Suite retrouvée du billet paru le 19/06/2006
Me
voilà de retour chez moi. Je m'installe. Mon bureau est devant la
fenêtre. Quand je m'y assois, je vois le jardin, les toits et au loin un
clocher qui penche. Je prend ma pipe. La boîte verte, le tabac parfumé,
un peu humide. Je bourre ma pipe, l'allume avec de longues bouffées.
Délices de ces premières bouffées. J'égalise la cendre. L'air se remplit
d'effluves musquées et comme un peu sucrées. Je puis alors commencer à
écrire. C'est l'histoire d'un chat et de son maître... Tiens, pourquoi
un chat ? Je n'ai jamais écrit d'histoires d'animaux ...
Sur
le rebord de la fenêtre, arrivé par je ne sais quel enchantement,
j'aperçus soudain trois chats dont celui de ce matin. Je croyais rêver :
tous me regardaient. Le roux au regard narquois était assis sur mon pot
de romarin. Une chatte grise se léchait en suivant du regard mes gestes
et le troisième était carrément debout sur ses postérieurs, une patte
négligemment appuyée contre la vitre. Je fis comme si de rien n'était et
travaillais fort tard dans la nuit. Lorsque je terminais le dernier
paragraphe, je levais les yeux. Ils étaient toujours là et semblaient
tenir entre eux un véritable conciliabule, me jetant un regard de temps à
autre. Finalement, intrigué mais amusé, je me levais pour ouvrir la
fenêtre et les caresser. Aussitôt ils disparurent. Le chat roux avant de
sauter dans le jardin me gratifia d'un clin d'œil ! Quelle drôle
d'aventure. Je sais qu'à Venise tout peut arriver. Les vieilles gens
prétendent que les chats des rues sont l'âme des êtres et des choses.
Ils vous aideraient ou vous poursuivraient de leur vindicte, selon que
votre cœur est pur ou flétri.
Dès le lendemain, je passais au moins cinq heures chaque jour devant ma machine à écrire. A l'Osteria de Santa Maria Formosa, comme sur la terrasse du café des Zattere ou
chez Zorzi, le salon de thé de la calle della Mandorla, je ne cessais de
prendre des notes, de remplir des pages et des pages... En trois
semaine, le manuscrit attendu à Paris était prêt, emballé. Il fallait
maintenant l'expédier. Après avoir terminé le paquet, joliment couvert
de ce papier brun qu'on ne trouve qu'ici, je me couchais et pour la
première fois depuis longtemps, je me sentais satisfait.
Le temps était très mauvais le lendemain matin, quand je me réveillais. J'entendis même la sirène de l'acqua alta.
Mon premier acte de la journée serait de poster le manuscrit. La
veille, j'avais eu mon éditeur au téléphone qui avait promis de
m'expédier un mandat assez conséquent. De quoi payer les trois prochains
mois de loyer et un billet de train pour Naples où je comptais me
rendre pour le vernissage d'une exposition. Il pleuvait mais mon cœur
était en fête. A la fenêtre, le chat roux qui refusait toujours de
rentrer dans la maison, était là, l'air affable. On eut dit un marquis
de Goldoni ! Arrivé au Rialto, à la Posta Centrale, je le retrouvais,
lissant ses moustaches sur la margelle du puits du cortile, en compagnie de ses acolytes. « Bah ! », pensai-je, «à Venise tous les chats se ressemblent ...»
Extrait de «Venise, l'hiver et l'été de près et de loin»
à paraître aux Éditions Tramezzinimag
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