Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

28 décembre 2021

Petite promenade comme on en rêve en guise de cadeau de Noël (2e partie)

En attendant, si nous faisions ensemble une petite promenade virtuelle, illustrée par des photographies de la Venise radieuse de cette fin d'octobr, avec cette lumière si particulière que nous avons ici quans l'hiver approche ? Prenons les chemins de traverse et oublions les hordes revenues envahir la ville. 
 
Soyons indulgents et restons honnêtes, cette foule n'est pas seulement constituée de barbares totalement ignares, même si on en croise, hélas, beaucoup et qu'il vaudrait mieux parfois, se boucher les oreilles pour ne pas avoir envie d'en étrangler quelques uns. Tous ceux qui vivent à Venise les connaissent, ces spécimens particulièrement insupportables dont on se gausse depuis toujours. Ce n'est pas toujours leur faute et Venise qui sait tellement bien putifier a sa part de responsabilité après tout. « No, niente indulgenza per questi stronzi !» (« Non, non, pas d'indulgence pour les cons ! ») vient de me répondre Mario, un ami vénitien, architecte de son état, à qui je viens de lire ces quelques lignes au téléphone. Sa position est rude mais par son métier (il participe à la protection et la restauration de plusieurs palais et églises), il est confronté à la terribvle évidence à laquelle l'Unesco n'avait pas pensé en classant Venise au Patrimoine de l'Humanité : le tourisme de masse directement ou indirectement endommage gravement la cité des doges et le problème est grave de conséquences pour l'avenir de la ville et pour ses habitants si rien n'est entrepris à grande échelle pour changer le mode de gestion touristique...

Mais nous étions décidés à faire cette petite promenade virtuelle le nez au vent. En ces temps perturbés, n'en rajoutons pas, contraintes et inquiétudes sont déjà notre lot. Mieux vaut nous focaliser sur le beau et le joyeux du quotidien de la Sérénissime. Même très fragilisée, Venise demeure une ville unique qui toujours nous surprend et dont le charme agit à toute heure, en tout lieu, de mille manières différentes.
 
Crédit photo : Catherien Hédouin, 2021.
 
Il est des endroits dont la banalité cache des richesses. Il ne s'agit ni d'or ni de diamants précieux ; aucun grand artiste n'a laissé là un chef-d'oeuvre qui puisse être considéré comme un trésor pour l'Humanité et l'UNESCO ne s'intéresse pas (pas encore ?) à ces lieux que je souhaite évoquer et que ceux parmi mes lecteurs qui sont familiers de Venise ou, encore mieux, qui y vivent, seront d'accord avcec moi. Prenons par exemple le magasin de la famille Fiore, aux Carmini..., bouchers de leur état près du campo sante Margherita. 
 
Une des dernières vraies macellerie comme on en trouvait partout dans Venise. La devanture est la même depuis des lustres et l'atmosphère des lieux donne envie de s'y attarder même pour ceux qui ne mangent pas de viande. Celle-ci est réputée ici, elle vient des meilleurs élevages de la région et le maître des lieux sait la préparer pour le régal des amateurs. Une simple boucherie de quartier comme nous en connaissons tous. Celle-ci demeure, bien décidée à résister aux super-marchés installés partout dans la ville avec leur rayon - souvent de qualité certes - où on ne peut se faire servir qu'après avoir retiré un ticket comme dans les administrations... Et en plus, ils livrent à domicile !
 
Crédit photo : Catherien Hédouin, 2021.

En attendant que notre commande soit prête, allons jeter un coup d'oeil au plus vieux pêcher encore en vie dans Venise. Une variété typique qui donne de magnifiques fruits, gros, à la peau d'un joli jaune velouté et à la chair jaune délicieusement parfumée. Il trône dans le jardin partagé derrière l'église voisine, où s'activent les bénévoles de l'association qui le gère. Souvent, des étudiants s'y installent pour travailler tranquillement, parfois des concerts ou des fêtes ont lieu au milieu des plates-bandes de légumes et de fleurs, les odoriférants peu à peu grossissent et chacun vient mettre la main à la pâte. Un endroit méconnu : l'Orto del campanile.


Situé derrière l'église des Carmini, à deux pas de notre boucherie préférée. C'est un havre de paix. Un petit espace longtemps laissé en friche et qui dépend de la parroisse des carmini. Un mur le sépare du rio voisin. Depuis quelques années, à l'initiative de paroissiens et du curé, le terrain vague est devenu un potager où chacun vient donner un coup de main pour remuer la terre, planter, arroser... Au milieu du jardin pousse un pêcher qui donne à la saison des fruits délicieux comme on n'en trouve guère en France, du moins sur les marchés. De belles pêches juteuses, à la chair généreuse et parfumée. Une vieille variété locale. Il en reste quelques uns dans Venise même et beaucoup dans les îles alentour. 
 
Souvent, le jardin est le décor de fêtes de quartier, des étudiants y viennent travailler dans le silence, au milieu des carrés de légumineuses et d'herbes aromatiques. On y croise des enfants venus arroser les fleurs sous l'oeil attentif d'un des bedeaux de l'église, africain d'origine qui en est le souriant gardien (et le surveillant en chef auto-proclamé). Parfois c'est un concert ou une lecture publique qui y est proposée. Un bel endroit de la Venise dite mineure, celle qui vit vraiment et n'a rien à voir ni à faire avec le tourisme. Un lieu authentique.

Nos pas nous portent vers le soleil des Zattere où l'envie d'une glace ou d'un spritz attire tout le monde. Une visite à l'église des Carmini, puis la fondamenta  pour jeter un coup d'oeil aux salons du palazzo Zenobio, l'ancien collège arménien Moorat Raphaël et ses jardins. J'ai connu les lieux grouillants de vie, quand des garçons de la diaspora arménienne venaient du monde entier faire leurs humanités. C'est aujourd'hui un lieu vide, utilisé pour des expositions le temps de la Biennale et un hôtel. Le jardin n'est plus tellement entretenu ou du moins avec moins de rigueur que du temps des frères arméniens. C'est un lieu paisible où il fait bon lire à l'ombre des beaux arbres centenaires. 
 
La fondamenta San Sebastiano de nouveau vers la calle del vento. Avec une pensée émue pour Franco Libri qui vendait là, a l'aperto des livres d'occasion. Disparu en 2018, ses dernières années avaient été assombries par l'acharnement de l'administration à son égard. Non seulement l'homme était «différent» pour l'administration, trop rebelle à la vindicte bureaucratique. Il n'avait pas de patente officielle pour pouvoir vendre dans la rue... Il a fini par gagner, soutenu par les vénitiens. Sa mort a laissé un vide sur le petit campo San Basegio. Ses livres, il les donnait souvent et on y dénichait parfois des trésors. Je me souviens d'un autre bouquiniste ambulant, du côté des Santi apostoli lui. Une mine. J'ai découvert chez lui un fort volume de l'anthologie palatine en italien qui avait appartenu à un professeur émérite qui l'avait rempli d'annotations au crayon. Ouvrage subtilisé par une colocataire fatiguée de s'occuper de Rosa, ma délicieuse petite chatte grise, à un moment où il m'avait fallu retourner en France et y rester plus longtemps que prévu. Digression inutile au lecteur mais qui me fait du bien. Il ne faut jamais garder un ressentiment mal digéré !
 
 
Calle del Vento. En été, cet air qui s'engouffre toujours est un délice. En hiver, c'est la rue la plus froide de Venise quand le vent s'y engouffre en rafale, surtout les jours de grand brouillard et de neige. Mais au bout, la délivrance : la lumière jaillit avec le débouché sur les Zattere, avec juste en face les Mulini Stucky, minoterie devenue un hôtel américain sans autre charme que l'architecture de ces anciens bâtiments industriels et la vue qu'on y a de la ville, notamment depuis les terrasses. Au passage, recommandons à nos lecteurs la lecture du très beau livre du poète Diego Valeri :
Il y a toujours ici un peu de vent
A n’importe quelle heure, à chaque saison :
Un souffle au moins, comme on respire.
C’est là que je suis depuis tant d’années, j’y vis.
Et jour après jour j’écris
Mon nom sur le vent.
Un supermarché, un brocanteur, quelques terrasses, l'ancien consulat général de France (le palais Clari) maintes fois décrit dans ces colonnes, le kiosque, meeting-point favori des étudiants (il y a plusieurs sections de la Ca'Foscari sur les Zattere), où on sert un excellent spritz et de délicieux macchiati. En déguster un le matin avec le Gazzettino (en pestant comme toujours qu'il n'y a vraiment rien d'intéressant dans ce quotidien), assis face à la Giudecca et en plein soleil est un de mes petits bonheurs préférés. 
 

Un pont, défiguré en permanence par le plan incliné qui recouvre ses marches comme dans de plus en plus de lieux où passe le marathon et qu'on ne démonte plus ce qui permet à des touristes ignares de circuler parfois avec leur vélo et tout leur fourbis (ce qui est formellement interdit à Venise : nul n'est autorisé à circuler en vélo, patinette ou autres cycles s'il a plus de dix ans ! Jusques à quand ?...). 
 
 
Que serait Venise sans les marches de ses ponts ? Certes, elles servent de siège pour les touristes aux pieds gonflés, on y bivouaque et on y empêche les passants de circuler... Mais les pans inclinés... Bonne conscience de certains qui parlent de faciliter la circulation des fauteuils roulants... Mais est-ce que cela ne présente pas un risque de revenir à l'idée de l'Attila moderne - je veux parler du petit corse -  cet usurpateur prétentieux qui voulait assécher tous les canaux ou les recouvrir pour permettre la circulation des véhicules à roue et porte comme Hitler et staline, la responsabilité de millions de morts... Un élu un jour déciderait d'autoriser les vélos, les planches, les patins à roulettes, les patinettes, puis les scooters, les motos et un jour les automobiles. Dieu merci, la montée des eaux aura certainement englouti Venise avant que cela soit, mais on ne sait jamais. La bêtise des édiles qui ont des dollars dans les yeux comme l'oncle Picsou (il s'agirait davantage des Rapetou si on parle des élus locaux) dans les dessins animés.
 
 
 Mais ne voyons pas le mal partout et allons nous installer sur la terrasse rénovée du glacier Nico, et commandons un Gianduioto. Le seul authentique de toute la ville, (Voir Tramezzinimag du 04/IX/2006) et régalons nous de cette fabuleuse montagne de crème légère et de ce bloc de glace unique, face au canal de la Giudecca, avec les mille bruits qui remplissent l'air, les cloches qui se répondent, les cris des mouettes, le cliquetis des vagues sous la terrasse, et cette lumière toujours magnifique, le scintillement de l'eau, l'alignement des façades de l'autre rive avec toutes ses couleurs qui s'harmonisent, et la façade austère du redentore... Encore du bonheur, un petit bonheur qui s'ajoute à d'autres quand on sait aller au rythme qui convient à la ville...
à suivre...

25 décembre 2021

Petite promenade comme on rêve en guise de cadeau de Noël... (1ère partie)

Rédigées le 1er octobre 2021, je n'avais jamais trouvé encore le temps de mettre en ligne ces notes. Voilà qui est fait en cette fin d'après-midi de Noël. La maison retrouve peu à peu son aspect tranquille. Une énorme tranche de panettone et un chocolat chaud à la cannelle comme nous en préparait ma grand-mère à côté de mon bureau, et cette belle et traditionnelle version suédoise de Santa Lucia chantée par le Adolf Fredriks Kyrkas Kammarkör (un clin d'oeil à l'ami David et à sa famille), j'adresse à mes chers lecteurs mes voeux. Joyeux Noël et Bonne fin d'année à tous !
 
© Catherine hédouin 30/10/21. Tous droits Réservés.
 
« Un guide de l'Italie qui voudrait instruire à la délectation ne devrait comporter qu'un seul mot, un seul conseil : regarde ! Quelqu'un qui a un minimum de culture doit s'en tirer avec cette instruction. Sans doute n'acquerra-t-il pas un certain nombre de connaissances et saura-t-il à peine distinguer si telle oeuvre appartient à la période tardive d'un artiste ou si c'est la « grande manière » de l'artiste qui s'y manifeste. Mais il découvrira une richesse de volonté et de puissance née du désir et de l'inquiétude ; et cette révélation le rendra meilleur, plus mûr et plus reconnaissant » 
 
© Catherine hédouin. Droits Réservés
Ce texte de Rainer Maria Rilke m'était revenu à l'esprit quand, l'autre soir au débûché, un ami éditeur de passage à Bordeaux avec qui je dînais, me suggéra l'idée de travailler à un guide de Venise « autrement, différent »... Un guide papier à l'époque de twitter et d'instagram, à l'orée d'un nouvel univers de vie et de pensée que l'I.A. façonne peu à peu, dans un monde de gens pressés, aux goûts et désirs toujours changeants, à la culture de plus en plus superficielle façonnée par les modes et l'éphémère ? 
 
Des guides, on en publie certes encore. Mais à quoi bon ? Ne serait-ce pas plutôt un guide du bon voyageur, du vrai touriste qu'il faudrait écrire, pour que soit enseigné à l'école l'art du voyage et de la lenteur. Un manuel pour apprendre aux enfants  - et à leurs parents - que regarder c'est chercher à voir au-delà de ce qu'on nous montre, c'est renoncer à toujours comparer, se référer mais bien plutôt à percevoir. C'est prendre le temps de ressentir ce qui nous touche et nous rend plus grands. Ce qui nous réjouit. Cela ne peut se faire que lentement, en prenant le temps de voir vraiment. Certainement pas à travers un smartphone planté au bout d'une perche ou pas seulement, car il est bon aussi d'aiguiser sa mémoire avec son regard et garder au retour ce qui a marqué notre coeur pourrait bien contribuer à renforcer goût et sensibilité. Ce qui nous touche reste gravé en nous et nous fait avancer notre conscience du beau après tout.
 
Des guides, on en publie certes encore. Mais à quoi bon ? Ne serait-ce pas plutôt un guide du bon voyageur, du vrai touriste qu'il faudrait écrire, pour que soit enseigné à l'école l'art du voyage et de la lenteur. Un manuel pour apprendre aux enfants  - et à leurs parents - que regarder, c'est chercher à voir au-delà de ce qu'on nous montre ; c'est renoncer à toujours comparer, se référer, mais bien plutôt à percevoir. 
 
C'est prendre le temps de ressentir ce qui nous touche et nous rend plus grands. Comprendre ce qui nous réjouit et s'en imprégner. Cela ne peut se faire que lentement, en prenant le temps de voir vraiment. Certainement pas à travers un smartphone planté au bout d'une perche ou pas seulement, car il est bon aussi d'aiguiser sa mémoire avec son regard et garder au retour ce qui a marqué notre coeur pourrait bien contribuer à renforcer goût et sensibilité. Ce qui nous touche reste gravé en nous et nous fait avancer notre conscience du beau après tout.

Le canalazzo à 18h06.© Catherine hédouin. Tous Droits Réservés.

Dans son Journal Florentin (*), le jeune Rilke écrit ceci qui pourrait être inscrit en exergue de ce manuel. Il pourrait figurer en exergue de notre Tramezzinimag :
« En Italie, [les] voyageurs passent en aveugles devant mille beautés discrètes pour courir à ces merveilles officielles qui ne font pourtant, le plus souvent, que les décevoir ; c'est qu'ils remarquent seulement, faute de pouvoir établir aucune relation avec elles, l'écart en leur hâte dépitée et le jugement cérémonieux de l'historien d'art que le Baedeker respectueusement prescrit.»  
Et l'auteur qui avait alors à peine vingt-trois ans d'ajouter ces lignes brillantes comme seul un jeune esprit sait oser formuler  :
« Je préfèrerais presque, alors, ceux qui rapportent comme premier et de loin plus marquant souvenir de Venise la bonne côtelette dégustée au Bauer-Grünwald ; car ils rapportent au moins un plaisir sincère, quelque chose de vivant, de particulier, d'intime. Et c'est faire preuve, dans le cadre limité de leur culture, de goût et d'appétit.»
Si, avec tout le respect que je dois au chef du Bauer et mon admiration pour la solaire Francesca Bortolotto sa propriétaire, les côtelettes qu'on y sert ne font plus l'objet d'une admiration particulière, le principe énoncé par Rilke reste tout à fait pertinent cent trente ans plus tard. 
 
Alors, commettre un énième guide, mon cher ami l'éditeur, même en utilisant du papier recyclé pour épargner ce qu'il nous reste de forêts, à part enrichir (le mot est peut-être mal choisi) un catalogue déjà bien fourni et alourdir le sac-cabine au détriment des verroteries et colifichets qu'il faut bien ramener pour montrer qu'on y était, se rengorger qu'on a fait Venise comme on fait Athènes, Marrakech ou Ibiza, que porterait de plus ma contribution ? 

Mais tout de même, le sujet mérite qu'on y réfléchisse. Non pas pour une quelconque étude de marché, mes lecteurs connaissent ma répulsion pour tout ce qui touche au mercantilisme ; mon sang vénitien est un sang de marchand non pas de boutiquier et le négoce des miens sur l'Adriatique, Constantinople, Rhodes, Chypre ou Alexandrie, n'a rien à voir ce me semble avec le bas esprit de lucre à la chinoise. Certes il faut bien manger, mais il est des domaines où le profit ne devrait pas rentrer en ligne de compte. Peut-être faudrait-il, en matière de voyage, payer les gens pour comprendre que voyager est un art que tout être humain capable de regarder, de sentir selon son coeur et sa sensibilité peut pratiquer  et non pas consommer...  

Pendant que j'écris ces lignes, la splendide soprano Emalie Savoy qui chante le merveilleux aria «Lieberlicher Mond» (Chant à la lune) de Dvořák, une amie m'envoie des images de la Venise de la fin du jour (il fait nuit bien vite à venise dès que l'été s'éloigne) en ce samedi de Toussaint. La ville est envahie par les français qui s'ajoutent aux italiens des environs et aux vénitiens qui ne sont pas partis pour le weekend pour échapper aux hordes qui sont revenues : 
 

Promenons-nous en image...
 
L'ami éditeur est revenu à la charge ce matin. Il n'a pas tort, «Lo spirito del Viaggiatore» après tout est une rubrique de Tramezzinimag depuis des années. Alain de Botton, Charles Pépin et Cees Nooteboom en sont par leurs livres,  les initiateurs. Et puis avec bon nombre des lecteurs du blog, notre ligne de pensée - peut-on s'exprimer ainsi ? - a été très influencée par le mouvement Slow Food et tout ce qui l'accompagne... 
 
Dans un monde toujours davantage pressé, prenons le temps. Réapprenons à voyager autrement. Les quelques séjours que j'ai eu la joie d'organiser allaient dans ce sens et trouvèrent leur public. Classiques, voire classieux, mais un rien alternatifs... Laissons l'idée faire son chemin, nous verrons bien...
 
à suivre...

24 juillet 2021

Venise autrement dans Détours, c'était il y a cinq ans déjà !

 
Avec Antoine Lalanne-Desmet, alors reporteur à RFI et pour la RTS, nous avions passé un joli moment à Venise comme deux bons amis savent et aiment le faire. Cela donna ce reportage présenté en deux fois sur les antennes de la Radio Télévision Suisse. A réécouter l'émission (on ne trouve plus en podcast que le 2e volet apparemment sur le site mais vous pouvez le consulter en allant sur le billet du 23/07/2016 ICI), je me rends compte combien j'ai l'air morose et agacé. Pauvre Antoine qui dut subir ma ronchonnerie au quotidien. Mais il faisait beau, sa bonne humeur résista et notre amitié n'a jamais souffert de nos deux forts caractères. Qu'il en soit remercié au passage. 
 
Aujourd'hui, cinq ans et quelques semaines plus tard,il y aurait des tas d'autres choses à dire. Au sujet des Maxi Navi et de l'Unesco, des errements de l'équipe municipale peu imaginative culturellement et surtout préoccupée par son tiroir-caisse, dont le remplissage est un gage de réussite lors des futures élections mais pas d'un grand intérêt pour la sauvegarde de la ville. 
 
Aujourd'hui, s'il devait y avoir un troisième épisode, il faudrait parler et faire parler les étudiants de plus en plus nombreux, les migrants qui s'intègrent plutôt bien dans leur grande majorité et enregistrer les souvenirs et les anecdotes des vieux vénitiens, ceux qui ont connu les années d'après-guerre, les gars de la MP américaine (Military Police). Garder en mémoire ce que fut la Venise de la génération de mes parents.
 
 

21 juin 2021

Coups de Cœur N°56

Venise, la nuit 
par Stéphane Loeber-Bottero 
Editions Gourcuff-Gradenigo, 2009
270 pages, ISBN 978 2 35340 0683
29€ 
Un magnifique parcours nocturne dans la venise que nous aimons. 170 vues de Venise, prises pendant plus de douze ans, par le photographe français Stéphane Loeber-Bottero qui a parcouru le labyrinthe de la Sérénissime pour construire sa vision d’une Venise poétique et insolite.Ses photographies, faites au cœur de la nuit, rendent ainsi compte d’une atmosphère silencieuse rarement troublée par une présence humaine. Le livre s’organise autour de promenades nocturnes qui invitent chacune à la rencontre avec des lieux inspirés, nobles ou populaires, fastueux ou modestes, sacrés ou profanes. Le lecteur est ainsi amené à rentrer progressivement dans le mystère de Venise, et son regard s’en trouve modifié. Une brève anthologie sur la ville la nuit, rassemble en fin d’ouvrage des textes de Goldoni, Boïto, George Sand, Casanova, d’Annunzio, etc. Les plans détaillés des promenades complètent l’ouvrage en invitant le lecteur à ce voyage intérieur mais en lui donnant aussi des idées de promenades... nocturnes.Paru il y a une douzaine d'années, l'ouvrage n'a pas pris une ride comme tous les excellents ouvrages concoctés par la maison d'éditions Gourcuff-Gradenigo fondée en 2003 et qui a la particularité de réunir en un seul lieu l'ensemble des prestations qui permettent à un livre de voir le jour, de sa conception à sa diffusion. 
 
Association Le Pont de Venise 
Les choses bougent et rien n'est jamais vraiment figé à Venise et cela nous réjouit à Tramezzinimag. En 16 ans d'existence, le site a vu bien des initiatives se profiler dans la Sérénissime pour finalement faire long feu. Je pense à cette belle idée lancée lors d'une biennale d'architecture par des professionnels italiens et français qui déjà avaient pris conscience de la nécessité de prévenir la pollution de la lagune, d'aider au développementd'un tourisme raisonné. On peine à en retrouver la moindre trace sur le Net. D'autres heureusement se sont développées et contribuent ainsi chaque jour à maintenir la présence francophone dans une ville où longtemps le français resta la langue de référence des édiles, des intellectuels et des artistes. Tramezzinimag les suit et les soutient. Les remercie aussi pour leur travail. Trois jeunes femmes déterminées et passionnées viennent d'inventer et de bâtir un nouveau pont à Venise. Un lien pour construire, édifier, consolider, développer et faire grandir les liens entre francophones et vénitiens. La mission est clairement expliquée dès leur page d'accueil : « C'est en travaillant et en discutant quotidiennement avec les résidents francophones de Venise que Laure Miedico a réalisé le besoin de créer un pont entre Venise et les francophones du monde. Rejointe par Camille Boscher et Lucie Tournebize, les trois jeunes femmes créent l'association Le Pont de Venise pour faciliter la rencontre entre les francophones qui travaillent à Venise et ceux qui y arrivent.Pour que la barrière de la langue ne soit pas un obstacle à la réalisation des projets et pour mettre en avant l'expertise de ceux et celles qui vivent et travaillent dans cette ville unique au profil international.»
Bravo pour cette initiative qui propose d'aider à la prise de contact entre Venise et les francophones qui ont un projet à Venise. Cette interface permettrait à terme de faciliter la réalisation de ces projets. Tout le monde sait combien la barrière de la langue peut être un handicap, combien les vénitiens, courtisés par le monde entier et parfois échaudés par des forestieri consommateurs, conseilleurs autant que payeurs mais qui n'ont pas toujours su comprendre le modus operandi pas plus que le modus vivendi des habitants de la sérénissime. On retrouve à ce jour dans cette association bien des amis de Tramezzinimag et de Lorenzo. Des personnes jeunes et dynamiques, qui vivent à Venise, la plupart dans le centro storico et ont pris en main la présence française et sont pour la plupart totalement impliquées au quotidien dans la vie et la défense de Venise. Des femmes et des hommes de talent et d'enthousiasme. Tout ce que nous aimons à Tramezzinimag. Rejoignez-les ! Evviva Venezia !
 
Catherine Kikuchi
La Venise des livres, 1469-1530
Préface de Élisabeth Crouzet-Pavan
Éditions Champ Vallon, 2018
360 pages
ISBN 979-10-267-0702-8
26 €
Le Pont de Venise nous amène à recommander à nos lecteurs un ouvrage passionnant (en fait une thèse de doctorat soutenue à la sorbonne en 2016) écrit par une jeune maîtresse de conférence à l'Université Versailles Saint-Quentin en histoire médiévale. L'ouvrage évoque en effet, à travers le monde de l'édition vénitienne, des sujets toujours actuels, notamment l'intégration des étrangers dans la République, les réseaux d'accueil nécessaires à l'établissement comme au maintien de liens  professionnels... Devenue en quelques années la première productrice de livres en Europe, Venise est réellement le berceau d'un métier neuf. Novateur, il se développe hors des cadres institutionnels des corporations. rapidement, les livres produits à Venise, se retrouvent dans toutes les bibliothèques d’Europe. Ces imprimeurs qui ont fait le succès de la Sérénissime étaient pour la plupart d’origine étrangère. Allemands d’abord, avant l’arrivée d’autres communautés dans cette industrie. Marchands et artisans viennent de toute l’Europe mais aussi de la Méditerranée orientale. En dépit de quelques échecs, la plupart se sont intégrés dans la ville, participant de sa géographie, sa sociabilité. Ils ont construit une nouvelle industrie au cœur de l’Europe. Un véritable pont entre Venise et le Monde, contribuant ainsi à l'évolution sociale et culturelle de l'Humanité.
 
Giovanni Gionorvich
London Concertos
Ensemble Illyria Consort, 
direction : Bojan Cicic
CD Label Delphian, 2019
Un petit bijou et une découverte. Bon, il est vrai qu'à Tramezzinimag, nous avons un faible pour les musiciens baroques venus d'Europe centrale et en particulier pour le croate Bojan Cicik, qui dirige l'Academy of Ancient Music, depuis 2016 professeur au Royal College of Music de Londres. Un de ses élèves, qui fait partie de l'Illyria Consort, brillantissime violoniste Conor Gricmanis est un des meilleurs jeunes talents que l'école anglaise ait produit ces dernières années. Nous soutenons avec ardeur son projet d'enregistrement, retardé par la crise sanitaire, des sonates de opus 4 et 5 du compositeur Marco Uccellini, avec son ensemble Noxvode auquel se joindront Timothy Roberts, et Bojan Cicic. Nous reparlerons de lui bientôt. Une rencontre impromptue pendant le premier confinement et des liens de sympathie nous ont donné l'idée d'une manifestation à Venise en 2022 puis en France autour de ce jeune talent. Mais chut, ne dévoilons pas ce projet superbe avant que de l'avoir rendu officiel et certain !

19 juin 2021

Cartolina : Une petite île singulière par Fantine


Comme une nouvelle rubrique, cette série de petits textes, textes courts, demandés à des amis, des inconnus ou à des auteurs connus. Il existe une petite île singulière tout proche de Venise. C'est Fantine, un an après sa première contribution, qui nous envoie cette carte postale de Venise :

Les habitants y sont un peu particuliers, très discrets et très gentils. 
 
Il n’y a jamais un bruit, sauf quelques grincements de portes, quelques conversations d’oiseaux marins, quelques raclements de feuilles sur l’impeccable sol. Il n’y a pas beaucoup de touristes aussi, pourtant elle est très belle avec ses cyprès centenaires et ses milliers d’histoires, ses deux églises et son grand portail en fer forgé qui découpe le premier quai vénitien accueillant les nouveaux arrivants. 
 
Les épais murs qui l’encerclent la protègent des tempêtes et des curieux mais à l’intérieur c’est une petite île aérée qui s’étend vers le ciel.
 
Elle est un cocon de briques pour toutes les personnes qui y entrent et qui s’y reposent.

Elle est si paisible qu’on aimerait bien s’y marier pour y marquer le début de sa nouvelle vie. Mais là bas, il n’y a que des enterrements.

Dans l'église dédiée à Saint-Michel, il y a tellement d’amour qu’on ne sait pas très bien si l’on marie ou si l’on enterre.

L’île de San Michele est un beau cimetière singulier. Les habitants y sont heureux.
 
 
Pour aller plus avant, "San Michele" le récit de Thierry Clermont, paru il y a quelques années (2014) au Editions du Seuil et ma modeste contribution, "Venise l'hiver et l'été, de près et de loin", mon journal vénitien paru en 2010 aux Editions tramezzinimag (pp. 26-28)
 

08 juin 2021

Hommage à Baptiste

Il y a un an aujourd'hui, je perdais un ami, qui lâcha prise après des années de combat contre une terrible maladie bien plus effrayante et répandue que le Covid dont on nous rabat les oreilles. Baptiste Marle était encore un très jeune homme. Brillant, drôle, passionné, naturellement tourné vers les autres et vers le monde, ce jeune Padawan avançait dans la vie avec détermination. Il m'avait demandé de l'accompagner et le préparer à passer des concours alors qu'il achevait une prépa dans un lycée de province. Une épée de damoclès au-dessus de sa tête qu'il abordait le plus sereinement possible mais dont il ne pouvait se départir. Bien vite, les sujets abordés dépassèrent les programmes à aborder. A chacune de nos rencontres hebdomadaires, nos échanges portèrent sur la vie, la spiritualité, la littérature et les arts. De répétiteur, je devins le mentor comme il aimait à m'appeler. L'accompagner fut une joie, ce fut aussi un honneur.

 
 
Il m'avait dit un jour - à Venise - combien il était conscient d'avoir vécu durant sa jeune et encore courte vie bien plus que la plupart des gens. Parmi ces expériences de vie,après son passage par Oxbridge puis à la London School of economics et Sciences Po Paris, il vint quelques mois à Venise pour suibvre un cursus international. Je l'avais précédé dans un appartement que ses parents avaient loué, pratiquement sur le Campo Santa Maria Formosa. 
 
© Baptiste Marle, été 2015
 
C'était son deuxième séjour à Venise. le premier nous l'avions fait ensemble après sa première chimiothérapie. Nous habitions dans cet appartement à l'entrée de la calle degli Avvocati, sur le campo sant'Angelo qui allait devenir, par un incroyable hasard, mon lieu de vie, quelques années après. Bien que fatigué, les entrailles encore secouées par la violence de la thérapie suivie, le crâne rasé, la fatigue jaillissante, il ne s'était jamais départi de son sourire et de son enthousiasme. Il était tombé fou de la Sérénissime. J'en étais ravi. 
 
Les photographies qui illustrent ce billet, de l'extrait du roman de Stendhal au sillage du taxi qui l'amenait à l'éaroport, m'ont toutes été envoyées par lui ou publiées sur son compte Instagram. Des commentaires qu'il y joignait, beaucoup mériteraient d'être publiés tant ils sont fins et drôles aussi souvent. Mais ils n'étaient pas destinés à être publiés. 
 
Je l'ai souvent encouragé à écrire, à tenir un journal. Pour lui bien sûr, mais aussi pour ceux qui, dans la même situation, face à la même injustice, pourraient trouver dans ses notes et ses réflexions un encouragement et la force, comme lui, de lutter et d'avancer, coûte que coûte. Combien de carnets lui ai-je offert qu'il remplissait un temps puis abandonnait. Il avait trop à faire pour perdre du temps. S'il avait vécu, Baptiste aurait été un homme d'action au service de grandes idées qu'il aurait fait avancer avec détermination.
© Baptiste Marle, été 2015
 
Ce jeune Padawan aimait la vie. Sa gourmandise reste légendaire parmi ses amis et sa famille. Comme dans de nombreuses colocations à Venise, comme ailleurs, la cuisine est la pièce commune de la petite communauté. Cela tombait bien ! Ci-dessus, la vue depuis une des fenêtres de la cuisine de l'appartement de la fondamenta dei Preti, près de Santa Maria Formosa, été 2015.  Situé au quatrième et dernier étage d'un palazzo de belle facture, avec une entrée ornée d'une vieille sculpture sur bois usée par l'humidité et des gravures encadrées, l'appartement devint durant quelques mois son home, il y invitait ses camarades, des amis de passage, sa petite amie d'alors, rencontrée à la L.S.E. Il cuisinait pour eux des pastaciutte inventives et mettait beaucoup de soin à choisir les ingrédients au marché du Rialto.
 
© Baptiste Marle, été 2015
 
Baptiste était un fin gourmet. L'esthétique d'un plat avait du sens pour lui, nous en avions souvent discuté. Notre premier séjour avait été gastronomique autant que culturel. J'évoquais avec lui ces deux organisation dont j'étais membre, le mouvement Slow Food (né en Vénétie !) et l'Accademia Italiana della Cucina.
© Baptiste Marle, été 2015

La grande table de la fameuse (et exigüe) cuisine servait de table de lecture autant que pour préparer les repas. Sur le carrelage des sentences en dialecte l'amusaient autant qu'elles m'avaient amusé, comme ce proverbe qui dit "quelle raclée ils vont prendre les curés s'il n'y pas de paradis". Tout ne pêut pas être toujours du meilleur goût.
 

 
Ce deuxième séjour de Baptiste à Venise, il le fit seul et en revint très heureux. J'avais laissé quelques livres et réaménagé un peu la soupente. Nous avons passé quelques jours ensemble, moi occupant une des deux autres chambres dont les occupants étaient en vacances. Il règnait cette chaleur qui recouvre souvent la lagune à cette période de l'année. On y adopte un rythme différent, plus lent et plus "posé". L'appartement ne disposant pas d'air conditionné, nous organisions des courants d'air, mais le plus simple était de vivre à l'extérieur, comme tout le monde ici. Sur la photographie ci-dessus, les habitués reconnaîtront la terrasse du célèbre café Zanzibar, cette vieille baraque de bois qui date de l'occupation autrichienne, l'endroit parfait pour observer les touristes qui arrivent de la Calle del Paradiso et traversent le campo que domine la belle église Santa Maria Formosa et son campanile.
 
 
Baptiste en fit son Q.G. et réunissait souvent ses amis de San Servolo pour  des spritz meeting. Je crois qu'il goûta de l'esprit de ces réunions ludiques en se rendant sur la terrasse de la Guggenheim où se réunissaent régulièrement les étudiants à l'invitation de la Fondation. Il m'en avait parlé avec un enthousiasme juvénile qui me remplit de fierté : le Goût de Venise avait fait un émule une fois encore !
 
© Baptiste Marle, été 2015

© Baptiste Marle, été 2015

© Baptiste Marle, été 2015

06 juin 2021

Hier, nouvelle manifestation de la colère des vénitiens contre les Grandi Navi


Mes amis vénitiens ou étrangers étaient tous sur les Zattere hier où, dès 16 heures une grande manifestation contre le retour des Grandi Navi. Le premier d'une série qui arpentera le canal de la Giudecca et longera la Piazza san Marco et le palais des doges quittait la lagune avec plus d'un millier de passagers à bord. Le canal très large contenait des centaines d'embarcations de toutes tailles, microbes face au géant flottant qui avançait traînés par les remorqueurs. Le navire avait appareillé plus tôt que prévu, ruse grossière pour surprendre les manifestants qui s'étaient donnés rendez-vous pour la plupart à 16 heures. De partout affluaient des familels, des jeunes, écoliers, lycéens, étudiants, des familles au complet, et des personnes âgées, la plupart munis du fanion rouge et blanc que nous possédons tous à Venise et qui flotte aux fenêtres des maisons, qu'elles soient palais où masures. Une atmosphère bon enfant mais pas un esprit de liesse tant il est douloureux pour les vénitiens de voir que les édiles ne respectent ni les décisions gouvernementales, les coups de semonce de l'Unesco, les avertissements des uns et des autres. 

Comme toujours avec la junte municipale, la gouvernance du port, celle de la Région, ce sont les gros sous qui importent, cette illusion qu'il faut encore et encore davantage faire de l'argent. Non pas pour le bien public évidemment, pas pour l'intérêt de Venise et de ses habitants, mais pour les partis politiques, pour les caisses des entreprises et de leurs actionnaires qui ont intérêt à poursuivre la mise à mort du centre historique, le déploiement d'un tourisme de masse et la disneylandisation dela sérénissime, au profit de quelques uns, propriétaires terriens qui ne cessent de s'enrichir et bâtissent partout des complexes hôteliers, des centres commerciaux, tout pour attirer le gogo de passage, agravant jour après jour la désertification du centre historique, l'émigration des populations locales vers la terre-ferme, de plus en plus loin, là où les prix de l'immobilier locatif ou à l'acquisition sont plus abordables. 

 

Et le monde entier qui avait accueilli avec soulagement - et bon sens - l'interdiction qu'on nous disait définitive de ces mastodontes affreux qui avalent et déglutissent chaque jour entre 1000 et 1500 passagers pressés qui ne découvrent en quelques heures que la surface de la cité des doges, ne consomment presque rien (tout est dans leur forfait à bord), ne sont en général pas de fervents amateurs d'art et de vieilles pierres mais plutôt à la recherche des meilleurs spots pour leurs selfies qui prouveront qu'à leur tour, « ils ont fait » Venise comme on fait d'autre hot spots à travers le monde... 

Et au salon nautique de Venise, il y a quelques jours, le Trumplion local (la mèche postiche en moins) paradait sur son luxueux yacht avec quelques happy few triomphants, nouveaux riches qui rappellent les satrapes barbares du temps d'Alexandre, méprisant le peuple vénitien qui décidément ne comprend rien et s'entête à défendre la lagune et la cité de Venise quand pour le sindaco, ce qui compte c'est Mestre et Marghera, là où il y a du pognon à se faire... 

Mais toujours, comme me le rappelait hier soir au téléphone un ami vénitien très engagé dans le collectif contre les Grandi Navi : « la roue tourne et les peuples finissent toujours par reprendre en main leur destinée». Evviva Venezia ! Et comme le dit souvent cette vieille amie au nom glorieux  : «Venise vaut tellement mieux que ces gens vulgaires et incultes qui la gouvernent et ne sont meme pas vénitiens» !


Photographies : © Catherine Hédouin - juin 2021. Tous Droits Réservés

 

29 mai 2021

Alessandro, le voleur de livres


« Appelez-moi Alexandre, comme Alexandre le Grand ». Ce n'est pas par mégalomanie que l'homme qui a ainsi souhaité conserver l'anonymat demande à se faire appeler du nom du grand empereur. Seuls les carabiniers de Dolo, près de Venise connaissaient sa véritable identité, depuis qu'ils l'ont interpelé un jour par hasard.  Notre Alexandre n'est pas un chef de guerre, pas un espion ou un repenti de la maffia, ni un transfuge de l'Est. C'est plutôt un rat... de bibliothèque, un fanatique, un amateur de livres. Mais sa passion, il l'assouvissait d'une manière pour le moins surprenante.

La maréchaussée a découvert un jour chez lui plus d'un millier d'ouvrages dont la valeur est estimée à 80.000 euros. Essentiellement des titres scientifiques et universitaires, dont certains assez rares. Alexandre avait peu à peu constitué cette impressionnante bibliothèque en empruntant aux bibliothèques publiques de Vénétie, les livres sur lesquels il jetait son dévolu, sans jamais remplir une fiche de prêt. C'est celle de Mestre qui a lancé l'alerte. Mais cela aurait pu être aussi celle de Padoue, de Vicence ou de Mogliano, et à Venise, la Marciana, toutes ces institutions ayant vu leurs rayons s'alléger d'un grand nombre d'ouvrages. 

N'est-ce pas un joli sujet de scénario ou de nouvelle ? Mais se pose tout de même un petit problème éthique. La morale est dans l'ADN de Tramezzinimag et si aimer les livres à la passion, les voler ou les subtiliser pour son plaisir personnel au détriment des autres est difficilement admissible. Cherchons cependant des circonstances atténuantes à ce bibliomane. Rester dans la bienveillance et chercher à comprendre, c'est aussi dans notre ADN...

Au-delà de la valeur marchande de cette bibliothèque, des motivations profondes de notre Alexandre, il y a le livre. La magie, la fascination pour cet objet unique. Notre homme aime les livres, il les adore même, et rien dans ses actes ne peut être associé à de la malveillance, aucune intention de nuire, pas le moindre esprit de lucre. La passion, point.
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Le jour où la police l'a arrêté, il portait sans son sac à dos, trois livres qu’il venait de sortir clandestinement de la bibliothèque municipale de Mestre.: il n’avait pas demandé à les emprunter bien sûr. Les policiers ont constaté qu'il avait déjà retiré les antivols. Les policiers s'étant invités chez notre héros, ils ont pu découvrir dans son modeste appartement, une incroyable collection dédié à la chimie, la physique, les mathématiques,…), mais aussi des biographies et un choix très éclectique d'ouvrages d'histoire (de l’amiral Nelson aux monographies sur les Balkans et le Troisième Reich). Il y avait même plusieurs encyclopédies, toutes complètes.

L’homme avait construit une véritable bibliothèque personnelle. Les livres sont classés selon un système qui semble regrouper les volumes selon leur provenance, c’est-à-dire en indiquant la bibliothèque où l’ouvrage avait été emprunté. Les policiers ont trouvé pour chaque étagère une étiquette portant le nom d'une bibliothèque publique, "Ca Foscari", "Civica Mestre", "Marciana"... 

Le voleur de livres de Alessandro Tota et Pierre Van Hove

Voleur de culture 
Mais quel profil se cache derrière Alexandre s'interrogèrent les policiers ? On sait si peu de choses sur lui. Qu'il a 48 ans, qu'il est diplômé en chimie industrielle, qu'il n'a pas pu faire sa thèse, qu'il a travaillé comme assistant technique pour une université en Vénétie. Il raconte au Corriere del Veneto pourquoi il a volé tous ces livres. Il rêvait de construire une bibliothèque de qualité, pour combler un sentiment d’échec personnel, mais aussi pour l’amour de la culture : « Je n’ai rien accompli dans la vie », affirme-t-il ainsi. « Pourtant, tout d’un coup, je me suis retrouvé à construire, pièce par pièce,chez moi quelque chose d’aussi beau qu’une bibliothèque. J’aime l’odeur des livres, en feuilletant les pages. Mais par-dessus tout, j’aime apprendre. Je les ai tous lus, ces plus de mille tomes tirés des bibliothèques. »

Il le reconnaît lui-même, tout cela fait penser à du fétichisme, mais il préfère définir - justifier ? - son acte comme « un amour immense et sans limites pour tout ce que ces volumes contiennent ». C'est vraiment par amour de la connaissance qu'il se serait laissé aller à ce délit culturel. Mais aussi pour l'odeur des livres, leur masse le long des rayonnages. Tous les amoureux des livres comprendront. S'il avait été traduit en justice et que le juge, le procureur et les jurés s'avéraient des amateurs le livres, de fins bibliotphiles et de dévoreurs de pages, il ressortirait du tribunal avec un simple rappel du principe fondamental : « Tu ne voleras point ! » puis serrait applaudi pour son amour des livres. Signalons au passage qu'aucun des ouvrages n'avait été endommagé et qu'il expliquait les épousseter souvent en les manipulant avec respect...

Et pourtant, il affirme qu’il aurait voulu s’arrêter, mais qu’il n’arrivait pas.« Je ne pouvais plus m’arrêter. Mais, j’avais tout de même étudié un plan pour rendre les volumes.». Il projetait de les emmener dans une ferme abandonnée. Une fois les volumes bien alignés, il avait prévu d'appeler, depuis une des rares cabines téléphoniques encore actives. il en avait repéré une loin de toute habitation et donc des caméras de surveillance,  « j’aurais passé un coup de fil anonyme pour permettre de les retrouver. » Ce qui posait problème, c'était de transporter les livres dans la vieille maison. on ne sort pas facilement un millier de livres, dont certains de grand format... Il n'aura pas eu le temps - peut-être manquait-il d'assez de volonté pour passer à l'acte - de le faire et la police locale, cette fois, est arrivée avant lui.

Le voleur de culture n’a pas pour autant abandonné son rêve : « Tôt ou tard, je pourrai construire ma propre bibliothèque — affirme-t-il — mais cette fois, sans voler ». Il vient en effet de trouver un travail et il espère dépenser son salaire dans l’acquisition de livres. «il y en a tellement à lire !»