Filippo Gaggia (Dir. Views on Venice Estates), Hughes Le Gallais (Ca' Del Duca) et Mario Donati (Palazzo Quarini-Vianello) . |
VENISE,UN LIEU MA ANCHE UN VIAGGIO NELL'EUROPA CHE MI PIACE NOT THE ONE OF THE GLOBALIZATION MAIS CELLE DES NATIONS DES PEUPLES DES CULTURES, PATRIA DELLA DEMOCRAZIA DELLA FILOSOFIA DELLA STORIA LA REINE DES VILLES AU SEIN DE L'EUROPE REINE DU MONDE
17 mai 2021
A Bigger splash par Lisa Hilton
26 avril 2021
Un bien joli dimanche
Il faisait beau, la ville était joyeuse, tranquille aussi, loin des hordes qui l'ont abandonnée pour la joie des vénitiens (hormis les sempiternels grincheux qui s'inquiètent de ne plus ramasser autant de schei qu'avant avec les millions de touristes pendulaires qui déambuleaient autrefois dans les rues. Nous avons le plaisir de vous faire partager cette atmosphère avec les clichés de Catherine Hédouin qui fait partie des heureux élus qui ont pu revenir avant les nouvelles restrictions que nous imposent cette saloperie de crise sanitaire. Bonne promenade.
25 avril 2021
25 avril : Bonne Fête, Venise !
Le dimanche du Bocolo
L'idée en tout cas est belle. Voir les garçons juste adolescents, leurs grands frères fiancés, comme leurs pères et grands-pères tenir une rose à la main destinée à dire à l'élue de leur coeur ou simplement leur mère ou grand-mère. Il existait, bien avant les roses hybrides, les polyanthas, des roses précoces spécifiques à la lagune (celle de la légende devait être une rosa alba, voire la rosa gallica dite des apothicaires, qu'on connait depuis le haut moyen-âge) Blanches à l'origine puis qui prirent des couleurs en même temps que leur nombre de pétales augmentait), elles formaient un buisson auprès duquel on étendit l'amoureux de la fille du doge Partecipazio qui plein de bravoure était parti lutter contre les arabes avec Charlemagne. Les roses tristement colorées par le sang de Tancrède - les premières roses rouges et le début du symbole pour cette reine des fleurs - couvertes du sang du héros furent remises à Maria Partecipazio. Peut-être les compagnons de Roland avaient-ils porté le rosier encore dans la motte de terre où coula le sang du jeune héros. Maria fut retrouvée morte de chagrin le lendemain, la rose sanglante encore sur son coeur... Ne souriez pas, l'image est belle et le symbole très fort. Du genre de sentiments dont notre pauvre humanité déboussolée a bien besoin derrière les masques covidiens.
Page de garde de l'édition originale de F.Eden parue en 1903 |
« [....] Durant les quinze premiers jours de mai le grand spectacle des roses se met en place. Nous en comptons un grand nombre de variétés, mais nous aimons surtout celles qui nous aiment. Il nous plaît tout particulièrement de regrouper en un seul massif toutes sortes de variétés parmi celles qui fleurissent le plus librement, tâchant de choisir un emplacement qui convienne à chacune. [...] Ici toutes les roses, sans doute comme partout, se portent mieux en pleine lumière, bien que certaines ne puissent supporter le soleil vénitien. Au fond, elles ne désirent qu'une chose : le grand air ; même s'il faut les protéger du vent. L'autre attrait de Venise tient à la couleur des roses qui, mal définie en Angleterre, est des plus pures sous cette latitude...»
Deux autres jardins, moins secrets et donc plus accessibles possèdaient ou possèdent encore de superbes roseraies.Tous deux à la Palanca, non loin de la charmante église Sant'Eufemia. Celui de la signora Ottilia dans lacalle dell'Accademia dei Nobili qui se visitait plusieurs fois par an et celui de la veuve du compositeur Luigi Nono. Nous y reviendrons.
© Catherine Hédouin, Venise 25/04/2021 |
Un jour de joie et de mémoire
Il y avait foule dans la basilique pour assister à la grande messe pontificale en l'honneur de saint Marc. Moment traditionnel s'il en est où il semble aux vénitiens que les cloches sonnent encore plus fort et encore plus clairement qu'à l'accoutumée. Sous le maître-autel, la dépouille qui y est honorée depuis des siècles ne révèlera jamais s'il s'agit bien des restes de l'Evangéliste ou bien de l'emperuer alexandre. Chi lo sa ? Plus jeune, cette idée m'effleurait souvent quand nous assistions aux offices dans l'ancienne chapelle des doges... Avouez que ce serait un joli clin d'oeil mêlant dans notre mémoire collective l'histoire somptueuse de l'humanité du temps des Dieux antiques etla non moins somptueuse épopée du Christianisme. Mais les esprits d'aujourd'hui ne sont pas vraiment à la tolérance ni à l 'humour et mes propos ne sont politiquement correct et pas du tout woke...
© Catherine Hédouin, Venise 25/04/2021 |
En guise de cadeau, cette très belle photo prise par Steven Varni un gars de Brooklyn émigré à Venise avec femme (Jen) et enfant(Sandro, alors âgé de 3 ans !), depuis onze ans maintenant et qui anime VeneziaBlog, sympathique jeune cousin de Tramezzinimag dont je vous recommande la lecture comme l'on fait avant moi, la BBC, ELLE Belgique, Die Zeit ou The Smithonian Magazine. Et qui peut encore prétendre que les blogs c'est fini ?
© veneziablog.blogspot.com / Steven Varni aka Sign. Nonloso - 25/04/2021 |
Buona Festa a tutti !
10 avril 2021
Una città che non c'è più : Nostalgie d'un nuage de farine dans l'air parfumé d'un matin à Venise...
Un geste brusque ce matin en revenant du marché m'a fait renversé le sac de farine que jevenais d'acheter. Une partie de la farine s'est répandue sur la table et par terre produisant une brume blanche du plus bel effet. Rien de grave, le sol comme la table étaient propres et en deux coups de cuillère à pot - l'expression parfaite en l'occurrence - et j'étais plus amusé qu'énervé par l'incident. Il me rappela un autre matin, dans une autre cuisine, celle de la Toletta, où m'étant réveillé tôt pour faire des brioches aux enfants qui dormaient, j'avais renversé sur moi le pot de farine, me transformant en une sorte de pierrot décontenancé. Sans autre témoin que le chat qui s'était réfugié sous un tabouret. Rappel aussi de ces images de la Venezia sparita, scènes familières du quotidien : les Farinanti, (littéralement, les « farineux », ces livreurs qui acheminaient en barque à destination des boulangeries et des restaurants d'énormes sacs de farine en provenance des Moulins de Cavarzere, de Marghera ou d'ailleurs . Un documentaire de l'ami Pierandrea Gagliardi pour l'Ateneo Veneto. Tramezzinimag vous invite à vous replonger dans cet ordinaire des jours qui avait tant de charme dans une Venise encore inchangée, avant les hordes de touristes, avant la modernisation, la mécanisation. Finalement cette Venise dans laquelle j'ai vécu était encore identique à celle qu'après guerre, jusque dans les années 90, date des images de ce reportage :
Il en était de même avec le marché. Comme à Paris, Londres, Bordeaux (j'évoque les marchés et les halles que j'ai connus enfant et dont le souvenir dans la mémoire humaine est fort : le ventre de Paris immortalisé par Zola, Covent Garden à Londres décrit par Dickens, Les Capucins à Bordeaux), le marché du Rialto garda longtemps la même figure, les mêmes usages dans les mêmes lieux. Jusqu'à ce que l'obsession de la modernité, de la rationnalité, du rendement, transforment ces lieux grouillants de vie, qui s'éveillaient avant l'aube et s'animaient pour nourrir la ville. L'Erberia fut pendant mille ans le grand marché de la ville, jusqu'à ce qu'en 1997, les normes inventées par la triste bureaucratie européenne, obligent le l'installation du marché de gros et de demi-gros à s'installer dans des bâtiments modernes sur la Terrraferma. Il en fut de même quelques années après avec le départ contraint des mareyeurs à Chioggia, plus rentable avec l'accès direct des camions. Le pratique avant le beau, évidemment. mais combien la poésie y perd.. Et le joie des petits riens qui font tellement du bien...
Images extraites du film Venezia che non c'è più : l'Erberia, présenté à l'Ateneo Veneto.
© Pierandrea Gagliardi, Venezia. 2020.
04 avril 2021
Aimer Venise avec l'œil et l'esprit
à Baptiste Marle, in memoriam
Ces temps un peu perturbés de confinement et de couvre-feu, de paranoïa et de terreur diffuse, difficile à contrer sans prendre le risque de se fâcher avec nos proches, nous obligent à compenser la vie sociale interdite ou drôlement codifiée, par un retour sur soi. Attitude habituelle pour celui qui écrit après tout. Reprendre mes notes, chercher parmi les livres qui m'entourent, ceux qui s'avèreront d'agréables compagnons pour quelques heures. C'est dans cet état d'esprit, studieux et apaisé que j'ai repris un carnet daté de 2014. Parmi les pages, des lettres oubliées. Un échange de correspondance avec un jeune ami récemment disparu. Sur une carte j'évoquais une question que mon correspondant m'avait posée. « Comment le mieux aimer Venise ? ».
Nous nous régalions tous deux de ces échanges et de nos longues joutes dialectiques. Lectio et disputatio étaient la base de mon enseignement. C'était plutôt un partage, un échange d'idées et paradoxes et contradictions me paraissaient les meilleurs outils pour le préparer à Sciences Po mais avant pour l'aider à intégrer Durham ou Cambridge. Les joies de la dialectique nourrirent sa réflexion quant aux choix qu'il allait devoir faire mais m'apportèrent aussi énormément, ne serait-ce que par les recherches que je faisais, les livres que je lisais avant de les lui faire découvrir et analyser. Quelques mois d'un bonheur partagé qui l'aidait à reprendre confiance et à se préparer pour les prochains combats contre la maladie.
« Qualité, lumière, couleur, profondeur, qui sont là-bas devant nous, n'y sont que parce qu'elles éveillent un écho dans notre corps, qu'il leur fait accueil. » Merleau-Ponty, quand il écrit ces mots était peut-être comme moi en ce moment, assis à une table du Harry's Dolce... A-t-il seulement été à Venise ? Lorsqu'il écrit "L’œil et l'esprit", il est installé dans une maison de Provence, sous le même ciel que Cézanne des années plus tôt. Le philosophe écrit sa pensée comme un poète crée son univers, dans un jaillissement d'images et de sensations.
Mon obsession de Venise, de sa lumière et de son atmosphère voudrait apprendre qu'il y passa et que cette rencontre fut un choc constitutif d'un des pans de sa pensée esthétique. J'ai découvert cet ouvrage il y a des années dans la bibliothèque paternelle, alors que je n'avais encore aucune idée de cet envoûtement qui me rendrait tout entier et ad vitam, faisant de moi un inadapté absolu à d'autres mondes que celui des bords de la lagune. Paru chez Gallimard en 1964 dans la collection L'Infini, l'ouvrage est bien défraîchi aujourd'hui. Il comporte six planches dont ce tableau de Nicolas de Staël qui m'a fait longtemps rêver, enfant. Un coin d'atelier - Bien plus tard, quand j'ai eu l'occasion de découvrir le musée Picasso à Antibes, ce fut une grande émotion que de découvrir l'atelier de Staël, avec les objets qui servirent de modèles pour le tableau...
En relisant l'essai du philosophe cet été, parce que la lecture du Dictionnaire des couleurs de Venise d'Alain Buisine, m'avait donné envie d'aller plus avant dans ma réflexion sur les approches esthétiques dans les études et les recherches sur ce qui a fait de Venise ce qu'elle fut et demeure encore pour une large part. Le « mystère vénitien » comme l'a écrit Ferdinand Bac au début du XXéme siècle... C'est de divagations en farfouillages que j'ai retrouvé ce petit texte de Philippe Jaccottet, l'un des plus grands poètes contemporains, intitulé « Promenade à Venise » et daté de décembre 1976 (paru dans La Semaison, carnets de 1954-1979) :
"Rêve. Nous sommes retournés à Venise, A.-M. et moi. Je nous revois d’abord dans une immense et haute salle, proche de la mer, où passe beaucoup de monde, une sorte de halle aux voûtes peintes; et dans le rêve même, je me souviens avoir déjà rêvé de Venise ainsi, avec des bateaux visibles dehors dans la lumière, à travers de larges ouvertures (des portiques comme chez Claude Lorrain) ; il me semble que je trouve cela à la fois admirable et assez différent de la Venise réelle. Mais bientôt, c’est aux peintures dont sont couverts les murs et les plafonds de cette halle que je reviens, sachant que ce sont bien les fameux Tintoret, à propos desquels je note deux choses : l’éclat excessif de la restauration dans l’un d’eux et, dans l’ensemble, la fréquence des lances et des épées qui organisent la composition (comme chez Uccello plus que chez le vrai Tintoret)..."
"Ensuite, nous marchons au bord d’un canal. Et c’est là, peut-être, que nous apercevons le premier grand oiseau noir posé sur un poteau plongé dans l’eau, pareil à ces cormorans en qui j’ai vu naguère des oiseaux funèbres, à cause de leur couleur, de leur nom (qui sonne comme corps mourants) et de ma mère malade. Le rêve a tourné aussitôt au cauchemar. Je nous ai retrouvés dans une église, immense elle aussi, surtout très haute, mais fermée, et dont le sol s’était effondré, ou avait été fouillé; et les énormes piliers, dont quelques-uns portaient des peintures à dominante jaune, solaire, de style primitif, montaient de ces espèces de caves ou de fondrières. Là-dedans s’est mis à voler, menaçant, prêt à fondre sur nous, l’un de ces oiseaux. Ensuite, on ne pouvait plus aller où que ce soit sans en rencontrer. Sur un quai où passaient des mères avec leurs enfants, tout à coup, on a cru en distinguer un qui marchait au milieu d’autres, inoffensifs mais assez gros, du genre dindon ou paon, et la panique s’est emparée des promeneuses. Il a fallu embarquer dans le premier bateau venu pour fuir cette ville. (Ces oiseaux, dans le rêve, il me semble que je les nommais vraiment des harpies, et les jugeais tels.)"
"La fin de ce cauchemar, ou une scène d’un autre rêve de la même nuit, se déroule sur un versant de colline ensoleillé, portant au-dessous d’une forêt un champ de hautes plantes pareilles à du maïs. On pourrait se croire à la montagne, dans la belle lumière d’été. Or, un moissonneur est en train de moissonner ce champ, à la faux, si je vois bien; quoi qu’il en soit, les hautes plantes sont coupées; et à ce moment-là, je décolle de la pente, ainsi qu’un planeur, je suis changé en oiseau, je vole, je triomphe des harpies – et je sais (ou, l’on m’apprend) que c’est parce que l’on a coupé les plantes du champ vert que le miracle a été possible."
Simples bribes, voilà, quelques notes pour guider votre réflexion (méditation ?), comme une réponse à votre question : comment aimer Venise ? simplement, avec "l’œil et l'esprit".»
[La suite hélas semble perdue. peut-être les autres feuillets sont-ils restés dans ses dossiers à lui ou bien les ai-je rangés ailleurs...]
Celui qui s'est levé avant l'aurore
Venise a fait le lien. L'air y est rempli de croyances anciennes. Ne dit-on pas que la dépouille qui repose sous la basilique serait Alexandre plutôt que saint Marc ? Enfant, je trouvais l'idée plus seyante, plus glorieuse. Mais la République pour assurer sa prééminence et défendre son avenir parmi les nations chrétiennes et le Turc, avait bien davantage besoin d'un des piliers du christianisme. Que faire d'un brillant et splendide empereur de génie.
La première nouvelle que j'ai osé faire lire se déroulait justement en Cyrénaïque, juste pendant l'un des derniers jours de l'Ancien Monde, quand les chrétiens, qui n'était encore pour le monde civilisé qu'une secte violente, saccageaient les lieux saints du paganisme, abattaient les statues des divinités, décapitaient les prêtres et enfermaient les prêtresses dans les temps auxquels ils mettaient le feu... Il aura fallu de nombreuses années pour que le calme revint et que l’Église s'avère une évidence, un accomplissement. Les dieux d'avant étaient définitivement morts. Le Christ fut enfin le seul adoré par les peuples. Cela scandalisait l'enfant que j'étais, jusqu'à ce que la lumière se fit et que je comprenne que le Dieu révélé par son Fils était l'Unique. Les dieux du Parnasse avaient préparé l'homme à la modernité de sa Loi.
Joyeuses fêtes de Pâques, amis lecteurs ! Et pour innover un peu, voici un chant qui n'a rien de pascal mais qui célèbre la joie, celle du remouveau et de l'espoir puisqu'il parle d'Amour. Mario Lanza chantant Una furtiva lagrima, dans That Midnight Kiss. Il y joue un ténor italien, Johnny Donnetti, embringué dans un triangle amoureux. C'était en 1949, le jeune ténor n'avait pas trente ans. Son immense talent est encore admiré de nos jours et reconnu comme une des plus grandes voix lyriques modernes. Il mourut très jeune, à 38 ans à Rome. Je me souviens de ma mère et de ma grand-mère parlant de sa mort comme d'une catastrophe pour la civilisation.
22 mars 2021
Un dimanche comme les autres mais en plus doux
« Rassurer les enfants en leur disant qu'ils ne sont pas seuls et qu'on ne les abandonnera jamais est tellement important pour leur bien-être et leur développement future »...
J'y pensais en me rendant au milieu du jour chez la mère de mes enfants que je n'avais pas vu depuis Noël. La seconde de mes filles arrivée de Nantes, son mari et leurs deux petits y déjeunaient avant de repartir en Bretagne. J'avais des invités moi aussi, et pris dans la préparation du repas, les courses ce matin tôt, me dépêchant pour que tout soit prêt, les plats au four, les vins ouverts, la table mise et l'appartement rafraîchi et dépoussiéré, je n'avais pas eu le temps de prévenir que je ne resterai que le temps de saluer mon gendre et mes adorables petits-enfants. En quelques minutes, le tram m'avait déposé à deux pas de la maison. Un arrêt chez le pâtissier pour ne pas arriver les mains vides et trouver une gourmandise qui plairait à tous, et j'étais en bas de la maison. La place était inondée de soleil.
Les lieux sont chargés d'histoire. Ils occupent le centre du colisée datant de la gallo-romaine Burdigala, appelé par les bordelais Palais Gallien. Il n'en reste plus grand chose, mais les ruines, très romantiques, sont imbriquées comme à Rome dans les immeubles alentour. On a planté des palmiers sur la petite place . Les lettres dorées d'une citation d'Ausone, le poète bordelais qui fut le précepteur de l'empereur Gratien, gravées à l'antique sur le contrefort des marches de pierre, brillaient. Le soleil éclatant semblait vouloir marquer ce premier jour du printemps nouveau... Tout concourait à créer une ambiance méridionale et hors du temps. Soudain, le regret de Venise surgit en moi. Loin de me rendre triste, il stimula mon plaisir. Un jour, bientôt ou plus tard, ce sera, de nouveau dans la cité des doges, mon quotidien retrouvé et cette douce sensation d'être là où je sais que je dois être, là où je me sens vraiment « arrivé à destination »... Mais les aléas entravent depuis tellement longtemps maintenant aspirations et projets, que plus rien ne semble assuré et prévisible, n'est-ce pas ?
Les lecteurs de Tramezzinimag doivent se demander quel rapport il y a dans cette narration d'un dimanche bordelais et les sujets qui nous préoccupent, généralement en rapport avec la vie vénitienne... Je ne sais si cela procède de l'usage des voyages qui sont à chaque fois la promesse d'expériences nouvelles dans un monde nouveau ou la vie recluse dans un univers qu'on pourrait croire de clôture, à la discrétion du père abbé, notre bon Dom Emmanuel Macron. Mais je me gausse, le pauvre homme n'a pas non plus la vie facile depuis son accession à la charge suprême...
Vivre à Venise en ces temps bizarroïdes n'est pas plus facile que pour nous, à Paris, Lyon, Bordeaux, Malaga ou Montréal. Seulement, les vénitiens ont la chance de vivre dans la plus belle ville du monde, un paradis d'harmonie, de lumière et de beauté. Un lieu où le silence est rempli du murmure des siècles jamais étouffé (encore) par la modernité et ses bruits, ses puanteurs. De plus, les hordes de barbares se sont totalement évaporées. Campi et calle appartiennent de nouveau aux vénitiens. Enfants, chiens, mouettes, les chats aussi, tout le monde semble bien plus épanoui que les citadins d'ailleurs, en dépit des masques, des cafés et restaurants fermés. Bientôt Venise sortira de la zone rouge. La vie reprendra le cours presque normal de ces dernières semaines.
Mais nombreux sommes-nous à ne pouvoir rentrer, maugréant devant cette injustice. Imaginez : avoir eu la chance, depuis un an maintenant, de découvrir Venise comme jamais personne n'avait pu la voir : les eaux limpides et impollues comme au premier jour, les canards, les pigeons, les mouettes errant comme surpris du silence et les habitants eux-mêmes abasourdis par les parfums dans l'air, les sons purifiés autant qu'amplifiés. Beaucoup de mes amis me disent avoir eu cette impression très forte, celle d'être environné d'un vrai silence, comme en montagne ou dans le désert : aucun bruit mécanique, aucun moteur. Les sons de la vie urbaine sans la folie des temps modernes. Le bruit des pas sur les dalles des rues, les cloches qui se répondent, les cris des enfants, les rires, la musique qui surgit d'une fenêtre entrouverte, le chant des oiseaux, le clapotis des eaux... Oui, en gravissant les quelques marches qui mènent jusqu'à la porte de la maison où je suis attendu, je réalise combien ce dimanche ordinaire déjà si doux et heureux, doit l'être encore davantage à Venise, du côté de San Samuele, de San Zanipolo ou dans Dorsoduro...
14 mars 2021
L'aventure de Cool Cousin se termine mais le carnet d'adresses de Tramezzinimag demeure !
« Rechercher des informations de voyage pertinentes en ligne est devenu une tâche impossible. Le modèle commercial qui maintient Internet gratuit a noyé nos flux d'informations non pertinentes, créant une surcharge et des boucles de rétroaction auxquelles nous ne pouvons pas échapper. Les voyageurs chevronnés sont conscients des manipulations en ligne, mais ont encore du mal à éviter les faux-avis, les arnaques et les contenus biaisés stimulés par les budgets marketing des entreprises et les moteurs de recherches ultra-puissants qui modifient sans cesse leurs pages de recherche. En conséquence, une grande partie du temps de vacances d'un voyageur (et d'argent donc) est gaspillée sur des expériences médiocres qui ne correspondent pas à ses goûts, à l'ambiance dont il avait rêvé...»
« Fondé comme un antidote à la frustration croissante des services de voyage en ligne, CC relie directement les voyageurs à des habitants partageant les mêmes idées - alias Cousins - pour un échange ouvert et impartial de connaissances et de services locaux. À l'aide de l'application, les voyageurs peuvent rechercher dans une liste de cousins dans leur destination, explorer leur guide personnel de la ville et obtenir des conseils et des services personnalisés. Les voyageurs utilisant Cool Cousin se connectent en moyenne à 4 cousins et se renseignent sur l'hébergement, le calendrier de leur visite, les problèmes de trajet, les événements actuels et d'autres intérêts logistiques et personnels - exactement ce pour quoi les gens se tournent vers les agents de voyages.»
Avec « La Venise de Lorenzo », qui a reçu depuis les débuts de l'application plusieurs centaines de milliers de visiteurs, les city-guides Cool Cousin, de Taipei, Melbourne, Londres, Tokyo, Montréal, Vancouver, Dublin, Sao Paulo, etc., ne seront donc bientôt plus visibles en ligne (le 31 mars sera le dernier jour !).
08 mars 2021
La joie revient et la vie à Venise reprend couleur...
© Catherine Hédouin - février 2021 |
21 février 2021
Une époque moderne. Journal, Extraits
Mais c'était avant. Avant cette "pandémie" qui nous harcèle et occupe tous les esprits. Soudain, le monde s'est réveillé dans un autre monde. Comme s'il se voyait dans un miroir déformant. Ce qui n'était que mauvaise fiction devenait réalité. Triste réalité que d'entendre les chefs d’État et leurs ministres dirent tout et son contraire dans la même journée, des principes et des lois bafoués, le mensonge et le parjure devenus outils de communication et peu à peu le silence de tous, l'effarement, la sidération. L'impression que, sans envisager que tout cela fut pensé et orchestré en amont par des fous furieux multimilliardaires méprisants le commun des mortels comme dans les pire romans d'anticipation ou certaines bandes dessinées. C'est c'est de la vie soudain dont il s'agit et laisser entendre qu'un danger sournois et invisible nous menace tous, faire entendre que notre santé est menacée et pour les plus fragiles d'entre nous, la vie même. L'information soudain n'a plus porté que sur le sujet. Et nous avons tous pris peur.
Le diable a tellement de tours dans son sac. Bien qu'il ne gagne jamais, que les ténèbres ne l'emportant jamais sur la lumière, il semble plus que jamais à l’œuvre, croyant à chaque fois son triomphe imminent. Il faut dire que nous l'y aidons avec nos prétentions, notre bêtise, notre propension à l'égoïsme et à la jalousie. Le plus souvent, ce manque d'amour n'es rien d'autre qu'un réflexe de défiance envers l'autre, l'étranger, l'inconnu, surtout quand il frappe à nos portes sans arme et sans ornements, nu, fatigué, blessé. Là où l'enfant, l'innocent, le ravi tendent leur main, spontanément, sans crainte ni mépris, trop souvent nous fermons notre cœur. S'ils arrivaient, ces étrangers mal mis, couverts d'oripeaux somptueux, déclamant de beaux discours et les bras chargés d'offrandes, ce ne serait pas pareil. A deux battants, nous ouvririons les portes de nos cœurs et de nos maisons et l'étranger serait présenté à nos enfants et à nos voisins, accueilli, choyé.
Drôle d'époque donc où l'individu ne finit par ne plus vraiment retrouver ses marques, où les images, les paroles sont dures et parfois violentes, où nos routines volent en éclat, laissant les plus fragiles encore plus démunis. J'avoue être de ceux qui sont naturellement portés vers l'idée que ce qu'on ne voit ni n'entend n'existe pas vraiment. Mon métier, mes goûts, ma nature me portent naturellement vers la solitude et l'isolement organisé. Non que je sois un misanthrope, j'aime les gens, j'aime la vie autour de moi mais celle qu'on nous impose depuis un an ne me convient en rien - à qui peut-elle convenir finalement ? - Cette crise inattendue, jamais vécue en temps de paix, nous rapprochent tous de l'essentiel dans nos vies : notre famille et nos amis véritables, ces "Huckleberry friends"(*) qui accompagnent nos rires et nos joies depuis toujours nous sont plus que jamais nécessaires et les savoir au même diapason n'est que joie et félicité. même l'exil forcé loin de Venise semble moins douloureux. J'ai toujours été ébahi par la manière dont ces jeunes africains débarqués par miracle de ces bateaux devenus trop de fois des tombeaux quand ils auraient dû être berceaux. combien d'anonymes leur ont ouverts leurs bras, les ont pris chez eux et les ont installés dans leur vie et dans le paysage.
L'italien sait bien ce qu'est l'exil, l'émigration contrainte, ce qu'abandonner sa terre, ses frères, ses usages pour l'inconnu, la douleur de l'errance et l'angoisse du vide qui se déploie davantage à chaque pas. Cet accueil spontané, joyeux ou silencieux selon les caractères des lieux de débarquement de ces réfugiés en loque, affamés, fatigués et terrorisés, souvent presqu'encore des enfants, des jeunes gens partis avec l'espoir de revenir un jour, enrichis des savoirs et des rencontres dont ils se seront nourris tout au long de leur chemin. A Venise, sinon quelques esprits chagrins, rances et aigris, adeptes d'un nationalisme si peu italien, ces migrants n'ont jamais été mal traités. La toponymie de la cité des doges a certainement quelque chose à y voir. Les "Vu cumpra" des années 2000, alignés le long des rues passantes et présentant la même camelote Made in China, moqués par les berlusconiens et les néo-fascistes, regardaient la vie se dérouler autour d'eux avec un incroyable sourire et quand ils le pouvaient, ils s'affairaient avec une extrême gentillesse, aidant de vieilles dames à tirer leu caddie ou ramassant le journal qu'un vieillard presque impotent laissait tomber. Ceux qui sont restés, s'expriment en dialecte désormais et beaucoup ont trouvé des petits boulots. Rien de mirifique, trop souvent à la limite de l'acceptable certes. Mais ce qui rend leur quotidien vivable, empêche l'enfer, ce sont les mains tendus des vénitiens, individuellement ou par le biais des associations qui se sont créées ces dernières années. Le discours officiel et l'immobilisme de l'administration contraste avec la réalité du terrain. Je ne sais pas ce qu'il en est à Rome, à Turin ou à Milan. L'italien n'est pas naturellement raciste. Souhaitons qu'il ne le devienne pas.
Le touriste se faisait rare l'hiver à cette époque. L'assessorat au tourisme et le syndicat hôtelier venait de lancer une opération Venezia d'Inverno. J'ai retrouvé récemment la brochure de l'Office du Tourisme. L'offre était intéressante. Des palaces de la CIGA, la compagnie qui appartenait à l'Aga Khan qui possédait entre autres le Danieli et le Gritti) aux auberges plus modestes, les hôtels ouverts en hiver proposaient leurs chambres et les services attenants entre 30 et 50% moins chers que pendant la haute-saison. Venezia d'Inverno prévoyait un thé-concert au Palazzo Mocenigo, des entrées dans les principaux musées, et plein de réductions dans les restaurants et les magasins de luxe. Bref, l'idéal pour permettre à un étudiant peu fortuné d'inviter sa mère dans des conditions décentes.
Venise, Lista di Spagna, années 80 |
Coup de théâtre comme accueil. A peine descendus du taxi, la surprise : l'hôtel est fermé pour travaux. Un employé empressé nous présente ses excuses dans un français de comédie. très goldonien. Deux complices, un type à la peau grise avec une moustache et un garçon de mon âge ou un peu plus jeune s'emparent de nos valises. Nous sommes relogés à deux pas nous dit-il. « Aussi confortable et tranquille, mais sans la vue ». Nous sommes partagés entre l'envie de rire et la la colère. j'avais pensé sauf à tout sauf à ça. L'aléa qui fera l'anecdote. Maman cache sa lassitude par un sourire poli.
Il s'agit en fait du directeur de l'établissement, très obséquieux, comme dans un film de Visconti. Il aurait ajouté « pour vos excellences » et nous étions dans Mort à Venise. Ce qui à l'époque n'était pas pour me déplaire en fait...
« Les petits-déjeuners vous seront offerts en compensation... et puis il y a Prosecco, panier de fruits et fleurs qui attendent tout pareil à l'Antica Panada »...« Venezia d'inverno, tout pareil, tout pareil !»
Les deux garçons portent la livrée de l'hôtel nous ont accompagnés jusqu'à la « solution de remplacement qui s'est imposée et qui vous donnera la meilleure satisfaction pour votre séjour ! ». L'Antica Panada est situé une centaine de mètres plus loin sur la Calle dei specchieri. En face du do Forni. Chambres confortables, décoration un peu toc de luxe. Nous passons une agréable nuit. Venise de nouveau et maman contente.
Je me souviendrai de cette arrivée. Froid intense le matin en ouvrant ma fenêtre, mais froid vénitien.
Pour la petite histoire, une seconde panne eut lieu quelques heures plus tard et le lendemain encore. Les journaux parlèrent du froid qui avait amené les gens à forcer les chaudières mais Venise à l'époque était encore en grande partie chauffée au charbon ou au fuel... Une expérience unique qui nous fit regretter que les codegon n'existent plus, ces guides nocturnes qui louaient leurs services et ceux de leur lanterne - appelée codega - pour accompagner les passants. Jusqu'à la chute de la république, il n'y avait d'éclairage public qu'autour de la Piazza et du palais des doges. Les porteurs de lumière étaient donc très utiles la nuit. Même pour les personnes mal intentionnées. Combien d'histoires sont rapportées de malheureux qu'on attira avec une de ces lanternes dans un guet-apens, surtout par les nuits sans lune quand la nebbia comme celle que nous avions traversée ma mère et moi se répandait partout dans la ville. Combien se sont noyés après qu'ils aient voulu se rapprocher d'une lanterne qu'ils imaginaient devant eux mais qu'on agitait en fait depuis une barque ou de l'autre côté d'un rio. On allait le lendemain reconnaître le cadavre des infortunés sur la piazzetta des Leoncini où ils étaient exposés. Accident ou meurtre, les enquêteurs de la Magistrature n'aboutissaient quasiment jamais à conclure...
D'aucuns dans les milieux de la pensée parlent d'une ère nouvelle. un nouvel âge en train de naître... Nous assistons apparemment au commencement d'un autre monde, « une sorte de siècle épidémiologique », disait sur France Culture il y a quelques mois un historien. Désormais, nous sommes régulièrement confrontés à l'irruption de virus qui assaillent le monde. N'est-ce pas la démonstration que nous sommes entrés dans d'une ère nouvelle, celle de l’anthropocène. Car, c'est directement l’intervention humaine qui ruine la nature, flore et faune sauvage et qui favorise ainsi, la propagation des virus. Qui oserait désormais le nier ? Cette crise inédite, de sanitaire risque de se transformer en crise financière, et cela très rapidement,que les adeptes du jargon post-moderne traduisent par le terme présentiste.
Il y eut les grandes épidémies de peste, mais peut-on réellement puiser dans le passé des éléments de comparaison et trouver dans le passé de quoi ajuster les réponses à apporter pour conduire les projets collectifs d’avenir. Au début de la crise, au printemps dernier, on m'a plusieurs fois demander d'écrire sur l'exemple des pandémies qui touchèrent Venise et amenèrent à l'invention de la quarantaine, l'édification des lazarets, etc. L'historien a toujours le réflexe - souvent salutaire - de regarder dans le passé des sociétés des idées pour nos temps. Mais en 2021, beaucoup de questions se posent, mais peu de réponses sont évidentes. Bien qu'utile, la comparaison avec les crises précédentes n'apporte aucune véritable solution, si ce la terrible grippe espagnole au début du XXe siècle.La nature exceptionnelle de cette pandémie, son universalité(puisque là non plus le virus ne respecta aucune frontière, aucun peuple, aucun régime, aucune organisation sociale) fait qu’elle fut le révélateur de dysfonctionnements, d’interrogations et en même temps d’espoirs. Comme la grippe espagnole, le covid ne peut pas être qu’un moment. On voit collectivement une aspiration à quelque chose d’autre pour l’avenir. L'Histoire est là pour nous l'enseigner : Le monde d’après 1918 n’était soudain plus le même, des empires se sont écroulés, des peuples se sont réveillés, les mentalités changèrent, les aspirations aussi, y compris sur le plan psychologique, . La grippe espagnole vint achever l'ancien monde à cause des traumatismes de la guerre. De même, « au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la conception collective que l’on se faisait de la démocratie n’a plus été la même. On avait besoin de beaucoup plus d’intervention, de protection, d’égalité ». Étant donné l'importance et l’universalité de la crise que nous vivons aujourd’hui, il est évident qu'elle ne peut pas être qu’une transition, encore moins une parenthèse. Cet électrochoc sera peut-être salutaire. Ou pas...
Je lis déjà les commentaires de certains lecteurs : mais et Venise sans tout cela ? Pourquoi nous rappeler ce que nous vivons tous les jours depuis près d'un an ? Ce blog est-il un forum complotiste ou sanitarien (encore le jargon actuel !). C'est que tout ce qu'il nous est donné de vivre avec la crise sanitaire procède d'une mise en question de notre modèle social, politique et économique. Les gouvernants tâtonnent mais ils cherchent, les peuples murmurent mais ils se soumettent, certains se servent des évènements pour faire avancer leurs idées voire leurs ambitions, rien que de très humain là-dedans. Et bien, en partant du principe défendu dans ces colonnes depuis toujours, que Venise est, a été et peut redevenir un modèle pour la société contemporaine, tout ce qui se passe dans cette petite lagune avec ses minuscules îlots n'abritant plus qu'un dixième de sa population d'autrefois (aux alentours de 56.000 aujourd'hui, près de 500.000 dès le XVIe siècle pour la même superficie), la gestion des évènements naturels provoqués par l'ineptie des appétits humains, celle du tourisme, la résilience si particulière aux vénitiens, l'omniprésence de l'histoire et de ses trésors se mêlant à une énergie créatrice qui n'a pas son pareil dans les mégalopoles, font bien que le sujet est en adéquation avec Venise.