09 novembre 2016

Message aux fidèles lecteurs de Tramezzinimag et aux autres


Poursuivant notre travail d'archéologues, nous ajoutons chaque jour des billets parus entre 2005 et ce fatidique 28 juillet 2016 où le blog a cessé d'exister après qu'un robot ou un employé imbécile de Google aient décidé de supprimer onze ans de travail, de recherches et des centaines de commentaires des lecteurs. 

Inutile de remuer tout cela. L'élection américaine de ce matin qui ne réjouit en France que les réactionnaires lepénistes (mais la dame Clinton valait-elle mieux après tout ?), nous rappelle que pas grand chose nous vient de ce pays qui n'en n'a jamais été un, conglomérat d'états qui pourraient devenir un jour de vraies poudrières, fait de culture empruntée et dont les meilleurs esprits - et il y en a beaucoup, si, si - sont nourris de culture européenne, judéo-chrétienne autant que gréco-latine Nos racines. Je connais un certain nombre d'intellectuels et d'artistes qui envisagent d'aller s'installer à Québec ou sur le continent européen...

Mais je vais arrêter là, Google serait capable de supprimer à nouveau Tramezzinimag. Sait-on jamais ! Donald Trump est président désormais et, comme chez nous, la fonction est sacrée si l'homme n'est rien et le choix des électeurs lui aussi est sacré...

Et puis, que vaut un site comme Tramezzinimag pour des bouffeurs de hamburger et de café délavé, de sodas et qui ne savent plus ce que marcher veut dire et n'ouvrent jamais de livres sauf des manuels d'auto-défense ou de maniement des armes à feu... Ceux pour qui Venise est en Californie et qui croient encore que nous n'avons pas l'électricité partout et que les parents du président Obama grimpaient aux arbres... Mais je ne vais pas faire mon petit Gaspard Proust ! Lit-il seulement Tramezzinimag, le bougre ?

Bref, chers lecteurs, vous constatez bien évidemment que le blog est peu nourri de nouveautés, de billets d'actualité et d'écrits récents. En revanche, tout ce qui a pu être retrouvé des parutions de la première année du blog est en voie de republication. Nous avons décidé de cesser de publier les billets anciens à la date du jour en mentionnant qu'il s'agit de textes publiés en leur temps sur l'ancien blog que nous avons baptisé post mortem Tramezzinimag I.

De même, faute de temps, aucun lien n'a encore été mis en place sur le blog créé à titre provisoire et dans l'urgence en juillet dernier, depuis Venise, après que le couperet soit tombé. Oui chez Google, comme dans la plupart des états qui ont élu leur 45e président, on défend la peine de mort ! 

Mais chez nous, David l'emporte toujours sur Goliath. Histoire de morale et de foi !

La priorité est donc donnée aux archives à reconstituer. Fiers d'avoir été ces nombreuses années, une source d'information reconnue et souvent citée, outil souvent utilisé dans les CDI par les collégiens et les lycéens, et leurs professeurs qui avaient pris l'habitude de nous consulter pour organiser des voyages scolaires différents, comme des sociétés de production des télévisions francophones qui ont fait appel à nous à plusieurs reprises. (Que ceux qui ont eu la délicatesse de mentionner Tramezzinimag dans leur générique soient remerciés au passage). 

Bien sur nous ne sommes plus les seuls depuis longtemps. D'excellents sites et blogs francophones prolongent notre travail et le font souvent bien plus assidument que nous (ils sont sur place aussi, ce qui facilite la réactivité, quand votre serviteur et sa petite équipe, en sont encore à réfléchir sur le lieu et la date de l'installation définitive à Venise (Le Grand Retour !). 

Pour ne citer que, parmi les nombreux frères ou cousins plus jeunes de Tramezzinimag, les excellents et indispensables e-venise.com et destination-venise.net qui ont toujours eu l'extrême gentillesse et la correction de citer Tramezzinimag qui est aussi référencé sur la plupart des sites francophones consacrés à Venise. Je ne cesserai jamais de remercier tous ceux qui nous soutiennent et nous encouragent depuis 2005 ! 
Merci de votre patience. Les nouveaux billets se préparent et promis, nous allons essayer de publier des nouveautés en même temps que nous rechargeons les archives récupérées chaque jour.Merci de votre fidélité et de vos nombreux messages d'encouragement (en revanche, les commentaires se font rares. Nous en avions plusieurs milliers dans l'ancien blog !)

07 novembre 2016

Venise fascination : Table-ronde à Bordeaux à l'Institut Bernard Magrez

Jeudi 17 novembre, l'Institut Bernard Magrez propose aux aquitains de venir rencontrer Delphine Gachet, Marc Agostino et Alain Vircondelet, sur le thème de la fascination de Venise. Tramezzinimag y sera peut-être si votre serviteur n'est pas encore reparti pour Venise. Les protagonistes invités dans ce lieu merveilleux sont la directrice de l'ouvrage Venise, Histoire, Promenades, Anthologie & Dictionnaire paru en mai dernier chez Robert Laffont dans la collection Bouquins (cf. Tramezzinimag du 08/05/2016).

Comme le mentionne le site de l'Institut : 
Venise - "l’un des secrets les plus poétiques qui aient jamais existé sur cette terre", selon l’un de ses meilleurs connaisseurs, Dino Buzzati – ne cesse de fasciner ses innombrables visiteurs par sa splendeur architecturale et son mystère troublant et enchanteur. Fruit du travail conjoint de collaborateurs français et italiens venus d’horizons différents, le livre Venise, Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire plonge au cœur de cette ville mythique au fil d’une exploration minutieuse et originale qui contredit bien des clichés sans altérer sa légende. Une cité hors norme dont le prestige se nourrit de l’imaginaire qu’elle suscite. La ville de l’amour, de la séduction, de la sensualité, mais aussi le symbole de la fin d’un monde. 
Trois des collaborateurs, tous vivant et travaillant à Bordeaux, qui ont permis au livre d’exister. Delphine Gachet, docteur en littérature comparée, est maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne, traductrice (et grande spécialiste) de Dino Buzzati et de nombreux autres écrivains italiens. Avec le Professeur Alessandro Scarsella, elle a co-dirigé et collaboré à l’ouvrage présenté. Marc Agostino, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Bordeaux-Montaigne, spécialiste de l’histoire des religions et de la papauté. Alain Vircondelet est écrivain et universitaire. Vénitien de cœur, il a consacré plusieurs ouvrages à Venise (dont Devenir Venise, Nulle part qu’à Venise, Le grand guide de Venise). La table ronde - conférence aura lieu jeudi 17 novembre à 20 heures et sera suivie d'une dégustation de vins Bernard Magrez en partenariat avec la Librairie Mollat. Les réservations se font en cliquant ICI 

Comme un chant qui monte dans la nuit

Fiat pax in virtute tua et abundantia in turribus tuis. Ces mots magnifiques du psaume 122 me sont venus à l'esprit ce matin. Comme un souffle de joie et d'espoir dans un monde de plus en plus empêtré dans une obscurité nauséabonde... 

Rassurez-vous, TraMezziniMag ne va pas joindre à ses rubriques des leçons de morale spirituelle ni de cours de religion. Jusqu'à la suppression de mon compte en août dernier, il y avait un blog pour cela né quelques années après celui-ci à la suite de la mort du Frère Roger, le prieur de Taizé, qui fut un de mes guides spirituels. Un de ces maîtres des âmes à qui je dois de ne m'être pas égaré. La beauté de ce chant illustrait parfaitement ce matin à l'aube, l'air vif rempli de senteurs, la lumière naissante qu'un vent froid faisait danser sur les façades, jouant avec le reflets sur les fenêtres, la laissant se poser sur les branchages et se projeter sur la pierre des façades de ce vieux quartier où je vis. Partout le silence. Puis soudain un chant d'oiseau suivi presqu'aussitôt du tintement d'une cloche. Saint-Michel ? Saint-Paul ? Saint Eloi ? Sainte-Croix même ? Comme libéré par ces deux sons qui ont depuis toujours pour moi un effet magique, les bruits de la ville se sont emparés des lieux. Voix humaines, grincement des rideaux de fer des boutiques, clochette du tram et l'inévitable sirène des pompiers ou des cow-boys toujours pressés et bruyants. Les bruits de la ville. Ceux-là même à peine différents et plus forts en décibels que ce vacarme qui faisait tant souffrir Sénèque dans la Rome de ou Boileau dans le Paris de Louis XIV... 

Ces impressions matutinales souvent déterminent mon état d'esprit du jour. Encombré par une bronchite qui n'en finit pas, avec une liste trop longue de choses à faire sans faute, je pourrais avoir l'humeur sombre et rester couché. Un thé brûlant et des biscuits, de la musique, un bon livre... De quoi tenir et oublier le reste du monde... Pourtant le psaume qui m'est venu ce matin au lever comme un souvenir lointain m'a étrillé le cœur. Je ne suis pas à Venise mais ce sera pour bientôt. je ne suis pas en haut des collines de La Réole, admirant le lever du soleil se reflétant sur les méandres de la Garonne loin en bas, mais je suis. Rempli d'idées et de joies, d'espoirs et de volonté. Le cri de joie du psaume, je l'identifie à tout cela. Au souvenir de la joie des matins solitaires dans une Venise vide encore de tout ce qui l'encombre. Sous une lumière unique que nul endroit au monde ne parvient à égaler. Et même éloigné d'elle, tout ce qui constitue celui que je suis est avec elle, en elle. Et je dis avec le roi David : "Que la paix soit dans tes murs, et la tranquillité dans tes palais !"

Lien pour écouter le psaume : ICI

06 novembre 2016

Journal - novembre 2014 (extraits)



2 novembre 2014.
Le brouillard ce matin quand j'ouvre mes fenêtres, le silence approximatif dû aux vacances, les préparatifs du marché voisin, ce ciel gris rempli du cri des mouettes et des corneilles qui se mêlent, cette odeur particulière qu'on sent ici, près du port parfois avec la marée et qui rappelle tellement les effluves de la lagune le matin quand je me promène le long des Zattere ou sur les Fondamente Nuove. Et puis ce désir de La revoir, ce besoin impérieux de me fondre de nouveau dans ses ruelles sombres, de me délecter du chant des cloches à midi, du bruit que font mes pas sur les masegne millénaires où tant des miens avant moi ont marché... 

Mardi 4. 
Joli soleil ce matin après la brume. Odeurs délicieuses d'humus et de feu de bois.

Mon amie Catherine qui vit à Munich y sera dans quelques jours avec une de ses amies américaines, Darlene que j'ai reçu autrefois dans notre maison de l'impasse Guestier. Elle a un fils de vingt ans dont mon amie est la marraine. Elles ont convenu de se retrouver à Venise mais Catherine, persuadée que j'y vivais à l'année, m'a écrit pour que nous nous y voyions... Vais-je pouvoir me libérer et aller moi aussi à Venise ? Vais-je pouvoir l'accueillir et leur faire découvrir mes endroits favoris, leur faire ressentir ces impressions uniques qu'on ne peut ressentir qu'à Venise ? Nous en avons tellement souvent parlé autrefois, lorsqu'elle vivait en Californie et que j'avais abandonné les rives de l'Adriatique pour celles de la Garonne... 

Elle sera logée à la Ca' del Campo, sur le campo della Guerra du 18 au 21 mai. Si j'y allais du 18 au 26 par exemple ? Le 17 je serai à Lyon pour l'Assemblée Générale annuelle du Refuge. Lyon-Venise cela ne doit pas être trop compliqué, de jour ou de nuit. Passer trois jours avec Catherine et ses amis californiens (ils logent au Hilton Stucky à la Giudecca - ce qui n'est pas du meilleur goût hélas) puis rester seul - où avec Constance ou Jean s'ils peuvent me rejoindre - afin de chercher comment je pourrais bientôt être logé régulièrement et poser mes malles une fois pour toutes, faire les démarches nécessaires pour obtenir ce statut de résident auquel j'aspire depuis si longtemps, revoir mes anciens amis restés ou revenus à Venise. 

Mieux connaître Julien et voir selon lui ce que je puis faire à Venise. Pour Venise ; parler avec lui de Delvaille aussi... Revoir Roger et sa peinture ; faire la connaissance de son épouse... Et puis Manfred, Gabriel, Federico, Pippo... Tant d'autres encore... Et puis Antoine va bientôt rentrer d'un de ses énièmes reportages. Aller à Venise avec lui ? Faire enfin ce documentaire dont il me parle tant ? 

Questions, hésitations, doutes. Confusion aussi. Face à tout cela, je me sens perdu comme un oiseau tombé de son nid... 

Lecture de Joseph Joubert. Passionnant personnage dont les pensées font mouche mais qui me laisse parfois une drôle d'impression tant je ressens une grande proximité avec lui. Du moins avec son mode de penser et les critères qui l'ont motivé sa vie durant... Je l'ai découvert en lisant Alain par qui je me suis ouvert autrefois à la philosophie. Tous deux ont parlé à mon adolescence.Je retrouve aujourd'hui Joubert dont personne jamais ne parle. Dommage. 

Pourtant, il a ouvert la route aux plus grands, aux plus neufs. A Rimbaud quand il écrit "La poésie est fantastique" Et quand il écrit "Je n'ai jamais appris à parler mal, à injurier et à maudire", je me retrouve tout entier, autant que lorsqu'il affirme "Ce qui est beau est bien" !

Jeudi 6.
Ce même jour, en 1980, mon père s'éteignait après une longue maladie. J'avais à peine vingt-cinq ans. Je n'en faisais que vingt, sur mon visage et bien moins encore dans mon cœur. Pourtant sa disparition soudaine a fait de moi un homme, avec ses souffrances et ses ardeurs. La mort de mon père a été un révélateur dont j'aurai certes aimé faire l'économie, mais qui m'a propulsé dans le monde des vivant. Rien après ce jour n'a jamais plus été comme avant. 

Chaque année, je repense à ces derniers jours dans la grande maison où plus rien n'allait. Je revois la soirée de mon anniversaire, le triste dîner où il fut à peine présent, son regard fatigué et absent. Il savait qu'il n'en avait plus pour très longtemps. Quelques jours avant, nous avions fait une promenade. Pour la première fois, nous avons réellement parlé ensemble mais il y avait tellement de choses à dire, tellement de temps à rattraper. Hélas, aux mots succédèrent vite un silence pesant. Trop de pudeur. Trop de silences... Nous sommes rentrés à la maison sans plus parler. Il est allé garer la voiture, je suis monté dans ma chambre... Je n'ai plus jamais eu l'occasion de m'entretenir avec lui. Quelques jours plus tard, mon oncle au téléphone m'apprenait sa mort... Il avait à peine cinquante neuf ans. 

"Un honnête homme meurt toujours jeune, c'est-à-dire trop tôt" (Joubert).


31 octobre 2016

LA GALERIE DE TRAMEZZINIMAG : La pétulante Venise d'Arbit Blatas (1)


Arbit Blatas a été jusqu'à sa mort, le dernier des grands artistes vivants de l'Ecole de Paris, membre de cet univers bohème qui éclaira la peinture contemporaine des premières années du XXe siècle jusqu'à son crépuscule dans les années 50. Après Paris, c'est à Venise qu'il a le plus travaillé, lorsqu'il quittait sa maison de New York pour retrouver la vieille Europe où il trouva refuge, après avoir fui un pogrom en Lithuanie, aux alentours de 1905... Quel roman que sa vie. Il aimait la raconter et sa peinture comme ses sculptures sont imbibées de son histoire personnelle, de l'Histoire tout simplement. Il a charmé mes années vénitiennes, lorsque je travaillais comme factotum chez Giuliano Graziussi, avant de devenir, grâce à lui, l'assistant du talentueux mais ténébreux galeriste, sur le campo San Fantin. C'est lui aussi qui m'aida à rompre mes chaînes pour rejoindre une autre galerie, à san Vio, un autre artiste, un autre état d'esprit. Mais j'ai déjà raconté tout cela. Parlons plutôt d'Arbit.

Un jour de 1985, Jacques Chaban-Delmas me recevait dans son bureau du Palais Rohan. J'avais obtenu une audience afin de parler au maire d'un projet qui pouvait intéresser la ville et que Christian Calvy, alors consul général à Venise, avait suggéré lors d'un dîner je ne sais plus où. Micheline Chaban-Delmas avait appuyé ma requête. Elle fut toujours d'un grand soutien et d'un dynamisme extraordinaire qui permit le développement des arts contemporains à Bordeaux, avec le CAPC mais aussi par de nombreuses autres initiatives. Un vrai ministre de la culture ! 

Blatas cherchait à montrer son travail sur l’École de Paris en France. Une exposition devait avoir lieu à New York, au Witney Museum. Les œuvres entreposées pour la plupart à Venise allaient voyager aux frais des américains. Il était facile de négocier une étape à Bordeaux, un catalogue commun. Le contenu était formidable : Blatas proposait de montrer l'ensemble des portraits qu'il a fait sur les membres de l'Ecole de Paris, peintures mais aussi sculptures. Splendides bronze en pied et en taille réelle. Il voulait ajouter à son travail des œuvres de chacun de ses amis artistes portraiturés qui forment une collection formidable. L'idée était intéressante. Mais ce qui l'était davantage c'est que le retour des œuvres financé par le Witney n'avait pas encore une adresse précise. Or Blatas ne voulait ni ne pouvait conserver entassées dans un hangar son travail. Il proposait donc à la ville de Bordeaux de récupérer l'ensemble de son travail ainsi que la plupart des œuvres des artistes portraiturés. C'était un moyen de doter Bordeaux d'une extraordinaire collection d'art moderne, de Suzanne Valadon à Picasso, en passant par Utrillo, Vlaminck, Marquet, Bonnard, Derain, Léger, Chagall, Soutine, Zadkine, enrichissant ainsi à peu de frais - l'organisation d'une exposition temporaire puis la conservation des œuvres dans un lieu spécifique et l'achat par la ville du portrait de Marquet, peintre d'origine bordelaise - le patrimoine artistique de la ville. 

Ce fut un véritable ballet. rencontres avec les conservateurs, entretiens avec les responsables, lobbying au niveau national. je n'étais pas connu, mon équipe bordelaise pas assez imbibée du sujet et le personnage moins connu en France qu'il ne l'était à Venise ou à New-York. Bref, après des semaines de travail, de négociations et des dizaines de rendez-vous, l'exposition ne se fit pas. j'ai su depuis qu'il y avait un petit noyau de prétendus spécialistes locaux des arts et de la culture que ma proposition gênait. Et puis en ce temps-là, le CAPC* dont on parlait partout était dirigé par un gourou, certes génial et visionnaire, qui avalait tous les budgets possibles et imaginables pour ses expositions-évènements pharaoniques. On venait du monde entier pour assister aux vernissages et les plus grands artistes contemporains passèrent par l'entrepôt Laîné, somptueux temple de l'Arte Povera, mais gouffre financier où on méprisait le concept même d'exposition permanente. Alors, pensez donc, un peintre classique de l'école figurative dont firent pourtant partie quelques uns des plus grands mais démodés aux yeux des snobs qui formaient la cour de la pourtant très avisée première dame de Bordeaux !

C'est finalement la ville de Boulogne qui récupéra l'exposition puis l'ensemble des œuvres du maestro lituanien. Mais revenons à notre petite exposition virtuelle. Blatas est tombé amoureux de Venise dès son premier voyage en 1935. Il a peint la ville pendant des années, revenant souvent, avec d'autres peintres, comme Marquet notamment puis avec sa femme, la cantatrice Regina Reznik. Ensemble, ils avaient acheté un grand appartement à la Giudecca, juste à côté de ce qui allait devenir dans les anes 80 le Harry's Dolce, un de mes endroits favoris (le meilleur club sandwich du monde avec du pain maison et en été le délicieux Bellini sans alcool pour les enfants, ainsi que les meilleures pâtisseries de la ville à déguster dès le printemps sur la terrasse face aux Zattere...). Voici quelques échantillons du travail vénitien du maestro : 




28 octobre 2016

Fondamenta par Ettore Tito



L'âme de Venise nourrit les doux et les poètes


"Venise est un poisson" écrivait Tiziano Scarpa. "Venise est une maîtresse fidèle mais difficile" me susurrait à l'oreille une bouche avinée un soir tard sur la terrasse d'un palais du grand canal. Certains prétendent que c'est une vieille reine morte et déchue, momifiée, délabrée, vendue dont on montre la dépouille et les frusques aux gogos venus du monde entier pour quelques roupies... Pour d'autres "Venise est une catin"  qui se sert habilement de ses problèmes pour attirer l'attention et l'argent... Qu'en est-il réellement ?

Nous en avons débattu l'autre soir avec Alberto et Gianni, deux amis vénitiens. L'échange dura une partie de la soirée, caminando d'enoteca in enoteca. En rendre avec précision et fidélité le contenu n'est pas chose facile, mais je dois m'y essayer car je crois que l'échange rentre parfaitement dans la ligne et l'esprit de Tramezzinimag et ne laissera pas indifférent nos lecteurs.

Cela avait commencé du côté du Rialto. Au Banco Giro pour être tout à fait précis. Nous venions d'entendre, malgré nous, la conversation d'un groupe de touristes bruyants. Des bobos français, mécontents de la foule, des prix, des vaporetti engorgés par leurs semblables, qui prenaient tout de haut et se trouvaient bien mieux que leurs hôtes. " Tu vois, finalement ici il n'y a que des pecnots, cela se voit et leur dialecte vulgaire, quel cirque" avait lancé l'un d'eux entre deux gorgées de son spritz à l'Apérol.  Ils ont certainement raison ou plutôt tous doivent avoir des raisons pour pester ainsi et leurs propos ne font qu'exprimer le ressenti immédiat, épidermique, de la plupart des visiteurs. Autrefois, entendre des compatriotes s'exprimer ainsi m'aurait fait intervenir. Avec le temps, on se lasse de jouer les Don Quichotte.

Nous avons passé notre chemin. "Pour moi, ce ne sont pas ces qualificatifs-là, ce mode de concevoir Venise qui m'intéresse" ai-je commencé à dire en gravissant les marches du pont.  "Venise est bien plus qu'une ville, c'est un monde, un état, un lieu unique et tout cela forme un mythe. C'est avant tout un mythe et ce mythe nous le pénétrons, nous le sentons palpiter, nous le voyons se débattre et tenter de résister et de survivre en dépit de tout". 
"Tout à fait d'accord." répliqua Ettore, "je te rejoins totalement sur ce point" 

Gianni, dont le passage au séminaire a laissé quelques traces qui m'ont fait le surnommer le Ravi, a souvent une visions décalée de la vie et des gens. Sa manière de l'exprimer demeure impensable pour tous ceux qui baignent en permanence dans le politiquement correct. Pour Gianni, Darwin n'a jamais émis que des hypothèses et la Création est expliquée dans la genèse. Point besoin d'en débattre... C'est parfois compliqué d'aborder certains sujets mais tellement roboratif aussi. Gianni a gardé de ses années mystiques une grande fraîcheur et ce regard bon et tranquille des religieux : "Nous qui en sommes les  amoureux transis, nous l'intégrons en nous et Venise instille son doux poison dans notre quotidien. les écrits de Casanova, les adeptes de l'érotisme grotesque et répugnant de Baffo, la tradition des courtisanes scintillantes de bijoux les faisant ressembler à des sapins de Noël pour faire oublier les chlamydias et autres désespérantes saletés qu'elles transmettaient avec plus de facilité que les quelques secrets d'alcôve que de mauvais romanciers ont voulu nous faire croire être de graves secrets d’État, tout comme les jeunes mariés japonais en lune de miel qui se font photographier devant le pont des soupirs, tout ce grotesque n'a rien à voir avec la véritable Venise !"

Ettore abonda dans son sens : "Cette Venise-là pue la naphtaline et la lingerie en dentelle synthétique. Non, la puissance de cette ville-État est bien plus que le lupanar géant qu'on nous représente trop souvent. Mais laissons les obsédés dans la salle d'attente de leur psychanalyste et regardons la véritable Sérénissime, la Dominante, libre et fière, autocrate autant que démocrate, moderne et pourtant pleine de vieilleries qui avec un regard neutre pourraient faire fuir car le mauvais goût, c'est vrai, n'est jamais loin (voir plus haut l'allusion aux courtisanes et aux mœurs salaces de certains malades de l'entrejambe). "Pour évoquer la vraie Venise, j'ai toujours pensé qu'il fallait la libérer de ce sexisme délirant".  


Combien cela est juste. Représentons-nous plutôt le lion ailé, majestueux et tranquille et le saint Livre qu'il tient entre ses griffes, ouvert ou fermé selon le baromètre des relations diplomatiques des maîtres de la Cité lacustre. N'est-ce pas plus grand et noble que les ivrognes et les catins ? La douceur du regard des vierges de Bellini, l'aspect rassurant des drapés qui les habillent, l'enfant posé sur les genoux et les paisibles vedute de la campagne de Terraferma sont pour moi bien plus évocatrices de la beauté de Venise, avec ses couleurs changeantes, ses reflets, ses harmonies et ses silence. Mon adoubement à la Sérénissime est la conséquence de cette beauté débarrassée de toute attache sensuelle et de tout désir. Un sentiment d'appartenance et d'adéquation absolue qui ne passe pas par les draps brillants des gourgandines enrubannées ni des vénus à poil (et en surcharge pondérale) de Tiziano. Quel symbole pourrait mieux qualifier la Sérénissime ? A Venise, en dépit des tentatives de Buonaparte pour en éradiquer la présence quand en 1797 il se croyait Attila pour Venise, le lion est partout. 

Comme sont partout les jolies vierges à l'enfant. Elles président de jolis concerts, trônent en majesté sous des dais de tissus flamboyants ou apparaissent dans toute la délicatesse de leur flamboyante jeunesse, toujours fines, délicates, pures... Il faut aller dans les musées à la recherche des jolis pastels de Rosalba Carriera, pour retrouver plus tard cette joliesse simple et délicate et pure. Il y en aura pour ricaner et me reprocher ce goût pour la mièvrerie. Mais oui c'est vrai, notre époque aime le lourd, le hard, l'excès. Normal n'est-ce pas quand une civilisation entre en décadence après tout. Néron préférerait les catins imbibées d'alcool aux vierges chantant le Miserere. 

Aimer la beauté ne veut pas dire souhaiter en faire pitance à chaque instance. Elle n'est pas une proie que l'on chasse mais un moyen qui permet de transcender la misère et la médiocrité de nos vies, de nos vies, nos aspirations. Entendre résonner le Gloria Patris du Nisi Dominus  de Vivaldi, traduisant à la perfection cet abandon à la Grâce. C'est ce que j'ai compris très vite, la première année où j'ai vécu à Venise. Mes longues promenades solitaires au petit matin ou la nuit dans les rues désertes, les messes dominicales à San Giorgio du temps où la communauté bénédictine comptait plus d'une douzaine de frères, celles des franciscaines du côté de san Francesco della Vigna ou à Sant'Elena, les offices de la Pâque orthodoxe à San Giorgio dei Greci et le miracle souvent renouvelé de ces ciels flamboyants, de ces silences tellement remplis que déchirent soudain le cri d'une mouette où le chant des cloches.

19 octobre 2016

Déjà en 2009, des ennuis avec blogger pour Tramezzinimag

"Plus de peur que de mal", tel était le titre d'un billet publié sur le blog originel après avoir piqué une GROSSE colère - déjà - contre Google. Il s'agissait à l'époque d'un simple problème technique due à cette monomanie des designers sur le net (syndrome très répandu aujourd'hui où il faut être en constante progression,  évolution, amélioration. Le toujours plus qui me fait enrager. Voilà ce que j'expliquais alors à mes lecteurs avec 9 commentaires à la clé (désormais introuvables car non archivés par Google, évidemment)... :
29 avril 2012

Que mes lecteurs me pardonnent. J'ai cédé bien vite à la panique et au découragement. Vos messages ont dû agir comme une prière puisque - avec le conseil d'autres blogueurs - je suis aprvenu à retrouver ce qui semblait engouti à tout jamais dans les méandres de la galaxie informatique. ..Il m'a fallu bien sûr, sacrifier sur l'autel de la modernité et de l'innovation effrénée l'ancien modèle du blog qui rendait de bons et loyaux services depuis le printemps 2005, et le résultat ne me convient pas encore tout à fait, mais l'essentiel est de n'avoir rien perdu des données figurant sur la colonne extérieure que vous aviez l'habitude de consulter. Ce sera l'occasion dans les prochaines semaines d'améliorer ce site et, pourquoi pas, d'innover aussi. Question de se mettre au goût du jour. Je ne voulais pas désorienter les fidèles de Tramezzinimag. Oublions l'incident. Pour fêter la bonne nouvelle, nous nous sommes régalés d'un risi bisi somptueux arrosé d'un Bardolino hors pair. Hauts les coeurs, reprenons notre route... Evviva Venezia ! 

..P.S. : furieux de cette mésaventure, je songe sérieusement à faire migrer Tramezzinimag vers WordPress, plus dynamique et plus fiable ! 
Le premier billet, celui de la colère : 
27 avril 2012
Fin (contrainte et forcée) 

Devant l'inanité et l'imbécilité (pour rester poli) des responsables de blogger qui décident sans nous demander notre avis des modifications qu'ils imposent à la présentation de nos blogs et devant l'impossibilité à l'heure où j'écris ce billet de trouver comment reprendre l'ancienne présentation peaufinée depuis sept ans, j'ai le regret de vous annoncer que je cesse, à regret, jusqu'à nouvel ordre toute parution sur Tramezzinimag. Tous les éléments qui composaient les colonnes permanentes de votre magazine virtuel ont été supprimées sans que je fasse une seule fausse manoeuvre et personne chez Blogger n'a encore déiagné répondre à mon appel au secours. Fatigué de cette course permanente au toujours plus et à l'innovation permanente, je préfère arrêter tant qu'on ne m'aura pas redonné mon ancien Tramezzinimag ! Cette grève durera et merci d'avance pour votre soutien à tous. Et si Tramezzinimag ne pouvait pas reprendre comme il était, merci à mes nombreux lecteurs pour leur fidélité.
Ce texte certes un peu outré a suscité à l'époque douze commentaires d'indignation et de soutien Les mêmes qu ont sgentiment réagi devant mon désarroi en juillet dernier quand Google a purement et simplement fermé mon compte et supprimé Tramezzinimag sans aucune explication ! J'enrage toujours autant bien que plus de trois mois soient passés ! Quelques semaines vénitiennes vont certainement apaiser mon courrouxMais pas ma hargne contre l'équipe Google et ses  dirigeants qui ne se pressent toujours pas pour répondre à mes sollicitationsJe ne croyais jamais connaître Big Brother en vrai et pourtant c'est exactement ça 

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 37 ) : Venise, paradis musical contemporain...

Difficile d'écrire de nouveaux billets tout en allant jour après jour à la pêche aux articles publiés depuis 2005 et que je récupère dans les archives du net mais aussi parmi ceux que m'envoient les lecteurs. Bienheureux ceux et celles qui ont fait des copies d'écran ou des tirages papier de TraMeZzinimag de temps à autres. Soyez-en remerciés ! La création est donc un peu laissée de coté. Plus assez de temps pour les recherches, l'iconographie, les vidéos. J'avoue tâtonner : dois-je laisser l'ancien blog dans les limbes de Google et entamer une nouvelle ligne éditoriale avec ce Tramezzinimag numéro deux ? Faut-il au contraire rassembler le maximum d'archives, tout ce contenu qui a fait la richesse du blog, sa notoriété, et les délices de tant de lecteurs qui on manifesté leur désappointement et nous apportent chaque jour leur soutien ? Le nouveau blog est un peu brouillon, des republications anciennes, des nouveautés, des commentaires non enregistrés qui faisaient aussi l'intérêt du site avec vos désirs et vos demandes, vos suggestions, vos précisions et vos apports, tout cela se mélange... Faites-moi part de vos attentes en la matière. Je suis preneur de vos idées en attendant que Google veuille bien remettre en ligne mon compte et le blog originel, si par bonheur cela doit arriver...

Archives du blog Tramizzinimag I. Billet initialement publié le 28 décembre 2011 :



Vos commentaires m'ont donné envie de parler à nouveau de musique sur TraMeZziniMag en ces temps de vacances. Des amis bordelais qui vont visiter le conservatoire Benedetto Marcello m'ont fait pensé à ce magnifique concert donné le 17 octobre dernier par l'Ex Novo Ensemble dirigé par Claudio Ambrosini et dont je voulais vous parler. 

Avec le titre alléchant de "Maraviglia udirai, si me secondi" (Des merveilles tu entendras si tu m'aides), le programme comportait six créations dont celle du compositeur britannique Geoffrey King, qui fut élève à Venise d'Ernesto Rubin de Cervin et du regretté Giuseppe Sinopoli. Ce fut un très intéressant rappel de l'originalité de ce que les critiques ont appelé la Nouvelle École de Venise où, sous l'impulsion de l'éminent pédagogue qu'est le baron Rubin de Cervin, une génération de compositeurs prolongea et développa le sérialisme en y ajoutant les acquis du jazz et de la polyphonie moderne. Né au conservatoire Benedetto Marcello, ce mouvement reconnait l'influence de la musique vénitienne traditionnelle autant que celle du mouvement post-serialiste de l’École de Darmstadt rendu célèbre par Stockhausen. Un monde musical inventif et grouillant que la plupart des touristes qui passent par le campo Santo Stefano sont loin d'imaginer. Venise a formé Luigi Nono, Bruno Maderna, Ambrosini, etc... Autant de compositeurs qui continuent de marquer la création musicale actuelle. 

Le compositeur anglais qui vit et enseigne à La Haye depuis quelques années est un Fou de Venise lui aussi. Sa musique en a subi l'influence. J'aime chez lui ce mélange de l'esprit anglais (il est né à Croydon juste après la guerre) et de l'âme vénitienne. Thé au lait et scones autant que prosecco e tramezzini tonno-uova. C'est peut-être pour cela que sa musique me touche...

L'entendre exécutée dans la belle salle de concert du conservatoire Marcello est un bonheur. Après la jolie promenade qui nous amène de San Barnabà à Santo Stefano, en passant par la ruelle qui longe l'ancien cinéma et le marchand d'art ancien, pour déboucher sur le campo de l'Accademia, le vieux pont de bois, la vue merveilleuse qu'on a en traversant le canalazzo, puis le campiello San Samuele - qui était rempli de chats de mon temps -, le joli puits, Santo Stefano, immense terre-plein puis sur la droite, après le somptueux palazzo Franchetti, le majestueux palazzo Pisani qui jaillit devant nous. Dès le cortile, règne dans ces lieux une atmosphère à la fois légère et très sérieuse. légère car la musique éclate de partout et les lieux sont remplis de jeunes gens rieurs et tapageurs, mais sérieuse aussi car on pénètre dans une école où l'on travaille dur... 



Une salle comble, beaucoup d'élèves, de nombreux vénitiens et pas des moindres. Venise n'a jamais cessée d'être une capitale musicale. Le nombre de fondations et d'associations liées à la musique le prouve, comme l'Istituto Antonio Vivaldi et l'Istituto per la Musica de la Fondation Cini, la Fondation Lévi ou la Fondation Bru Zane

Une musique parfois difficile mais jamais ennuyeuse ni pesante, toujours très enclavée dans notre temps, pleine de citations venues du jazz ou de la musique populaire, des grandes œuvres classiques aussi. L'occasion de se souvenir qu'aux musiciens cités plus haut, il faut ajouter les noms de Ermanno Wolf-Ferrari, Gian-Francesco Malipiero, Goffredo Petrassi, >Bruno Maderna... Riche portée de génies pour une petite ville de province qui n'a jamais cessé d'être une capitale musicale.

Geoffrey King pensif sur les lieux de sa jeunesse, se souvient de son passage au conservatoire dans la classe du baron Ernesto Rubin de Cervin 


Le compositeur hollandais Roderick de Man pose sur le pont San Moïse, 
à côté du Bauer Grunewald où logeait Igor Stravinsky 


Geoffrey à la terrasse de Montin, la Gelataria San Stefano. 
Pause cappuccino avant le début de la répétition au conservatoire voisin. 


Rudy aux fourneaux chez les Rubin de Cervin 


Dîner chez le maestro Rubin de Cervin 
qu'on voit ici entouré de ses petits-enfants


2 commentaires:

Anonyme a dit…
Claudio Ambrosini est un ami ; sa "Passione secondo Marco" est une merveille. Son opéra : "Il Killer di Parole" donné à la Fenice en décembre 2010, a été très apprécié et je lui souhaite une reconnaissance au combien méritée.
Merci, Lorenzo, de rendre hommage aux artistes qui continuent à faire de Venise une ville de l'Art vivant.
Que cette année 2012 vous permette de continuer à nous régaler avec vos billets si bien écrits.
tanti auguri.
Cordialement Gabriella
Lorenzo a dit…
Mille mercis pour votre fidélité, Gabriella e tante auguri anche a lei.

18 octobre 2016

Un jour lointain, au bar de l'Arsenal

Archives tramezzinimag I : Texte publié le 09/09/2009

Crédits photographiques : http://venise.blogs.sudouest.fr
C'était un jour de septembre comme aujourd'hui. Il faisait très beau mais l'air était frais. Je venais d'arriver à Venise. Enfin. Mes bagages défaits, rangés dans la minuscule chambre que m'avait attribué la Signora Biasin dans son alloggi fantasque, j'avais rendez-vous avec mon destin. C'est du moins ce que mon cœur qui battait la chamade semblait me signifier.

Castello, 2423, Fondamenta di Fronte l’Arsenale, Cours d'italien pour les étrangers de la Dante Alighieri. Le rendez-vous avait été pris pour 9 heures. Je pris le vaporetto. C'était alors la ligne 5, la plus longue, qui partait de la Piazzale Roma et allait jusqu'à Murano en passant par le bassin de San Marco, l'Arsenale et les Fondamente Nuove. 

L'air marin, les senteurs si pures de la lagune au lever du jour me comblèrent de joie. Après des mois difficiles, la mort de mon père, le départ de la grande maison, tous les changements qui marquèrent, sans que je m'en rende compte alors, le terrible passage entre l'enfance et l'âge adulte, j'étais de nouveau dans la joie. La lagune était magnifique ce matin-là, la lumière diaphane pleine encore des teintes de l'aube... J'arrivais avec beaucoup d'avance. Assez pour m'arrêter au petit café de l'Arsenal. Celui qu'on voit sur cette photographie dénichée sur le site d'un autre fou de Venise, bordelais lui aussi. 

Le patron s'affairait derrière son comptoir. Il préparait des tramezzini. Une grande planche en bois, un énorme pot de mayonnaise, un saladier avec du thon haché... Le voir faire me fascina, sa dextérité, la beauté des sandwiches une fois terminés qu'il alignait sur de grands plats de céramique blanche, avant de les recouvrir d'un torchon humide... J'ignorais encore que nous deviendrions des amis et que ma passion pour les tramezzini déboucherait un jour, presque trente ans plus tard sur ce site où j'écris mes souvenirs. Le cappuccino que je dégustais ce matin-là, avec un croissant fourré encore tiède, assis à l'une des tables de la petite terrasse (à cette époque, le bar peu fréquenté par les touristes bien moins nombreux qu'aujourd'hui, ne disposait que de trois ou quatre tables sur le campo). 

C'était un jour sans école, car des enfants jouaient devant l'entrée de l'Arsenal. Un marin au regard triste était en faction en haut des marches. On aurait dit un enfant puni. Peut-être enviait-il ces gens qui pouvaient aller et venir librement quand lui, engoncé dans son uniforme, devait monter la garde. Peu à peu la vie s'insuffla sous mes yeux et la place devint une sorte de scène de théâtre. Un palcoscenico pour la comédie humaine qui pendant des années et aujourd’hui encore fait mon régal à Venise et me fascine. Des ouvriers débarquaient d'une barge bleue des barres de métal destinées à un échafaudage, un peintre chantonnait en peignant des volets dans ce vert si caractéristique qu'on retrouve partout ici. Un groupe de religieuses toutes de blanc vêtues, traversaient en diagonale, des ménagères bavardaient, leur panier sous le bras, un chien reniflait le bas d'un poteau... 

Je savourais toutes ces images mises en valeur par un éclairage parfait. Le soleil était déjà haut, le ciel presque sans nuage. Le bonheur. Peu à peu, le bar se remplissait. Les gens allaient et venaient. Un vieux prêtre lisait le journal au coin du comptoir. Je surveillais les abords de la Dante, située de l'autre côté d'un petit pont qui menait directement à la porte d'entrée. Des gens y pénétraient. Certainement le personnel administratif. Il n'était pas encore neuf heures. 

C'est alors que je les vis. Quatre silhouettes d'abord sombres qui arrivaient du côté de San Martino, la belle petite église du quartier. Trois filles et un garçon. Ils venaient au cours, c'était évident. Le garçon, grand, mince, les cheveux blonds se dirigea vers le pont quand une des filles l'arrêta en lui montrant le café. Ils vinrent dans ma direction. Annette, Anna, Christine et David s'installèrent à la table en face de moi. L'une était rousse avec un visage très fin et les yeux verts, l'autre, un peu plus âgée, était brune avec une peau très blanche, presque maladive. Son sourire était très doux. La troisième était anglaise, cela était certain. Les tâches de rousseur, la moue, les attitudes. Quant au garçon, il devait être anglais lui aussi à cause de ses manières un peu ampoulées comme on en attrape dans les bons collèges d'Albion. 

J'étais à Venise pour six semaines avec pour seul objectif de savoir l'italien que je m'étais toujours bêtement refusé d'apprendre. Une sorte de réaction épidermique d'adolescent contre mon père et notre famille... Mais ma passion pour Venise, cette obsession qui me tiraillait sans cesse, rendait obligatoire la pratique de l'italien. Avant sa mort, mon père aurait voulu m'envoyer à Florence, la ville de sa jeunesse. Je ne voulais entendre parler de rien d'autre que de Venise. Je ne connaissais encore personne en dehors de la matrone qui me logeait sur la fondamenta delle Guglie, son fils le ténébreux Federico et Gabriele, le garçon de Mogliano Veneto qui servait d'homme à tout faire dans la pension. Les vieilles parentes de mon père étaient en villégiature quelque part dans le Haut-Tyrol et ne reviendraient à Venise que bien après mon départ. Cela m’avait rassuré, je n’avais aucunement envie d’aller faire bonne figure auprès de vieilles dames sévères que je ne connaissais pas. 

J'observais ce petit groupe et je redoutais de n'être pas à la hauteur. Ils parlaient apparemment tous l'italien puisque c'est dans cette langue qu'ils discutaient entre eux. J'allais être ridicule avec mon sabir encore mêlé d'espagnol. L'heure arriva. La directrice de l'école nous accueillit avec gentillesse. Une fois les formalités remplies, nous étions tous réunis dans une grande salle dont les hautes fenêtres donnaient sur la fondamenta. Le soleil éclairait les murs blancs et donnait à la salle un petit air de fête. J'étais assis entre Anna l’allemande de Stuttgart et David, le jeune anglais. La première matinée passa, puis les jours.

Nous devinrent des amis. Chaque jour nous nous retrouvions de bonne heure au petit café de l’arsenal pour un cappuccino et un croissant. Tous les clients nous saluaient comme de vieilles connaissances. Nous n’étions plus des étrangers... A la fin du stage, David et sa cousine Christine repartirent en Angleterre. Nous avons entretenu une correspondance un temps, puis nous nous sommes perdus de vue. Anna et Annette, en revanche, restèrent à Venise. L'une était inscrite à l'université et l'autre avait été engagée comme nanny dans la famille d'un magistrat près de l'Accademia. 

La date fixée pour mon départ approchait et cela m'était un déchirement. J'allais devoir quitter Venise et mes nouveaux amis. Il me faudrait repartir et commencer en France une vie nouvelle, sans mon père, sans la grande maison, sans l'insouciance d'avant... Quelques jours avant mon départ, je croisais la signora Biasin sur le pont des Guglie. Elle revenait de je ne sais où et sa silhouette me faisait toujours sourire. Son sac plaqué contre elle, la tête un peu penchée en avant, le buste recourbé comme quelqu'un qui va se mettre à courir, elle semblait toujours di fretta. Je pensais au Shylock de la comédie de Shakespeare, ou à une sorcière de contes pour enfants. "Ah vous voilà" me cria-t-elle essoufflée, " je suis ravie de vous voir. Justement je voulais vous parler. J'ai une proposition à vous faire". Gabriele ne pouvait s'occuper de tout et le jeune étudiant colombien qu'elle employait clandestinement préférait souvent faire la sieste dans une des chambres plutôt que s'affairer à repeindre les volets ou déboucher les canalisations. "Vous parlez l'anglais, l'espagnol, et le français. Vous apprenez l'italien. C'est tout à fait ce qu'il me faut. Si vous voulez, je vous propose de travailler pour moi en échange du gîte et du couvert". Cette offre me fit bondir de joie. Non seulement je pourrai rester à Venise, mais j'aurai un appartement à moi. Je ne songeais pas aux à-côtés qu'il faudrait résoudre tôt ou tard : le permis de séjour, la rémunération, l'avenir. Je ne voyais qu'une chose, j'allais m'installer à Venise !

Je me précipitais chez Anna et Annette vint nous rejoindre. Le juge et son épouse furent sollicités. Pouvais-je accepter ? Devant mon enthousiasme et après s'être renseigné sur la dame-aubergiste, il ne trouva pas d'inconvénient majeur à ce que je fasse un essai jusqu'à Noël, prenant certainement mon enthousiasme pour une foucade d'adolescent. J'écrivis à ma mère pour l'informer de ma décision. Elle m'invita sagement à réfléchir et à rentrer quelques jours pour rassembler mes affaires et prendre un peu d'argent. C'est ainsi que, mal logé, sans un sou, parlant mal l'italien mais heureux comme un pape, je devins vénitien... 


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