Il est réjouissant de voir que parfois certains de nos combats, ces coups de gueule qui agacent plus d'un lecteur, en rapport avec des faits qui nous désolent tous, sont repris par les grands médias internationaux et peuvent ainsi atteindre enfin le grand public. C'est le cas de l'actuelle polémique sur les Grandi Navi, dont Tramezzinimag dénonce les dangers depuis longtemps et qui fait l'objet d'un excellent article dans Le Monde daté du mardi 10 juillet. Avec pertinence, le papier d'Evelyne Evin expose les faits et donne l'essentiel des éléments qui manquent la plupart du temps aux commentaires sur l'actualité de la Sérénissime. Cela nous réjouit et nous félicitons l'envoyée spéciale du journal pour avoir su traduire avec exactitude et précision la situation actuelle à venise !
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Un sénateur italien veut mettre Venise et sa lagune à l'abri des paquebots géants par Florence Evin
Le trafic aux abords de la cité des Doges est de plus en plus intense en dépit d'interdictions prises par le gouvernement
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Lundi 9 juillet, Felice Casson, sénateur de Venise, devait présenter son projet de loi "Pour la sauvegarde de Venise et sa lagune" aux
habitants de la cité. Ce projet, actuellement en discussion devant la
Commission pour l'environnement du Sénat, prévoit de confier au maire
de Venise la pleine autorité sur la gestion de la ville et de sa
lagune. Et représente, s'il est adopté, l'espoir d'un vrai changement.
Car si, au lendemain du naufrage du Costa Concordia sur l'île de Giglio, l'injonction de l'Unesco
visant à interdire l'accès du bassin de Saint-Marc et du canal de la
Giudecca aux grands paquebots a été entendue par l’État italien, rien
n'a changé sur le terrain. L'arrêté ministériel pris le 2 mars
interdit bien aux navires de plus de 40 000 tonneaux de croiser au plus
près du palais des Doges... Mais il ne sera appliqué qu'après la mise en
place d'une solution alternative. "Toutes les autorités, aux compétences très variées, se renvoient la balle, précise le sénateur Casson, ancien procureur de la République à Venise, la
capitainerie du port, le ministère des travaux publics, l'autorité
portuaire, la province, la commune, le magistrat des eaux, organisme
créé au XVIe siècle et qui aujourd'hui dépend de l’État..."
Comme le résume avec humour Francesco Bandarin, directeur général de la culture à l'Unesco, vénitien lui-même, "la situation est "pilatesque".
Tous se lavent les mains. Et le problème du stationnement de ces
monstres des mers tarde à être résolu : ils sont de plus en plus
nombreux à mouiller dans le port de Venise, à l'extrémité du Grand
Canal. "Les deux ou trois grandes compagnies de croisières qui
contrôlent le trafic mondial ont une puissance de feu remarquable.
C'est le business le plus spectaculaire de la planète" constate M. Bandarin.
Ainsi, le Divina de la compagnie MSC Croisières, baptisé le 26 mai à Marseille avec Sofia Loren
pour marraine - 333 mètres de long, 67 de haut, 38 de large, 18 ponts,
4.365 passagers, jaugeant 140.000 tonneaux - programme toutes ses
croisières au départ de Venise. Ces paquebots de luxe, trois fois plus
hauts que les édifices multicentenaires, font des ronds dans l'eau
jusqu'à frôler l'île. Une vision qui pétrifie, tant leur masse
impressionne.
Le maire de Venise, Giorgio Orsoni s'inquiète "des
dégâts provoqués sur les fondations de la cité par le passage des
bateaux dans le canal de la Giudecca, profond de dix mètres seulement.
Leur déplacement sous l'eau a un effet de pompe sur les vases, jusqu'à
faire trembler la basilique Saint-Marc". Sans compter l'air vicié : "En une seule journée, chaque paquebot libère une pollution égale à 14.000 voitures", prévient le comité No Grandi Navi Venezia, qui ne rate pas une occasion de protester à bord de barques traditionnelles.
Désabusé, le maire enfonce le clou : "nous
sommes victimes de l’État. Le bassin de Saint-Marc, la grande place
d'eau de la ville, appartient à l’État. C'est comme si le maire de
Paris n'avait pas son mot à dire sur la place Vendôme. Les grands
paquebots traitent avec les autorités portuaires qui dépendent de
l’État. Ils versent 40.000 euros à chaque mouillage. Il y a 3 500
passages par an. Cela ne rapporte rien à Venise. Les deux millions de
passagers qui débarquent ne dépensent rien, tout juste une boisson".
La fragilité de la lagune inquiète. "Les
vagues profondes créées par le passage des bateaux creusent les fonds
et transforment peu à peu la lagune en bras de la mer Adriatique. Ce
phénomène d'érosion est particulièrement grave dans sa partie sud", précise le professeur Angelo Marzollo, auteur pour l'Unesco du rapport "Écosystème lagunaire vénitien". Quelle option retenir ? Le sénateur Casson se montre radical : "Il
faut positionner les bateaux de plus de 30.000 tonneaux hors de la
lagune. Soit au port de Malamocco, soit dans un port offshore créé
exprès près du MOSE, (système d'écluses, en
chantier, qui fermera la lagune pendant les hautes eaux). Et en
attendant, le port de Marghera, desservi dans la lagune par l'ancien
canal des pétroliers, pourrait faire l'affaire".
Au final, c'est la sauvegarde de Venise, patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1987 et lieu de vie, qui est en jeu. "Les Vénitiens n'habitent plus Venise, devenue trop chère, déplore le sénateur. Les
canaux sont bouchés, il faut les nettoyer et ne pas réserver les
financements disponibles à la seule construction du MOSE. Le tissu
urbain est très délicat. 60 000 habitants ne peuvent accepter vingt
millions de touristes par an" sur six kilomètres carrés. Il faut
favoriser "un tourisme intelligent."
"Le point de vue doit être patrimonial avant tout, résume Francesco Bandarin. La ville est une icône, elle doit l'assumer complètement. Il faut avoir une vision stratégique pour les dix ans à venir." La loi Casson, si elle est votée, devrait donner à Venise les clefs de son propre destin.
Florence Evin
© Journal Le Monde
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