En
1869, mon arrière grand-père qui était parti se marier en Allemagne,
fit son voyage de noces en Italie et notamment à Venise. Il a tenu le
journal de ce périple et quelques documents retrouvés dans le cahier de
moleskine noire (une ou deux photos réalisées, des cartes postales, un
billet de vapeur, la facture de l'hôtel, etc...) rendent leur séjour
très vivant. Nous avons toujours, dans un bel album relié, les photos
qu'ils ramenèrent de leur voyage, magnifiques tirage sur carton, devenus
aujourd'hui des raretés pour collectionneur.
Cela me donne l'occasion de vous parler des archives Filippi léguées par la famille à l'IRE, l'Istituto di Ricovero e di Educazione di Venezia où la dernière fille du grand photographe termina ses jours. Tomaso Filippi (1852-1948) était un photographe vénitien élève de Carlo Naja,
qui passa sa vie à faire des clichés de Venise, des gens et des
monuments. Une extraordinaire collections de souvenirs d'un monde
disparu. En noir et blanc ou colorisée, les premiers clichés conservés
datent de la fin du XIXe, les plus récents de la fin des années 40.
C'est une incroyable source de documentation qui couvre toute cette
période somme toute assez noire pour Venise, au propre comme au figuré.
Après les années de la domination autrichienne et les débuts de l'Unité
italienne, Venise n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle se paupérise.
Psychologiquement, elle se méprise et se sent déconsidérée. Sa jeunesse
devient ce qu'a été un temps la jeunesse misérable des Philippines.
Elle se donne au plus offrant. Non, plutôt, elle se vend. Les murs
s'effritent, les canaux sales ne sont plus nettoyés et les grandes
familles désertent les palais pour Rome et se pavanent au Quirinal, (les
mêmes qui avaient glané titres et couronnes à Vienne). Le petit peuple
se sait abandonné. Les Richard Wagner, Thomas Mann, Maurice Barrès, Jean Lorrain, Jacques d'Adelsward-Fersen et
tant d'autres se repaissent de cette atmosphère déliquescente qui va si
bien à leur dandysme décadent. Ils vont répandre dans la mentalité
universelle cette contre-vérité qui veut que Venise soit mélancolique,
morbide et moralement décatie. Ne l'a-t-on pas appelé le "royaume des invertis" ou "Notre Dame des Mers Mortes"?
Ceux qui la connaissent savent qu'elle est tout le contraire, la vie,
la lumière, la fête, la joie, le rire. Derrière son apparente
décrépitude, elle découvre à ceux qui l'aiment vraiment les restes
grandioses de ce qu'elle fut des siècles durant, la reine de
l'Adriatique.
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