14 septembre 2011

Plaisirs, par Dominique Rolin


Extrait de Plaisirs, Entretiens avec Patricia Boyer de Latour, Dominique Rolin. Éditions Gallimard, collection. L'Infini.2002.

Patricia Boyer de Latour — Vous avez longtemps parlé de la ville étrangère plutôt que de Venise...

Dominique Rolin — C'était l'époque où nous avions décidé, Jim et moi, de garder un anonymat total sur nos personnes et sur les lieux où nous irions. J'avais des amis qui connaissaient Venise et m'en avaient parlé avant que je n'y aille moi-même. Mais les gens décrivent Venise sans rien savoir... Ils n'en parlent pas vraiment, ils tournent autour, et c'est faux. Or cette ville a été pour nous un miracle, une sorte de transfiguration des choses. Alors, parler de la ville étrangère, c'était plus juste.
P.B.L. — Comment avez-vous découvert Venise ?
D.R. — Jusqu'en 1962, nous allions en Espagne. L'année suivante, nous avions décidé de nous rendre à Florence, puis de prendre un car jusqu'à Venise en passant par Ravenne, Vérone et Padoue. Donc, nous arrivons par la route un soir... Nous prenons un vaporetto, il faisait très beau, c'était le plein été. Et là, ç'a été « la » révélation, comme si tout d'un coup on nous offrait un lieu qui devait nous appartenir de toute éternité. À partir du Grand Canal, le vaporetto s'arrêtait à chaque station dans l'obscurité, la lumière du ciel mêlée aux lumières des réverbères. Jim portait deux valises énormes et nous avions réservé dans un petit hôtel près de la place San Marco. Au moment où nous découvrons cette place, devant la basilique Saint-Marc, nous avons été pris d'un sentiment quasiment religieux, comme si nous étions transportés dans un univers qui nous cernerait intimement. Il a posé ses valises et nous sommes restés dix minutes sans pouvoir parler... Puis nous sommes descendus à l'hôtel, nous avons dîné et... nous avons pris un café au Florian ! (Rires.) Nous sommes allés ensuite jusqu'au bord du quai. Il y avait à l'amarrage des gondoles serrées les unes contre les autres et soulevées par les vagues. On aurait dit des cygnes noirs. Je m'en souviens encore comme d'une découverte prodigieuse... Et ce fut tout pour ce jour-là !
Le lendemain matin, Jim s'est mis, comme chaque jour, au travail. Moi, je voulais apprendre la ville... Je me promenais donc jusqu'à l'heure du déjeuner ; l'après-midi, je rentrais vers six heures du soir, et nous ressortions pour dîner. Il allait tous les matins au Florian pour écrire à une table, toujours la même, loin de la lumière du jour et de la foule. Il a besoin de se fixer comme s'il y avait une sorte de rapport intime entre la circulation de son sang et de son esprit avec ce qui l'entoure. Je partais à l'aventure, seule.
J'aimais me perdre en suivant ces veines quasiment sanguines que sont les voies menant à la Giudecca, insoupçonnable pour moi, et dont personne ne m'avait parlé. Au moment où j'y suis arrivée pour la première fois, j'ai eu un coup au cœur... en découvrant cette ouverture sur les Zattere et sur la largeur du canal. À tel point que je me suis dit qu'on ne pouvait pas rester dans notre petit établissement enfoncé en pleine ville. Je suis entrée dans l'hôtel qui se trouvait là, j'ai demandé le prix des chambres à une vieille dame. Et là, elle m'ouvre une fenêtre sur la Giudecca... Quelle stupeur ! (Rires.) J'ai pensé : mais c'est ici qu'il faut vivre ! Tout se passait comme si notre vie nous attendait là depuis toujours. À la fin de cette matinée, je suis allée le rejoindre en lui disant : « Il faut que tu voies ça. » Et nous avons tout de suite retenu une chambre pour l'année suivante, la chambre aux trois fenêtres (une à l'ouest sur le petit canal perpendiculaire, deux sur la Giudecca dont l'une réfléchit toute la chambre et l'autre la circulation des bateaux) que l'on nous a gardée chaque fois.

P.B.L. — Venise est devenue votre secret.
D.R. — Vous êtes la seule personne que nous ayons vue ensemble à Venise, il n'y en a pas d'autre. Ce dîner à quatre, avec le photographe qui vous accompagnait, était tout à fait exceptionnel... Cela semblait indiscret, et c'était le contraire. Il y a eu des occasions de rencontres avec d'autres pour un film ou un vernissage, mais jamais je ne suis entrée dans son monde à lui, ni lui dans le mien. J'avais le sentiment que cela nous arrachait à notre rêve. J'ai été surprise qu'il me dise : « Tu viens dîner avec nous », mais il a eu raison.
L'ennui, c'était les Parisiens en visite à Venise qui, me reconnaissant, venaient à moi comme si ça allait de soi, sans vouloir savoir que j'avais ma vie ici et que je m'opposais à ce qu'ils y entrent. Les gens n'ont pas la faculté de se construire une muraille de Chine derrière laquelle se préserver... Ils croient à la transparence pour eux-mêmes et pour les autres, mais ce n'est pas vrai ! Quand ils m'accostaient alors que j'étais assise à ma table, presque toujours la même sur un certain ponton le matin entre huit et onze heures, je leur disais : « Excusez-moi, mais je travaille. » Ils finissaient tout de même par se rendre à l'évidence : je n'avais pas envie de les admettre dans mon cercle ni de sympathiser. Cela ressemblait à une agression amicale, parce que bien entendu ils n'avaient pas de secret à défendre de leur côté et, avec innocence, ils cherchaient à casser le mien. Je me défendais. Il faut être très vigilant, ignorer le monde extérieur, se protéger par une couche de silence et de refus, qui très vite est sensible aux autres. D'ailleurs, Venise est notre propriété quand nous y sommes ! (Rires.) J'aime la gaieté des Vénitiens, avec qui j'ai un contact merveilleux ; cette liberté qu'ils ont dans le rire, la beauté de leurs regards, leur discrétion... Et je remarque qu'ils ont toujours respecté mon travail. On se salue si on se connaît, ce qui crée une sorte d'affection tranquille et distante.

P.B.L. — Quel a été l'impact de Venise sur votre écriture ?
D.R. — Très profond, sans que je m'en sois aperçue d'abord. Sa lumière du Sud en particulier, pour la femme du Nord que je suis, a beaucoup compté. J'ai changé le mouvement de mon écriture à ce moment-là, au début des années soixante, en plein phénomène du nouveau roman. La littérature était devenue une prison, et, grâce à ce courant qui n'a pas duré longtemps, mais suffisamment pour qu'on se libère des clichés romanesques, on n'était plus enfermés dans un livre écrit une fois pour toutes au XIXe siècle. L'ouverture était là, et la liberté gagnée pour chaque écrivain qui le voulait. Cela a correspondu au début de mes séjours deux fois par an à Venise.
À partir de ma découverte de la ville étrangère, ça a été comme si je pouvais avoir un univers complet en lui-même. Paris contenait mon enfance, mes expériences ; et Venise, tout le côté magique... J'ai aimé me promener du côté de San Margherita, près du magnifique musée des Tintoret, dans la Venise populaire, j'aimais entrer dans les petits cafés, passer le seuil des églises. Nous sommes beaucoup allés dans les musées, nous avons vu des expositions majeures : Titien, Vénitien par excellence, charnel, religieux, génial ; Francis Bacon, que j'ai découvert là. Nous avons assisté à des concerts inoubliables, nous avons beaucoup regardé, observé, écouté, entendu... Ce sont des moissons d'émotions, de sensations. Teresa Stich-Randall et Gabriel Bacquier dans le Don Juan de Mozart, Beethoven au palais des Doges, le pape lors d'un concert à la Fenice, un choc pour nous... Nous n'avions pas de places. Il y avait des barrages policiers partout, mais le type qui filtrait les entrées a compris que c'était capital pour Jim d'y assister, il nous a fait entrer.
Nous avons très vite élu domicile dans ce quartier devenu le nôtre au bord de la Giudecca. Le délice consistait à s'installer sur la terrasse pour voir passer la foule. (Rires.) On allait rituellement à la Salute, ou bien dans l'autre sens jusqu'à la station maritime. Il y avait là un escalier, un écriteau : accès interdit. Ici commençait un autre monde, celui des bateaux battant pavillon de lieux improbables comme Monrovia, Nassau, Alexandrie ou d'ailleurs encore... Et nous étions fascinés par leur entrée dans le port, précédés de petits remorqueurs.
Depuis 1963, j'ai vu des nouveau-nés dans leur landau qui sont devenus des vieillards ! (Rires.) Et des adolescents, des jeunes mariés, des femmes un peu mûres, des matrones... Je me souviens aussi d'un homme très âgé, perclus de rhumatismes, qui poussait une chaise devant lui et s'y asseyait quand il était épuisé. Au fond, ce n'était pas un si mauvais moyen de circulation... Un autre, un peu fou, mesurait les distances en faisant des gestes, il était enfermé dans une sorte de mathématique étrange... Il y avait Eugenio, le « chanteur de Venise » sur lequel j'ai écrit une nouvelle dans L'infini, un mendiant extraordinaire au regard très bleu, assez beau, très pauvre, qui chantait en sortant de sa poche des bouts de papier et collait tout contre ses yeux pour en déchiffrer les mots. Un jour, il a disparu...

P.B.L. — Comment avez-vous aimé vivre à Venise ?
D.R. — J'adorais les pontons, les Zattere avec les cafés installés dessus. Et celui qui est en face de notre hôtel est devenu mon lieu de travail. Nous descendions dès huit heures du matin, Jim remontait ensuite dans la chambre jusqu'à onze heures et tout l'après-midi après le déjeuner.
J'aime respirer l'odeur de Venise, son climat. Quand il pleut, j'écris dans la chambre avec Jim. « Est-ce que je ne te dérange pas ? » lui ai-je demandé un jour. « Au contraire, tu m'aides », m'a-t-il répondu. Et c'est vrai que nous écrivons dos à dos sans nous gêner. Mais s'il fait beau, je préfère écrire dehors. À Paris, jamais je ne pourrais m'installer dans un café, comme le faisait Nathalie Sarraute, qui s'y rendait tous les matins à neuf heures. Chaque écrivain a sa méthode.
À Venise être dehors, c'est être à l'intérieur d'un univers lumineux. Je m'y suis tout de suite acclimatée merveilleusement. Devant moi, il y avait trois péniches
amarrées chargées d'approvisionner en eau les grands navires ; voir ces péniches qui ne cessent de monter et descendre le long du canal est un spectacle d'une grande beauté. Le moindre souffle d'air ressemble à une respiration murmurante quasiment humaine. La ville ne se tait à aucun moment, il y a toujours le clapotis de l'eau le long des quais. Et pourtant ce n'est pas vraiment humain, mais d'une tranquillité magique. Cela s'intègre à la vision que nous avons de la ville, ça entre dans notre façon personnelle de penser, de chercher les mots, d'écrire comme si nous étions portés par une vibration particulière. C'est très vivant, animé, et toute la ville est encerclée par cela.

P.B.L. — Comment pensez-vous à Venise quand vous êtes à Paris ?
D.R. — Ça dépasse l'ordre de la pensée... J'y pense comme si un réseau de canaux de Venise me traversait en permanence. La réalité, les bruits de Venise, les vagues, les mouettes, les touches de soleil partout alentour offrent un sentiment de liberté que nous aimons entre tous. Quand nous avons découvert Venise, nous avons eu l'impression d'être arrivés au port, à notre port, notre anse de repos et de méditation.
Mais j'adore Paris, la plus belle ville du monde ! et mon quartier, le VIIe arrondissement, est magnifique. Je n'évoque jamais Venise avec nostalgie. La vie y est gaie, les Vénitiens sont joyeux. En fait, Venise est un jardin maritime posé sur une île, qui ne me quitte pas. Si je n'y vais pas davantage, ce n'est pas grave. Venise est en nous.
© www.gallimard.fr, 2002

3 commentaires:

anita a dit…
...magnifiquement émouvant !.... merci ! anita
VenetiaMicio a dit…
Merci Lorenzo, j'aime beaucoup, c'est beau, tendre et émouvant. à bientôt Danielle
Gérard a dit…
Clair. Limpide. Dressé. Très classe. Ces cygnes noirs. Une aube de lait. Vrai et, pour tout dire, Délicieux.

12 septembre 2011

Le Bal du Siècle ou la dernière fête du Palais Labia (Suite et fin)



(Suite et fin de l'article paru le 07/12/2010,
pour fêter le 60e anniversaire de ce bal inoubliable, en écho à l'article de Maïté paru le 03/09/2011 sur son blog "Ma Venise".)
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Le 3 septembre 1951, Carlos de Beistegui donna en sa somptueuse demeure vénitienne nouvellement restaurée à grands frais, le fameux palazzo Labia, célèbre pour ses fresques de Tiepolo, certainement le plus fameux bal costumé du XXe siècle, connu depuis sous le nom de "Bal du siècle". La soirée, l'une des plus fastueuses de l'après-guerre, réunit plus de 1500 invités costumés, dont la liste peut se lire comme un supplément de l'Almanach du Gotha et du Bottin Mondain la princesse Hohenloe, le Marquis de Cuevas, Barbara Hutton, Leonor Fini, l'Aga Khan, Lady Churchill venue seule sans son mari qui avait décliné l'invitation et préféra rester au Lido où le couple séjournait. Jusqu'au dernier moment, on parla de la venue de la princesse Margaret d'Angleterre et même du roi de Grèce. Jean Gabin à l'affiche d'un film en compétition n'était plus à Venise ce jour-là. Il était de toute manière trop peu mondain pour être sur les listes.

La Mostra du cinéma venait de commencer, amenant à Venise, acteurs, producteurs et cinéastes, la belle Gene Tierney et Orson Welles en tête.L'actrice américaine Irene Dunne, arrivée la veille pour la Mostra n'avait pas reçu de carton, mais elle transportait dans ses bagages un magnifique costume de velours vert, au cas où. Il fallut de longues tractations entre les producteurs Hollywood et le milliardaire pour qu'elle fut invitée... une heure avant le début du bal. Daisy Fellowes, "la femme la plus élégante du monde", dans une somptueuse robe de Christian Dior, en reine des Indes, portait un collier de pierreries spécialement monté pour l'occasion qu'elle ne remit plus jamais ensuite. Le maître de maison ayant interdit l'approche du palais aux bateaux à moteur, ce fut en gondole, selon l'antique tradition, que tous les invités se rendirent au bal. Quelques uns arrivés en taxi devant la gare ou par le casino voisin, vinrent ensuite à pied par l'entrée sur le campo della chiesa où la foule s'était amassée et qu'on distrayait avec des funambules et des pantomimes. Robert Doisneau, Cecil Beaton et André Ostier furent les photographes de la soirée. Le peintre Alexandre Serebriakoff a également peint une série d’aquarelles représentant différents moments du bal.

 
Les costumes étaient somptueux. certains étaient l'œuvre de Salvador Dali, de Christian Dior, de Nina Ricci, Jacques Fath et de Pierre Cardin, alors débutant. Les ateliers de ces grands couturiers travaillèrent pendant plusieurs mois à la confection des somptueux costumes dont on parle encore soixante ans après. Le prince Jean-Louis de Faucigny-Lucinge écrivit en se remémorant l'événement : "Beistegui décida de donner la Fête des Fêtes sur le thème le plus logique en ces lieux : la Venise de Longhi et de Casanova, et de lui réserver l'ampleur d'un spectacle de cour. Il en fut ce qu'il espérait. […] Les invités étaient venus de tous les coins de l'Europe, de Lady Clementine_Churchill au vieil Aga Khan, en passant par les plus belles princesses romaines ou napolitaines. […] Car Carlos de Beistegui tenait aux références : nom, talent, beauté, notoriété, et — j'ajoute — amitié, car c'était un ami très fidèle. "Jean Cocteau s'est également intéressé à l'évènement : "Bal de Venise. Beistegui n'avait pas invité la méchante fée : le journalisme. Donc, son bal est un désastre et il a plu. La vérité c'est qu'il n'a pas plu et que le bal était une réussite. Le peuple de Venise adore les fêtes et applaudissait les costumes. […] Beistegui avait refusé huit millions des Américains pour filmer le bal." Paul Morand, qui était l'un des invités, évoqua l'œuvre de Beistegui dans son livre consacré à Venise : "Palais aux fresques si renommées en leur temps que Reynolds et Fragonard avaient fait le voyage de Venise pour les copier (...) L'histoire des Labia : un demi-siècle de puissance outrageante, de vaisselle d'or jetée par les fenêtres, de murs vierges confiés au talent de Tiepolo, de Zugno, de Magon, de Diziani ; ruinés par Napoléon, les Labia avaient cédé l'édifice (...). Notre fastueux ami B. avait décidé de tenir tête au temps ; reconstituer un palais, c'est dire non au gouffre, c'est comme d'écrire le Temps perdu. Son œuvre terminée, B. s'en désintéressait."
Certains membres de la Jet-set d'après-guerre, comme par exemple la milliardaire (et ambassadrice) Perle Mesta, amie et soutien des Kennedy, convoquèrent la presse pour signifier au monde que s'ils n'en étaient pas, c'était bien voulu de leur part : "je veux qu'il soit bien compris que je n'y vais pas", lança-t-elle aux journalistes...


Ce fut une splendeur. En ces années où le monde libre essayait
d'oublier les séquelles de la guerre, de ses privations et de ses drames, la peur du communisme et montée de la guerre froide, la fête commença vraiment vers 22 heures.
Sous un ciel dégagé, le grand canal et le canal de Cannaregio où se mire l'imposante façade du palais Labia, étaient couverts d'embarcations. Au milieu de dizaines de lampions flottants, les gondoliers en grande tenue ou parfois costumés comme du temps de la République, amenaient les invités jusqu'au ponton recouvert d'un somptueux tapis ancien. Comme pour la Regata Storica, de nombreux vénitiens avaient pris place le long des rives sur des barques pour mieux apercevoir les personnalités qui arrivaient.Toutes les fenêtres des immeubles voisins avaient été louées au tarif de 80.000 lires par personne (une somme pour l'époque !). Le prince Aga Khan, classiquement vêtu d'un domino vénitien, arriva parmi les premiers, suivi de Barbara Hutton habillée en Mozart, dans un costume valant plus de 15.000 dollars, puis le Prince et la Princesse Chavchavadze couverte de bijoux devenue Catherine II...


Un peu avant minuit, des trompettes naturelles sonnèrent et les 1.500 invités furent introduits dans la grand salle de bal du palais sous les fresques de Tiepolo, par le maître des lieux vêtu d'une toge de damas écarlate, portant une longue perruque bouclée et grandi par des talons comp
ensés de plus de 40 cm (il ne mesurait en vérité qu'1 mètre 68). Le sol avait été recouvert d'un plancher en trompe-l’œil reproduisant les motifs d'un tapis de la Savonnerie qui avait nécessité plusieurs centaines d'heures de travail aux décorateurs. Il aura fallu plusieurs semaines de préparation, et les invitations furent envoyées six mois avant, afin de permettre aux happy few concernés d'organiser leur agenda et de prévoir leur costume ?


La musique classique, les ballets, les menuets et les valses laissèrent la place aux rumbas,
sambas, charlestons très à la mode dans ces années-là. Dans les salons, de somptueux buffets couverts d'écrevisses, de jambons, de saumons en gelée et autres délices étaient pris d'assaut.
Le champagne coula à flots jusqu'à l'aube. Dans le cortile du palais, Don Carlos, très royal, avait organisé une fête pour les gens du commun comme il disait : on pouvait y trouver à boire mais c'était payant. Il y avait un spectacle gratuit de marionnettes et un mât de cocagne avec des prix pour ceux qui parviendraient à grimper au sommet. Les deux mondes parfois se mêlaient.

 
C'est ainsi qu'on a pu voir la très distinguée Madame Louis Arpels (l'épouse du célèbre joaillier parisien), en train de danser avec un jeune vénitien en chemise ouverte montrant des pectoraux avantageux. Comme les images d'un film, l'expression la plus affirmée de la Dolce vita. Tous s'amusèrent magnifiquement. Pourtant ce n'était pas l'objectif de tous ces gens. S'affirmait dans leur participation à cette extraordinaire fête, la volonté d'en finir avec les terribles années de guerre, avec les blessures qui restaient loin de s'être cicatrisées. L'amusement vint en prime, après que tous se furent montrés les uns aux autres et, ensemble, au monde. Parmi les invités, certains pourtant n'étaient pas dupes et confièrent aux journalistes qu'ils étaient certains que que cette oisiveté, toute cette gabegie de luxe ostentatoire, ces dépenses somptuaires pour un seul soir, était en train de disparaître et sombreraient bientôt dans l'oubli. "Je ne crois pas", déclara le prince Aga Khan, alors que la soirée touchait à sa fin, "qu'il nous soit donné de voir encore quelque chose comme cela."




05 septembre 2011

Ne pas vivre dans le passé

C'est souvent la tentation. La facilité aussi. Tout parait toujours mieux à l'aulne de nos souvenirs. C'est encore pire quand il s'agit des souvenirs des autres, d'un temps que nous n'avons pas vécu. Marie-Josée Neuville chantait dans les années 60 : "C'était pareil de notre temps" (voir mon billet du 28/06/2010 en cliquant ici). 
Chaque époque a eu ses joies et ses peines. Notre aveuglement nous permet même d'avoir la nostalgie de ces périodes terribles où la vie ne tenait parfois qu'à un fil et que d'immenses douleurs et de terribles angoisses tordaient les estomacs de milliers d'innocents. Je pense aux années de guerre, aux révolutions. Il est sage de jouir du temps présent, et d'avoir l'honnêteté de rendre hommage à nos temps. "Ils sont ce qu'ils sont mais ils sont nos temps", comme l'expliquait le prince Jean d'Orléans à quelques nostalgiques d'un hypothétique âge d'or.
Un lecteur m'écrivait récemment que son amour pour Venise était entaché d'un prurit qui semble se répandre partout : la nostalgie d'une ville préservée, parfaite, libre de toutes les perversions et les laideurs du présent. J'ai bien conscience que Tramezzinimag véhicule trop souvent cette pensée. La Sérénissime n'est plus, notre époque est aux migrations de masse, les progrès de la science permettent au plus grand nombre de se déplacer et le tourisme n'est plus l'apanage de quelques poignées de privilégiés. Les murs décatis de la cité des doges se couvrent d'immondes graffitis et les papiers gras, les canettes de limonades, les mouchoirs en papier jonchent les rues, les échafaudages sont devenus des panneaux publicitaires géants et agressifs et à la Mostra du cinéma, les badauds sont tenus à l'écart derrière des barrières et des rangées de vigiles là où il y a encore vingt cinq ans, les enfants en maillot de bains frayaient avec les plus grandes stars et les hommes politiques sur la terrasse de l'Excelsior dans une atmosphère bon enfant. 

Bien sur il n'y a jamais eu aussi peu de vénitiens à Venise et autant de touristes à la fois, bien entendu tout est devenu très cher et palais après palais la ville se vend à des milliardaires de tous les continents et les écoles, les maternités ferment. Bien sur il y a de moins en moins d'épiceries, de drogueries, de boulangeries, de boucheries mais de plus en plus de commerces de masques et de souvenirs. Mais la lumière, les ciels différents chaque jour et à chaque saison, les reflets dans l'eau des canaux, tout cela demeure, persiste et ne change pas. Et partout où le regard se pose, plus forts que la laideur des graffitis, des détritus qui encombrent les rues, des files de touristes ébaudis et fatigués, il y a la beauté, la sublime beauté de cette ville unique. Même au milieu de la foule des Schiavoni ou du Rialto, pour celui qui sait voir Venise s'offre dans toute sa splendeur : le son d'une cloche qui sonne et se mêle au cri des mouettes près du ban de poissons du campo Santa Margherita... 

La vision cocasse d'une grosse nonne déterminée, qui, toute de blanc vêtue, tire un chariot rutilant sur un pont près de San Francesco della Vigna avec un sourire de sainte... Les enfants déguisés pour la San Martino... La visite du Patriarche à San Giuseppe di Castello restaurée... Mais aussi, tout simplement, les délices d'une promenade dans les quartiers éloignés, derrière San Nicolo di Mendicoli ou aux Gesuiti... Le soleil couchant vu depuis les jardins de la Biennale...

Le mythe de Venise est certes unique au monde, et cela le rend indispensable à notre humanité, mais rien ne doit le figer en un sanctuaire immarcescible d'où la vie serait exclue comme les microbe dans une chambre stérile. Venise est un lieu de vie, c'est aussi un laboratoire où se concoctent depuis toujours des solutions nouvelles et originales que les milieux urbains du monde entier peuvent adapter à leur compte.

2 commentaires:

Anonyme a dit…
Lorenzo, pourquoi écrire d'aussi belles lignes sur Venise et proposer un voyage aussi banal ? j'avoue que j'ai été très déçue en lisant le programme. Ne pouviez-vous pas envisager, au contraire, un séjour dans les quartiers "mineurs" et pourtant si attachants et nous permettre de voir "ces petites choses sans importance" qui font la vie quotidienne ? celles qu'on ne découvre pas dans les guide? Je reste une fidèle lectrice et je me réjouis de recevoir bientôt votre livre.
Cordialement
Gabriella

Lorenzo a dit…
Les "Fous de Venise" n'ont pas besoin d'un voyage organisé ni de guide. Ce voyage a bien été conçu pour ceux qui ne la connaissent pas et veulent une première approche.
C'est effectivement un voyage "Grand Public".
Merci d'avoir pris la peine de me donner votre avis.
Bien à vous.

04 septembre 2011

La Regata Storica 20114

Toujours beaucoup de succès pour la Régate Historique en dépit d'un temps assez mitigé. C'est la gondole celeste (bleu ciel) menée par Ivo Redolfi Tezzat et Gianpaolo D'Este qui a remporté hier la Regata Storica di Venezia, devant les frères Rudi et Igor Vignoti, sous un ciel peu clément, contrairement à la tradition (les vénitiens prétendent depuis longtemps qu'il ne pleut jamais au moment de la Régate historique !). Mais ce n'était qu'une fine pluie presque d'automne qui est tombée sur le cortège historique. Cette année l'embarcation officielle baptisée la "Dogaressa" ne portait pas le Doge et Caterina Cornaro, Reine de Chypre, mais le maire et le cardinal Angelo Scola, Patriarche de Venise, jusqu'à la "Machina", l'estrade flottante qui abrite traditionnellement les autorités depuis la nuit des temps. Le cortège a ensuite défilé devant les corps constitués, en commençant par la Disdotona avec des figurants en costume du moyen-âge qui ont levé leurs rames (le fameux alzaremi). Suivirent les embarcations historiques qui appartiennent à la municipalité, avec notamment la "Cinese" avec son grand dragon de bois doré. 
 
 
Puis le départ de la régate a été donné avec la Regata delle Maciarele à deux rames qui sont réservés aux enfants de moins de 10 ans pour les schie, pour les moins de 12 ans (les junior) et 14 ans (les senior), puis ce fut le tour des équipages féminins, des étudiants (cette année, l'équipage mixte de la Ca'Foscari s'opposait à l'IUAV, l'université Internationale et à l'université de Trieste) et des embarcations à 6 rameurs.



02 septembre 2011

La Venise de Guardi

 
" Les maisons de Venise sont des immeubles, avec des nostalgies de bateau : d'où leurs rez-de-chaussée souvent inondés. Elles satisfont le goût du domicile fixe et du nomadisme."
Paul Morand


01 septembre 2011

Un joli casone avec un jardin fleuri sur la lagune...



Il y a, au beau milieu de la lagune des endroits que j'aime énormément. Loin des circuits parcourus par les touristes, peu de vénitiens connaissent ces rivages couverts d'herbes drues et où la terre nourrie par des siècles d'alluvions gorgés de minéraux porte souvent des fleurs magnifiques et de beaux arbres aux troncs solides et tordus comme des ceps de vigne. Des vignes justement y poussent. De vieux cépages oubliés dont les branches ornent les murs des rares maisons qui se dressent encore dans ces lieux éloignés et presque abandonnés. De belles treilles gorgées de fruit quand au mois d'août les orages viennent violemment les arroser. L'isola di Santa Cristina est une propriété viticole qui produit un excellent et raffiné vin rouge organique à base de merlot et de cabernet comme à Bordeaux. Comme Santa Cristina, les restes de l''île San Felice est un vestige de l'archipel d'Ammiana. Appelée aujourd'hui en souvenir des salines qui y fuirent installées, elle est particulièrement lugubre le sois, quand le vent souffle et fait siffler les hautes herbes. A l'époque romaine, ces terres étaient au-dessus du niveau de la mer et on y a retrouvé maints vestiges de l'époque, des traces de villas, de monuments et de chaussées. On peut passer des heures dans cette partie de la lagune et n'entendre que le cri des canards qui s'envolent ou les grenouilles qui chantent. Plus au sud, et près des deltas, la campagne se fait plus verte et bien davantage fournie. Enfant, je rêvais de m'y installer, avec des chiens, une barque, des filets et un fusil.
L'un de mes paradis où je m'inventais mille vies trépidantes à la Robinson se nomme Piove di Sacco. Située au milieu des terres, sur l'antique route de Padoue, la commune possédait encore dans les années 70, plusieurs de ces vieilles fermes à l'architecture si originale appelées casone. Deux seulement existent encore. Elles ont hélas été terriblement rénovées et leurs jardins tirés au cordeau, nettoyés, replantés et on les visite comme une réserve d'indigènes. Cela aura au moins permis de les conserver. Celle dont j'étais fou amoureux à l'époque de mes quinze ans date de la fin du XVIIIe siècle. 
Elle est restée dans son jus jusque dans les années 90 où suite à un incendie, elle a été restaurée et reprise par un organisme officiel qui organise des visites. L'énorme rosier grimpant a disparu mais la toiture en pointe caractéristique de cet habitat lagunaire a été reconstitué et le torchis rouge refait. On a changé les vieux volets de bois et l'intérieur est tout neuf désormais mais l'ensemble a toujours fière allure. Quand j'y pénétrais la première fois en 1969 ou 70, il régnait dans la salle commune une odeur très particulière que je n'ai retrouvé qu'une fois ou deux depuis, en Normandie ou dans les Landes. Un mélange d'odeur de cendre et de cuir, de lard grillé et de foin avec des relents de lilas et de terre... C'est du moins ce que mon cerveau parvient à traduire de cette senteur étrange et attirante que j'ai gardé en mémoire. Le feu crépitait dans la vieille cheminée de briques. C'était à la fois comme la chaumière de la reine à Versailles ou celle des sept nains. De quoi stimuler l'imagination d'une jeune garçon rêveur et amoureux de la nature. J'ai retrouvé une photo de la maison avant l'incendie. Dans le jardin, le vieux banc fait de bois et de pierre, est toujours en place.
Dans un lieu semblable, poser un jour mes livres et quelques meubles. Remplir le bûcher de belles billes de bois bien sec, garnir le cellier de jambons et de fromages, de vins et de confitures, et là, oublier le monde... Des vers de Boileau que je disais souvent adolescent me reviennent en mémoire : 
Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J'occupe ma raison d'utiles rêveries :
Tantôt, cherchant la fin d'un vers que je construis,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait fui ;
Quelquefois, aux appas d'un hameçon perfide,
J'amorce en badinant le poisson trop avide ;
Ou d'un plomb qui suit l'œil, et part avec l'éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l'air.
Une table au retour, propre et non magnifique,
Nous présente un repas agréable et rustique.
[...]
Ô fortuné séjour ! ô champs aimés des cieux !
Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous seuls oublier tout le monde !
 
L'autre de mes lectures favorites de l'époque s'accordait aussi très bien à ces lieux idylliques. Il s'agit de l'Ami Fritz des auteurs alsaciens Herkmann-Chatrian, un de mes livres préférés. le passage suivant que je connaissais par cœur résume parfaitement la vie que le garçon que j'étais alors considérait comme le summum de la félicité.
" Tu te lèveras le matin, entre sept et huit heures, et la vieille Katel t’apportera ton déjeuner, que tu choisiras toi-même, selon ton goût. Ensuite tu pourras aller, soit au Casino lire le journal, soit faire un tour aux champs, pour te mettre en appétit. À midi, tu reviendras dîner ; après le dîner, tu vérifieras tes comptes, tu recevras tes rentes, tu feras tes marchés. Le soir, après souper, tu iras à la brasserie du Grand-Cerf, faire quelques parties de youker ou de rami avec les premiers venus. Tu fumeras des pipes, tu videras des chopes, et tu seras l’homme le plus heureux du monde. 
Tâche d’avoir toujours la tête froide, le ventre libre et les pieds chauds : c’est le précepte de la sagesse. Et surtout, évite ces trois choses : de devenir trop gras, de prendre des actions industrielles et de te marier. Avec cela, Kobus, j’ose te prédire que tu deviendras vieux comme Mathusalem ; ceux qui te suivront diront : “C’était un homme d’esprit, un homme de bon sens, un joyeux compère !” Que peux-tu désirer de plus, quand le roi Salomon déclare lui-même que l’accident qui frappe l’homme, et celui qui frappe la bête sont un seul et même accident ; que la mort de l’un est la même mort que celle de l’autre, et qu’ils ont tous deux le même souffle !... Puisqu’il en est ainsi, pensa Kobus, tâchons au moins de profiter de notre souffle, pendant qu’il nous est permis de souffler [...]"

1 commentaire :


Anonyme a dit…
vous me faites rêver ! Que cette campagne doit être jolie si on se laisse bercer par votre description. Merci pour le plaisir que vous me procurez depuis que j'ai découvert votre tramezzinimag ! Vous me mettez l'eau à la bouche chaque jour.
Alice

29 août 2011

La bête curieuse

Chesterton a écrit : «C'est une chose que de raconter une entrevue avec une gorgone ou un griffon, une créature qui n'existerait pas.[...] Ce dont souffre le monde moderne, c'est d'un évident déficit d'émerveillement.» souligne Martin Steffens, dans son admirable Petit traité de la joie. Et il continue en écrivant ces lignes que je trouve fondamentales (dans le genre «Mais bon sang, c'est bien sûr, pourquoi n'y ai-je pas pensés plus tôt ?») :
« Preuve en est, le rôle qu'il donne aux loisirs et, plus particulièrement, à cette faculté que nous avons d'imaginer :l'imagination servirait à s'évader, à fuir la réalité, à inventer d'autres mondes. Elle serait une porte sur l'ailleurs, ailleurs dont nous aurions besoin pour ne pas étouffer dans ce monde trop réel. Pour Chesterton, les choses sont différentes : le monde est en lui-même digne de notre émerveillement. Et si nous voulons le fuir, c'est faute de lui prêter attention. Or une telle attention peut nous être donnée par l'imagination : celle-ci porte en elle un pouvoir de déréalisation. Elle oppose à ce qui est ce qui aurait pu être. Ainsi naissent les gorgones et les griffons, les délires et les utopies. Mais cette fuite peut être plus qu'un aller sans retour : vacance de l'attention au réel, cette évasion permet de mieux revenir sur ce qui est, lavés de nos lassitudes. Par elle, il s'agit non tant de voir de nouvelles choses que de voir à nouveau les choses. Comme de s'imaginer un animal aux yeux petits comme des billes mais à la carrure imposante, grise autant que magnifique, dont l'obtuse tête, terminée par une corne et de profonds nasaux, se trouve à la hauteur de pattes rondes et lourdes qui semblent clouer le sol - animal terrifiant, et cependant végétarien... Une gorgone ? Un griffon ? Non point : un rhinocéros. Un quelque chose qui, ayant le malheur de faire partie du monde réel, a été soustrait à notre faculté d'émerveillement. Un quelque chose qui, sitôt qu'on le déréalise, redevient étonnant, impossible, et par là surprenant. Le monde est gorgé d'impossibilités dont nous avons pris l'habitude. Le monde est plein de merveilles auprès desquelles nous avons omis de nous émerveiller.»
Je ne sais pas vous, mais moi, ce texte m'a littéralement bousculé. Comme tout l'ouvrage d'ailleurs que je vous recommande ardemment. Ce fut une des lectures de mon été dans notre presqu'île du Cotentin, dévorées parfois bien installé sur un bon vieux et confortable transat en toile rayée, à l'ombre de notre gros mûrier, avec le parfum des roses anciennes et de l'herbe coupée, sur la plage au milieu du varech avec le cri des mouettes, mais aussi - le plus souvent cette année, hélas - devant la cheminée de la vieille maison où brûlait un grand feu bienvenu.
Martin Steffens
Petit Traité de la joie
Ed. Salvator, 2011
192 pp.


1 commentaire d'origine :
Anne a dit...
 
Merci pour le tableau, la référence et l'extrait bien choisis. Ils donnent envie de lire ce livre. 
 

28 août 2011

Jacopo Tiepolo, gardien de but magré lui

Quel esprit ce J@M. Si vous ne connaissez pas encore son site né il y a quelques mois, allez y jeter un coup d’œil. Ce regard décalé plein d'humour (et d'amour) pour Venise est un souvent un régal, comme la dernière photo postée. Notre Fou de Venise lyonnais est parti à la chasses aux trouvailles, gageons qu'il va ramener de bien belles choses dans les prochains jours ! C'est vrai que l'emplacement du tombeau du doge Jacopo Tiepolo est bien pratique pour les enfants qui s'en servent de cage de but pour leurs parties de foot, d'autres s'y font un refuge, cabane perdue sur une île déserte ou petite maison où les petites filles s'installent pour jouer à la poupée... 

Cela me donne l'idée de lancer un concours de la photo la plus drôle faite à Venise. Qu'en dites-vous ? Nous en reparlerons à la rentrée. En attendant, cliquez sur le titre de ce billet pour accéder directement à son blog et bonne promenade j@mesque

© J@M - Parait qu'à Venise, 2011
 
Le doge Jacopo Tiepolo n'est pas mort sur son trône. il a démissionné après un règne bien rempli, et sa mort survenue quelques semaines après l'élection de son successeur prouverait que l'abdication fut son choix et non la suite d'une déposition. Il se maria deux fois, et sa seconde épouse qui lui donna plusieurs enfants, était une princesse normande des rois de Naples. C'est à lui qu'on doit la promulgation (et l'application) en 1242 du Statuto Veneto, véritable code civil de la Sérénissime, initié par le doge Enrico Dandolo et qui restera en vigueur jusqu'à la chute de la République. Son élection fut l'occasion de nombreuses altercations entre ses partisans et ceux de son adversaire. Le conflit dura de nombreuses années.  
 
Il favorisa l'installation à Venise des Dominicains, à qui il donna les terrains de San Daniele, là où se dresse aujourd'hui San Giovanni e Paolo. Doge démissionnaire, il eut droit à des obsèques d’État mais sa dépouille ne put prendre place à l'intérieur de la basilique. C'est ainsi qu'il repose depuis sur l'un des flancs de l'église et sert de cage à but aux enfants du quartier. Homme de droit, il arbitre certainement les parties du haut de son catafalque. Quand il s'installa à Venise, après avoir été en poste en Crète, il fut accompagné d'une grande quantité de marchands et d'artisans vénitiens, chrétiens et juifs, dont un grand nombre resta à Byzance et y firent souche. 
 
Leurs descendants - dont mes ancêtres paternel - ne quittèrent pour la plupart la Turquie qu'au XXe siècle, quand la révolution de Mustapha Kemal chassa les ressortissants étrangers souvent perçus comme des pilleurs et des profiteurs. Beaucoup de ces vénitiens, devenus italiens au moment du Risorgimento, vivaient aux pieds de la tour de Galata, où se situait l'ancien quartier vénitien.
 

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1 Commentaire :
 
liliforcole a dit…

A Venise, paraît d'ailleurs qu'on ne dit plus "tirer un corner" mais "tirer un corno"...
Blague à part, belle image, pleine de vie. Il faut vivre avec son temps.

 

26 août 2011

Le moto ondoso a encore frappé !

Plus de peur que de mal pour les quatre touristes espagnols qui se sont retrouvés dans l'eau de la lagune alors qu'ils s'apprêtaient à faire une promenade en gondole... L'incident qui aurait pu être fatal à ces pauvres gens relancent la polémique sur le tristement fameux «modo ondoso» que la presse française traduit un peu ridiculement par ce qu'on appelle un «effet de houle»
 
La polémique ne date pas d'hier et Tramezzinimag en a souvent parlé. Le moto ondoso, ce sont ces remous très forts, de véritables vagues, provoqués par les bateaux à moteur qui circulent à grande vitesse sur le grand canal. L'équivalent de ces ondes plus ou moins grande force et hauteur, provoquées sur la mer par les vents. La météo marine classent ces ondes qui définissent l'état de la mer sur une échelle allant de 0 (mer calme ou peu agitée) à 9 (violente tempête)... Non seulement ces remous sont dangereux comme le prouve le naufrage de la gondole  non loin du Danieli, mais ils sont une plaie pour les fondations des quais et des palais qu'ils rongent, accélérant la décomposition des pierres et les marbres qui en constituent les fondements, due à la pollution et à la salinité de l'eau. 

Comme l'endroit est très fréquenté, il a été facile de porter secours aux touristes affolés. Tous les gondoliers présents sont intervenus, qui se jetant à l'eau, qui fonçant avec son embarcation vers le lieu de l'accident. Les malheureux ont ainsi pu regagner la berge à la nage. Plus de peur que de mal pour ces gens qui, trempés, ont pris la chose avec beaucoup d'humour et en riant à gorge déployée - une fois les pieds sur la rive - de cette aventure imprévue à leur programme ! Il faut dire que la journée était particulièrement chaude et l'eau de la lagune particulièrement attirante ce jour-là.
 
Les pontons situés devant l'hôtel Danieli, sur la Riva degli Schiavoni ont toujours été considérés par les vénitiens comme particulièrement dangereux, car les barques qui arrivent par le rio voisin se retrouvent aussitôt au contact des remous provoqués par les vaporetti qui accostent par dizaines et à une fréquence très élevée aux débarcadères de la Place Saint Marc. Les pompiers, rapidement alertés, ont indiqué que la gondole a vraisemblablement été soulevée par une vague très rapide provoquée par le passage d'une embarcation à moteur qui passait à trop vive allure à proximité. Le gondolier est tombé le premier, suivi par ses passagers avant que la gondole ne se lève pour retomber ensuite dans l'eau et couler.

Aldo Reato, le président des Bancali, le syndicat des gondoliers, l'a répété aux journalistes accourus sur les lieux « Nous n'arrêtons pas de le dire depuis deux ans à la nouvelle administration municipale, le moto ondoso est un grave problème pour nous. Les deux pontons du Danieli sont les plus dangereux 
 
Pour les gondoliers, la solution consisterait à prolonger les pontons réservés aux gondoles puis il faudrait en suivant changer les débarcadères des vaporetti « pour éviter que les barques se heurtent aux remous créés par les grands bateaux ». Le patron des gondoliers a proposé aussi que, surtout pendant les périodes de grande affluence touristique, soit installé dans cette zone un poste de surveillance permanent contre le moto ondoso. Les policiers concernés auront du travail quand on voit la vitesse à laquelle tout le monde circule à cet endroit !

4 commentaires:

Anne a dit…

La vitesse des bateaux est pourtant surveillée à Venise, nous avons eu l'occasion de le remarquer en visitant la Ca' Foscari cet été. Souhaitons que l'incident ne se reproduise pas et félicitons les touristes et les gondoliers pour leur bonne humeur et leur sang-froid.
Anne

Micha Venaille a dit…

je vous suggère de vous associer au groupe Facebook Fuori le maxinavi dal bacino di San Marco, formé de Vénitiens d'influence, entre autres un ami, Paolo Lanapoppi, à l'origine de la loi qui a fait baisser la vitesse des bateaux dans la lagune ( et quand on navigue avec lui on le voit souffrir en direct quand on est doublés par un taxi à l'instant où on peut lire le chiffre " 7 " sur les pieux de bois!)

Micha a dit…

PS Et mon message est parti avant que je vous dise que vous nous avez manqué cet été.

Nathalie a dit…

Plus de peur que de mal, en effet, mais l'une des quatre personnes ne l'a pas pris si bien que cela et est restée en état de choc pendant plusieurs heures. Espérons qu'un jour il n'y aura pas un véritable drame. Je me souviens qu'il y a deux ans, je crois, c'est une famille qui est tombée à l'eau, au même endroit. Un petit de deux ans est resté coincé sous la gondole et un gondolier s'est jeté à l'eau pour aller le récupérer. On n'est passé loin de la catastrophe cette fois-là. Mais comment faire pour réguler un tel trafic, alors qu'il n'y a pratiquement plus de vigiles pour contrôler la vitesse des bateaux? Alors qu'il y a de plus en plus de touristes pour venir remplir les caisses de la ville, il y a de moins en moins de service public. Plus de vigiles, un service de voierie de plus en plus inexistant- la ville n'a jamais été aussi sale que cet été- on se demande vraiment où passe toute la manne apportée par les touristes.