21 juin 2006

Grazie a Mark Trevis


Je viens de découvrir sur Yahoo un lien (daté de novembre dernier) vers un post de Mike Trevis, le chercheur vénitien spécialiste de la restauration des monuments qui anime plusieurs sites dont le sublime VeniceMap qui est un de mes sites favoris. Voilà, in extenso, sa citation. Merci à lui pour cet aimable coup de pouce (en italien) et que Vive Venise !
  TraMezziniMag E’ un blog, scritto prevalentemente in francese da Lorenzo, che si complimenta con me di Vene-map e mi invita ad andare a vedere il suo sito, invito che vi giro. Particolare il nome : Tramezzini Mag, quale nome più appropriato per un magazine su venezia e dintorni?
  Per chi non lo sapesse infatti noi Veneziani/Mestrini siamo famosi (o crediamo di esserlo) per i nostri tramezzini. E se non li avete mai visti dei veri tramezzini (… provvederò al più presto ad inserire una adeguata foto, su google non ce ne sono…) non pensate ai piatti tramezzini che vi vendono nel resto d’Italia, ma ad un gonfissimo triangolo pieno degli ingrdienti che preferite (porchetta, tonno e uova, tonno e cipolle, prosciutto e funghi…) accompagnati dalla giusta quantità di maionese.
   Com’è che in questi giorni mi ritrovo a parlare di cibo? Non so… ma se venite a Venezia un tramezzino di questi ve lo dovete mangiare.

par Miketrevis
posted by lorenzo at 23:51

19 juin 2006

Le roi des chats est vénitien

J'habitais en ce temps-là à Venise, un petit appartement, modeste et tranquille, au deuxième étage d'une très vieille maison dressée depuis plusieurs siècles entre un canal et un campiello où poussait une herbe drue comme à la campagne. La maison était toute tordue et un jardinet que personne n'entretenait jamais la séparait du canal. Mes fenêtres donnaient sur le jardin. Je n'en avais que trois, la quatrième, bloquée par des siècles de poussière, ne s'ouvrait plus et avait été condamnée par des panneaux de bois. Il y avait en contrebas une terrasse étroite couverte de marbre qui avait dû servir au temps de la jeunesse de cette noble demeure, de salon d'été. Un lieu idéal pour far niente. Ces détails plus loin seront utiles au lecteur, c'est pourquoi je m'y attarde. On pouvait accéder à cette terrasse par un e calier de pierre qui partait du jardin. Une vieille porte pratiquée dans le mur donnait dans la ruelle, un passage étroit appelé calle delle Spezier qui débouchait sur un pont. Une jolie patricienne devait certainemnt autrefois s'asseoir sur ce balcon romantique.
 
Eclairé donc par trois fenêtres garnies de géranium et de lierres, ce petit appartement avec son mobilier désuet m'avait plu dès le premier coup d’œil. J'étais arrivé à Venise au mois de février, quelques jours avant le carnaval, et la vie d'hôtel ne me convenait en rien. Il faut vous dire que déjà à cette époque j'exerçais le difficile métier d'écrivain. En fait j'étais journaliste et prétendais déjà, avec mes deux livres publiés, être du monde des lettres.
 
Mon hôtesse (l'auberge était à l'entrée du Ghetto, près du pont de Tre Archi), une forte femme entourée de bambins roux très affectueux, chez qui je logeais depuis mon arrivée, me proposa de louer un appartement chez une vieille dame qui ne voulait pas rester seule dans sa grande maison. Son dernier locataire, un peintre australien avait subitement décidé de s'installer à Rome. L'annonce venait d'ailleurs de paraître dans le journal, "propriétaire loue à personne de confiance appartement meublé deux pièces tout confort douche deuxième étage quartier du Ghetto petit loyer chauffage prix convenable libre de suite". Elle m'y emmena le lendemain. C'était un magnifique jour de printemps comme Venise en a le secret. Tout semblait transformé tant la lumière était joviale et chaude. La propriétaire, une très ancienne vénitienne, m'accueillit très gentiment. Visiblement je lui plaisais. Nous nous mimes d'accord très vite. Un escalier de bois menait à l'étage qui m'était dévolu. Je m'y installais le jour même. Je n'avais qu'une malle, arrivée de France quelques jours plus tôt, mes pipes et ma vieille machine à écrire. Bref, j'étais heureux : vivre à Venise, enfin et pouvoir écrire. J'arrangeais ce petit nid et entrais dans ma nouvelle vie avec l'allégresse d'un jeune marié.
 
Hélas, entre mon géranium, le charmant petit canal et le lourd mobilier de la vieille dame, je n'arrivais à rien. Pas une ligne. Le néant... Les feuilles de papier froissées remplissaient la corbeille, traînaient sur le bureau, par terre sur le tapis. Je n'arrivais pas à écrire. Le printemps était arrivé sans que je m'en doute. le jasmin fleurissait. En bas dans le jardin, contre le mur, une glycine montrait ses premières grappes parfumées et l'air se faisait plus léger. Je n'arrivais pas à écrire. La tête entre les mains, je maudissais cette machine d'où rien ne sortait. Ce stylo dont l'encre s'éparpillait et ne servait à rien. Bref, mon esprit était désespérément vite et mon éditeur, certainement, allait suspendre ses mandats... Mais vint un jour où tout commença d'être différent.
 
Ce jour-là (il devait être midi), le soleil qui brillait depuis le matin avait chauffé la pierre qui sentait bon le printemps. Le canal vibrait de mille reflets typiques. Comme à mon habitude, je fumais ma pipe accoudé à l'une des fenêtres. Je remarquais un chat, assez jeune, l'air bonhomme, installé juste en face de moi, entre les grands pots de terre que la vieille dame entreposait sur la terrasse. Il semblait dormir mais de temps à autre regardait dans ma direction. Il n'avait pas l'air farouche ni effrayé. Plutôt indigné de me voir ainsi prostré, avec ce beau soleil et ces parfums nouveaux...
 
Il m'agaçait presque, ainsi établi, me dévisageant d'un œil critique, avec cet air tranquille de ceux qui savent et dont la conscience est en paix, le cœur au repos et le ventre bien plein. Le lecteur se moquera, mais ce chat semblait vraiment m'observer et son regard narquois était celui d'un juge. La journée passa ainsi. Le chat étendu sous le soleil et moi, devant ma page blanche, las et bien triste. Vers cinq heures (j'étais dans la cuisine occupé à préparer du thé - rite important dans ma journée), je le retrouvais, sans gêne, en train de se lisser le poil des pattes sur le rebord de ma fenêtre, près du pot de géranium ! J'avais envie de l'envoyer promener. S'installer ainsi chez les gens, les espionner en ricanant... "Quel drôle de chat !" pensai-je en fermant la fenêtre au risque de le faire basculer par dessus bord.
 
Je ne tenais plus en place. La lettre tant redoutée était arrivée, explosive et définitive : mon éditeur suspendait ses mandats. Il attendait depuis trois mois un manuscrit que mon contrat prévoyait. Je devais prendre l'air. Un prosecco au café de l'Horloge, sur le campo Sta Maria Formosa, au-dessous de la maison du vainqueur de la bataille de Lépante, me remonterait le moral. Ah, si seulement je trouvais un thème, le schéma de départ, tout le reste viendrait ensuite. Mais rien, le vide, le noir, le trou. Le soleil était presque trop chaud. Nous étions le quatorze avril. En descendant l'escalier, je croisais la vieille dame. Elle m'accapara un long moment, s'inquiétait pour son neveu très malade, réprimandent les politiciens qu'elle rendait responsable des grèves et des attentats. L'appel d'une voisine me libéra. Enfin.
 
Atmosphère tranquille de la place. Des enfants qui jouent, les étals des marchands de fruit, un brocanteur et un marchand de cassettes. Voilà le décor planté pour ma mélancolie du jour. L'arrivée d'étudiants bruyants me fit fuir le café sitôt mon verre avalé. Mes pas me portèrent vers les Zattere. Je traînais deux heures, allant au hasard. Au détour d'une ruelle, près des Carmini, j'aperçus sur la margelle d'un puits un chat qui me regardait. Il ressemblait comme deux gouttes d'eau à celui que j'avais chassé du rebord de ma fenêtre le matin. Il avait l'air narquois, hautain même. Etait-ce cette présence ? mais je décidais de rentrer pour me remettre au travail. Tous les chats que je croisais semblaient me connaître et tous me toisèrent. Certains allèrent jusqu'à se retourner sur mon passage, notamment une vieille chatte blanche, calle della Mandorla, qui me suivit un moment...
 
à suivre
posted by lorenzo at 20:48

17 juin 2006

Adieu, Emporio Pettenello !

Il y avait naguère sur le campo Santa Margherita une boutique peu ordinaire qui faisait le délice des enfants... Cela pourrait être le début d'une nouvelle. Une belle et longue histoire en tout cas.
 
Depuis 1899, la famille Pettenello tenait sur la place le magasin de jouets le plus célèbre de la ville. Aucun jeune vénitien n'ignorait les trésors que recélait cette boutique un peu sombre. Aucun ne pouvait dire ne pas avoir été un jour chez Pettenello. On y trouvait de tout depuis toujours. Des jouets à la mode mais aussi des classiques d'autrefois. Dans ses larges vitrines, tout un univers magique se déployait attisant la convoitise des petits vénitiens. Jouets de tous les temps et en tout genre. Ses tiroirs et ses cartons regorgeaient de merveilles : billes multicolores, sifflets et crécelles, pétards, petites voitures et boîtes de soldats, poupées en tout genre, peluches, batteries de cuisine en miniature et dînettes comme en vrai... A la bimbeloterie et aux parfums s'ajoutaient des jeux de société, des déguisements, des découpages ou des pochettes surprise... Il y avait de tout vraiment, des objets de grand prix à faire rêver les enfants les plus gâtés jusqu'aux babioles à trois sous pour les petits porte-monnaie. 
Derrière le comptoir garni de boites et de cartons, trônaient Madame Pettenello et sa fille Béatrice, aidées parfois par des vosiines où même des petits habitués très connaisseurs. C'est Beatrice justement qui est à l'origine, à son corps défendant, de la fermeture définitive de l'Emporio Pettenello. La disparition d'une institution vénitienne, considérée par certains au même titre que le Florian ou le Harry's bar n'est absolument pas un évènement anodin ici. Comme dans ce délicieux petit film avec Tom Hanks et la jolie Meg Ryan où cette dernière, libraire passionnée, est obligée un jour de tirer le rideau ("you got mail"). Ruinée par une grande surface, l'héroïne laisse sur la porte un joli message destiné à ses jeunes clients... Mais sur le campo Sta Margherita, ce n'est pas de concurrence et de mauvais résultats dont il s'agit. Le choix de cette fermeture est une libre décision mûrement réfléchie sans raison financière. Tout allait bien pour ce commerce mais plus vraiment pour l'héritière de la maison. Elle a eu envie d'autre chose et après avoir cherché en vain un repreneur qui aurait continué l'activité et le mythe (on ne s'improvise pas marchand de jouet et ami des enfants, il faut être un peu poète, un peu Peter Pan, très patient et très inventif, avec les yeux qui pétillent comme le regard des enfants quand le nez écrasé contre la vitre ils rêvent d'un avion, d'un bateau ou une poupée !), il ne restait comme solution que la fermeture définitive. Le rideau est donc tombé sur plus de 100 ans d'histoire, quelques semaines après Pâques. Le temps de liquider les stocks et de faire toutes les démarches administratives. Le rideau est tombé. Il aura fallu quinze jours seulement pour que les barbares qui sévissent aussi à Venise s'emparent de la façade et la couvre de tags d'une laideur déconcertante. Cette verrue accentue la tristesse de ceux qui ont fréquenté cette délicieuse boutique.
C'était début décembre, Beatrice Pettenello avait surpris tout Venise en annonçant la fermeture prochaine du magasin. "J'ai fait mon choix" déclara-t-elle aux journalistes du Gazzettino "à trente ans passés j'ai envie de faire autre chose, nous avons cherché un repreneur mais personne ne s'étant présenté, nous fermons". Devant la déception des enfants et de leurs parents, elle a écrit avec Lilli, sa mère, une très belle lettre qui méritait d'être publiée. c'est ce qu'on fait les journaux. En voici une traduction :
"Chers enfants et chers amis de la Maison Pettenello, c'est un devoir pour moi comme pour ma maman Lilli de nous adresser à vous. Même si le magasin ne fermera pas tout de suite et que nous vous accompagnerons pour Noël, l'Epiphanie et le prochain carnaval, nous voulions vous dire un adieu amical et sincère. Nous vous remercions pour l'affection et la sympathie que vous ne cessez de nous démontrer ces jours-ci comme vous l'avez fait pendant toutes ces années. Nous voulons saluer particulièrement tous nos petits clients, ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui. J'aimerai leur raconter tellement d'histoires dont ils ont été les vrais protagonistes mais il n'y aurait pas assez de pages dans les journaux pour tout dire. Sachez simplement que vous, tous nos clients, et surtout vous les enfants, demeurerez nos plus chers souvenirs. C'est en 1899 que mon grand-père débuta cette merveilleuse histoire dont vous avez toujours été partie prenante : en achetant, en pleurant, en riant, en jouant chez nous et en grandissant. Certains d'entre vous n'hésitaient pas à venir travailler avec nous derrière le vieux comptoir, d'autres revenaient avec leurs enfants, leurs petits-enfants. Voilà que maintenant cette belle histoire va se terminer non pas parce que des méchants ont gagné ou parce que l'auteur est fatigué de l'écrire. Mais parce que, comme toutes les belles histoires il faut conclure avec la formule "ils vécurent heureux et satisfaits" et c'est là que commence une nouvelle histoire. La mienne."
Après tant d'années passées derrière ce fameux vieux comptoir que j'ai connu enfant, puis adolescent et que mes enfants ont bien aimé aussi, Beatrice, en dépit de sa tristesse et de celle des enfants de Venise, a choisi de s'envoler vers de nouvelles aventures comme elle le confiait à la journaliste Daniela Ghio en décembre dernier. Pour réaliser ses propres désirs enfermés depuis des années au fond d'un tiroir du magasin, elle a dû sacrifier l'activité familiale et mettre un terme à un pan de l'histoire de sa famille comme de Venise. "J'ai fait ce métier avec beaucoup d'entrain et d'amour pendant toutes ces années, aujourd'hui, à trente ans, j'ai envie de reprendre mes études là où je les ai laissé quand ma mère m'a demandé de l'aider au magasin. Lilli va pouvoir jouir d'une retraite amplement méritée... J'espérais que quelqu'un voudrait bien reprendre l'activité mais je n'ai pas trouvé hélas !..."
Aujourd'hui, tout cela fait partie du passé. Beatrice a repris ses études. Sa maman profite de sa retraite. le magasin est toujours fermé et les enfants sont un peu tristes. Les glaces de Renato Causin, juste en face les consolent un peu plus chaque jour. C'est ainsi que va la vie n'est-ce pas.
"J'ai fait un rêve papa" me disait ma petite dernière, en apprenant la nouvelle, "tu reprends Pettenello, on arrête de vivre ailleurs qu'à Venise. Rien ne change, et il y a plein de jouets de partout et tous les enfants viennent acheter leurs jouets chez toi et il y aurait des sucres d'orge, des bonbons, des poupées, des marionnettes et des déguisements incroyables et nosu on t'aide et on tous les jouets du monde"... Comme elle a raison. Son rêve est très beau... Le vieux comptoir de bois ciré, les étagères et les casiers débordant de merveilles, les vitrines éclairées les soirs d'hiver quand Noël se prépare avec les grappes d'enfants collées devant les trésors derrière les vitres. Le paradis des enfants, un lieu hors du temps...
posted by lorenzo at 23:10

14 juin 2006

"Allez-y si vous voulez, moi je reste là !"

 
© copyright Claire Normand - 2006 

posted by lorenzo at 21:29

Bon, on y va les gars ?...

... au lieu de papoter.


© copyright Claire Normand - 2006
 
posted by lorenzo at 21:25

La Chine exporte ses algues


Décidément 2006 est l’année de la Chine à Venise. Après la verroterie et les dentelles made in China, le cinéma et la nourriture, la Chine a fait un cadeau empoisonné à la Sérénissime : les algues géantes. Les bonnes vieilles algues puantes des canaux vénitiens ne sont plus celles d’avant. On ne s’en est pas vraiment rendu compte, mais les rives de la Cité parlent chinois dorénavant.
 
Car depuis une bonne dizaine d’années, ces algues de Venise dont le monde parle en se bouchant le nez avec des grimaces très significatives, sont en réalité un produit d’importation, une imitation parfaite fabriquée en Chine, infiltration sournoise. Due au hasard certainement mais qui se montrent aujourd’hui en grand nombre et au grand jour. Mammamia, le péril jaune envahit Venise ! De février à juin, la terrible Undaria pinnatifida se répand, se reproduit et s’étale…

On accuse déjà la France, d’où serait venue en 1992 une pauvre huître porteuse, à l’apparence innocente, qui transportait sous sa coquille la terrible ogresse chinoise. Avec les frontières si poreuses de l’espace Schengen, aucun douanier n’a vérifié ce qu’elle transportait, la bougresse ! Depuis, elle est l’espèce dominante partout sur la Lagune, surtout à Venise et à Chioggia… Mais ne vous fiez pas à son origine. Il ne s’agit pas d’une contrefaçon, d’un ersatz. Fabrication soignée, bonne tenue, chinoise certes, un peu exotique mais bon, répondant tout à fait aux critères attendus : l’odeur – nauséabonde-, l’aspect non pas jaune mais vert amande à l’œil nu et gluant. Tout en elle dénote une authentique recherche de style qui confirme bien son origine orientale. Et puis que voulez-vous, c’est ainsi, les algues de chez nous n’avaient qu’à mieux se tenir et apprendre à résister à l’envahisseur. Il ne manque plus qu’à la parfumer au santal ou à l’ambre mais cela finirait de dénaturer complètement Venise, puisque l’odeur de ses canaux… 
Mais trêve de plaisanterie, cette demoiselle japonaise (en fait comme il sied à un sujet du Mikado, native du Japon elle a d'abord colonisé volontairement les eaux chinoises à l'invitation des autorités de Pékin) n'est pas n'importe qui. Arrivée par hasard avec un naissain d'huitres, elle intéresse beaucoup de monde par ses qualités nutritives. Très riche - en fait l'une des algues les plus riches en composants nutritionnels - elle apporte peut-être la solution aux problèmes alimentaires de l'humanité : Déjà, de nombreux laboratoires en vendent sous forme de pétales séchées, de comprimés ; en poudre aussi. Le seul inconvénient demeurant son odeur très forte. Mais lyophilisée, compactée, reconditionnée, on oublie ce qu'elle fut avant, entre deux eaux...
Aussi paradoxal que cela puisse paraître aux vénitiens, notre demoiselle algue est cependant reconnue comme espèce menacée car si elle s'implante facilement en mer ouverte autant que dans les lagunes, les lacs et les étangs, elle demeure fragilisée par la pollution des eaux. Bref, quand vous serez à Venise, même en tordant le nez devant son peu délicat parfum, ne lui en voulez pas, soyez indulgent. Et après tout, après le sel, les épices, les soieries, les algues seront peut-être la solution naturelle au renouveau de l'économie vénitienne...
posted by lorenzo at 20:56

11 juin 2006

Cher Vaporetto

Lu dans le Gazzettino de ce dimanche une information qui dénote l'état d'esprit actuel à Venise. Rien n'est vraiment contre les touristes, mais on a pris conscience de l'imminence d'une catastrophe si rien n'est fait en grand et avec suivi pour canaliser les flots de visiteurs et retenir le peu de vie active et de vie normale dans la Cité des Doges.
Pas un centime en plus ou en moins pour les vénitiens, mais les touristes eux vont faire les frais de l'augmentation des tarifs sur une ligne. Une hausse des prix faite rien que pour eux. Non pas par discrimination, enfin, si un peu : ceux qui s'entêtent à prendre d'assaut la ligne 1 se verront demander 8 euros au lieu de 5 pour pouvoir monter à bord. Il ne s'agit pas, selon la Ca'Farsetti (la Mairie), de pénaliser les visiteurs, mais de réduire le volume des passagers de cette ligne de transport qui devrait être réservée aux vénitiens qui vivent et travaillent à Venise. Vu qu'à ce jour, aucun des moyens mis en place pour dissuader les touristes d'utiliser cette ligne "professionnelle" n'a fonctionné, la municipalité vise au cœur : le portefeuille. Ce sera peut-être 7,5 ou 9 euros, on ne sait pas encore. Mais l'idée est de rendre évident que la ligne 1 trop chère est à délaisser pour les autres lignes, comme la 4, la 3 ou la 82. La décision est prise. Il ne reste plus qu'au Conseil de délibérer, ce sera chose faite le 30 juin. Ainsi en ont décidés hier l'Assesseur au tourisme, l'Avocat Augusto Salvadori, l'Assesseur à la Mobilité Enrico Mingardi, le Président de l'ACTV Marcello Panettoni, après un entretien au Palazzo Cavalli. Comme l'a dit Salvadori : "È una battaglia per la vivibilità" / c'est une bataille pour la vivibilité (sic). 
posted by lorenzo at 21:37

08 juin 2006

Marcel Proust écrit sur Venise, genèse de la Recherche

En 1919, Marcel Proust faisait paraitre un texte sur Venise dans le quatrième numéro des Feuillets d'Art, qu'il reprendra plus tard, revu, modifié, corrigé dans A La Recherche du Temps perdu. Je vous en livre quelques lignes, telles qu'elles parurent cette année-là.
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… Le soir, je sortais seul, au milieu de la ville enchantée où je me trouvais au milieu de quartiers nouveaux comme un personnage des Mille et Une Nuits. Il était bien rare que je ne découvrisse pas au hasard de mes promenades quelque place inconnue et spacieuse dont aucun guide, aucun voyageur ne m'avaient parlé. Je m'étais engagé dans un réseau de petites ruelles, de calli divisant en tous sens, de leurs rainures, le morceau de Venise découpé entre un canal et la lagune, comme s'il avait cristallisé suivant ces formes innombrables, ténues et minutieuses. Tout à coup, au bout d'une de ces petites rues, il semblait que dans la matière cristallisée se fût produite une distension. Un vaste et somptueux campo à qui je n'eusse assurément pas, dans ce réseau de petites rues pu deviner cette importance, ni même trouver une place, s'étendait devant moi entouré de charmants palais pâles de clair de lune. C'était un de ces ensembles architecturaux vers lesquels, dans une autre ville, les rues se dirigent, vous conduisent et le désignent. Ici, il semblait exprès caché dans un entrecroisement de ruelles comme ces palais de contes orientaux où on mène la nuit un personnage qui, ramené chez lui avant le jour, ne doit pas pouvoir retrouver la demeure magique où il finit par croire qu'il n'est allé qu'en rêve.
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Le lendemain je partais à la recherche de ma belle place nocturne, je suivais des calli qui se ressemblaient toutes et se refusaient à me donner le moindre renseignement, sauf pour m'égarer mieux. Parfois un vague indice que je croyais reconnaître me faisait supposer que j'allais voir apparaître, dans sa claustration, sa solitude et son silence, la belle place exilée. À ce moment, quelque mauvais génie qui avait pris l'apparence d'une nouvelle calle me faisait rebrousser chemin malgré moi et je me trouvais brusquement ramené au Grand Canal. Et comme il n'y a pas, entre le souvenir d'un rêve et le souvenir d'une réalité de grandes différences, je finissais par me demander si ce n'était pas pendant mon sommeil que s'était produit dans un sombre morceau de cristallisation vénitienne cet étrange flottement qui offrait une vaste place, entourée de palais romantiques à la méditation du clair de lune.
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Quand j'appris, le jour même où nous allions rentrer à Paris, que Mme Putbus, et par conséquent sa femme de chambre, venaient d'arriver à Venise, je demandai à ma mère de remettre notre départ de quelques jours ; l'air qu'elle eut de ne pas prendre ma prière en considération ni même au sérieux, réveilla dans mes nerfs excités par le printemps vénitien ce vieux désir de résistance à un complot imaginaire tramé contre moi par mes parents (qui se figuraient que je serais bien forcé d'obéir), - cette volonté de lutte, désir qui me poussait jadis à imposer brusquement ma volonté à ceux que j'aimais le plus, quitte à me conformer à la leur, après que j'avais réussi à les faire céder. Je dis à ma mère que je ne partirais pas, mais elle, croyant plus habile de ne pas avoir l'air de penser que je disais cela sérieusement ne me répondit même pas. Je repris qu'elle verrait bien si c'était sérieux ou non. Et quand fut venue l'heure où, suivie de toutes mes affaires, elle partit pour la gare, je me fis apporter une consommation sur la terrasse, devant le canal, et m'y installai, regardant se coucher le soleil tandis que sur une barque arrêtée en face de l'hôtel, un musicien chantait "sole mio"…
Marcel Proust
Extraits de « à Venise »
in Feuillets d'Art , n°4, 15 décembre 1919, pp. 1-12

03 juin 2006

COUPS DE CŒUR N°6

Johannes Brahms
Sonates pour piano, Variations et Fugues, 
Anatol Ugorski, piano
Deutsch Gramophon, 
1997.
 Entendu l'autre jour à la radio une chose extraordinaire : La chaconne en ré mineur de la partita BWW 1004 en ré mineur de Jean Sebastien Bach, transcrite par Brahms pour la main gauche interprétée – célébrée – par Anatol Ugorski. Magistral ! Le disque longtemps resté indisponible chez Deutsche Gramophonn, (car l'interprète a eu quelques soucis de santé et la maison de disques n'avait réédité que son interprétation de pièces de Messiaen). Je viens de le trouver en Import, toujours dans la même maison de disques mais avec une couverture différente. Deux CD magiques. Ecoutez cette interprétation incroyable de la grande chaconne transcrite par Brahms, qui devait travailler sa main gauche et n'arrivait pas à avancer dans la composition de ses symphonies, vous verrez c'est simplement sublime.

01 juin 2006

Journal d'un adolescent - juin 1982

1er juin 1982, 10 heures. 
Doux soleil sur la lagune. La barque a glissé doucement sur les canaux tranquilles. Il faisait un peu frais ce matin mais le soleil maintenant éclate comme en été. presque trop chaud. Nous voguons vers le Lido. Des motoscafi nous croisent, un cargo grec vient de saluer la ville en entrant dans le chenal. Ou bien était-ce nous qu'il honorait au passage ? Des pêcheurs nous encouragent en agitant leur casquette. Impression incroyable que celle qui nous saisit à chaque fois, lorsque debouts sous le soleil de l'Adriatique, nous voguons. Nos corps, dans un rythme identique, impeccable harmonie dont nous sommes fiers, avancent et reculent en suivant le mouvement de nos rames. Le glissement de la barque sur l'eau me rappelle un bruit de soie froissée. L'image d'une jolie fille en robe de bal me vient en mémoire. Etait-ce ici à Venise ou autrefois, dans ces improbables soirées bordelaises où nous nous enivrions d'odeurs et de sensations, persuadés d'être les rois d'un monde merveilleux protégé et immuable ? La chaleur nous envahit et décuple nos forces. Nous avançons, tendus dans l'effort. Mon coéquipier pousse des "han, han" auxquels répondent le bruissement de nos rames sur les forcole ; un rictus presque méchant déforme son visage. Il transpire. Comme lui, je suis en nage. 

J'aime cette sensation quand l'effort est extrême, presque sensuel et qu'enfle en nous cette sensation de plénitude. Le vent, toujours présent à cet endroit de la lagune, comme une caresse rend nos mouvements plus légers. Nous approchons du Lido. Le ciel est incroyablement bleu. Nous accostons près du cimetière juif, là où le ponton de bois est un peu en pente. Au retour, nous utiliserons le moteur. 

Notre bon pupparin amarré, nous sautons à terre, les jambes un peu douloureuses et remontons par les avenues qui longent les immeubles sans beauté, près de l'hôpital. Il y a sur ce chemin une patisserie où nous allons trouver de quoi récompenser notre effort. Les meilleures tartes aux amandes de toute la lagune. Des sortes de petits paniers en pâte sablée tendre à souhait remplie de cette pâte sucrée, parfumée avec les morceaux d'amande qui fondent dans la bouche... 

Nous avons rendez-vous avec Julia et Marina qui ont dormi sur place, dans la maison d'une tante de Marina, partie pour Milan. Il y aura aussi ce garçon anglais que j'aime beaucoup. Son père est de Venise et sa mère de Londres. Il est intelligent, beau, raffiné et aime, comme nous voguer sur la lagune et se baigner la nuit au Lido. Il sort avec une fille gentille qui aimerait retourner avec lui à Londres mais qui devra attendre de finir ses études. 

La maison est dans un désordre inimaginable. Il fait tellement chaud que toutes les fenêtres sont ouvertes. les rideaux volent au vent. C'est beau comme une image de film.

Une chanson de Tom Waits nous accueille. Après un verre de vin blanc bien frais, nous partons pour les murazzi. Ce sera notre première baignade. L'eau est fraîche. 

De nombreux baigneurs nous ont devancé pourtant. Les rochers sont chauds et parfumés comme en été. Près de nous, deux très jeunes garçons nus, plongent et replongent en riant. 

Incroyable sensation de plénitude. Comme une journée de plein été. 

Nous regagnons Venise vers 19 heures. Le moteur ronronne, les avirons gisent sous nos pieds. Éreintés, nous parlons peu. Federico a pris un coup de soleil sur le nez. Anna et sa sœur Graziella rentrent avec nous. Il fait doux. La lagune est remplie d'odeurs sucrées. L'eau est d'un vert d'émeraude. "Une lumière de cinéma" dit Federico. 

Dîner ensuite au Paradiso Perduto, après avoir retrouvé les autres au baretto, à Santa Margherita. Antonio le serveur est en pleine forme. Il est aux petits soins et nous rejoint dans la salle du fond. 

Il voudrait que j'aille écouter son groupe, Death in Venice. Il voudrait bien davantage aussi ce me semble. Federico et les autres se moquent de ma tête quand il me fait comprendre son attirance et que je reste la bouche ouverte. Mais qu'ont-ils tous ?

Tout le monde a un peu bu. Les filles sont belles. J'ai la tête qui tourne.

Tom Waits encore en fond sonore. Blue Valentine... Comme un générique pour illustrer notre journée sur la lagune. Demain, les premiers certificats de la maîtrise. A la grâce de Dieu.

30 mai 2006

Le séjour de Marcel Proust à Venise

La petite photo agrandie et pas très nette que j'ai mis l'autre jour en illustration d'une phrase qu'aurait pu dire un personnage de la Recherche a suscité bien des réactions et des interrogations. Profitons-en pour rétablir une vérité et en finir avec les approximations de certains guides.
 
Marcel Proust, lorsqu'il débarque en 1900 à Venise en compagnie de sa mère, n'est pas descendu au Danieli dont il parle bien entendu (c'était le rendez-vous mondain comme le Florian ou le Quadri, pour le thé ou le dîner). Il loge à l'Albergo Europa, hôtel de qualité lui aussi mais situé de l'autre côté de San Marco, près de San Moïse et du Ridotto, à la Ca'Giustiniani devenu depuis le siège de la Biennale. Verdi y logeait quand il dirigeait ses opéras à la Fenice, Théophile Gautier y séjourna aussi. Sur la photo jaunie, vous noterez une terrasse de bois avec des balustrades et des lampadaires juste au dessus du niveau de l'eau. Au fond, une guérite de bois. Cette terrasse, aujourd'hui remplacée par un balcon en pierre d'Istrie, était située alors devant le palais, à hauteur des ouvertures du rez de chaussée. On voit bien à gauche la forme des encorbellements qui entourent les fenêtres de l'entresol juste au-dessus des ouvertures carrées du rez de chaussée. On retrouve ces sculptures sur la gravure du XIXe qui montre le palais avant que soit installée cette terrasse - solarium.
A quoi peut penser Marcel Proust ? A Albertine dit quelqu'un sur un site. Je crois qu'il laisse simplement son regard errer devant lui, l'animation du Grand Canal, le traghetto qui passe non loin, les peotte remplies de fruits et de légumes, les gondoles qui transportent de belels vénitiennes et de riches anglais romantiques. Il a tellement voulu ce voyage depuis tant d'année comme sa grand-mère qui elle, n'y viendra jamais. Il pense à Ruskin que sa mère a traduit pour lui dans le train, aux tableaux de Guardi, de Gentile Bellini, de Carpaccio dont il se servira dans la Recherche. Il songe peut-être à une de ces mélodies ampoulées de son ami Reynaldo Hähn qui séjourne à Venise lui aussi, ou aux magnifiques costumes de Mariano Fortuny qu'il vient de découvrir, non loin de là dans le palais du brillant espagnol... 
Mais ces détails sur le séjour de Proust à venise me donnent envie de continuer à parler de peinture. Celle que l'écrivain aimait et dont il a rempli les décors de ses chapitres tout au long de la Recherche, mais aussi dans ses lettres, ses articles. Il y a aussi dans la Venise d'aujourd'hui des choses à dire à propos de peinture : l'exposition de la collection Pontus Hulten à Santo Stefano, l'ouverture du Palais Grassi revu par François Pinault, la grande fête que le milliardaire breton a donné à l'Arsenal pour ses 920 invités, somptueuse réception où Marcel Proust aurait été à l'aise, auprès de la Duchesse de Marlborough et de l'Impératrice d'Iran

J'aimerai vous parler aussi de la réouverture de la Ca'Pesaro, le musée d'art moderne de Venise où de nouvelles salles se sont ouvertes à la gloire des artistes vénitiens contemporains. La restauration du Palais Fortuny aussi et les projets en cours. Voilà de nombreux articles en perspective... Mais où vais-je trouver le temps d"écrire tout cela... Je cherche, je cherche...

29 mai 2006

III - Carpaccio, maître de la lumière

Il aurait travaillé dans l'atelier des Bellini. Ce fils de fourreur a passé sa vie à surprendre par ses innovations, sa fougue, son sens de la lumière. Au XXe siècle il se serait passionné pour le cinéma, les possibilités que l'éclairage donne à l'expression des idées et des sentiments. Tarkovsky aurait été son ami comme Renoir ou Visconti...
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Même apothéose dans la lumière que Giovanni Bellini. Avec un je ne sais quoi de plus vigoureux que les années nouvelles ont apporté comme une manière plus libre de sentir cette lumière que l'air et le soleil distillent encore de nos jours à Venise.
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Tantôt il transpose en noble fête de l'âme la beauté des cortèges et le faste discret des légendes imprégnées de réalité quotidienne. Ne prenait-il pas ses modèles dans la rue, ces garçons et ces filles dont on retrouve aujourd'hui encore le même tracé dans le profil, la même démarche gracieuse et la même allure si fière quand on les regarde passer dans les calli et les campi de la Venise d'aujourd'hui. Les pantalons étroits des garçons, leurs bonnets colorés roulés sur leurs cheveux longs, les mèches ondulées des filles qui tombent sur leurs nuques racées, les jeunes vénitiens d'aujourd'hui sont les portraits vivants des modèles du peintre.
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Tantôt il enclot dans une chaude ambiance rousse et dorée la vie de Saint Georges, à moins qu'il n'associe, sans aigreur, l'ironie à l'orchestration des gris colorés pour évoquer deux courtisanes et leurs chiens ou encore qu'il ne fasse participer à une scène émouvante un paysage peuplé de monuments et de maisons aux tons vieil ivoire jauni que des restaurations récentes magnifient.


Nous sommes à l'orée du seicento, tout près de Giorgione et du Titien : l'esprit antique et l'esprit chrétien s'interpénètrent pour exprimer noblement, pieusement, vigoureusement, tout ce qui se voit, tout ce qui se sent, tout ce qui se suggère. C'est Vivaldi dans ses pièces pour violoncelle et luth qui résonne dans ma tête en parcourant les salles de l'Accdemia comme aussi le Ravel d'Ondine, mais mes rapprochements feront bondir experts et musicologues. Qu'ils pardonnent mes raccourcis barbares comme je leur pardonne volontiers leurs assommantes disgressions sur la technique et les descriptions chirurgicales pour ne pas dire anatomiques qu'ils font des œuvres que j'aime, moi, avec mes tripes et mon cœur.


posted by lorenzo at 15:02

II - Mantegna, après Bellini

...Même transparence lumineuse que chez Giovanni Bellini, avec moins d'enveloppe et cependant plus de fougue, plus de force dans le dessin, le trait plus vif. Quel était son caractère à ce Mantegna qui en épousant Nicolosia, devint le beau-frère de Giovanni et de Gentile ?  
et puis ce modelé implacable, précis et ample, qui donne à chaque personnage sa forme définitive, synthèse des innombrables aspects de son être. Quelle puissance, quelle force ! Mantegna était apparemment un passionné ; un être vif, tout de nerfs et de chair. Pas un tiède. Un être de passion. Passion véhémente que reflètent les physionomies, traits tendus par le choc des désirs violents ou nimbés de ferveur sereine. 

Autour des êtres humains et de leurs avatars, des paysages fantastiques, souvent étranges, à la fois réels et surnaturels : rochers rouges aux arêtes précises, villes de rêve, ruines et vestiges antiques (copiés dans l'atelier de son maître, Squarcione, qui possédait une collection d'antiques rares à cette période chez un particulier) herbes et feuillages, ciels tragiques aux transparences glacées, toute la nature transposée dans une ambiance pathétique et noble.


26 mai 2006

I - Giovanni Bellini, comme une musique de Chopin

Lors d'un de ces dîners enquiquinants dans lesquels je me retrouve parfois à Bordeaux, ma voisine, qui venait de voir l'exposition sur les peintres vénitiens qui est maintenant à Caen, se rappelait une conférence que j'avais donnée sur les Allées de Tourny il y a bien longtemps. A la demande d'une association de retraités voyageurs en partance pour les côtes de l'Adriatique, j'avais parlé de l'art et de la vie à Venise. 

"Vous m'aviez fait découvrir Bellini" me dit-elle. Venant d'une femme âgée aussi distinguée, élégante et intelligente, cette petite phrase fut pour moi un très agréable compliment. Je ne sais pas bien parler en public et je n'aime pas ça. J'avais pensé avoir été assez soporifique. Je n'avais fait que lire des notes préparées pour l'occasion. De retour de cette soirée, j'ai recherché dans mes cartons le texte de cette causerie. Je voulais comprendre ce que j'avais pu dire de tellement marquant pour qu'une dame fut à ce point attirée par mes paroles. Rien de transcendant en vérité. Je m’étais contenté de laisser parler mon cœur.  Rarement une œuvre m'a autant touché que celle de Giovanni Bellini. Voici un court extrait de cette réflexion vieille de vingt ans...

J'avais introduit le chapitre sur la peinture vénitienne avec des extraits du cours de Zorzi sur l'art vénitien qui inaugura mon cursus universitaire vénitien :
"...Il semble vraiment que depuis l'antiquité grecque, nulle civilisation n'ait lié avec autant de bonheur l'art et le quotidien. La plupart des grandes œuvres – le plus souvent à dominante religieuse – œuvres de commande de Carpaccio, du Titien, du Tintoret, du Véronese, sont à la gloire de Venise, elles manifestent la toute puissance financière, économique, politique et militaire de la sérénissime. Pourtant, et c'est vrai surtout pour le Titien et Veronese, les plus grands chefs-d’œuvre naissent en une merveilleuse apothéose de couleur et de lumière au moment même où la puissance vénitienne agonise..."
Mais vous voulez mon sentiment, il y a pour moi trois noms qui expriment vraiment Venise, sa lumière, l'air qu'on y respire encore aujourd'hui, loin de la foule, des hordes de touristes : Bellini, Mantegna, Carpaccio. Le Bellini dont je parle, c'est bien sûr Giovanni, fils de Jacopo, dont les vierges encore imprégnées de l'or des icônes, se voilent dans une mélancolie délicat ; frère de Gentile, dont les paysages évoquent le vrai visage de la cité. Il apparaît comme l'incarnation même du cinquecento vénitien. Un précurseur, un inventeur. Un génie. Son art s'apparente à la musique. Il est tout entier rythme et vibrations. En regardant ses toiles, et vous trouverez certainement ce rapprochement hasardeux, paradoxal, voire outré, mais j'entends les nocturnes de Chopin. Vous savez par exemple la première sonate de l'opus 37 interprétée par Maurizio Pollini... Pas d'arabesques, de volutes décoratives, mais une composition simple, sans rien de dramatique ni d'ampoulé, basée sur un accord secret des nuances. Comme chez Chopin. 
Traits fermes, nets, qui laissent deviner la souplesse des corps sous les lourds vêtements et fait frémir sur les visages le duveté délicat de la chair. Impressionniste avec quatre siècles d'avance, Giovanni Bellini n'en reste pas moins solidement équilibré, s'attachant honnêtement à la réalité des choses – et quelle réalité ! – mais la transposant en méditation émue, analyse profonde, chant à l'unisson des sens et de l'âme... Nulle tristesse même dans l'abandon de la Vierge reconnaissant déjà dans l'enfant qu'elle tient sur ses genoux le crucifié qu'elle verra mourir... "Avec Bellini" dit MaryMcCarthy,"le paradis est sur cette terre, quelque part dans les collines près d'Asolo" (En observant Venise, Salvy ed., 1994)

25 mai 2006

Photographie de Marcel Proust à Venise

"Mon dieu, tant d'années sont passés et qu'ai je fait ? Tant de rencontres, de regards croisés, tant de routes ouvertes que j'ai laissé derrière moi pour en arriver là aujourd'hui..."

posted by lorenzo at 23:44

19 mai 2006

Banquet chez Cléopâtre


Tiepolo, le banquet de Cléopâtre, Palazzo Labia
"La beauté est une justice supérieure"
Gustave Flaubert

18 mai 2006

Il y a des lieux qui obsèdent... Le Fondaco dei Tedeschi

En parcourant les centaines de pages de mes carnets vénitiens à la recherche de souvenirs oubliés, je me suis rendu compte que le palais qui abritait il y a peu de temps encore les postes et Télécommunications italiennes, est cité chaqué année trois ou quatre fois...
 
Fondaco dei Tedeschi, 14 février 1980
Il pleut sur la ville ce matin. Mais le temps est moins froid. Tristesse du départ. Jour de deuil en mon cœur... Dans quelques heures, l'animation de ces lieux ne sera plus qu'un souvenir qui viendra s'ajouter à tous ceux que mes journées ici ont fabriqué... En-bas, dans la cour, un franciscain encapuchonné bavarde avec une religieuse et un adolescent vêtu de rouge. Ses longs cheveux et son pantalon blanc, étroit comme un fuseau me rappellent les personnages de Carpaccio sur lesquels je travaille depuis plusieurs mois. La vera di pozzo sur laquelle le moine s'appuie, le décor de cette scène, tout me transporte quatre cents ans en arrière... Dehors les reflets sur l'eau, la lumière verte sur le grand canal... Demain, la France, le retour vers la vie ordinaire. Je crois que je m'y fais de moins en moins et que peu à peu, le poison de Venise opère en moi cette transformation qui me rend l'éloignement douloureux et le retour nécessaire.
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Fondaco dei Tedeschi, 18 février 1982
Le soleil réchauffe un peu la ville. On a cru qu'il allait neiger ce matin. Le brouillard en disparaissant avait laissé un ciel très gris, très bas. Finalement le soleil est là. Les pavés de la cour brillent sous la grande verrière, et j'observe les gens qui passent, en attendant de pouvoir accéder au guichet. Une très vieille femme presque pliée en deux sur sa canne demande un renseignement à deux jeunes gens très élégants. L'un est assis sur la margelle, l'autre, la main posée sur le bord du puits tient à la main un parapluie multicolore. Est-ce la lumière presque métallique, mais ces personnages ressortent comme s'ils étaient sous un projecteur. Les couleurs qui les animent en font les protagonistes d'une scène de théâtre, muette. J'aime ce lieu, vers midi.
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Fondaco des Tedeschi, 2 novembre 1984
J'enrage de ne pouvoir téléphoner en France, les fonctionnaires de la poste sont en grève. Pour retirer un colis venu de France, j'ai dû passer par trois guichets et attendre que l'employé, bougon, mette quatre ou cinq tampons sur trois ou quatre feuillets administratifs... La bureaucratie italienne n'a été inventée que pour faire enrager les jeunes français trop pressés. Mais le colis tant désiré contenait tellement de merveilles que mon attente en valait la peine : un pullover, de la confiture de poires - ma préférée, des livres, un disque, un pot de foie gras et du confit, des biscuits anglais, du papier d’Arménie et du chocolat. De quoi tenir pendant quelques soirées. L'hiver s'annonce finalement et il risque d'être rigoureux. Il a gelé cette nuit.
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Fondaco dei Tedeschi, mai 2005
Le bâtiment des Postes est en cours de rénovation. Les locaux vont être complètement restructurés et la grande cour que j'aime tant va retrouver son aspect originel. Je ne pourrais donc pas voir cette année le grand puits sous la verrière où se sont déroulés tant de scènes dont j'ai été témoin et qui ont nourris certains de mes textes. Je me souviens d'un matin de printemps où trois chats se prélassaient sur le puits. A les voir, on eut dit trois hommes d'affaires en plein discussion. Au bout d'un moment, l'un d'entre eux est parti, sans se retourner. Celui qui s'était installé sur les marches l'a regardé un instant puis lui a tourné le dos, comme par dépit et le troisième, juché sur la margelle semblait ricaner...

16 mai 2006

14 mai 2006

Venise en mai


L'air se fait plus sec. Il y a maintenant chaque jour une lumière chaude remplie d'odeurs. La vraie Venise se révèle... Le café fraîchement torréfié, les petits pains que le boulanger sort du four, les fleurs du marché voisin, l'herbe qu'on coupe dans le jardin, les fraises et les melons exposés à l'étal de l'épicier. La jeune femme qui passe et laisse derrière elle les effluves d'un agréable parfum, l'odeur de l'eau des petits canaux inondés de lumière, le linge frais lavé qui sèche aux fenêtres, le bois des barques qui craque au soleil... Venise en mai. J'aime particulièrement les dimanches de cette période de l'année. 

Il y a certes déjà une multitude de touristes qui arpentent la ville dans tous les sens. Les terrasses de la Piazza sont prises d'assaut et le pont des pailles, la Riva dei Schiavoni, les passages autour de San Marco, sont noirs de monde... 

Mais ailleurs, dans les quartiers retirés de Dorsoduro même, en dehors du circuit habituel des touristes, il règne un calme extraordinairement plein. Un peu comme sur la place d'un village en plein été. Le chant des oiseaux, une radio quelque part... Parfois une barque à moteur passe lentement en crachotant. Les chats dorment sur les margelles des puits. Les portes et les fenêtres entr'ouvertes laissent échapper des senteurs alléchantes. Nul cri, nulle précipitation. 

Par une fenêtre ouverte, tout en haut de cette vieille maison de Santa Croce, on entend le groupe Chicago qui chante "you're the inspiration"... Je prends cela comme un message : Indeed, Venise is my inspiration ! Un peu plus loin, c'est un air de flûte ou un piano... Tout est calme. Serein. Comme pacifié. Rien de grave ou crispant, dans ce silence. La paix, c'est la musique de la paix. La tranquillité. Cette certitude que tout est à sa place dans l'ordre des choses, nous y compris. J'imagine ainsi que tous ceux qui vivent derrière ces façades embellies par le soleil, sont endormis ou assoupis. C'est l'un des miracles de Venise. On ressent toujours ainsi à marcher dans les rues de la Sérénissime, dès que la bonne saison revient, une immense sérénité. C'est l'un des meilleurs remèdes que je connaisse à l'inquiétude, à la nervosité, à l'angoisse : Si vous venez d'arriver à Venise, si vos ennuis, vos soucis, vos craintes vous ont accompagné et semblent ne pas vouloir vous quitter, alors, posez vite vos bagages, chaussez vos mocassins les plus confortables, prenez un livre que vous aimez et sortez dans les rues. Marchez, marchez... Allez vous perdre là où le soleil habille les maisons d'un vêtement de grâce. Saluez d'un geste discret de la tête les rares passants que vous croiserez. N'hésitez pas à vous perdre. 

Asseyez-vous sur un banc, là, sur ce petit campo que vous ne connaissez pas. Plus tard vers quatre heures, vous trouverez au hasard de vos pérégrinations un joli petit café avec deux ou trois tables sur une place inconnue. Vous y boirez un café ou un verre de vin blanc en lisant tranquillement. Si la faim vous taraude, il y aura certainement quelques tramezzini ou des paste di mandorla. Plus tard, à partir de cinq heures, des gens commenceront à sortir et à apparaître sur ce palcoscenico improvisé. Vous verrez des enfants avec leurs tricycles, des petites filles poussant leurs poupées dans de rutilantes poussettes. Des dames se regrouperont pour bavarder et quelques petits garçons énergiques taperont dans l'inévitable ballon. Le campo peu à peu s'animera. Mais, désirant rester solitaire encore, vous aurez peut-être découvert un peu plus profondément encore dans la Venise authentique, une place où personne ne passe. Un de ces bancs peints en rouge vous accueillera, ou la margelle d'un puits, ces marches au bord du canal. 

Laissez-vous aller. Rêvez. Si vous désirez lire ou noter vos impressions, mettez-vous à la recherche d'un coin vraiment tranquille. Je vous recommande le parvis de San Elena, à Castello ou le Café del Paradiso, à l'entrée des jardins de la Biennale. Là, sous la tonnelle, avec le parfum des arbres et l'une des plus belles vues de Venise en face de vous, vous trouverez l'inspiration nécessaire pour écrire votre plus belle lettre d'amour ou de rupture. Il y a aussi le jardi de San Alvise à Canareggio, les Zattere et quand les travaux seront terminés, la pointe de la douane. mais là, devant le plus extraodinaire paysage que l'homme ait jamais contribué à créér, vous ne serez jamais vraiment seul (sauf après deux heures du matin et encore un jour de pluie!). Bonne promenade avec vous-même. 

posted by lorenzo at 14:08

16 ans déjà !

C'était le 14 mai 1990. Une chaude journée de printemps. Notre ami Charles-Henri de Védrines, émérite accoucheur bordelais aujourd'hui retiré, est en retard. La maman, détendue, s'impatiente un peu. Et s'il ne venait pas. Beaucoup de naissance autour de nous, la clinique est bondée. Le bébé est prêt à arriver. Le médecin est enfin là, souriant et tranquille. Les infirmières, la sage-femme, tout le monde est paisible. En partant vers la salle de travail rejoindre ma femme, je passe devant une chambre. La porte est entrouverte et un rayon de soleil éclaire le linoléum. je pense à une rosace en marbre aux tons acidulés du pavement de San Marco. Au même instant, j'entends les premières mesures du "Printemps" des "Quatre Saisons" de Vivaldi dans une interprétation pleine de fougue et de sensualité. Joli signe qui accompagnera la naissance de notre seconde fille, Alix-Victoria-Marie-José. Un adorable bébé, souriant devenue une jeune fille équilibrée au caractère paisible, bien dans ses baskets, qui adore Venise et avance joyeusement sur le chemin de la vie. 

Avec nos trois autres enfants, elle est le miel de mon existence, le soleil de mes jours, le baume sur mes plaies, la justification de notre engagement. D'aucuns certainement me reprocheront ce manque de pudeur et se moqueront... Afficher ainsi l'amour que l'on porte à ses enfants et dire la place qu'ils ont dans notre vie, cela se tait de nos jours. Pourtant, partageant avec eux la passion de Venise, l'amour du Beau et la confiance en la Providence, célébrer l'anniversaire de l'un d'entre eux, me semble parfaitement en adéquation avec ce qui a motivé la création de ce blog : "Surpris par la joie, impatient comme le vent..." Et tant pis pour les esprits chagrins ou tordus ! : 

JOYEUX ANNIVERSAIRE, ALIX !
 © photo de Claire Normand - Avril 2006. Tous droits réservés.