stendhal", n°221, Paris-Venise, départ 20h28 arrivée 9h28, quai n°1". 

Depuis vingt ans, je me rends toujours à Venise par ce biais, mis à part quelques rares déplacements pressés, effectués par obligation en avion, sans charme ni plaisir particulier si ce n'est le plaisir que donne toujours un voyage aérien où tout semble luxueux et cosy. J'ai connu les heureux départs de la gare de Lyon où nous trompions notre impatience et la fébrilité des enfants au somptueux "Train bleu", le buffet de la gare. 

J'aimais aussi -lorsque j'allais seul vers la Sérénissime - m'attarder à la terrasse du même établissement, regardant les voyageurs et cherchant à deviner qui seraient mes compagnons de route. J'y ai croisé des écrivains, des acteurs, des hommes politiques, des artistes de tous poils, tous plus ou moins célèbres. Tous aussi avec la même magie dans le regard...

Bercy c'est autre chose. Quelque chose de froid et de faussement fonctionnel où on se sent comme abandonné, loin de tout et en faute. Bercy c'est un lieu courant d'air. Mis à part le luxueux salon réservé aux passagers d'élite du paquebot Artesia où on vous dorlote jusqu'au moment du départ, il est difficile de ne pas penser à ces tristes gares de Roumanie ou de Tchécoslovaquie aux pires moments de la dictature communiste. Et ces longs quais vides où s'arrêtent parfois des wagons de marchandises... Cela fait froid dans le dos.

Mais passé ce triste moment, le départ fait tout oublier. Les stewards sont affables et souriants. Si vous n'êtes pas trop chargés (je me demande toujours comment on peut voyager chargé moi qui pourtant transporte toujours disques et livres, des provisions de thé, ma vieille théière anglaise en étain et mes indispensables biscuits - anglais eux-aussi), je n'ai jamais qu'un sac qui tient dans une main ou sur une épaule. 

C'est que j'aime acheter mon dentifrice et ma mousse à raser sur place, faire nettoyer mon linge - ah le parfum qu'il a lorsqu'il revient de ma petite teinturerie de Cannaregio, impeccablement repassé et amidonné ! - quand je ne m'en occupe pas moi-même, lors des plus longs séjours avec la joie un peu infantile de l'étendre sur la corde tendue dans le jardin. Là aussi, je lui trouve après une odeur particulière qui me plaît beaucoup ! Quant au repassage, j'ai la chance d'avoir notre efficace Graziella qui est un as en la matière et nous ramène le lendemain matin ce qu'elle a vu traîner sur le lit le soir en partant.

Mais revenons à notre voyage. Les bagages installés dans le compartiment, billets et passeports entre les mains de l'homme souriant en uniforme qui va se charger de tout, nous voilà confortablement installés. Les portes des compartiments tardent à se fermer. Tout le monde cherche plus ou moins consciemment à s'approprier cet espace magique dans lequel nous allons passer les douze prochaines heures. Le steward, toujours aussi souriant, revient vite. Il offre à qui le désire un verre de prosecco. C'est déjà l'Italie. La moquette est épaisse, un peu usée, parfois tâchée aussi mais cela sent bon. Affalés sur la banquette, nous nous prenons tour à tour pour Hercule Poirot ou pour Blake et Mortimer...

Très vite l'effervescence se délite et tout redevient paisible. Les portes se ferment. L'atmosphère se fait plus feutrée. Nous déballons livres et revues. Pour ma part, surtout quand je suis tout seul, je branche mon petit lecteur portable. Le programme est souvent le même : Gloria et Magnificat de Vivaldi par Teresa Berganza et Riccardo Muti, du Bach et du Caldara, du Monteverdi aussi, James Bowman et Billie Holiday. C'est un réel plaisir que d'écouter de la bonne musique en s'assoupissant. Lorsque nous n'occupons pas à nous tous un compartiment ou une cabine et qu'il faut accepter une promiscuité qui n'est pas toujours heureuse, cette petite merveille de la technique est un excellent moyen pour s'isoler et supporter les petites manies, les borborygmes et les conversations du ou des voisins, tout en demeurant poli et patient... 

Puis vient le temps d'aller dîner. Là c'est un plaisir qu'il faut savourer car il se fait de plus en plus rare. On parle aussi de le supprimer. Pas assez rentable je suppose ou trop raffiné pour notre monde de barbares. Imaginez un peu : un véritable wagon-restaurant, moderne et fonctionnel certes. Rien à voir avec les voitures du Simplon-Orient-Express, mais il s'agit là-aussi d'un vrai restaurant roulant, avec sa cuisine, son personnel en uniforme. Les tables sont recouvertes d'une vraie nappe blanche, un vase de (vraies) fleurs sur chacune d'elle et de vrais couverts. Pas de gobelets de carton et de cuillères en plastique. De la vaisselle blasonnée et des verres à pied. Pas de sandwiches caoutchouteux et de café jus de chaussette vendus à prix d'or. Non, c'est un authentique repas préparé sur place qui est proposé au menu. On est loin de la carte proposée dans le moindre wagon-restaurant des lignes intérieures de ma jeunesse (j'aimais beaucoup la purée de pommes de terre du Bordeaux-Paris et les pâtisseries du Paris-Nice, et la cloche que secouait énergiquement le garçon qui passait dans les couloirs en criant "premier service, premier service"...) Menu italien cela va s'en dire : antipasti, primo piatto, secondo piatto, contorni, dessert. Vin ou spumante. Le tout pour moins de 30€. Un délice que de se restaurer en bonne compagnie en regardant le paysage qui défile. J'ai toujours aimé ces repas qui loin d'être gastronomiques sont de vrais moments de plaisir. Dans un wagon-restaurant il n'y a plus ni première ni seconde classe. Tous les convives sont réunis dans la même communion et tout le monde est accueilli avec bonhomie. Un peu comme la joie de pénétrer dans un café enfumé et bien chauffé quand il pleut dehors. Sans connaître personne, on s'y sent chez soi et on n'a soudain plus du tout froid. 
Souvent des groupes restent longtemps après que le dernier repas eut été servi. Les serveuses bavardent avec les convives, tout en préparant les tables du petit-déjeuner. Les enfants sont partis se coucher et il règne dans cette voiture une ambiance bon enfant. Comme une invitation à la joie. Un petit moment de bonheur. Le repas achevé, quand les passagers, la plupart du temps détendus et un peu bruyants, reviennent vers leurs cabines, les lits sont faits. Les lumières tamisées. 

Le balancement rythmé des voitures donne de douces idées aux jeunes couples tandis que les autres sont déjà bercés par le tudum-tudum, tudum-tudum, tudum-tudum des roues qui glissent sur les rails. Le confortable petit lit aux draps bien tendus, le livre qui captive et la douce musique... Morphée nous invite. Quand au petit matin, la lueur du jour se faufile à travers les rideaux, une autre sensation nous prend. L'air n'est plus le même. Quelque chose de plus léger, de plus aérien se répand. Le convoi approche de la lagune. 


Généralement à l'entrée du pont de la Liberté, la locomotive siffle avec énergie. Enfant, je croyais que c'était un salut, comme la corne de brume des navires qui approchent d'un port. Tous les passagers sont à leur fenêtre. La grande étendue d'eau tour à tour grise ou verte semble comme un océan tranquille. A droite, les usines de Marghera brillent comme des sculptures d'argent. En face, encore éloignée, Venise en majesté. Certains voyageurs entreront dans la cité des Doges tranquillement installés devant un copieux petit-déjeuner. D'autres en savourant leur café étendus sur leur lit. 
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La plupart, très excités par l'arrivée très proche, piétinent dans les couloirs et se haussent sur la pointe des pieds pour mieux voir. Ce que j'aime le plus alors, c'est - surtout à la bonne saison - ouvrir la fenêtre de ma cabine en grand et tout en feuilletant un magazine et, en sirotant ma tasse de thé brûlant, attendre que le train s'immobilise. Tout le monde se précipite pour descendre. Le steward frappe à la porte, nous rend billets et papiers en saluant. Nous attendrons que tout le monde soit sorti et, tranquillement, très lentement, après avoir rangé toutes nos affaires, nous sortirons. Le temps de s'habiller le coeur en l'honneur du spectacle toujours renouvelé que la ville va nous offrir quelques instants plus tard. C'est un des privilèges de ces trains de nuit : on vous laissera achever votre collation ou votre toilette et il est bien doux de rester encore un peu dans cette cabine, surtout quand tout le monde est parti.
Après, nous nous adonnerons à l'un de nos rites favoris : le petit-déjeuner au buffet de la gare. Dans la salle, mais le plus près possible du grand canal ou bien sur la terrasse si le temps le permet, nous commanderons leur cappuccino qui est très bon, avec une corbeille de croissants fourrés et des spremute d'arancia. Quand je viens seul, j'aime prendre un simple macchiato au bar avec une brioche, avant de me jeter dans la ferveur de la journée qui commence. Bon voyage.

 
 .

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5 commentaires:

Anonyme a dit…
une belle vision comparable a la nôtre de ce lieu magique
envie de continuer a vous lire
amicalement
Domi
Gérard a dit…
C'était en 2004 .
Effectivement à Bercy , ancienne patrie parisienne des entrepôts vineux de notre village-capitale . Et aujourd'hui siège de nos Impôts . J'allais dire impôts de vin , mais c'est un peu facile !
Donc veille de Noël 2004 , départ pour Venise des joyeux Décembristes .
Froid glacial dans le hall-caserne après la montée des escaliers .
Mais dedans , y'avait , pas pour moi , le très célèbre Orient-Express .
Rutilant .
Le vieux 140 .
Km/h Pullman .
La teuf , teuf , en goguette , petite vitesse flemmarde .
Mais ,
La vieille ,
En grande tenue pour le départ .
Alors description vite fait : tapis rouge sur le quai , déroulé .
Un signe .
En haut , petit salon de réception pour voyageurs nostalgiques , vieux , ou jeunes-vieux et fortunés .
Garçons en livrée avec champagne sous l'bras . Va-et-vient permanent de ces encombrés . Quantité impressionnante de litrons chics . Puis descente des jolies dames en manteaux , jolies les pépés , en fête , et fête des diamantaires , sourire et diffractions multicolores des verres , direction ses places ma chérie avec musique d'orchestre , déjà sur tapis rouge .
Pas eu le temps de voir l'avitaillage . Suppose qu'il était du même tonneau .
Alors pour tous ces amoureux , my fair Lady : Champagne !
Nous n'arrivâmes que peu de temps avant tous ces rêveurs !
Et pour cause .
Ils passèrent par Salzbourg , ces noceurs à piano-bar .
C'est un plus .
Florence a dit…
Lorenzo,
Quelle belle chronologie de mes allers-retours Paris-Venise depuis ma naissance.
Quand j'étais enfant, au départ de Paris on serait cru déjà à Venise, les gens s'interpellaient en dialecte d'un compartiment à l'autre. Beaucoup de "nonne" toutes en noir rentraient après avoir rendu visite à leurs enfants emmigrés en France.
A mon arrivée à Santa Lucia, pour rien au monde je raterai ma prima colazione à la gare.
Merci pour tous ces récits..........Florence
nok a dit…
Bonjour,
J'ai "atterri" sur votre blog par le biais de cet article, alors que je cherchais des photos de l'Artesia...
Ca m'a fait énormément plaisir de lire un tel article rédigé avec finesse et emprunt de nostalgie.
Je suis amoureux de Venise à en croire la fréquence à laquelle je repense à mon dernier voyage là-bas, en avril dernier.
Un voyage authentique, dans une vie quotidienne vénitienne, loin des cohues touristiques. Au Canareggio justement ;)
Votre article m'a touché dans le sens où j'identifie mes ressentis aux sentiments que vous décrivez.
Bref, je vous ai ajouté à mes favoris et j'essaierai, quand le temps me le permettra de venir lire par ici.

Revenons en à l'article en question. J'ai également lu sur Internet des commentaires négatifs.. Rassurez-vous, il y a des gens sur votre longueur d'onde, qui voyagent avec le coeur j'ai envie de dire, avec des images plein la tête.
Voyager, c'est avant tout le goût de la découverte, de la liberté, de l'authenticité.. Ca m'agace les gens qui multiplient les voyages de "confort". Ils passent sans voir. Ils critiquent sans ressentir. Ils claquent du fric. De l'argent sans odeur.

Votre description de Bercy est juste. Et semble t-il vous avez connu avant ça la magie d'un départ Gare de Lyon...
A mon arrivée dans cette gare, j'ai été vraiment surpris de voir une telle gare à Paris... En plus, l'accueil est quasi-néant. Seules quelques voix italiennes parmi les voyageurs nous rassurent sur le fait d'être dans la bonne gare. ^^
La différence avec vous est que je n'ai pas connu "Gare de Lyon" et j'ai apprivoisé naturellement le sentiment d'abandon pour en faire un outil d'introspection.
Dois-je dire que j'aime ces endroits singuliers, hors du temps.
Par exemple, trainer dans une friche industrielle, la nuit, seul, est quelque chose de flippant. Et le sentiment procuré est néanmoins intéressant. On donne à ce qui nous entoure une attention particulière.
Bref, la gare m'a marqué. J'en ai parlé autour de moi, de ces rondes militaires, des douanes, du vide.. vous avez raison ça évoque un peu les pays de l'Est, ça fait appel à quelques images, des références lointaines qui soudain vous apparaîssent et vous immerge dans une histoire. Ce n'est pourtant que la votre.^^

Voyage à bord de l'Artesia.
Seconde classe pour ma part.
J'étais heureux de pouvoir voyager à bas prix grâce aux prem's que j'avais eu sur internet. ;)
Vous avez dit :
"il faut accepter une promiscuité qui n'est pas toujours heureuse, cette petite merveille de la technique est un excellent moyen pour s'isoler et supporter les petites manies, les borborygmes et les conversations du ou des voisins, tout en demeurant poli et patient..." quand vous parliez de votre musique. Carrément !
Dommage que vous ne développiez pas le "pas toujours heureuse", car je trouve que c'est ça le plus interessant : l'expérience humaine!
Mauvaise comme bonne ;) Personnellement, j'ai cotoyé en un aller/retour une famille française type : parents et enfants, un brésilien avec qui j'ai baragouiné anglais, une femme d'une cinquantaine d'année qui allait voir sa soeur, une étudiante Erasmus qui revenait chez elle, une jeune femme qui était en vacances avec sa mère.. Riche expérience humaine que celle des transports en train où une vraie mixité sociale est assurée lol et où l'on peut partager, une fois contraints à être ensemble, nos sentiments, nos a-priori .. sur Venise par exemple^^. Sérieusement, ça fait plaisir de parler à des gens juste comme ça, alors qu'on ne se reverra plus jamais. Il y a des rencontres sympathiques.. C'est sûr que ce n'est pas dans le TGV -hop Paris-Le Mans : 1H, Paris-Strasbourg :2h- qu'on risque de s'attarder sur son voisin.

Vous parlez du restaurant, je ne l'ai pas "expérimenté"
Je suis resté avec mes sandwichs (presque caoutchouteux) mais préparés avec amour par ma mère lol.
Néanmoins j'ai eu la curiosité de traverser le train pour aller voir ça. J'ai adoré voir les talents d'équilibristes des serveurs dans un train qui tangue on ne peut plus ;) Quand je retournerai à Venise, j'irai au restaurant dans l'Artesia ;)

Vous dites "bercés par le tudum-tudum, tudum-tudum, tudum-tudum des roues qui glissent sur les rails" Avez-vous fumés quelque chose d'illicite le 5 novembre avant d'avoir rédiger cet article lol ? Pour le premier voyage, le badaud inhabitué est surpris, il n'a jamais vu de train secouant ainsi. Il n'est pas bercé mais secoué non pas par un tudum-tudum mais par un blam-blam sévère. Penserions nous encore à ce genre de carcasse brinquebalante au 21e siècle ? Je déconne mais en fait, je suis d'accord avec vous, car une fois la cabine fermée, le tudum-tudum nous berce et j'ai super bien dormi ! ;)

J'aurais encore envie de parler de pas mal de choses mais il me faut maintenant me reconnecter à la réalité car j'ai pas mal de choses à faire.

A+++ 
Anonyme a dit…
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