18 septembre 2008

COUPS DE CŒUR N°30

La Sérénissime et la Sublime Porte
Musique baroque de Venise à Istanbul
Ensembles La Turchesta et Cevher i musiki dirigés par Chimène Seymen.
Label Calliope, 2007.

Le 29 mai 1453, en fin d'après-midi, vers la Porte Saint-Romain rebaptisée ensuite Porte du Canon (Topkapi en turc), les troupes du jeune sultan Mehmet III envahissent Constantinople après un long siège de deux mois. C'est un monde qui s'écroule. Sainte-Sophie devient une mosquée, le sultan fait construire le palais de Topkapi sur une colline au dessus du Bosphore. Les meours vont vite changer. C'est l'Orient qui succède à l'Occident. Mais qu'en est-il de la musique ? Ce disque apporte la réponse. On y entend des pièces turques et européennes du XVIIème siècle qui furent jouées dans les salons somptueux du sérail du sultan, au milieu des ors byzantins et des céramiques polychromes ottomanes.
Chimène Seymen, musicologue et soprano, se consacre à l'étude des musiques européennes et ottomanes au XVIIème siècle, à leurs relations et influences réciproques. Ce disque original, qui n'est pas sans rappeler dans son esprit les initiatives de Jean-Christophe Frisch sur la musique dans la Cité interdite, se veut un échantillon des musiques jouées à la Sublime Porte. Celles-ci sont entre autres connues grâce au travail d' Ali Ufkî : Remarquable linguiste, familier de la notation musicale européenne, et doté d'une extraordinaire mémoire musicale, ce joueur de psaltérion, musicien de la chambre, compila un recueil de près d'un millier de pièces instrumentale et vocale. A une époque où la musique ottomane ne se transmettait que par voie orale, son initiative est très précieuse. Dans la version préparatoire de cet ouvrage, aujourd'hui conservée à Paris, se trouvent également des pièces européennes diverses qui soulignent le dialogue musical entre les cultures. Le Sultan et ses odalisques ne furent donc pas insensibles de l'art de Landi ou Barbara Strozzi...
Le programme du disque joue sur cette dualité, et panache allégrement musique ottomane et vénitienne, confiant chaque répertoire à un ensemble différent, intégrant même un santur (sorte de psaltérion) aux pièces vénitiennes, et quelques instruments européens dans les morceaux ottomans. Il doit être noté que la démarche d'interprétation sur instruments authentiques est tout à fait novatrice dans la Turquie actuelle : le groupe Cëvher i musiki est ainsi constitué de professeurs du conservatoire national de musique traditionnelle d'Egée, dont le département de lutherie a spécialement reconstitué les instruments d'époque (sehrud, rebab, santur, tanbur...). Le lien historique entre Constantinople et Venise mérite ce genre d'extension.
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Tomaso Albinoni
12 Sonates à trois pour violon, violoncelle et basse continue, Opus 1
Ensemble Parnassi Musici
Label Cpo Records
Tomaso Giovanni Albinoni (1671-1751), exact contemporain de Antonio Vivaldi, vénitien comme lui, n'est pas l'auteur du faleux adagio mis à toutes les sauces. Il a laissé suffisamment d'oeuvres pour ne pas s'acharner à l'associer à cet opus : des concerti pour hautbois, mais surtout plus de cinquante opéras et des pièces instrumentales. Neuf opus ! Parmi celles-ci se trouvent les douze sonates en trio de l'Opus 1, dédiées en 1704 au Cardinal Ottoboni, pour qui travaillait Corelli. D'un style très corellien, toutes coulées dans le moule de la sonata da chiesa en quatre mouvements. Johann Sebastian Bach utilisa dans plusieurs de ses fugues pour clavier des thèmes tirés de mouvements de ces sonates. Magnifiquement articulées, avec des réalisations souvent imaginatives de la ligne de continuo et des improvisations introductrices ajoutées avec goût. Les instrumentistes de l'ensemble Parnassi Musici ont su parfaitement capter la profonde gravité des mouvements lents, très doux (comme chez Corelli), articuler cette musique qui mérite d'être mieux connue. Le second mouvement de la sixième sonate offre un bon exemple de la qualité de l'interprétation. Les instruments sont tous clairement et parfaitement reproduits, le son est net et brillant, dans une acoustique naturelle qui donne l'impression d'être aux musiciens. Un régal.
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Un si tendre abandon
Jean-Pierre Guyomard
Livres de Poche, 2008
Il est des livres comme des conquêtes amoureuses. Quand on les cherche, rien de bien ne vient mais quand on s'abandonne au hasard des rencontres, c'est là que tout arrive. J'avais acheté pendant les vacances tout un tas de livres en prévision des longues journées de farniente, qu'il fasse beau ou qu'il pleuve, j'étais paré. Parmi ces livres un peu achetés au hasard - un joli titre, une belle couverture, quelques lignes glanées en feuilletant l'ouvrage - ce roman ne semblait pas devoir marquer mes journées. Pourtant quelle surprise. Dans une écriture extraordinairement coulante, limpide mais précise et acérée, l'auteur nous fait vivre une aventure peu ordinaire : un homme arrivé à la cinquantaine, père de Marc et Eric, deux garçons beaux et géniaux, marié avec Marie, la mère de son troisième enfant, une petite Camille pétulante, décide un jour de disparaître. Cet abandon qui n'en est pas un va provoquer un raz de marée dans la famille mais la fratrie qui se resserre autour de Marc, l'aîné des enfants, hypersensible et très affectif, va s'en sortir plutôt bien. Seule Marie gardera plus que du vague à l'âme. L'histoire est racontée à la première personne par les protagonistes "conscients" du drame : Marc, Marie et le père. Les années vont passer ainsi. Jusqu'au coup de théâtre qui n'en est pas vraiment un mais qui surprend au détour d'une page... Mais je ne vous en raconte pas davantage. Eléonore de La Grandière écrivait dans le Nouvel Observateur en 2006 (date de la sortie du roman) : "Ce premier roman est une véritable ode à la tendre enfance. [...] on a envie de faire partie de ce cocon familial, plein d'amour, de mots d'enfants et de simplicité". Rare d'avoir les larmes aux yeux au détour des môts dans un livre aujourd'hui. Une seule réserve pour ma part : mon côté prude et janséniste m'a fait regretter deux scènes un peu trop longues et réalistes, où l'auteur nous détaille - sous la dictée de Marc, puis de Marie - des scènes disons "intimes" et je crois qu'on pouvait se passer de ces détails assez crus... C'est parait-il au goût du jour (et des éditeurs), et puis c'est très bien écrit, alors...

04 septembre 2008

COUPS DE CŒUR N°29

Ardidos Coffee
 
Fondamenta S.Fosca
Cannaregio, 2282 
Tél.: 041 894 61 83 
ouvert tous les jours (parfois fermeture de 16h à 18h).
Rare à Venise, un lieu où on propose de nombreuses variétés de cafés du monde entier à déguster sur place ou à emporter chez soi. Les croissants sont délicieux servis nature mais qui peuvent être accompagnés d'une des nombreuses confitures vendues sur place. Jus de fruits pressés et centrifugés, charcuteries et fromages excellents de très bonne provenance. On y sert aussi des salades garnies originales, des encas à base de poisson ou de viande et même des plats végétariens. Grand choix de vins etd e bières. Bref, vous l'aurez deviné, Tramezzinimag recommande l'Ardidos Coffee. Un nouveau local (en tout cas nouveau pour nous), vraiment unique à Venise. Le cadre est raffiné, sobre et de bon goût avec une décoration élégante où se mêle objets anciens et contemporains. Très cosy. En plus, concept de plus en plus répandu, si quelque chose dans le décor vous plait, il est possible de l'acquérir et de partir avec. Plein d'animations (expositions de peinture, de photographies, conférences, débats, concerts, dégustations de vin) et un petit plus qui m'a beaucoup plu : une table est installée près de l'entrée d'eau et donne sur un charmant canal. Agréable de bouquiner là, en dégustant un café d'Ethiopie ou un mélange amérindien...
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Frulalà
Cannaregio 5620
Campiello Riccardo Selvatico
(entre le pont des Giocattoli et le Campo Santi Apostoli)
Tel.:320 318 00 05
http://www.frulala.com
Le mouvement Venezia Location (deux jeunes restaurateurs et un designer) a ouvert cet autre local dans le cadre de son projet ambitieux de créations à léchelle internationale. L'idée est de rassembler alimentation naturelle d'origine bio au design et à la technique de pointe. Frulala se dit le premier bar à fruit de Venise. Ce qui est faux puisque dans les années 80, sur la Salizzasa san Lio, derrière le campo San Bartolomeo, juste en face de Rati le droguiste-quincailler aujourd'hui disparu, un bar proposait une carte très riche à base de jus de fruits et légumes frais préparés devant le client. Mais ne chipotons pas, Frulalà est le premier de son genre au XXIe siècle (...). Fruits frais pressés, mixés, en salade, en tranche, en cocktail, en compote... Le tout préparé devant vos yeux, servi dans un local au top du design d'aujourd'hui entièrement dédié au bien-être et à la santé. A voir pour dire que Venise ce n'est pas que le carnaval et le Florian. Le dossier de presse invitait le public à venir y découvrir une nouvelle manière de concevoir le spritz et l'après-dîner : "couleurs (naturelles), musique (branchée), fruits frais, accueil zen et bien-être. J'ai aimé ce jeu de mot en anglais : "Frulalà juiced for you" (à la place de "just for you" vous l'aurez compris !). Pour les amateurs de produits bio, de sels minéraux et de bonnes vitamines. Recommandé donc pour l'apéritif version new-age. Un lieu à la mode en tout cas, j'y ai croisé plein de jeunes vénitiens.
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I TESORI DELLA RUSSIA,
Maestri dell'arte Russa 1800 - 1900
Scuola Grande San Giovanni Evangelista
San Polo, 2454
Entrée Libre.
de 10h.30 à 18.00, fermé le lundi
041 718234
www.scuolasangiovanni.it
On inaugurait l'autre jour cette exposition de portée internationale consacrée à la peinture russe du XIXe siècle, présentant un ensemble de toiles appartenant à des collections privées de Moscou et de Saint Petersbourg. Un éventail très large pour découvrir l'évolution de cette peinture qui traversa les guerres de Napoléon à Nicolas II, pour exploser durant la tourmente révolutionnaire puis renaître sous haute surveillance après l'arrivée des bolchéviques. L'avant-garde russe, honnie et pourchassée par Lénine et Staline, est très représentée: Malevich, Tatlin, Christoljubov, Rudakov, Lebedev, Tereshenko et d'autres. A voir.
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Ensemble Currende & Concerto Palatino
dirigé par Erik von Nevel
Musique Vénitienne pour double choeur: Adrian Willaert & Giovanni Gabrielli.
Label Accent, 2008.
Un très beau disque de musique religieuse vénitienne eregistré par cet ensemble rigoureux : deux psaumes de Adrian Willaert et la très ample et profonde musique des Sacrae Symphoniae de Giovanni Gabrielli. Un régal que j'ai dégusté cet été sur la plage ou en me promenant dans la campagne normande. Musique certes un peu ampoulée, tout sauf superficielle où souffle pourtant le tempérament vénitien fait d'ampleur et de légèreté.

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Luca Marenzio
Nono Libro de madrigali
Ensemble La Venexiana dirigé par Claudio Cavina
Label Glossa (ref.920906008)
Là on tient un monument comme le label Glossa sait nous en régaler. L'enregistrement date de 1999 mais il a été revu pour ce retirage et ça en vaut la pein. La Venexiana est un ensemble que j'aime beaucoup avec Claudio Cavina (contre-ténor), Rossana Bertini (soprano), Marina De Liso (mezzo-soprano), Sandro Naglia (ténor), Giuseppe Maletto (ténor), Daniele Carnovich (basse), Gabriele Palomba (luth), Franco Pavan (luth), Fabio Bonizzoni (clavecin). Rien à redire, tout est parfait si ce n'est le livret relativement mal imprimé comme souvent chez Glossa qui soigne peu la qualité du papier et de l'impression. Question de prix de revient sûrement.