Comme on le voit un moment dans le
film, avec un plan fixe sur un panneau, la baignade dans les canaux
était déjà interdite dans les années 50. Déjà du temps de la République les
plongeons n'étaient pas autorisés et les autrichiens renforcèrent, sans
grand succès, l'interdiction. Lorsque le temps se fait si lourd et
humide que l'on ne tient plus même à l'ombre dans les maisons, les
enfants de Venise ont toujours apprécié de se rafraîchir, même lorsque
les bains de mer n'étaient pas en vogue. Au XIXe siècle, quand une grande partie
de la population vivait dans la misère, les gamins des quartiers
pauvres s'amusaient à plonger pour attirer les touristes qui leur
jetaient des pièces.
Le texte, I Nua (les nageurs)
composé en dialecte vénitien, est une pure merveille. L'auteur a su
avec les mots de son peuple, faire surgir des images que le cinéaste a
cherché à matérialiser et que la magnifique diction de Baseggio embellit
: cette nuée d'enfants rigolards, la force suggestive du noir et blanc
rend encore plus forte la sensation de chaleur pesante, et on retrouve
cette atmosphère unique qui disparait peu à peu à Venise, quand tout le
monde savait se réjouir des petits bonheurs du quotidien, comme
batifoler dans l'eau qui n'était pas encore empoisonnée ou remplie de pantegane, ces énormes rats marins qui sont parfois plus gros que des gros chats.
« Xe un zorno de lugio, el tempo xe beo, no core na nuvola la suso nel
cielo, no tira un fià d'aria, ma un sol malignaso dal qual no xe caso
poderse salvar, ne passa el capeo, ne arde el cervelo, ne fa delirar, xe
l'ora del sofego e della brusera, gh'è i muri che boje e scota ogni
piera, i oci che lacrima, vien seca la gola, le gambe se incola, le
stenta a obedir, al moto più picolo se ansa, se sua, se supia, se spua,
me par de morir.»
«C'est un jour de Juillet, le temps est beau, pas un nuage ne court dans
le ciel, pas un souffle de vent, mais un soleil insistant auquel
personne ne peut échapper, qui pénètre à travers les chapeaux, brûle les
têtes et pousse au délire. C'est le temps où l'air stagne et la chaleur
devient étouffante, les murs sont brûlants et les pierres bouillantes,
les yeux pleurent, la gorge est sèche, les jambes collent et ont du mal à
obéir, le moindre mouvement rend la respiration haletante, on
transpire, on souffle, on crache, on croit qu'on va mourir.»
«I rii che internandose fra campi e calete i taja Venexia in cento
isolete i ga l'aqua tiepida e cossa assae rara, l'è bela, l'è ciara, la
cresse pianin, xe proprio la colma, e la sula riva de boto la riva al
quinto scalin, se vede un fio picolo a poca distansia, streta na corda
atorno a la pansa, ch'el par na bondola molada nel brodo, che cerca ad
ogni modo de sora restar, a trati afidanse a un toco de tola, ch'el
sternse, ch'el mola, ch'el torna a ciapar...»
«L'eau des canaux qui se faufilent entre campi et ruelles de Venise, la découpant en une centaine de petites îles, est belle. Elle est chaude et, c'est très rare, elle est claire. Elle monte peu à peu. La marée est presque haute, elle déborde sur la rive et touche presque la cinquième marche sur le quai. Non loin de là, on peut voir un enfant avec une corde nouée autour de sa taille. On dirait une saucisse qui trempe dans un bouillon. Il essaie de rester à flot par tous les moyens. de temps en temps, l'enfant s’appuie sur une planche, la tenant serrée, puis la lâchant, la reprenant...»
«Un altro po' capita più svelto, più scaltro, e a quelo fa seguito un
altro e po' un altro, insoma into un atimo la riva xe piena, i xe na
trentena parola d'onor, de grandi, de picoli, de mogi, de suti, de bei e
de bruti, de ogni color, el rio se scombusola, l'è tuto un misioto de
brasi, de gambe, de teste in cramboto, chi quieto se snanara, … chi soto
se cassa e beve salà, chi va come el fulmine par drito e par storto,
chi invece fa el morto la ben destirà,»
«Arrive alors un autre enfant plus habile, plus intelligent qui est suivi par un autre, puis encore un autre. En fait, instantanément la rive est pleine d'enfants. Parole d'honneur, ils sont une trentaine, des grands, des petits, des tous mouillés ou des déjà secs, des mignons et des très laids, des garçons de toutes les couleurs. Le canal est perturbé, ce n'est plus qu' un mélange de bras, de jambes, de têtes. Il y en a qui crapotent, d'autres qui nagent paisiblement comme le font les canards, d'autres qui plongent et avalent de l'eau salée, certains filent en zig zag comme des anguilles, un autre fait la planche bien à plat sur l'eau...»
«Dal ponte i più pratici se butta vardando chi l'aqua buta più alta,
tre quatro se struscia intorno a un palo, i monta a cavalo, i va a
rodolon, e altri co impeto se buta in schenada, sguazzando la strada con
un gusto baron...»
«Les plus intrépides plongent du pont regardant à qui fera jaillir le plus d'eau, trois ou quatre s'enroulent autour d'un poteau, se mettent à califourchon et se lancent dans l'eau, d'autres se jettent en arrière, éclaboussant la rue comme le font avec délice tous les gosses... »
© Traduction (approximative) Tramezzinimag.
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