03 septembre 2012

Regata Storica 2012 : un Grand Cru !

Encore eux ! Pour la 11e fois, les cousins Vignotto, vénitiens de San Erasmo ont défrayé la chronique de la traditionnelle Regata storica. Une nouvelle victoire après un suspense digne des films américains assortie d'une énième polémique comme ils nous y ont habitué depuis longtemps. Pas de bagarre, une poignée de main au contraire au sortir de la course, quand les équipages, encore essoufflés se rapprochaient de la Macchina, le ponton d'honneur où devait leur être remis les bandiere, ces fanions de couleurs qui sont à la régate vénitienne ce que furent les couronnes de laurier aux athlètes d'Olympie.  "On ne peut pas régater de cette manière" a déclaré l'un des vainqueurs, "Tout le monde sait que celui qui est le plus près du piquet doit tourner en premier. Ils ont voulu nous pousser, et finalement nous avons passé le virage en second !" Mais passée cette attaque directe aux méthodes de l'équipage de Gianpaolo d'Este avec qui le duel fut rude et magnifique, ces deux-là, s'ils sont de vrais râleurs - comme leurs deux challengers - ont un coeur d'or et c'est avec de l'émotion dans la voix qu'ils sont dédié leur victoire à Michele Bozzato, le gondolier chantant, disparu le 23 août dernier d'une maladie fulgurante, devenu ces dernières années une véritable institution et dont la mort a vraiment affligé tout le monde à Venise.
Regata Storica di Venezia 2012: vincitori e risultati




Belle journée donc, qui fait dire à certains chroniqueurs vénitiens que la Sérénissime a vécu un pur et grand moment de venezianità, se prouvant - et prouvant au monde qu'elle n'est pas un musée ou un parc de loisirs, mais bien un lieu de vie et d'innovation. La Régate historique n'est pas une des ces inventions folkloriques artificielles pour gogos en mal d'émotion. C'est  un évènement culturel lié à la tradition historique mais aussi très implantée dans le quotidien des vénitiens d'aujourd'hui. Cette course fait le lien entre un passé extraordinairement riche (le succès du défilé historique dépasse le pittoresque des costumes en faisant découvrir des métiers et des usages oubliés) et les vénitiens du XXIe siècle. Chacun a ses favoris et nombreux parmi le public local sont ceux qui pratique la remiera dans un des nombreux clubs de la lagune.


Avec un ciel redevenu clément, sans les pluies que tout le monde redoutait, Venise s'est contemplée sans faux-semblants, telle qu'elle est vraiment :  attirante et authentique. Parmi les milliers de visiteurs qui avaient envahi le centro storico, beaucoup étaient vénitiens, Venus de toute la lagune, des îles comme de terraferma, ils ont rappelé au monde leur attachement à la Sérénissime. L'évènement s'ajoutant à la Biennale d'architecture et à la Mostra du Cinéma, qui se déroulent en ce moment, faisant de Venise la capitale culturelle de l'Italie. Des journalistes parlaient même de capitale politique ce dimanche, puisque on notait la présence d'un nombre impressionnant de membres du gouvernement et de parlementaires dans la tribune d'honneur, la Machina, simplifiée cette année, avec un accès central bien plus pratique, qui accueillait autour du Patriarche de Venise et du Maire Orsoni, près de 800 invités.


Commencée à 16 heures avec le cortège historique, traditionnel défilé de bateaux reproduisant l'entrée triomphale organisée par la Sérénissime pour le retour de Caterina Cornaro, avec à sa tête le doge et  dans le rôle de la fameuse reine de Chypre, la splendide Margot Groia, de Mestre qui remplace dans le rôle une autre vénitienne partie faire ses études en Angleterre. Toutes les embarcations étaient là, parmi lesquellles la Bissone, la Dogaressa, la Serenissima. Il ne manquait que la Bisantina et Neptuno qui sont cette année en restauration. Manquait aussi le Bucentaure dont on devrait voir flotter d'ici quelques années la réplique exacte. Puis après le long cérémonial du défilé nautique, ce fut le début des compétitions.


Quatre régates au total, celle des giovanissimi (catégorie des plus jeunes rameurs) sur des pupparin, remportée cette année par les brillants Nicolà Ballarin et Andrea Rosada, puis le mascarete réservées aux filles, remportées par Risultati Regata storica Venezia 2012, i vincitori
Luisella Schiavon
et Giorgia Ragazzi, celle des caorline (barques à six rames) gagnée par l'équipage de Burano en 37'48"08, et la course la plus attendue, celle des gondolini. Celle où se défiaient une fois de plus les cousins Vignotto et Gianpaolo d'Este et son équipier Ivo Redolfi Tezzat, les vainqueurs de 2011 qui ne sont arrivés que troisième, devancés par deux plus jeuens gondoliers, Roberto Angelin et Fabio Barzaghi. Bataille et résultats très commentés par le public.


D'autres évènements contribuèrent à l'extraordinaire animation de cette journée avec la régate des bisse du Lac de Garda, course traditionnelle véronèse, des maciarelle, celle des Atenei Veneti, réservée aux étudiants - vénitiens et étrangers- et la compétition des 8-14 ans, espoirs du nautisme vénitien. L'occasion de rappeler à nos lecteurs que le mot régate est un mot d'origine vénitienne qui est utilisé dans le monde entier et qui dérive du vénitien regatar (mettre en ligne). Au moment du départ, les embarcations sont toutes regroupées côte à côte sur une même ligne pour ne faire qu'un bloc et retenues par un câble appelé spageto attaché à la poupe de chaque embarcation.



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02 septembre 2012

Regata storica : c'est aujourd'hui et en ce moment !


Le miracle de la technique : presque comme en vrai, j'assiste via Skype, à la 116e régate historique depuis une embarcation amarrée près de la Ca'Farsetti, la mairie. Les barques se succèdent : bleu, violet, rose, orange rouge. Et toujours les violons de Vivaldi, et la foule joyeuse. Quel grand et beau moment que cette régate qu'on appelait Regata Reale autrefois. ..En dépit de la chute de la République en 1797, les régates n'ont pratiquement jamais été interrompues à Venise. Les français quand ils occupèrent la Sérénissime organisèrent même des courses spéciales, notamment pour fêter le 14 juillet puis une autre en l'honneur de Joséphine de Beauharnais, devenue l'épouse de Buonaparte qui n'était encore qu'un général ambitieux. Dix ans plus tard, une autre grande régate fut organisée pour le corse devenu empereur. En 1815, quand la ville devint autrichienne, on fit de même pour l'empereur d'Autriche. L'occupant eut l'intelligence de comprendre l'importance de ces régates pour la population et tout fut mis en place pour qu'elles se déroulent régulièrement. C'est à partir de 1841 que la Regata telle que nous la connaissons a pris forme. Interrompue par la révolution de 1848, elle ne reprendra qu'en 1866, l'année même où Venise fut annexée au nouveau Royaume d'Italie et, en 1899, suite à la proposition du maire de l'époque, Filippo Grimani, la régate royale prit le nom de régate historique.

Pendant que j'écris sur l'histoire de la manifestation, la compétition fait rage entre les cousins Rudi et Igor Vignotto (gondoliers qui font partie de l'équipe du traghetto de la Pescheria) qui sur leur gondolino bleu profitent de leur position à l'intérieur de la boucle du grand canal pour dépasser les autres favoris, les vainqueurs de l'année précédente, Ivo Rodolfi Tezzat et Gianpaolo d'Este (ceux du traghetto de la Riva del Carbon) sur la barque rouge. Le gondolino jaune dont l'un des équipiers, Luca Ballarin est le plus jeune de la course, vient d'arrêter suite à un incident inattendu. La foule est au comble de l'excitation. c'est le moment le plus important de la régate. Les deux équipes favorites sont au coude à coude. Partout les tifosi brandissent des ballons aux couleurs de leur équipe. C'est magique, même à distance !


Impressionnante cette course comme chaque année, avec ces athlètes d'une force incroyable, grands  -Gianpaolo d'Este mesure deux mètres ! - et musclés, ils démontrent une incroyable endurance et leur course est vraiment le clou de la manifestation. Mais quelle surprise, la barque violette, de Roberto Angelin et Fabio Barzaghi semble en première position, largement devant les deux équipes favorites. Quel suspense ! Les Vignotto dépassent le gondolino violet, bloquant les rouges. Beaucoup de mains levées, ce qui annonce pas mal de discussions et de débats avec les juges à l'arrivée. Le cri des tifosi se fait hurlements de joie : L'équipage celeste (bleu ciel) des Vignotto est le vainqueur de la 116e Régate Historique devant l'équipe de la terraferma (une première), la barque violette d'Angelin et Barzaghi de la Remiera Mestrina, avec qui il faudra désormais compter. Evviva Venezia !

  

Le retour

Un mois, un long mois de farniente sans internet, sans les bruits de la ville, sans la pollution et le stress d'un quotidien trop souvent déterminé malgré soi. Un mois pour appliquer un vrai "lâcher prise" et rester en dehors des tensions et des préoccupations du monde. Promenades dans les dunes, baignades dans les énormes rouleaux des grandes marées, balades à vélo dans les chemins creux à l'ombre des noisetiers, mais aussi longues heures passées dans le jardin, parmi les hortensias et les rosiers, à lire... Un rythme paisible partagé en famille, loin du monde, du petit-déjeuner préparé et pris en commun jusqu'au dernier verre devant un feu de cheminée. Tout cela est terminé et déjà la rentrée est là. Sans regret ni nostalgie, une page se tourne. Dès demain, les plus jeunes reprendront le chemin de l'école... La douceur de l'air, la lumière rendent la transition plus douce. J'aime cette période de l'année, ou aux étals des boutiques, pêches, melons et abricots se mêlent aux poires, prunes et raisins et qu'on traîne encore volontiers le soir dans la douceur du couchant. 
C'est aujourd'hui dimanche, le premier en ville depuis plus d'un mois. Les rues inondées de soleil sont encore presque vides. Au loin, une cloche sonne qui rappelle Venise. Les odeurs marines de la rivière voisine qui se faufilent par la fenêtre ouverte porteraient-elles à nos oreilles la musique de Vivaldi qui à cette heure inonde le Grand Canal à l'occasion de la 116e Regata Storica ? Pas de miracle sinon celui de la technique : des amis vénitiens ont branché la caméra de leur ordinateur et grâce à Skype, je suis un peu avec eux. Si j'entends les applaudissements (ils sont fournis au passage du Corteo historique) et la musique, il manque la chaleureuse ambiance de la barque, le vin blanc frais et les ciccheti. Être à Venise ce premier dimanche de septembre sera pour une prochaine fois, quand les enfants seront grands. Dieu voulant ! Bonne rentrée à tous.


28 juillet 2012

Tramezzinimag prend quelques jours de vacances

 
Vous l'aurez remarqué, ça ne turbine plus beaucoup à TraMeZziniMag. Cela sent les vacances ! En effet, votre serviteur prend quelques semaines de repos (mérité) sur ses lointaines terres normandes. Le temps de s'oxygéner et de retrouver un rythme paisible et bienheureux : promenades en famille dans les dunes, balades en vélo, confitures et pâtisseries comme autrefois, lectures et farniente dans le jardin ou sur la plage si le temps le permet, ou devant la grande vieille cheminée (c'est Cotentin avec le climat qui va avec !). Le temps de reprendre des forces pour affronter la rentrée, l'automne puis l'hiver. Bonnes vacances à tous nos lecteurs et à bientôt.

19 juillet 2012

Fête de San Giacomo dell'Orio : A Venexia se divertimo ancora cussì...



Pour ceux qui sont à Venise en ce moment, touristes ou vénitiens, une manifestation devenue une tradition, se déroule jusqu'au 21 juillet : c'est la fête de San Giacomo dell’Orio. Pendant dix jours, le campo accueille chaque soir des stands gastronomiques et des concerts. La fête comme on sait la faire à Venise. Musique et bal comme autrefois, avec une musique d'aujourd'hui. Sur la scène se succéderont des groupes vénitiens dont certains commencent à se tailler une bonne réputation comme par exemple le groupe Ska-J, les Pitura Stail pour les amateurs de reggae et la Salsa du groupe Batisto Coco, rythme des Balkans avec le Rimmonnim Klezmer Band, on pourra aussi entendre La Ghenga Fuoriposto de Marghera. Toutes les informations ICI.

17 juillet 2012

Les chats de Venise : quelques rescapés




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Un grand remerciement aux auteurs de ces superbes photos
 et aux chats qui acceptent que leur image soit diffusée.
 

Délices à la vénitienne : la poêlée d'anguilles

 "Magna e bevi che la vita xe un lampo" ..

 Quand vient l'été, le temps des vacances et du farniente, on a souvent envie de changer un peu ses habitudes. Le train-train quotidien, qui laisse peu de place à la fantaisie, est loin derrière nous pour de longues semaines. C'est souvent le désarroi au début. On ne sait plus très bien où on en est. Autre rythme, autres lieux, il faut tout réinventer mais bien vite le corps et l'esprit s'adaptent au nouveau décor. Finies les contraintes, les coups d’œil nerveux à la montre, le stress. C'est enfin le temps pour soi, pour ceux qu'on aime. L'occasion de concocter de bons petits plats et de les savourer. Bien que le temps jusqu'ici n'est pas été des plus cléments, un repas en famille sous la tonnelle, dans le jardin ou un pique-nique sur la plage, quoi de plus sympathique ? Pour nous ce soir, c'était un festin de doge. Jugez vous-même : un gargantuesque plat de polenta fumante couverte d'une épaisse couche de bon beurre fondu et de parmesan frais pour accompagner des Bisati in teglia(anguilles à la poêle) comme on les savourait déjà du temps de Casanova. La recette - qui diverge un peu de la mienne - est d'ailleurs citée dans l'excellent ouvrage "Casanova, un Vénitien gourmand".
 

Il vous faut : 1 kg d'anguilles préparées et coupées en tranches, des gousses d'ail, un bouquet de ciboulette et un de persil, du romarin frais, et de la sauge (fraîche aussi), huile d'olive, beurre frais, vin blanc, sel et poivre, polenta.

Bien nettoyer les tronçons de poisson, les faire dorer à feu vif dans l'huile d'olive mélangée au beurre. Ajouter ensuite l'ail et les herbes finement ciselées et après avoir bien mélangé le tout, ajouter les feuilles de sauge. Remuer puis ajouter peu à peu le vin blanc en prenant soin de déglacer complètement la poêle pour avoir une sauce très dense. Saler et poivrer. Servir aussitôt sur de la polenta fumante couverte de beurre et de parmesan. Une autre possibilité est de servir les anguilles avec des grandes tranches pain blanc, genre Ciabatta (à faire à la maison, c'est meilleur) que l'on imbibera de sauce. C'est un plat divin.
..Comme je disposais d'oignons et de poireaux frais coupés du jardin des voisins, j'avais garni les assiettes avec une fondue de poireaux et d'oignons cuite doucement avec du poivre dans de l'huile d'olive et du beurre avec un peu d'ail haché . Cette compotée allége parfaitement la polenta et les anguilles couvertes de leur onctueuse sauce. N'ayant plus de polenta sous la main, j'ai servi cette poêlée avec des pâtes simplement juste agrémentées de jeunes tomates bien mûres, d'ail et de romarin frais du jardin. Un délice.

11 juillet 2012

Venise, le sénateur et les paquebots géants


Il est réjouissant de voir que parfois certains de nos combats, ces coups de gueule qui agacent plus d'un lecteur, en rapport avec des faits qui nous désolent tous, sont repris par les grands médias internationaux et peuvent ainsi atteindre enfin le grand public. C'est le cas de l'actuelle polémique sur les Grandi Navi, dont Tramezzinimag dénonce les dangers depuis longtemps et qui fait l'objet d'un excellent article dans Le Monde daté du mardi 10 juillet. Avec pertinence, le papier d'Evelyne Evin expose les faits et donne l'essentiel des éléments qui manquent la plupart du temps aux commentaires sur l'actualité de la Sérénissime. Cela nous réjouit et nous félicitons l'envoyée spéciale du journal pour avoir su traduire avec exactitude et précision la situation actuelle à venise ! 
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Un sénateur italien veut mettre Venise et sa lagune à l'abri des paquebots géants  par Florence Evin
 
Le trafic aux abords de la cité des Doges est de plus en plus intense en dépit d'interdictions prises par le gouvernement
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Lundi 9 juillet, Felice Casson, sénateur de Venise, devait présenter son projet de loi "Pour la sauvegarde de Venise et sa lagune" aux habitants de la cité. Ce projet, actuellement en discussion devant la Commission pour l'environnement du Sénat, prévoit de confier au maire de Venise la pleine autorité sur la gestion de la ville et de sa lagune. Et représente, s'il est adopté, l'espoir d'un vrai changement. Car si, au lendemain du naufrage du Costa Concordia sur l'île de Giglio, l'injonction de l'Unesco visant à interdire l'accès du bassin de Saint-Marc et du canal de la Giudecca aux grands paquebots a été entendue par l’État italien, rien n'a changé sur le terrain. L'arrêté ministériel pris le 2 mars interdit bien aux navires de plus de 40 000 tonneaux de croiser au plus près du palais des Doges... Mais il ne sera appliqué qu'après la mise en place d'une solution alternative. "Toutes les autorités, aux compétences très variées, se renvoient la balle, précise le sénateur Casson, ancien procureur de la République à Venise, la capitainerie du port, le ministère des travaux publics, l'autorité portuaire, la province, la commune, le magistrat des eaux, organisme créé au XVIe siècle et qui aujourd'hui dépend de l’État..."
 
Comme le résume avec humour Francesco Bandarin, directeur général de la culture à l'Unesco, vénitien lui-même, "la situation est "pilatesque". Tous se lavent les mains. Et le problème du stationnement de ces monstres des mers tarde à être résolu : ils sont de plus en plus nombreux à mouiller dans le port de Venise, à l'extrémité du Grand Canal. "Les deux ou trois grandes compagnies de croisières qui contrôlent le trafic mondial ont une puissance de feu remarquable. C'est le business le plus spectaculaire de la planète" constate M. Bandarin.
 
Ainsi, le Divina de la compagnie MSC Croisières, baptisé le 26 mai à Marseille avec Sofia Loren pour marraine - 333 mètres de long, 67 de haut, 38 de large, 18 ponts, 4.365 passagers, jaugeant 140.000 tonneaux - programme toutes ses croisières au départ de Venise. Ces paquebots de luxe, trois fois plus hauts que les édifices multicentenaires, font des ronds dans l'eau jusqu'à frôler l'île. Une vision qui pétrifie, tant leur masse impressionne.
 
Le maire de Venise, Giorgio Orsoni s'inquiète "des dégâts provoqués sur les fondations de la cité par le passage des bateaux dans le canal de la Giudecca, profond de dix mètres seulement. Leur déplacement sous l'eau a un effet de pompe sur les vases, jusqu'à faire trembler la basilique Saint-Marc". Sans compter l'air vicié : "En une seule journée, chaque paquebot libère une pollution égale à 14.000 voitures", prévient le comité No Grandi Navi Venezia, qui ne rate pas une occasion de protester à bord de barques traditionnelles.
 
Désabusé, le maire enfonce le clou : "nous sommes victimes de l’État. Le bassin de Saint-Marc, la grande place d'eau de la ville, appartient à l’État. C'est comme si le maire de Paris n'avait pas son mot à dire sur la place Vendôme. Les grands paquebots traitent avec les autorités portuaires qui dépendent de l’État. Ils versent 40.000 euros à chaque mouillage. Il y a 3 500 passages par an. Cela ne rapporte rien à Venise. Les deux millions de passagers qui débarquent ne dépensent rien, tout juste une boisson".
 
La fragilité de la lagune inquiète. "Les vagues profondes créées par le passage des bateaux creusent les fonds et transforment peu à peu la lagune en bras de la mer Adriatique. Ce phénomène d'érosion est particulièrement grave dans sa partie sud", précise le professeur Angelo Marzollo, auteur pour l'Unesco du rapport "Écosystème lagunaire vénitien". Quelle option retenir ? Le sénateur Casson se montre radical : "Il faut positionner les bateaux de plus de 30.000 tonneaux hors de la lagune. Soit au port de Malamocco, soit dans un port offshore créé exprès près du MOSE, (système d'écluses, en chantier, qui fermera la lagune pendant les hautes eaux). Et en attendant, le port de Marghera, desservi dans la lagune par l'ancien canal des pétroliers, pourrait faire l'affaire". 
 
Au final, c'est la sauvegarde de Venise, patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1987 et lieu de vie, qui est en jeu. "Les Vénitiens n'habitent plus Venise, devenue trop chère, déplore le sénateur. Les canaux sont bouchés, il faut les nettoyer et ne pas réserver les financements disponibles à la seule construction du MOSE. Le tissu urbain est très délicat. 60 000 habitants ne peuvent accepter vingt millions de touristes par an" sur six kilomètres carrés. Il faut favoriser "un tourisme intelligent."
 
"Le point de vue doit être patrimonial avant tout, résume Francesco Bandarin. La ville est une icône, elle doit l'assumer complètement. Il faut avoir une vision stratégique pour les dix ans à venir." La loi Casson, si elle est votée, devrait donner à Venise les clefs de son propre destin.
Florence Evin
© Journal Le Monde
Pour lire l'article sur le site du journal, cliquer ICI

10 juillet 2012

Un chat par un après-midi d'été à Venise...

 
Ne serait le décor et les accessoires qui montrent bien combien notre époque est dénuée de sens esthétique, favorisant depuis des lustres le pratique plutôt que la beauté, cette image pourrait être de tout temps. Un chat, au soleil, sur le rebord de sa fenêtre qui observe des moineaux sur le toit voisin. L'ocre de la façade, l'intensité du soleil et la douceur de l'air, tout cela respire la sérénité d'un jour de juillet quand le vent ne souffle pas encore les étouffantes effluves qu'il ramène des lointaines contrées africaines...

02 juillet 2012

Venise et les peintres (I)

Venise et les peintres... Une longue histoire d'amour. un peu de hargne aussi parfois. Comment résister à cette lumière, à ces couleurs, à la magie des reflets... 

Ce miroitement qu'il est tellement difficile de traduire. Et les perspectives, la beauté altière des palais, la fascinante profondeur des ciels changeants... Beaucoup ont échoué à traduire ce miracle de beauté. Certains y parviennent à tel point que leur œuvre est définitivement associée à tout cela qui fait Venise et le regard qu'on pose sur elle, même à distance.





J'aime depuis longtemps partir à la recherche de ces vues de Venise, ces portraits de la Sérénissime nés un jour de la fascination d'un artiste, connu ou inconnu, professionnel ou amateur depuis le XIXe siècle. La galerie TramezziniMag vous en présente ici quelques uns, glanés au fil des ans, des expositions, des ventes et des lectures. Eugène Boudin aimait particulièrement la lumière sur les façades et leur reflet dans l'eau des canaux, comme le montrent les deux huiles présentées ci-dessus. 

Bon nombre de voyageurs ont avec eux un carnet à dessin où ils tentent d'immortaliser toute la beauté des lieux qu'ils arpentent. Simples ébauches, dessins achevés, crayon, encre, aquarelle, ces croquis ont toujours une âme et sont la plupart du temps remplis de poésie. Ils traduisent, parfois maladroitement l'amour de leurs auteurs pour Venise.



01 juillet 2012

Premier dimanche de juillet, l'été enfin !


That sunday, that summer chante Nat King Cole. Cette belle chanson rythme ce premier et délicieux dimanche de juillet. Il fait vraiment beau, l'air est doux, parfumé encore des senteurs printanières qui ont tant tardé à se répandre, qu'une brise légère comme dans un film de Jacques Demy, répand dans la maison. Constance termine la préparation de son sublime fondant au chocolat. Tout à l'heure nous irons à la messe, comme chaque dimanche chez les dominicains, dont la magnifique liturgie retient et séduit les plus rétifs de mes enfants tellement tentés par l'attrait des fureurs du monde moderne et qui retrouvent dans ces moments tout ce pourquoi l'office dominical a été créé et qui en est peut-être le principal Mystère. Arrivant tous avec le poids de nos faiblesses, de nos doutes, notre mauvaise humeur et nos ressentiments, l'heure d'abandon au milieu des volutes d'aloès et de myrrhe, portés par le chant des moines sous la splendeur baroque de ce temple, fait fondre nos carapaces et tomber nos haillons. Je remarque à chaque fois l'atmosphère joyeuse et légère de la sortie, quand sur le parvis les fidèles se mêlent aux frères. 

C'est à chaque fois comme le deuxième allegro du concerto en La mineur de Vivaldi (RV418) dont on retrouva une copie dans l'ancien monastère de Cosmo e Damiano, à la Giudecca, ce bel édifice encore debout aujourd'hui et qui fut tour à tour un entrepôt, une usine de textiles, un hospice pour déshérités. L'église y abritait des trésors dont certains sont aujourd'hui conservés à l'Accademia. Mes lecteurs vont finir par penser que cela tourne à l'obsession pathologique, mais je ne sais aborder un sujet sans évoquer rapidement le lien qui se fait en moi avec la Sérénissime. Mais si c'est de démence dont il s'agit, je veux bien m'y vautrer avec joie et détermination Et à tout jamais ! Bon dimanche à tous. 
 

29 juin 2012

Pour une fois qu'une guerre ne tuera personne !

Beaucoup de mes lecteurs s'insurgent parfois du caractère négatif de certains des billets de TraMeZziniMag. Le constat quotidien de la perte d'âme est douloureux pour ceux qui, vivant à Venise ou la considérant comme leur patrie de cœur. cependant, il ne fait pas de nous des réactionnaires aigris. Au contraire. Seulement, lorsque la plupart des médias - cela dure depuis des siècles - tendent à véhiculer une vision orientée des événements où tout n'est pas bon à dire, j'estime que nous devons dire la vérité. C'est une chose vitale pour la liberté. La phrase de monsieur de Beaumarchais, "Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres" devrait être le serment prononcé par tous ceux qui font profession d'informer. 
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Dire que les tagueurs sont des iconoclastes dangereux fait ricaner. Avoir dépassé le demi-siècle et dire cela de jeunes gens vigoureux qui inventent le monde de demain est pour beaucoup un crime de lèse-majesté. Surtout ne critiquons pas notre belle jeunesse. Pourtant ces writers comme on les a baptisé, commettent par la laideur de leurs graffitis un crime contre la beauté. Leurs graffitis n'ont rien à voir avec l'Art Urbain, le street art, qui s'il investit les mêmes supports dans les villes, est avant tout une démarche esthétique, une posture artistique qui le plus souvent s'intègre bien aux lieux où il est apposé, ne les défigure ni les endommage et constitue une forme reconnue d'activité artistique. Ces pochoirs et autres collages ont une durée de vie volontairement limitée. Ils expriment, souvent avec beaucoup d'humour, un message, personnel ou générique, où l'humour et la beauté sont toujours présents. Ce n'est hélas jamais le cas de ces tags sauvages. Rien à voir avec le sympathique collage ci-dessous qui ne nuit en rien à l'harmonie des lieux. .
Photographie : © Eric Ségelle - Tous Droits Réservés.
Je suis un esprit simple. Pour moi, avant toute autre chose, il y a l'amour et la beauté. Les merveilles que plus de vingt millions d'êtres humains viennent admirer en troupeau chaque année ont été érigées par des hommes qu'emplissait l'amour du beau. C'est la certitude de sa transcendance qui leur dicta ces réalisations, permettant la contemplation de merveilles qui sont autant de représentations imparfaites du Royaume de Dieu. En souillant les murs de Venise, les jeunes barbares font le travail du diable. Ils nous habituent à l'immonde, à la pestilence, au dégoût. Ils illustrent la désespérance, le désamour. La haine. Le mépris des autres aussi. Il est de bon ton chez certains de voir dans cette débauche d'immondices la désorientation de cette pauvre jeunesse à qui la société a offert la paix, le confort, la sécurité, satisfaisant à tous leurs instincts même les plus bas, au lieu de les contraindre à la guerre, à la peur, au manque. Les tagueurs des nuits de Venise ne sont pas des révolutionnaires en révolte contre le système. Ce sont de sales enfants pourris qui crachent sur la beauté, qui renient l'esthétique des temps passés, en refusent le modèle et gueulent la vacuité de leur vie dans le tumulte infect d'une musique enivrante et la fumée de leurs pétards. Nous en sommes responsables. "Pas assez de coups de pied au cul" me disait un vieil instituteur l'autre jour. De quoi être pessimiste, vous l'avouerez, car aucune punition n'est possible. Aucune rééducation à l'art et à la beauté, à la transcendance et au respect du bien commun ne pourrait fonctionner. Les bien-pensants crieraient aussitôt à la répression et nous passerions pour des ayatollahs... . ..
En attendant, le Gazzettino s'en faisait l'écho hier ou avant-hier : la guerre aux murs souillés est déclarée et Tout l'arsenal répressif est en route, mais s'il est satisfaisant de savoir que l'autorité publique a enfin pris la mesure du défi, ce n'est pas le plus important. Ce qui compte c'est qu'on permette enfin aux visiteurs comme aux quelques vénitiens qui restent de ne pas être partout et à tout moment, confrontés à ces tags hideux, signatures hiéroglyphiques bizarroïdes qui servent à marquer le territoire de ces ersatz de révoltés comme en usent les canidés avec leur urine. Retrouver une ville certes décatie dans bien trop d'endroits, mais qui demeure le vivant manifeste de l'amour des hommes pour la beauté, leur participation à la transcendance.
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L'annonce de cette guerre ouverte officiellement a été accueillie avec joie par les vénitiens. (un vieux gondolier connu pour ses saillies, s'est écrié dans son bar favori en lisant le journal "Tiens, ça y est enfin, la chasse est ouverte !"). Les contrevenants pris sur le fait seront traduits devant les tribunaux pour dégradation récidivante et les peines seront lourdes. En attendant, tous à nos éponges, nos brosses et nos pinceaux pour nettoyer les façades et faire oublier cette laideur !

28 juin 2012

San Gregorio au temps des Habsbourg

Le cloître de San Gregorio par Antonietta Brandeis (1849-1920)

Originaire de Erdmannsdorf-Zillerthal, en Bohème (aujourd'hui Myslakowice en Tchéquie), elle fut élève de l'école des Beaux-Arts de Prague avant de suivre à Venise, les cours de Michelangelo Grigoletti alors directeur de l'Accademia. Elle a produit une grande quantité de peintures sur Venise dans l'esprit des védutistes que TraMeZziniMag aime particulièrement.

25 juin 2012

Touristes...

Venise. Une journée ordinaire près de San Marco.

Mes lieux secrets : les bibliothèques de Venise


Ils n'ont rien de bien original, ces lieux où j'aime m'installer à Venise pour travailler, enrichir ma connaissance de la ville et de son histoire, écrire aussi. Les lecteurs de Tramezzinimag ont compris depuis longtemps que lire et écrire sont le moteur de mes jours. Si j'écris n'importe où, j'ai besoin pour lire et réfléchir  à ce que je lis, de lieux spécifiques. La Querini le soir, la Fondation Cini, les Archives d’État aux Frari, la petite bibliothèque de l'institut d'études orientales de l'Université... Autant de lieux qui ne seront jamais envahis par les foules et demeurent des endroits merveilleux, tant par leur cadre, que leur emplacement, leur histoire et... leur odeur, faite de poussière et de ce mélange d'huile de lin et de térébenthine qu'on utilise ici pour faire briller les sols en terrazzo comme les boiseries des murs.
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Ceux qui me lisent savent combien les salles de la Querini Stampalia ont compté pour moi. Les longues soirées studieuses quand la nuit tombée sur la ville recouvrait tout d'une chape de mystère et de rêve, avec par les fenêtres grandes ouvertes le parfum de l'herbe coupée du jardin, le clapotis de l'eau de la fontaine, une cloche au loin... A l'étage des Archives, on respire une odeur particulière de poussière et d'herbes rares, certainement le parfum des poudres utilisées pour chasser les insectes et prévenir la moisissure des vélins anciens. C'est pour moi l'odeur du passé glorieux de Venise.
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Dans les belles salles de la Fondation Cini, la lumière pénètre par de grandes baies vitrées et joue avec chaque forme, égayant le silence recueilli qu'elle anime soudain d'une farandole muette où des milliers de grains de poussière dansent joyeusement... Il y a aussi les salles de l'Ateneo Veneto, et bien sur la Marciana...
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Autant de sanctuaires du livre, remplis de trésors passionnants à découvrir. Une vie entière ne suffirait pas pour tout lire, tout humer, tout feuilleter... Fort heureusement, d'autres après nous en découvriront les joies. Aucune tablette numérique, même la plus sophistiquée, ne remplacera jamais le bonheur qu'il y a à prendre un livre dans des rayonnages anciens, à le poser sur la table sous la lampe, à l'ouvrir respectueusement puis à en tourner les pages, humant tous les parfums qui s'en exhalent, vapeurs odoriférantes venues des temps anciens, particules de l'air qu'on respirait autrefois.

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24 juin 2012

COUPS DE CŒUR N°47

Antoine et Marie, deux parisiens rencontrés récemment par le biais de ce blog, nous ont demandé "d'autres" adresses de restaurants. Je vous livre ici deux endroits que j'aime et où on mange bien. Ils sortent de l'ordinaire vénitien et n'ont rien en commun avec ces gargotes adeptes du "menu turistico", tout de même toujours frais mais de moins en moins inventif et s'éloignant de plus en plus de la vraie cuisine vénitienne déjà sacrément ébranlée depuis la première guerre mondiale (cf. l'excellent ouvrage d'Alvise Zorzi "la cuisine des doges" dont nous avons déjà parlé). 

ALLA ZUCCA
S.Croce, 1762
ponte del megio
tel.: 041-5241570. 
Fermé le dimanche
Située près du pittoresque campo San Giacomo dell'Orio, à l'angle d'un pont et d'un canal, 'tout près du Palais Mocenigo et de San Stae), à deux pas de l'arrêt du vaporetto, cette trattoria est née il y a vingt cinq ans. Autrefois repère d'étudiants, on pouvait y dîner de risotto à la citrouille ou aux champignons, de pizzas garnies de légumes frais, et boire un agréable vin de pays. Les temps ont changé, les clients ont vieilli et les propriétaires ont passé la main. Le décor demeure assez rustique, la clientèle faite pour l'essentiel de voisins et de gondoliers. Si on y mange toujours aussi bien, les prix sont un peu plus élevés mais restent très raisonnables. L'ambiance y est restée très chaleureuse. C'est aussi fermé le dimanche comme trop de bons endroits.
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ANTICA TRATTORIA BANDIERETTE
Castello 6671, Barbaria delle Tole
Tel. : 041 522 06 19
Quand nous logions chez la rayonnante Caroline Delahaie à sa Ca'Bragadin, le maître de maison, Gérard, nous avait recommandé une trattoria voisine, située sur la Barbaria delle Tole, cette rue très animée au nom pittoresque dont l'origine vient des anciennes scieries qui y étaient installées autrefois. Il y avait sur la Fondamenta Nuove, et tout le long des bords de lagune des chantiers navals. L'endroit où est aujourd'hui, parmi de nombreux magasins le restaurant dont nous parlons, était autrefois le lieu d'arrivée des nombreuses régates organisées par la République. Les vainqueurs recevaient - c'est encore comme cela aujourd'hui - des bannières de tissus aux couleurs des quartiers ou des corporations. D'où le nom de la trattoria. Mais dans le quartier, les vénitiens continuent de l'appeler "da Tiraca" (en dialecte vénitien le mot "Tiraca" veut dire "bretelle"), simplement parce que l'ancien propriétaire était célèbre pour ses nombreuses et originales bretelles. Lieu accueillant, où l'on continue de préparer des plats typiques essentiellement à base de poissons. Des préparations simples mais toujours à base de produits très frais et de qualité. C'est du "comme à la maison" et après y avoir goûté, plus personne n'en doute, je vous l'assure. C'est pour ça que dans la salle on entend surtout parler vénitien et que le dimanche c'est rempli de familles qui viennent passer un agréable moment "casalinga". C'est à deux pas de Zanipolo (SS. Giovanni e Paolo). Vous y serez bien accueillis et vous ne regretterez pas votre soirée ! Au passage, je signale la pâtisserie RosaSalva, aux pieds de la statue du Colleone. Dès les premiers rayons de soleil du printemps, la terrasse est très agréable. Le café y est bon et vous pourrez choisir pour l'accompagner les délicieuses pâtisseries à base d'amande de la maison (essayez donc la "torta di Mandorla" rectangle de pâte sablée garnie d'une pâte faite d'amandes hachées, de noisettes et recouvert de sucre glace, un délice vraiment). Les tramezzini y sont très bons, ainsi que le croque-monsieur ("toast" en italien). Le bar voisin est aussi très agréable. Une bonne étape après la visite de la basilique et avant d'entamer une longue promenade sur les quais du Nord, face à San Michele.


Avez vous déjà goûté les BAICOLI ?
Ces fameux biscuits très secs que les marins emportaient avec eux ?Plusieurs pâtissiers en fabriquent encore mais les plus célèbres sont ceux de Colussi. Le pâtissier Marchini en propose aussi et les expédie dans le monde entier. Un ami médecin, le docteur De Vanni, disait toujours que c'est le seul biscuit manufacturé au monde sans un seul produit chimique artificiel, naturellement sec avec 10 grammes de matière grasse pour 100 grammes de biscuit, autant de protéines et le reste en carbo-hydrates. ce qui donne un délice avec 440 calories pour 100 grammes. Voilà ce qui explique le goût des marins pour ce biscuit coupe-faim et léger en même temps. En plus la boite est jolie. les affiches publicitaires originales de Colussi datant des années 30 se vendent une fortune. Parfois, on trouve de vieux modèles de boîtes chez les brocanteurs de Venise. J'en ai trouvé une illustrée de marquises et de masques datant des années 1940, un jour sur un mercatino d'antiquités à Rome, pour trois sous. La prochaine fois que vous allez à Venise, goûtez-les. On en trouve parait-il à Paris.

Bon dimanche !




23 juin 2012

L'Amerigo Vespucci mouillait à Venise

Le fringant voilier de la marine italienne était à Venise il y a quelques semaines. C'était à l'occasion du 151e anniversaire de la Regia Marina (la Royale italienne). Ce magnifique navire-école à la coque noire rayée de blanc est très reconnaissable, avec sa luxueuse proue dorée. Sa masse élégantissime sied bien au décor unique du Bacino di San Marco ne trouvez-vous pas ? Né sous le fascisme, il est la réplique avec son sistership, le Cristoforo Colombo (cédé aux soviétiques en 1948 et devenu le Dunaj, détruit en 1971) d'une frégate du XIXe siècle. Si vous avez pris des photos du navire et de ses visiteurs, n'hésitez-pas à nous les envoyer, nous les publierons dans ces colonnes.

22 juin 2012

La Casa Zuliani


"Signor Lorenzo, signor Lorenzo, aiuto !" C'est avec ces paroles inquiétantes hurlées plutôt que prononcées par la vieille dame du second, au moment où j'allais ouvrir les volets de la galerie Ferruzzi, au 710 de la Fondamenta Venier, à San Vio, dont j'étais depuis quelques mois le responsable, que commença ma journée. 
 
C'était un matin de printemps, l'air était doux, la lumière diaphane. Le quartier étai encore silencieux. Seul le petit bar de l'autre côté du rio delle Torreselle était déjà ouvert, diffusant la délicieuse odeur du café fraîchement moulu. Les cris venaient d'une des fenêtres au-dessus de la galerie. La voisine échevelée penchait la tête et gesticulait, visiblement en prise à une certaine panique. j'imaginais déjà un incendie ou je ne sais quel horrible accident.
 
La porte du 709 était ouverte, je grimpais l'escalier quatre à quatre. Arrivé sur le palier du deuxième étage, la première porte était entrouverte. La Signora était littéralement agenouillée, la tête inclinée devant une banquette. Elle en soulevait d'une main les franges et de l'autre essayait d’attraper quelque chose. On entendait des feulements. Échevelée, la vieille dame d'habitude toujours très élégante, était méconnaissable. Vêtue d'un peignoir parme et en pantoufles, elle semblait désorientée. Sous le divan, sa chatte Melia, belle petite siamoise d'un an, était en train d'accoucher pour la première fois. Et cela ne se passait visiblement pas très bien. L'animal miaulait de terreur et la vieille dame gémissait et hurlait.


Je me penchais à mon tour. Le spectacle était assez effrayant : la petite chatte, certainement terrorisée par les douleurs de l'enfantement, coincée entre les ressorts et les lattes du sommier, ne parvenait plus se dégager. Le travail avait commencé, et un chaton pendait lamentablement, une patte accrochée à un bout de ressort métallique. La chatte miaulait désespérément, et la vieille dame se lamentait de plus belle. 
 
Ma salive ravalée, j'entrepris de soulever le divan. C'était un de ces gros meubles en bois sombre comme on en trouve beaucoup à Venise, vestige des décors très en vogue du temps des autrichiens. Il était aussi lourd qu'un bahut breton. La chatte, comprenant qu'on venait à son secours s'était mise à ronronner. Le petit, suspendu au sommier, tout dégoulinant et poisseux, remuait ses petites pattes comme s'il cherchait à se sortir de cette position, peu naturelle pour un nouveau-né. Le divan soulevé et le dosseret posé sur le sol, je réussis à écarter deux énormes ressorts, libérant la pauvre bête et son petit. La vieille dame vida une boite à ouvrage matelassée qui se trouvait à portée. elle la garnit d'un coussin et le recouvrit d'une serviette. On y déposa enfin la jeune maman. Dans les minutes qui suivirent, trois petits vinrent rejoindre leur aîné revenu de loin et qui déjà tétait goulûment. 
 
Soulagée, la Signora me proposa un café. Elle disparut quelques minutes dans sa chambre et revint coiffée et pomponnée. Son visage avait repris des couleurs, et un large sourire éclairait son regard. Le divan remis en place et les traces de l'accident effacées, le salon avait retrouvé son atmosphère paisible. Situé exactement au-dessus de l'entrée de la galerie, il était rempli de meubles en acajou. Le pavimento me sembla assez ancien, jaune et blanc, il était recouvert d'un tapis de laine. Aux murs plusieurs vues anciennes et des broderies comme on en réalisait beaucoup à la fin du XIXe. "Savez-vous que cette pièce a été occupée par Henri de Régnier, le poète français ? La maison était une pension tenue par mes tantes. Il a habité ici à plusieurs reprises. Il voulait toujours une des chambres qui donnent sur le jardin, mais mes tantes disaient qu'elles étaient trop sombres". 
 

J'avais eu l'occasion à plusieurs reprises de visiter la Ca'Dario que personne alors n'habitait vraiment. Au Palais Mocenigo, la comtesse Foscari m'avait montré un vieux livre d'or où l'écrivain avait laissé un mot et sa signature, l'antiquaire du campiello Barbaro avait essayé de me vendre un encrier en papier mâché jaune très abimé, prétendant qu'il lui avait appartenu... Mais je n'avais jamais senti sa présence avec autant d'acuité. Moi qui prétendait devenir écrivain, je me trouvais soudain, par le plus grand des hasards et l'imprudence d'une jeune chatte parturiente, dans une pièce où il avait certainement écrit ou réfléchi à ses livres à venir. Des fenêtres on dominait le rio et ses deux quais, celle de San Vio où se dresse la maison, et la Fondamenta Zorzi Bragadin où on voit le jardin cachés par de hauts murs au regard des passants et le portique de pierre qui ouvre sur le campiello Sabbion avec son joli puits. Henri de Régnier décrit la maison des Sorelle Zuliani dans le premier volume de L'Altana où la Vie vénitienne
 
Quelques jours plus tard, la vieille signora vint me voir à la galerie. Mon bureau était dans la salle du fond. Voûtée, elle donne sur les jardins du palais Venier. Un grand fauteuil club recouvert de tissu peint à larges rayures par Ferruzzi accueillit la dame un peu plantureuse. "Mes tantes n'aimaient pas ce jardin, il faisait trop d'ombre dans la maison et amenait les moustiques". Détail déjà noté par Régnier. Elle était venue me remercier, et posa un petit paquet sur mon bureau. Dans le papier de soie mauve, je découvris deux petits miroirs ovale au tain un peu passé encadrés par de jolis volutes en stuc noir à l'imitation de l'ébène. "Ils ont toujours été dans la maison et j'ai pensé que cela vous plairait de les avoir". Je les vois chaque matin quand je me lève, et je pense alors à la vieille Signora, aux sœurs Zuliani, à Henri de Régnier dont ils ont certainement réfléchi l'image, du temps où il vivait au 709 de la Fondamenta Venier.