C'est le journal Le Monde qui l'a annoncé le premier hier soir : l'écrivain Michel Butor a quitté cette terre pour des rivages lointains. Il s'est éteint hier matin dans le petit hôpital de Contamine, à deux pas de chez lui, dans cette Haute-Savoie où il s'était établi il y a des années.
L'amie qui m'en a informé ne pouvait pas deviner l'émotion que me fit cette triste nouvelle. Butor avait 89 ans, il s’essoufflait facilement, il marchait moins vite, souffrant d'une surcharge pondérale à laquelle il semblait s'habituer. Toujours vêtu de ses inénarrables salopettes - il en avait de divers modèles taillés dans des tous genres de tissus - le corps suivait de moins en moins, mais son esprit restait vif et juvénile, comme son regard qui brillait de gourmandise devant tout ce qui est beauté.
Mon histoire avec Butor est à la fois très ancienne et tout à fait récente. La première rencontre a laissé en moi l'effet d'une tornade, un tsunami intellectuel (cf. Tramezzinimag du 13/01/2006, ICI). Je lui dois mon éveil. La seconde rencontre, vécue en deux temps, fut à la fois immatérielle et bien palpable. C'était en mars de l'année dernière.
Remué encore à l'idée que je ne poursuivrai jamais la conversation timidement entamée lors de son passage à Bordeaux, je ne sais pas si je parviendrai à décrire ce sentiment qui m'étreint à l'évocation de l'auteur de L'Emploi du temps et au rôle qu'il a joué dans mon cheminement personnel et autant que dans ma relation à Venise. Le lecteur jugera.
Remué encore à l'idée que je ne poursuivrai jamais la conversation timidement entamée lors de son passage à Bordeaux, je ne sais pas si je parviendrai à décrire ce sentiment qui m'étreint à l'évocation de l'auteur de L'Emploi du temps et au rôle qu'il a joué dans mon cheminement personnel et autant que dans ma relation à Venise. Le lecteur jugera.
"Mais vous viendrez me voir et nous aviserons..." C'est sur cette formule pleine de bienveillance et de bonhommie que nous nous sommes quittés, dans une rue du Vieux Bordeaux, non loin de la galerie Première Ligne fondée par notre amie commune, Cécile Odartchenko, la fondatrice des Éditions Les Vanneaux chez qui Butor a publié Octogénaire avec les illustrations de Gregory Masurovsky.
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Timidité ? Émotion ? Fatigue ? Un peu de tout cela. La conversation fut tout de même agréable ; un babillage de bonne compagnie qu'égayaient vin et mets délicieux. Je rongeais mon frein, agacé et furieux de ne par être capable de lui dire tout ce que j'avais en réserve, moi qui depuis des années rêvais de le rencontrer un jour... Quelques mois auparavant, mon ami Antoine était parti l'interviewer chez lui dans sa maison proche de la frontière suisse. Il y avait dormi. Revenu, il m'avait décrit les lieux, l'atmosphère unique, tout exactement comme je l'imaginais et c'était un peu comme si j'avais été là-bas moi aussi.
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En fait, je me rendis compte, alors que nous pénétrions dans l'église que j'étais comme un enfant devant lui. L'émotion de l'avoir pour moi seul, de partager avec lui réflexions et idées me bloquait autant que ma peur de le décevoir. J'ai souvent rencontré des auteurs, des ministres, plusieurs reines, quelquefois des princes et même le pape Jean-Paul II , mais jamais personne dont l’œuvre et la pensée m'aient autant marqué à un moment de ma vie.
Il fallait que je lui dise cela. Mais aussi parler du projet mûri depuis longtemps de le solliciter pour TraMezziniMag.
Je rêvais d'un texte inédit où il exprimerait ses sentiments sur la
Sérénissime, ses impressions, son ressenti. Nous aurions ensuite édité en tirage limité un petit ouvrage dont nous aurions choisi ensemble
l'artiste pour compléter sa vision de la ville... Sur le chemin du retour, il me parla de sa maison, de ses voyages, me posa beaucoup de question sur ce que j'écrivais, sur mes origines vénitiennes, sur mes enfants... Peu à peu je retrouvais confiance et l'enfant gêné laissa la place à l'adulte posé et tranquille que je suis la plupart du temps...
Il pleuvait toujours. Nous arrivions non loin de la pittoresque maison où il logeait, chez le sympathique Jacques Pater, l'acteur fétiche et grand ami depuis l'enfance de Gérard Mordillat. J'avais l'impression que chaque tour de roue qui nous rapprochait de notre destination, dénouait en moi mots et idées longtemps et douloureusement refoulés. Pressé par le temps, je lui parlais du blog, de la maison d'édition, des livres d'artistes, de mes idées de collection... Il écouta tout, sans rien dire, les sourcils un peu froncés, les mains posées sur le plaid rouge qui recouvrait nos jambes. L'attitude sévère d'un magistrat. J'y décelais le signe d'un intérêt véritable. Le maître de ma jeunesse s'intéressait à mes idées ! Je n'aurai jamais imaginé être ainsi à ses côtés un jour et lui parler de moi... Et l'intéresser...
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La pluie avait cessé, le ciel semblait devoir se dégager. Il faisait doux. Butor s'extirpa un peu difficilement de la nacelle du vélo-taxi. En me serrant la main, après m'avoir remercié, il me dit "Vous savez, j'ai vu votre blog, je l'ai parcouru. Il contient beaucoup de choses. C'est particulièrement intéressant et bien écrit." Puis il ajouta : "Envoyez-moi vite votre projet. Je crois que j'ai compris ce qu'il vous faut, mais là je dois aller me reposer. Je suis très fatigué." Il me sourit et en pénétrant dans la rue du Soleil où résident les Pater, il se retourna et me lança "Mais vous viendrez me voir, on en reparlera !"...Il pleuvait toujours. Nous arrivions non loin de la pittoresque maison où il logeait, chez le sympathique Jacques Pater, l'acteur fétiche et grand ami depuis l'enfance de Gérard Mordillat. J'avais l'impression que chaque tour de roue qui nous rapprochait de notre destination, dénouait en moi mots et idées longtemps et douloureusement refoulés. Pressé par le temps, je lui parlais du blog, de la maison d'édition, des livres d'artistes, de mes idées de collection... Il écouta tout, sans rien dire, les sourcils un peu froncés, les mains posées sur le plaid rouge qui recouvrait nos jambes. L'attitude sévère d'un magistrat. J'y décelais le signe d'un intérêt véritable. Le maître de ma jeunesse s'intéressait à mes idées ! Je n'aurai jamais imaginé être ainsi à ses côtés un jour et lui parler de moi... Et l'intéresser...
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* Louis-Albert Zbinden, Michel Butor, architecte de San Marco, La Gazette de Lausanne, 15-16 février 1964 in-Michel Butor, Entretiens, Quarante ans de vie littéraire, vol. 1 (1956-1968), Éditions Joseph K., 1999